Habituée depuis quelque temps au climat plus clément d’East Blue, la commandante Ambrosias avait du mal avec la fraîcheur de son île natale. Préférant rester le plus longtemps au chaud dans sa cabine personnelle, la capitaine du Béluga avait laissé la manoeuvre à sa seconde. La lieutenante Ligéia était compétente et supervisée par le sergent-chef Paracchini, son quartier maître et navigateur. Comme elle l’avait prévu, l’accostage se déroula sans encombres. Quittant le confort de ses quartiers, la militaire se rendit sur le ont et ne tarda pas à descendre la coupée. Sur place, le Colonel Felix et une petite troupe de marins avaient décidés de former un comité d'accueil pour leur collègues. Les locaux étaient évidemment au courant des récents faits d’armes de la commandante Ambrosias. Celle qu’ils avaient longtemps connus comme la gentille petite vétérinaire du coin était aujourd’hui célèbre pour avoir capturé le second de l’ex-corsaire Glutonny et avoir causé la mort du membre déchu de l’amirauté Claes Gerritzon. La réalité était cependant bien plus complexe pour l’ancien capitaine des hommes du Houar. Étant membre du Cipher Pol, l’agent d’Isigny n’avait pas eu le droit aux honneurs et son implication, pourtant majeure, avait été passée sous silence. Ambrosias, elle, savait n’avoir été qu’un pion dans l’opération, mais c’était bien à elle qu’étaient revenus les lauriers. Bien qu’elle ne s’en trouve pas digne, elle gardait le silence. Son ancien supérieur sur Tanuki vint lui serrer la main un grand sourire aux lèvres.
« Commandante Ambrosias, c’est un vrai plaisir de vous revoir. Vous avez fait un long trajet depuis votre départ.
- Plaisir partagé, Colonel. Vous me faites honneur, merci.
- Pas besoin d’être aussi humble vous savez. Je sais d’où vous êtes partie et ce que vous avez du surmonter.
- Je dois en réalité beaucoup au Colonel Shoga.
- Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre, mais nul besoin de minimiser vos victoires. Je pense pouvoir dire sans me tromper que nous sommes tous fiers de vous ici.
- Merci, Colonel.
- Accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir ?
- Avec plaisir.
- Parfait. Ce soir vingt heures ?
- Reçu. »
Saluant son supérieur hiérarchique, Ambrosias et les hommes qui l’accompagnaient rendirent les honneurs aux marins de Tanuki avant que ces derniers ne prennent congé. Une fois le soir venu, elle se rendrait au QG local pendant que ses hommes resteraient à bord. Une fois fois le lendemain venu, la commandante laisserait ses hommes se reposer. Cela faisait longtemps que la jeune femme n’avait pas eu le droit à de bonnes permissions bien méritées. Suite à la mort de Gerritzon, le Commodore Epinondas avait définitivement décidé de mettre la main sur la talentueuse officière qu’il avait déjà remarqué de loin au Cimetière d’épaves. Généreux, le militaire avait décidé de donner un peu de répit à ses futurs subordonnés avant qu’ils n’entrent à son service. En tant que capitaine du Béluga, le choix de l’endroit où partir se ressourcer était revenu à Ambrosias qui avait décidé de faire voile vers Tanuki. Retourner chez elle n’était pas une chose si facile, le souvenir de sa mère y étant bien plus fort que partout ailleurs, mais elle souhaitait y investir son capital pour mener à bien un projet qui lui tenait à coeur. certes, ses hommes ne s’amuseraient pas beaucoup, mais au moins ils auraient un peu de calme et de paix. Cigarette au bec, Dario s’approcha de sa supérieure.
« Tanuki, hein ?
- Quoi ?
- Qu’est-ce qu’on fait ici franchement ?
- Ça me regarde.
- Oh, sois pas grognon comme ça.
- Arrête de me tutoyer, je te l’ai déjà dis plusieurs fois.
- Bien, bien, Commandante. Et du coup ?
- Profitez des permissions qu’on vous offre, c’est tout.
- Je finirai bien par le savoir, tôt ou tard. »
Ne prenant pas la peine de répondre, la jeune femme s’éloigna du navire, laissant à sa seconde les rennes de l’équipage. Allumant un cigare, elle grimaça quand une brise fraîche vint lui caresser les joues. Le froid avait tendance à rendre ses brûlures douloureuses, ce qui n’était jamais très agréable. N’ayant plus qu’un idée en tête, la militaire quitta le port et entra dans les terres en direction de la demeure familiale. Bien que sa mère ne soit plus de ce monde, elle la sentait partout ici. Le coeur lourd, elle avançait lentement sur les chemins étriqués de l’île. Sur son passage, les moutons la regardaient en continuant de mâcher de l’herbe, les cloches de leurs cous teintant légèrement en fonction de leurs mouvements. Le calme de l’endroit lui rappelait son enfance, mais tout lui hurlait ce qu’elle avait perdu ici. Même s’il elle essayait de ne pas y penser, Tanuki était pour elle synonyme de souffrance. Physique d’abord avec son corps mutilé, et mentale avec le décès de sa mère. Arrivée à destination, la militaire s’arrêta sur place et soupira longuement. La maison faisait peine à voir. Elle n’avait jamais été bien plus que la demeure d’une famille d’éleveurs, mais depuis qu’elle n’était plus occupée, elle manquait cruellement d’entretien.
« Heureusement que tu n’es plus là pour voir ça. »
Sortant timidement la clé de sa poche, Ambrosias approcha de la porte et la tourna dans la serrure. Pénétrant chez elle, une odeur de renfermé ne manqua pas de venir lui chatouiller les narines. Personne n’était plus venu ici depuis son départ de Tanuki quelques mois auparavant. Une légère couche de poussière recouvrait l’ensemble du mobilier tandis que quelques toiles d'araignée assez impressionnantes se trouvaient au plafond. Avançant sans but, la commandante fit quelques pas en faisan grincer le plancher. Le silence de la bâtisse était uniquement brisé par le bruit du vent qui venait se heurter contre ses murs. Seule, la femme laissa ses émotions prendre le dessus et s’autoriser à pleurer. Inondant ses joues de larmes, elle alla s’assoir sur une chaise en posant son cigare. Restant là en silence pendant plus d‘une heure, comme en pèlerinage, Ambrosias ferma finalement les yeux en posant son front contre la table.
« Hé ! »
Relevant la tête en hâte, la militaire regarda autour d’elle pour définir l’origine de l’invective qu’elle venait d’entendre. Ne voyant rien par les fenêtres, elle s’essuya longuement les yeux avant d’ouvrir la porte. Quelle ne fut pas sa surprise de tomber face à face avec une jeune adolescente aux cheveux bruns. Plissant les yeux un instant, elle ne mit pas longtemps à la reconnaitre.
« Marie ? Qu’est-ce que tu fais ici ? »
La nouvelle venue n’était autre que sa petite-cousine, fille de Fred Lagniel, son cousin qui tenait un restaurant sur le port. Jeune et débordante d’énergie, elle trépignait presque sur place tant elle semblait heureuse de croiser la militaire.
« Ambrosias ! Je suis si contente de te revoir. Combien de temps tu vas rester à Tanuki ? Tu fais quoi ici ? T’as combattu des pirates récemment et...
- Du calme, une question à la fois.
- On ne t’a pas vu depuis des mois, qu’est-ce que tu viens faire à Tanuki ?
- Veiller sur un projet qui me tient à coeur.
- Rapport au chantier du vieux village de Bonchamp ?
- Comment tu sais une chose pareille ?
- C’est pas si grand que ça Tanuki, tout le monde sait tout sur tout le monde. Tu fais quoi là bas ? On a vu plein de monde se rendre sur place, des gens d’un peu partout.
- C’est un peu long à expliquer.
- Je veux savoir, dis moi tout ! »
S’arrêtant quelques instants, la jeune femme blonde observa sa cousine en détail. Sa curiosité maladive était légendaire au sein de la famille et elle savait qu’elle ne se débarrasserait pas facilement d’elle.
« D’accord, entre. Je vais te raconter, mais occupe toi de nous faire un peu de thé.
- Bien sûr ! »
Sautillant sur place, l’adolescente emboita le pas à son ainée avant de refermer la porte derrière elle. Une fois les boissons préparées avec ce qui restait dans les placards, les deux femmes prirent place et la commandante se confia. Son projet était de créer un réseau de cliniques vétérinaires à travers le monde. Quand elle travaillait encore dans le domaine, elle avait souvent déploré le fait qu’il n’existe pas de grands centres permettant, comme pour les humains, de centraliser plusieurs spécialités spécifiques au même endroit. Des hôpitaux pour animaux en quelque sorte. Bien qu’elle soit toujours docteur, Ambrosias n’avait plus le temps de gérer une chose pareille, mais elle avait les fonds pour subventionner un tel projet, et c’était exactement ce qu’elle souhaitait faire. Après avoir contacté le seigneur de Mistoltin par escargophone, elle avait pu lui racheter quelques terres au centre de l’île, non loin d’une rivière, là où se trouvait le village aujourd’hui inhabité de Bonchamp. Aidée par Althias à distance, les travaux avaient déjà commencé depuis quelques temps grâce à l’argent qu’elle envoyai régulièrement sur Tanuki. Quand l’endroit avait commencé à prendre forme, le noble s’était servi de ses contacts sur les blues pour rendre une fois encore service à la militaire en démarchant divers spécialistes en médecins vétérinaires. En leur offrant quelques avantages et un salaire particulièrement décent de la part d’Ambrosias, il avait été en mesure de recruter six docteurs, ce qui serait amplement suffisant pour faire tourner la clinique. Un comptable local accepta quant à lui de s’occuper de la gestion financière des lieux. Si l’entreprise appartiendrait effectivement à Ambrosias, elle n’en assurerait donc pas ni la gestion ni la sécurité. Ce dernier point posait d’ailleurs problème, car elle n’avait toujours pas décidé si elle devait protéger l’endroit ou non. La garnison locale semblait suffisante, mais son expérience passée avec le pirate Mizukawa Sutero l’inquiétait. Reposant sa tasse de thé avec fracas, Marie se leva en trombe.
« Je peux m’en charger !
- Pardon ?
- Je défendrai ta clinique, fais moi confiance.
- Tu es adorable, c’est vraiment gentil de ta part, mais tu n’es encore qu’une jeune fille, ce n’est pas un métier pour toi.
- Quoi ?! C’est faux ! Je sais me battre, mieux que presque tout le monde ici. Y’a que le colonel qui m’arrive à la cheville.
- Parce qu’il t’arrive de l’affronter ?
- Bien sûr, toutes les semaines ! C’est mon ami, il dit que je suis douée. »
Ambrosias avait quelques doutes à ce sujet. Menue comme elle était, sa cousine ne semblait pas très impressionnante. D’un autre côté, la militaire elle-même n’avait rien d’une grande pugiliste. Outre cela, elle doutait que ce soit une très bonne idée.
« Tes parents me tueraient si j’acceptais une telle chose. Ils portent de grands espoirs sur toi.
- Je sais bien... C’est juste que... Je veux pas tenir un restaurant moi plus tard.
- Tu veux t’engager dans la Marine, c’est ça ?
- Quoi ? Non pas du tout, je veux être vétérinaire comme toi avant !
- Vétérinaire ?
- Oui, c’est ça ! Mes parents ne veulent pas me payer des études pour le devenir, mais si je reste aux côtés des gens de la clinique, j’apprendrai à leurs côtés, c’est certain.
- Hum. Je ne sais pas.
- Allez dis oui, dis oui, dis oui !
- Du calme. »
Prise de court, la militaire ne savait pas trop quoi faire des informations données par se petite-cousine. Son ancienne profession l’avait comblée de bonheur et aujourd’hui encore elle lui apportait beaucoup, elle comprenait donc l’envie de Marie de le devenir. D’un autre côté, lui laisser les rennes de la sécurité de l’endroit entre les mains n’était peut-être pas une très bonne idée. Après tout, que valait-elle vraiment ? Fronçant les sourcils, Ambrosias détailla l’adolescente.
« Dehors, on va voir ce que tu vaut vraiment.
- C’est vrai ? Génial ! Tu seras pas déçue crois moi.
- Moins de bla bla, en avant. »
Comme elle était déjà debout, la jeune fille se lança à pleine vitesse vers la porte qu’elle passa sans la refermer. Se relevant plus lentement avec un sourire amusé, la commandante lui emboita le pas avant de refermer la porte derrière elle.
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