Fssh ! Stupides noyés arrogants !
Zrosh étouffa cette pensée entêtante d’un large sourire, les bras grand ouverts.
— Je vous remercie d’avoir fait appel à mes services ! Vous ne le regretterez pas !
Avoir une allure d’homme-seiche repoussante et une voix caverneuse n’avait pas que des défauts. Il pouvait se faire intimidant, ou, comme ici, connaisseur des vieilles traditions oubliées, même si elles étaient factices.
Non seulement les sans-branchie osaient prendre la mer, le domaine de leur règne, à eux, les hommes-poissons ! mais en plus, ils oubliaient que l’habit ne faisait pas le moine, même le moine mertial.
— Maintenant, reculez je vous prie. Je vais officier.
Ses clients obéirent, confiants.
Alors Zrosh retira son pardessus, laissant apparaître sa coule, son sac miteux et son encensoir, puis s’assit en tailleur. Il retira délicatement le capuchon de son ustensile puis le compartiment à braises dans lequel il versa quelques brindilles qu’il tira de son sac. Ensuite, il alluma un petit feu avec un briquet orné de tentacules gravées. Il souffla dessus pour l’attiser et vint le nourrir de quelques épaisses rondelles de bois. Enfin, il remboîta soigneusement le compartiment, le verrouilla, sortit quelques algues de sa vieille besace, les exposa au soleil levant pour choisir la meilleure, imitant là un savoir-faire professionnel. Il la déchira en petits morceaux qu’il glissa dans l’encensoir. Quand le délicat arôme de santal parvint à ses narines, il savait que leur combustion était lancée. Alors il revissa le capuchon avec la même application, saisit son prétendu livre de prières qui était lui aussi dans son sac, et se leva.
Il se redressa vivement, livre véritablement en vélin de poisson et cuir de roi des mers dans la main gauche, encensoir pendant du côté de la main droite.
Le rituel de dupe pouvait commencer.
Il fit vaciller mollement son encensoir d’avant en arrière. Il légèrement changé son ton, comme s’il entrait en transe.
Il laissa son outil de travail finir de danser à sa guise, l’odeur d’encens embaumant désormais les environs. Quand il reprit sa position d’origine, il se tourna vers les pieds-secs.
Ce spectacle qu’il jouait à chaque demande était parfaitement rodé, et à chaque fois il leur affichait des yeux faussement révulsés par sa transe. Quand la vaguelette de sa pupille regagna le centre de son orbite, il feint un retour à lui brutal en s’ébrouant brièvement la tête avant de leur sourire radieusement.
— Vous pouvez embarquer, et je commencerai la dernière prière.
Encore une fois, les naïfs s’accomplirent avec liesse, ce qui lui laissa quelques longues minutes.
Indubitablement, Zrosh détestait les races sans branchie et encore plus la promiscuité avec elles. Pour autant, il avait un instinct de survie et avait appris à se fondre dans la masse pour survivre. Alors il se faisait passer pour un prêtre des mers.
La vérité n’était pas si loin que cela : il était Eauracle et Moine Mertial du Culte de Poséidon, une secte suprémaciste d’hommes-poissons racistes dont le seul but était de retrouver Poséidon pour asseoir leur domination.
De ce groupe, il ne connaissait que son supérieur et son fournisseur d’algues, un “Algrécolteur”, selon le titre du Culte. Le varéchalm, cette algue que ce dernier lui apportait, servait à la vraie méditation, pas à cet ersatz de prière ! C’était une algue endémique de Calm Belt et elle, elle avait réellement des pouvoirs d’ouverture à la transe, sans pour autant sentir le santal comme celle qu’il récoltait lui-même pour sa couverture de prêtre des mers ! Comme si l’odeur faisait le rituel !
Malgré son mécontement qu’il devait taire, il lui fallait bien avouer que son supérieur avait eu le nez fin : le Royaume de Bliss était le plus grand chantier naval des Blues, et si les clients croyant à sa fausse coutume étaient rares, ici ils étaient logiquement plus nombreux étant donné la foule de clients qui tous les jours prenaient d’assaut les ports et les chantiers navals de Port-Gentil. Jamais attendre son Algrécolteur associé n’avait été si lucratif !
— Père Srass ? C’est tout bon pour nous !
Ce sale noyé de capitaine le tira de ses médisances. Encore une fois, il s’arma de force d’un sourire qu’il espérait franc.
— Très bien, vous pourrez lever l’ancre dès que j’aurais terminé. A nouveau, reculez s’il vous plaît.
Après quelques moulinets, son encensoir fumant fendit l’air avant de s’enrouler autour de la gorge de la figure de proue ! Cela faisait toujours son petit effet.
Redressé, yeux révulsés, voix modifiée, transe imitée, comme s’il s’adressait à sa victime étranglée, il se mit à s’écrier :
Il relâcha son emprise sur la pauvre sirène ailée faite de bois puis rythma ses derniers mots de coups brusques à même la coque.
Le port tout entier empestait le santal.
Zrosh, ou “Père Srass”, fit mine de s’écrouler sous toute l’énergie que lui demandait cette fausse transe méditative. Heureux, l’équipage le remercia chaudement pour ce baptême impressionnant et le salua à grands et vifs gestes des bras. Ainsi, le nouveau navire quittait le port.
L’homme-seiche s’inclina humblement à plusieurs reprises tout en leur souhaitant intérieurement un splendide naufrage, puis allait réunir ses affaires, mais quand il se retourna, il s’aperçut que son petit manège avait attiré l’attention d’un certain nombre de badauds. Il leur adressa un rapide sourire avant de reprendre ce qu’il voulait faire.
En rangeant son livre ésotérique dans sa besace, il toucha la bourse qu’on lui avait cédé pour ce jeu de dupe. Enfin il en tirait quelques satisfactions.
Son pardessus revêtu, il se dirigea vers la plage où, du plat du pied, il couvrit de sable les cendres d’algues et les braises avant de tasser le tout.
De retour au quai, la foule s’était dissipée. Heureusement, puisqu’il vit non loin de lui, adossé à la capitainerie, l’acolyte écailleux et à barbillons qu’il attendait. D’un clignement d’yeux prononcé, il lui fit comprendre qu’il l’avait vu, et d’un discret mouvement de tête, il lui fit comprendre de s’enfoncer dans les ruelles et qu’il le talonnerait.
L’échange allait enfin pouvoir avoir lieu, et ses vraies méditations reprendre sous peu.
Zrosh étouffa cette pensée entêtante d’un large sourire, les bras grand ouverts.
— Je vous remercie d’avoir fait appel à mes services ! Vous ne le regretterez pas !
Avoir une allure d’homme-seiche repoussante et une voix caverneuse n’avait pas que des défauts. Il pouvait se faire intimidant, ou, comme ici, connaisseur des vieilles traditions oubliées, même si elles étaient factices.
Non seulement les sans-branchie osaient prendre la mer, le domaine de leur règne, à eux, les hommes-poissons ! mais en plus, ils oubliaient que l’habit ne faisait pas le moine, même le moine mertial.
— Maintenant, reculez je vous prie. Je vais officier.
Ses clients obéirent, confiants.
Alors Zrosh retira son pardessus, laissant apparaître sa coule, son sac miteux et son encensoir, puis s’assit en tailleur. Il retira délicatement le capuchon de son ustensile puis le compartiment à braises dans lequel il versa quelques brindilles qu’il tira de son sac. Ensuite, il alluma un petit feu avec un briquet orné de tentacules gravées. Il souffla dessus pour l’attiser et vint le nourrir de quelques épaisses rondelles de bois. Enfin, il remboîta soigneusement le compartiment, le verrouilla, sortit quelques algues de sa vieille besace, les exposa au soleil levant pour choisir la meilleure, imitant là un savoir-faire professionnel. Il la déchira en petits morceaux qu’il glissa dans l’encensoir. Quand le délicat arôme de santal parvint à ses narines, il savait que leur combustion était lancée. Alors il revissa le capuchon avec la même application, saisit son prétendu livre de prières qui était lui aussi dans son sac, et se leva.
Il se redressa vivement, livre véritablement en vélin de poisson et cuir de roi des mers dans la main gauche, encensoir pendant du côté de la main droite.
Le rituel de dupe pouvait commencer.
Ô, Grande Mère Bleue ! Accueille en ton sein un nouvel enfant !
Il fit vaciller mollement son encensoir d’avant en arrière. Il légèrement changé son ton, comme s’il entrait en transe.
Guide-le vers des terres d’abondance aux lendemains meilleurs !
Si de batailles son chemin est jonché, fais-le toujours triomphant !
Et toujours permet son retour si étanchée est sa soif d’ailleurs !
Si de batailles son chemin est jonché, fais-le toujours triomphant !
Et toujours permet son retour si étanchée est sa soif d’ailleurs !
Il laissa son outil de travail finir de danser à sa guise, l’odeur d’encens embaumant désormais les environs. Quand il reprit sa position d’origine, il se tourna vers les pieds-secs.
Ce spectacle qu’il jouait à chaque demande était parfaitement rodé, et à chaque fois il leur affichait des yeux faussement révulsés par sa transe. Quand la vaguelette de sa pupille regagna le centre de son orbite, il feint un retour à lui brutal en s’ébrouant brièvement la tête avant de leur sourire radieusement.
— Vous pouvez embarquer, et je commencerai la dernière prière.
Encore une fois, les naïfs s’accomplirent avec liesse, ce qui lui laissa quelques longues minutes.
Indubitablement, Zrosh détestait les races sans branchie et encore plus la promiscuité avec elles. Pour autant, il avait un instinct de survie et avait appris à se fondre dans la masse pour survivre. Alors il se faisait passer pour un prêtre des mers.
La vérité n’était pas si loin que cela : il était Eauracle et Moine Mertial du Culte de Poséidon, une secte suprémaciste d’hommes-poissons racistes dont le seul but était de retrouver Poséidon pour asseoir leur domination.
De ce groupe, il ne connaissait que son supérieur et son fournisseur d’algues, un “Algrécolteur”, selon le titre du Culte. Le varéchalm, cette algue que ce dernier lui apportait, servait à la vraie méditation, pas à cet ersatz de prière ! C’était une algue endémique de Calm Belt et elle, elle avait réellement des pouvoirs d’ouverture à la transe, sans pour autant sentir le santal comme celle qu’il récoltait lui-même pour sa couverture de prêtre des mers ! Comme si l’odeur faisait le rituel !
Malgré son mécontement qu’il devait taire, il lui fallait bien avouer que son supérieur avait eu le nez fin : le Royaume de Bliss était le plus grand chantier naval des Blues, et si les clients croyant à sa fausse coutume étaient rares, ici ils étaient logiquement plus nombreux étant donné la foule de clients qui tous les jours prenaient d’assaut les ports et les chantiers navals de Port-Gentil. Jamais attendre son Algrécolteur associé n’avait été si lucratif !
— Père Srass ? C’est tout bon pour nous !
Ce sale noyé de capitaine le tira de ses médisances. Encore une fois, il s’arma de force d’un sourire qu’il espérait franc.
— Très bien, vous pourrez lever l’ancre dès que j’aurais terminé. A nouveau, reculez s’il vous plaît.
Après quelques moulinets, son encensoir fumant fendit l’air avant de s’enrouler autour de la gorge de la figure de proue ! Cela faisait toujours son petit effet.
Redressé, yeux révulsés, voix modifiée, transe imitée, comme s’il s’adressait à sa victime étranglée, il se mit à s’écrier :
DE MA VOIX ENTEND LA VOLONTÉ MATERNELLE :
DE LA TERRE A LA MER,
CAPTE LES VENTS, ET FAIS-LES ETERNELS !
DE LA MER A LA TERRE,
DÉCHAÎNE LES ENFERS OU ENFILE LA VENELLE !
DE LA TERRE A LA MER,
CAPTE LES VENTS, ET FAIS-LES ETERNELS !
DE LA MER A LA TERRE,
DÉCHAÎNE LES ENFERS OU ENFILE LA VENELLE !
Il relâcha son emprise sur la pauvre sirène ailée faite de bois puis rythma ses derniers mots de coups brusques à même la coque.
GUIDE LES TIENS, COMME JE T’AI GUIDÉ !
PROTÈGE LES TIENS, COMME JE VAIS TE PROTÉGER !
OBÉIS-LEUR, COMME TU M'OBÉIS !
NOURRIS-LES, COMME JE TE NOURRIS !
PROTÈGE LES TIENS, COMME JE VAIS TE PROTÉGER !
OBÉIS-LEUR, COMME TU M'OBÉIS !
NOURRIS-LES, COMME JE TE NOURRIS !
Le port tout entier empestait le santal.
Zrosh, ou “Père Srass”, fit mine de s’écrouler sous toute l’énergie que lui demandait cette fausse transe méditative. Heureux, l’équipage le remercia chaudement pour ce baptême impressionnant et le salua à grands et vifs gestes des bras. Ainsi, le nouveau navire quittait le port.
L’homme-seiche s’inclina humblement à plusieurs reprises tout en leur souhaitant intérieurement un splendide naufrage, puis allait réunir ses affaires, mais quand il se retourna, il s’aperçut que son petit manège avait attiré l’attention d’un certain nombre de badauds. Il leur adressa un rapide sourire avant de reprendre ce qu’il voulait faire.
En rangeant son livre ésotérique dans sa besace, il toucha la bourse qu’on lui avait cédé pour ce jeu de dupe. Enfin il en tirait quelques satisfactions.
Son pardessus revêtu, il se dirigea vers la plage où, du plat du pied, il couvrit de sable les cendres d’algues et les braises avant de tasser le tout.
De retour au quai, la foule s’était dissipée. Heureusement, puisqu’il vit non loin de lui, adossé à la capitainerie, l’acolyte écailleux et à barbillons qu’il attendait. D’un clignement d’yeux prononcé, il lui fit comprendre qu’il l’avait vu, et d’un discret mouvement de tête, il lui fit comprendre de s’enfoncer dans les ruelles et qu’il le talonnerait.
L’échange allait enfin pouvoir avoir lieu, et ses vraies méditations reprendre sous peu.