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Acte II - Briser la glace

Frsssch…

Il secoua l’allumette pour l’éteindre et tira sur une énième clope. Malgré les chemins sinueux qu’il empruntait et les pentes rocailleuses qu’il gravissait, son esprit était accaparé par autre chose. Il se remémorait tout ce qu’il avait traversé ces dernières semaines…

Son arrivée à Hinu Town, tant d’années après avoir quitté cette île, sa quête de « justice » contre l’Ordre du temple des sables et l’affrontement contre l’apôtre Mam’ni dans un tombeau de Denderah, son emprisonnement, sa captivité, sa fuite, son alliance avec le Cartel Capital et les Sœurs du désert, l’assassinat du Sphinx…
Tous ces évènements tournaient dans sa tête sans relâche, comme les aiguilles d’une horloge. Mais son esprit était hanté par les épisodes de la veille, ou d’il y a deux jours, il ne savait plus. L’attaque de l’Ordre au port d’Attalia contre le cartel de Ramil, la mort du chef Ahmed Ibn Saïd, mais surtout, la disparition de Shérazade, la seconde des Sœurs du désert. Il voyait tout, sentait tout, tout était encore clair… les navires en flammes, les coups de fusil, le bruit de l’acier et de la charpente qui se craquèle. L’odeur du sang.

Il secoua la tête, comme pour balayer ces horreurs hors de sa boîte crânienne, mais ce fut plutôt la glissade de son dromadaire sur un caillou qui le réveilla brutalement. Par un réflexe maladroit, il tira sur la bride de Jingo pour l’empêcher de perdre l’équilibre et de dévaler la pente abrupte qu’il grimpait.

« Eh ! Fais attention ! »

La voix de Lenny sonna à la fois comme un conseil et un avertissement. Mais, par on ne sait quel miracle, les mots de sa partenaire de fortune eurent l’effet escompté et sa monture retrouva ses appuis en même temps qu’il retrouva sa tête et son calme. Il porta sa gourde à sa bouche desséchée et la vida du peu qu’elle contenait. La chaleur, les rayons du soleil et la poussière soulevée par les pas des montures lui irritaient les yeux ; au loin il essayait d’observer le chemin qu’il leur restait à parcourir. Ou plutôt, à gravir. La route qu’ils empruntaient n’était autre que le flanc rocailleux d’une montagne aux roches orangées, un chemin naturel gravé par le temps dans la pierre, parsemé de crevasses et d’embûches infranchissables, dont on sentait le bout s’éloigner à mesure que l’on croyait progresser.

Après la débâcle aux quais d’Attalia, ils n’étaient plus que cinq ; Liana, la cheffe des Sœurs du désert, Sira et Nifa, sœurs jumelles aux talents guerriers indéniables, Lenny, sa récente partenaire, aussi sournoise que capricieuse, et lui, abîmé par des blessures et des marques de fatigue, masqué par une barbe épaisse qui ne lui seyait guère. On l’appelait « l’Etranger », et il ne savait plus très bien qui il était.

« Je vois le campement, nous sommes presque arrivés. » lança Liana depuis la tête du groupe.

Ses mots le soulagèrent aussitôt, comme si les courbatures et l’inconfort du voyage venaient de disparaître soudainement. Il releva de nouveau la tête en la couvrant de sa main, et admira le sommet de la montagne qui marquait la fin de leur expédition. Un enchevêtrement de roches formait une sorte de plateau naturel qui s’étendait à perte de vue. Et sur des centaines de mètres se dressaient des tentes, de différentes tailles, de différentes couleurs, entre lesquelles vagabondait une foule de gens.

« Alors, c’est ici ? murmura-t-il à Lenny.
- Oui, c’est le campement principal des Granulés, on trouve ici la plupart des clans ancestraux d’Hinu Town.
- Intimidant…poursuivit-il d’un ton amusé.
- Tu devrais l’être, Krid, le frère de Liana… ce n’est pas n’importe qui ici.
- Allons voir ça. »

Ils quittèrent leurs montures, pour qui le trajet avait été un véritable calvaire, et ils s’avancèrent vers le campement. Rapidement, deux hommes, qui de toute évidence faisaient office de sentinelles, vinrent à leur rencontre. La méfiance sur leur visage se dissipa aussitôt que Liana retira le voile qui lui couvrait le visage. La cheffe des Sœurs serra son poing droit contre son cœur en guise de salutations et les deux hommes l’imitèrent.

« Ma Sœur, que fais-tu ici ? Vous m’avez l’air mal en point.
- C’est une longue histoire, rétorqua-t-elle. Krid est ici ?
- Il est dans sa tente, vous pouvez y aller. »

Les Sœurs reprirent leur route, mais les deux gardes croisèrent leurs lances et barrèrent subitement la route de l’Etranger.

« Hm ? soupira-t-il.
- Qui est cet homme ? Les Sœurs du désert n’ont pas d’hommes dans leurs rangs.
- Il est avec nous, reprit Lenny en posant sa main sur les lances en signe d’apaisement.
- Avec vous ? Mais…
- On vous racontera tout, mais pour l’instant, laissez-le passer. »

Liana se retourna en entendant l’altercation.

« Lenny, l’Etranger ! Dépêchez-vous, on a des choses à faire ! »

En entendant son nom, les deux hommes se figèrent et écarquillèrent les yeux.

« L’Etranger… »

Il avança entre eux sans adresser un mot. Le groupe pénétra finalement à l’intérieur du campement. Des regards curieux s’attardèrent sur eux, suivis de salutations respectueuses adressées aux Sœurs. Il en profita pour observer autour de lui, le campement lui évoqua celui des Sœurs qu’il avait découvert au nord d’Anataka, au milieu des dunes d’Al’zir. Ils approchaient d’une large tente montée sur une estrade rocailleuse. A son entrée, deux autres hommes enturbannés montaient la garde ; ils saluèrent Liana et les Sœurs et sans attendre une quelconque invitation à entrer, la cheffe des Sœurs ouvrit du revers de la main les deux rideaux qui couvraient l’entrée. Peu importe qui il s’apprêtait à rencontrer, l’Etranger ne pensait à ce moment qu’à se couvrir du soleil qui l’asphyxiait depuis une éternité.
L’intérieur ressemblait plus à un véritable lieu de vie qu’à une simple tente de nomade. Bureau, lit spacieux, table à manger, peintures, ornements en tous genres, trophées de chasse éparpillés un peu partout, en clair, cet endroit n’avait rien d’éphémère.

Au milieu de la vaste tente, quatre hommes discutaient vivement autour d’une longue table. Un se balançait sur une chaise, breuvage en main, trapu comme un ours, le crâne rasé et un œil en moins. Un autre, à la carrure squelettique, réajustait ses lunettes et écoutait attentivement la conversation des deux derniers. L’un était gigantesque, les bras croisés et une large épée dans le dos qui lui rappela celle de Shérazade. L’autre était bien moins imposant ; plus jeune, une taille moyenne et une allure svelte cachée par une tunique ample en tissus beiges et blancs qui dénotait singulièrement des accoutrements plus sombres des autres hommes. Mais, debout, les bras ouverts et les mains plaquées contre la table, il était celui qui donnait de la voix et semblait être celui qu’on écoutait, celui à qui on adressait un respect tout particulier.

En les voyant faire irruption dans la tente, les quatre hommes relevèrent la tête en leur direction. Leurs grimaces trahissaient leur surprise, mais ils semblaient tout à fait sereins. Liana s’avança d’un pas franc.

« Krid ! Il faut qu’on parle, s’écria-t-elle en s’adressant au plus jeune au centre.
- Liana ? Qu’est-ce que tu fais ici ? rétorqua-t-il, visiblement agacé par la présence de la cheffe des Sœurs. »
La jeune femme s’avança jusqu’à la table et attrapa une chaise.
« Liana, un thé ? demanda l’homme-tige à lunettes.
- Oui, merci Amir. »

Les trois Sœurs s’avancèrent auprès de Liana, quant à lui, l’Etranger, il resta en retrait, la tête en l’air à admirer les parures qui décoraient la tente.

« Eh ! Je t’ai demandé quelque chose Liana, qu’est-ce que tu fais ici ? »

La cheffe des Sœurs prit le verre de thé brûlant qu’Amir lui tendit et sirota quelques gorgées sans adresser un mot à son frère. Puis, elle releva la tête et le regarda dans le blanc des yeux.

« Nous avons été attaqués par l’OTS à Attalia. De nombreuses Sœurs ont perdu la vie.
- A Attalia ? Je vois… »
L’expression de Krid changea brusquement, ce qui semblait au départ être de l’agacement devint de l’empathie ; on décelait même chez lui une forme de pitié, en partie masquée par une image de leader à conserver.
« Des affrontements sanglants et un gigantesque incendie aux quais d’Attalia, ça fait la une des journaux. C’était vous ? Raconte-moi.
- Nous avons été pris à partie par des fanatiques de l’OTS, je ne saurais vraiment expliquer pourquoi, nous avons dût nous défendre sur les quais. Et puis… nous avons fui.
- Mais qu’est-ce que vous faisiez à Attalia ? Et pourquoi l’OTS s’en prendrait à vous, ils n’ont aucun intérêt à s’attaquer à El Beïda. Je sais que la marine essaye d’étouffer cette affaire, mais des contacts chez les mouettes m’ont certifié que c’était une véritable bataille et que les opposants étaient bien des hommes de l’OTS, mais aussi des hommes des cartels. Alors, je réitère, qu’est-ce que vous faisiez au beau milieu d’une querelle entre l’Ordre du temple des sables et le Cartel Capital ? »

Le visage de Liana se referma. L’Etranger l’observa et pour la première fois depuis leur rencontre, il la sentit vulnérable, prise dans un mensonge de trop longue date, incapable de dire la vérité à son propre frère.  Les Sœurs du Désert appartenaient au Cartel des Wraiths et donc au Cartel Capital. Mais il avait beau s’agir de son frère, Liana ne pouvait se permettre de tout dévoiler au leader du clan El Beïda, clan qui œuvrait depuis des années à la protection du désert, et qui donc par définition était l’ennemi des cartels.

Elle hésita un moment et ravala rapidement son début de gêne lorsqu’elle sentit le poids du regard de son frère.

« En vérité, nous, les Sœurs, traquons intensivement l’OTS depuis plusieurs semaines. La menace que représente l’Ordre étant grandissante, nous avons décidé de passer à l’action. Mais on s’est rapidement rendu compte que nous n’étions pas les seuls à avoir décidé de passer à l’offensive. Les cartels et l’OTS semblent mener une guerre qui n’a plus rien d’insidieuse, on a en payé les frais à Attalia. Ce qui était au départ une simple mission de reconnaissance s’est transformée en véritable bataille lorsque les hommes de l’OTS nous ont pris également à partie.
- Hm… Liana, toi et tes Sœurs, vous auriez pu toutes y rester. Je suis heureux de te savoir en vie, mais souviens-toi de notre accord, nous ne devions pas agir frontalement contre l’Ordre. En intervenant comme tu l’as fait, c’est l’ensemble du clan El Beïda qui a désormais sa part de responsabilité dans cette affaire. Il y a de grandes chances qu’Abu Mussa, le gourou de l’OTS, nous considère comme ses ennemis désormais… les représailles ne sauraient tarder. Nous devons redoubler de vigilance.
- Maintenant que nous avons mis un pied à l’étrier, nous devrions agir plutôt que de nous préparer à subir une attaque. L’OTS est une gangrène pour Hinu Town, nous devons l’éradiquer avant qu’elle ne prolifère, qui sait ce qu’Abu Mussa ambitionne ?
- L’OTS est un problème, je suis d’accord, mais notre rôle est avant tout de protéger ce désert, l’OTS n’est pas une menace directe pour les citoyens d’Hinu Town et pour les voyageurs, nous avons d’autres chats plus importants à fouetter, des chats qui s’appellent les cartels.
- Dans ce cas, faisons notre devoir et éliminons l’Ordre et les cartels, finissons-en une bonne fois pour toutes avec la criminalité qui se pavane dans nos sables. »

Liana avait repris le contrôle de ses mots et de son expression, son regard avait retrouvé sa dureté habituelle. « Eliminer les cartels », ce n’était pas un mensonge, à ce moment-là, en l’observant, l’Etranger comprit que son ambition était sincère. Mais de quelle manière voulait-elle les éliminer, alors qu’elle en faisait partie ? Ou alors, par « éliminer », elle entendait peut-être se débarrasser des têtes pensantes et réunir chaque cartel sous sa propre bannière. Quoi qu’il en soit, le ton était donné, et vraisemblablement, l’Etranger n’était pas le seul à être surprit par ses paroles, Lenny et les jumelles Sira et Nifa peinaient aussi à dissimuler leur étonnement.

Un court silence fit suite aux injonctions de Liana. Le visage de Krid se referma à son tour, il parut pensif, voire perplexe. Mais, il finit par donner son accord d’un léger acquiescement de la tête.

« Hm… Je pense que ça ne plaira pas au Gouverneur, mais je tâcherai de régler nos différends plus tard. Ma sœur a raison, nous devons en finir avec l’OTS et les cartels. Nous sommes les gardiens de cette île, nous ne pouvons laisser des organisations criminelles s’adonner en toute impunité à leurs activités illégales qui mettent en péril la sécurité de nos parents, de nos enfants, de nos frères et de nos sœurs. »

La flamme dans son regard et le cœur dans ses mots firent à cet instant comprendre à Ned pourquoi le nom de Krid Chawki était autant respecté.

« Mais sache que, si aujourd’hui je mets en danger la vie de nos frères et sœurs, c’est en partie à cause de ta transgression, Liana. Mais soit, mettons cela sur le compte du destin… Nous avons fort à faire désormais, j’espère d’ailleurs que tu as des renseignements utiles à m’apporter.
- Eh bien, comme je te l’ai évoqué, nous étudions attentivement l’OTS et leurs agissements, et pour tout te dire nous avons déjà entrepris une action contre eux. Ou une attaque, plus précisément.
- J’écoute.
- Nous avons éliminé le prêcheur de Denderah d’Anataka, celui qu’on surnommait le Sphinx. Il était l’un des apôtres de l’Ordre, ces têtes pensantes qui dirigent la secte sous les ordres directs d’Abu Mussa.
- Le Sphinx a bel et bien disparu d’après les récentes informations qui circulent, mais les rumeurs parlent d’un assassinat commis par les cartels.
- Nous avons fait en sorte de faire porter le chapeau au Cartel Capital pour qu’un conflit naisse entre les deux organisations. Maintenant que nos deux ennemis sont occupés à s’entretuer, nous aurons plus de facilité à les éliminer.
- Pousser ces deux organisations à la guerre n’apportera rien de bon à Hinu Town. Regarde ce que ça a généré, un carnage en pleine ville à Attalia et des incendies, la sécurité de notre peuple est entachée désormais. Et puis, toi et tes Sœurs, vous en avez aussi payé les frais cette nuit-là… Shérazade, est-elle… ? »

Un silence pesant envahit brutalement la pièce. Liana avala une gorgée de thé, et baissa les yeux.

« Sans elle, nous ne serions pas là. Elle a donné sa vie pour nous offrir une porte de sortie. »

Le visage des Sœurs se referma sous le poids des mots de leur cheffe. La disparition de Shérazade avait profondément atteint les sœurs, la plaie était encore fraîche. Krid semblait lui aussi troublé par la réponse cinglante de Liana. Ned ne savait rien de la relation entre Krid et Shérazade, mais au vu du regard vide que le leader d’El Beïda affichait, nul doute que les Sœurs n’étaient pas les seules à être affectées par cette perte. En bon guerrier qu’il était, Krid reprit ses esprits et sembla mettre ses émotions de côté.

« Tu as d’autres infos ?
- Comme tu le sais, l’OTS protège tout ce qui a trait à Denderah. Leurs activités ne s’arrêtent pas au prosélytisme, ce n’est un secret pour personne Abu Mussa a des archéologues de l’IHAS sous sa botte et les rumeurs qui circulent parlent d’un musée secret que la secte cacherait à Anataka. Un musée qui abriterait toutes les trouvailles archéologiques détenues illégalement par l’Ordre. Si on met la main sur les trésors de l’OTS, on leur portera un grand coup.
- Tu as un lieu ?
- Pas un lieu, mais un nom. Gibab Nah.
- Gibab Nah ? J’ai déjà entendu ça quelque part.
- Pas étonnant, ça vient des Quartiers Rouges. D’après nos infos, ce serait un vieil ermite qui prierait Denderah.
- Et son lien avec l’Ordre ?
- On le soupçonne d’être engagé par la secte pour servir de guide de musée pour tous les adorateurs de Denderah. Et donc, il saurait où se trouve ce fameux musée.
- Des rumeurs qui viennent des Quartiers Rouges… on peut s’y fier ?
- On peut aller interroger ce vieillard, nous verrons bien si les rumeurs disent vraies.
- Pourquoi tes informateurs trainent aux Quartiers Rouges ?
- Simple précaution, il faut bien avoir des oreilles partout.
- Bon. Dans ce cas, mettons-nous en route. Amir, rassemble nos meilleurs hommes, nous partons dès l’aube. »

Le ton était donné et la détermination de Krid ne laissait pas de doute sur la suite des évènements. Liana se leva de sa chaise, le groupe s’apprêtait à quitter la tente sur les derniers mots de Krid, mais les murmures du chef d’El Beïda se firent entendre.

« Une barbe, de longs cheveux noirs, deux sabres à la ceinture… Alors c’est toi, n’est-ce pas ? Celui qu’on appelle l’Etranger ? Le tueur de l’apôtre Mam’ni ? »

L’Etranger approuva d’un signe discret de tête.

« Un homme débarque il y a quelques mois sur notre île et y délivre la mort comme bon lui semble… Un justicier, ou un meurtrier sanguinaire, sans foi ni loi ? Pour le bien de mon peuple, est-ce que je me dois de séparer ta tête de tes épaules, ici et maintenant ? Réponds-moi, étranger, dois-je te traiter en allié, ou en ennemi ?
- Je ne suis l’ennemi que de ceux qui arborent un soleil orange. Mais ne vous méprenez pas, je ne suis pas votre ami pour autant, j’aide les Sœurs et tous ceux qui lèvent leurs épées contre l’Ordre du temple des sables, mais ce n’est que temporaire. Lorsque Abu Mussa et ses apôtres seront ensevelis sous les sables, je disparaîtrai.
- Qui es-tu pour en vouloir autant à cette secte ? Un agent du gouvernement sous couverture ? Un chasseur de primes ? Non, ça n’a rien à voir avec tout ça…
- Vous l’avez dit vous-même, je ne suis qu’un étranger…
- Soit. Restons-en là, mais sache que je t’ai à l’œil, étranger. Mangez, reposez-vous, nous partons aux premières lueurs. Demain sera une rude journée. »
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Ils prirent la route vers Anataka le lendemain, aux premières lueurs du jour. Le cortège, aux allures de parade militaire, rassemblait des guerriers venus des quatre coins de l’île. Ils avaient traversé des dunes et des oasis à n’en plus finir, de l’aube jusqu’au zénith. Le groupe avançait à dos de dromadaires, qui enduraient le voyage malgré les chemins sinueux et le poids des cavaliers.

Le temps lui paraissait extrêmement long et la fatigue le gagnait un peu plus à chaque pas que Jingo parcourait. Les remparts d’Anataka finirent par se dresser devant eux. De sa vue, la ville lui paraissait être une forteresse infranchissable, il ne savait pas bien si son impression était due aux affrontements à venir qui changeaient sa vision des choses en lui faisant croire que tout avait rapport à la guerre ou simplement qu’il était impressionné, comme toujours, par l’envergure des remparts qui ceignaient la capitale. De soudaines clameurs captèrent son attention et l’extirpèrent de sa contemplation. Des cris de joie et des applaudissements retentirent à l’entrée de la ville, on louait l’arrivée du protecteur d’Hinu Town, « le Mentor », Krid Chawki. A la tête de la troupe, progressant sur son fier dromadaire, il reçut louanges et cadeaux. Le héros d’Hinu Town fit forte impression, Ned avait souvent entendu parler du clan El Beïda au cours de sa jeunesse, mais c’était bien la première fois qu’il en comprenait réellement la portée. Ceux qu’on appelait les Granulés n’étaient pas simplement des guides du désert, ils en étaient les protecteurs, des gardiens autant adulés que craints.

Le brouhaha s’estompa à mesure qu’ils progressèrent à travers la ville et qu’ils se mêlèrent à la foule. Ils avaient quitté leurs montures pour se diriger à pied vers leur objectif. Leur mission était on ne peut plus clair : retrouver la trace de Gibab Nah et investir, s’il existait, le musée secret de la secte. Pour Krid et ses hommes, il s’agissait surtout de pouvoir mettre la main sur les possessions de la secte pour les affaiblir, mais l’Etranger, lui, espérait tomber sur un des chefs de l’Ordre pour régler ses comptes.

La troupe se rassembla discrètement devant les premières maisons des Quartiers Rouges. Les façades délabrées, l’odeur d’égouts qui proliférait, les ruelles étriquées et les chemins boueux donnaient l’impression de pénétrer dans une tout autre ville. Les Quartiers Rouges étaient maudits, c’était ce qu’on racontait, mais la réalité était simplement que l’extrême pauvreté qui y régnait avait terni l’endroit et son image depuis fort longtemps. Aujourd’hui ces quartiers étaient quasi laissés à l’abandon par le gouvernement, sans doute par résignation, depuis que la criminalité y avait fait son terrain de jeu.

La troupe se divisa rapidement en plusieurs petits groupes pour ne pas attirer l’attention. Ned se retrouva aux côtés de Lenny, de Krid et de l’un de ses bras droits, un certain Jaskar. Il en avait conscience, ce n’était pas un hasard que le héros d’Hinu Town se retrouve à ses côtés, il était là avant tout pour garder un œil sur lui. Malgré la méfiance à son égard, Ned appréciait son attitude, les raisons qui poussaient Krid à épier ses faits et gestes étaient plus que justifiées, et constater qu’Hinu Town avait des protecteurs qui n’usurpaient pas leur rôle le satisfaisait grandement.
Ils progressèrent à travers les ruelles, les maisons qui se chevauchaient et les routes qui n’en étaient plus durant de longues minutes, observant les alentours, plus ou moins sur leurs gardes. Plus ou moins parce que seul Ned avançait d’une allure nonchalante, qui agaçaient visiblement la droiture et le sérieux de Krid.

Au détour d’une ruelle, les compagnons de fortune arrivèrent sur une petite place animée. Le brouhaha qui en émergeait attira leur attention. Des personnes par dizaines s’agglutinaient autour d’une sorte d’arène formée de pieux en bois et acclamaient les deux hommes qui s’y trouvaient. Torses nus, couverts de boue, les deux gaillards s’affrontaient sans relâche dans un mélange de boxe et de lutte peu académiques. De toute évidence, ça ressemblait à des combats clandestins, et le groupe le savait, c’était bien le genre d’endroit où ils pouvaient se renseigner sur un potentiel criminel.

« Soyons prudents, ils sont nombreux… » murmura Krid aux membres du groupe.

Ils se dispersèrent une nouvelle fois, Ned s’immisça au milieu de la foule, mais une voix dans son dos l’interpella.

« Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser partir seul, étranger ? lança Krid.
- J’avais compris que tu comptais me garder à l’œil, mais à ce point-là… »

Les deux hommes s’avancèrent au plus proche de l’arène et observèrent le combat acharné qui se livrait devant eux.

« Tu n’as pas l’air surpris de voir ce genre chose, poursuivit Krid.
- Disons que j’ai connu ça. La pauvreté, la faim, le désespoir, trouver des moyens de s’en sortir… coûte que coûte…
- Ici, beaucoup de gens ne verraient pas la même chose que toi. La crasse, le sang, la violence, le crime, c’est ce qu’on voit en priorité.
- Quand on ne prend pas la peine d’ouvrir les yeux…
- Ou que l’on a décidé de son plein gré que le sort des autres ne nous concernait pas.
- De belles paroles, Krid. Mais ce n’est pas toi et ton clan qui êtes les protecteurs de cette île ? Qu’avez-vous fait toutes ces années ?
- Notre mission principale reste de veiller à la sécurité du désert et de ses voyageurs. Notre influence est grande, mais elle est limitée, c’est le gouvernement qui a la main sur tout, en particulier les villes.
- Votre influence est limitée… l’accueil que vous a réservé le peuple à l’entrée de la ville me laisse penser le contraire. Ne me fais pas croire que tu n’as pas ton mot à dire sur la gestion de ce pays. Hinu Town mérite mieux.
- Garde tes reproches pour toi, étranger ! Qu’est-ce que tu connais de nos sables, de nos villes et de notre peuple ? As-tu la moindre idée du nombre de frères et sœurs que j’ai perdus et qui se sont sacrifiés pour que les habitants de cette île puissent fermer l’œil sans avoir à se soucier de pirates et de bandits ?
- Et pourtant, l’OTS et les Cartels hantent toujours le pays, et ce depuis des années. Tout serait plus simple si…
- Si quoi ? Si on expédiait six pieds sous terre tous les criminels qui se promènent dans nos rues ? Nous ne sommes pas tous comme toi, à distiller la mort à coups d’épée pour sa propre satisfaction. Si j’en viens à me confronter à l’OTS et aux Cartels, c’est uniquement pour la sécurité de mon peuple, rien d’autre. Nous sommes un peuple juste et nous les jugerons en temps voulu pour tout ce qu’ils ont fait subir à notre pays.
- Dans tes mots, je ne perçois que l’inaction. Chaque jour des gens meurent à cause de ton idéalisme stupide ! Ouvre les yeux ! »

La voix de l’Etranger se fit soudainement tremblante, et la colère le poussa à empoigner sévèrement le col du héros d’Hinu Town.

« C’est ta passivité qui entrave la sécurité de TON peuple ! Quoi ? Tu crois que je fais tout ça par plaisir sanguinaire ? Pour assouvir mes pulsions meurtrières ? Par envie de célébrité ? Je fais ce qui doit être fait ! Croire que tu as le contrôle sur ce qui se passe, c’est des foutaises ! Observe autour de toi, regarde-les, eux ! Les clameurs, la violence des coups, tout ça c’est la réalité ! Traduire tous ces criminels en justice ne soignera pas le poison qui s’est immiscé dans ce pays, la seule solution, c’est de couper la tête du serpent avant qu’il ne répande davantage son venin. Parce que la mort, elle, est définitive. »

Les deux hommes se jaugèrent dans le blanc des yeux. Krid retira lentement la main qui entravait son col et Ned desserra sa prise. Malgré la clameur, l’altercation attira certains regards curieux et lorsqu’il sentit leur poids, Krid enroula un peu plus son foulard pour cacher son visage.

« Taisons-nous, étranger. N’oublie pas ce pourquoi nous sommes ici.
- Sur ça, je ne peux pas te contredire, poursuivit Ned.
- Cet endroit m’a l’air parfait pour faire la pêche aux infos, mais à vrai dire, je ne vois pas bien comment apprendre quoi que ce soit sans éveiller les soupçons, reprit Krid en tentant de se focaliser sur sa mission.
- Eh bien, nous n’avons qu’à nous plier à leur jeu.
- C’est-à-dire ?
- Participons à ces combats. Je suis sûr que les vainqueurs sont dans les bonnes grâces des organisateurs.
- Hors de question ! s’écria Krid spontanément. Je ne m’abaisserai pas à ce genre de pratiques, reprit-il en baissant d’un ton.
- Tu as peur de te mouiller ? C’est donc toi le fameux « héros d’Hinu Town » ?
- Un guerrier du clan El Beïda ne connaît pas la peur !
- Et pourtant…
- Raaah ! »

La réaction de Krid amusa l’Etranger, qui se réjouissait intérieurement d’avoir réveillé l’orgueil du chef d’El Beïda.
Krid, blessé, mais déterminé, serra une nouvelle fois son foulard autour de son visage, cette fois-ci pour en faire un masque qu’il attacha fermement avec un double nœud. Il longea les pylônes de bois qui formait l’arène d’un pas vif et s’avança jusqu’à une sorte de petite estrade en bousculant toutes les personnes qui entravaient ses longues enjambées. L’Etranger lui emboîta le pas en affichant un rictus satisfait, et traversa la foule comme un serpent. Sur l’estrade était montée une espèce de bureau de fortune où s’avachissait un bonhomme dégoulinant de graisse. Plongé dans de la paperasse, l’homme grassouillet releva la tête et fit sonner une clochette au rythme des soudaines acclamations qui retentirent.

« Victoire de Bayek le Borgne par K.O, merci de nettoyer dents cassées, oreilles coupées, intestins et cadavres avant de quitter les lieux. En vous remerciant. » lança le gras du bide sans le moindre enthousiasme.

Krid s’approcha à quelques centimètres du visage difforme du grassouillet, qui sursauta en voyant une tête masquée apparaître devant ses yeux.

« Je participe, s’exclama-t-il sans vraiment attendre de réponse.
- Moi aussi, poursuivit Ned depuis son dos.
- Tu vas me gêner.
- Euh… Vous êtes ? tenta de placer le grassouillet.
- Des participants, reprit Krid.
- Oui, des participants.
- C’est-à-dire que les combats d’aujourd’hui sont déjà tous programmés.
- Quel est le prochain ? demanda Ned.
- Eh bien, voyons voir… dit le grassouillet en fouillant minutieusement dans sa paperasse. Ah ! Eh bien nous avons Nazeem Main Moite contre Ocho Nouébé.
- Dans ce cas, faites-les nous affronter tous les deux, tonna Krid.
- Vous plaisantez ? Ce sont les deux favoris de nos jeux.
- Parfait ! Inscrivez-nous, on les affronte illico.
- Vous n’avez pas l’air de comprendre, ce sont des brutes, vous ne tiendrez pas une seconde face à eux. Et de toute façon, on n’organise pas d’affrontements en deux contre deux.
- Alors, dites simplement que c’est un match d’échauffement pour eux, en vue de leur duel final, ça permettra de faire monter la sauce auprès des spectateurs.
- Vous me demandez de vous envoyer à l’abattoir pour amuser une foule ?
- Tout à fait, conclut Krid. Inscrivez-nous. »
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« Messieurs, faites vos jeux ! A ma gauche, vous le reconnaissez, vous le craignez, membre de la tribu cannibale des A’shaar, voici venu Nazeem, Main Moite !! »

Les applaudissements reprirent de plus belle, mais la foule s’écarta soudainement pour laisser place à celui qu’elle venait de louer. Un colosse, perché à trois mètres de haut, fit son apparition. Le cou aussi large qu’une jambe, le torse nu couvert de tatouages tribaux, la tête rasée et le haut du visage masqué par des peintures de guerre blanches qui symbolisaient un crâne ; Nazeem Main Moite avançait en faisant trembler le sol boueux sous ses pieds. Il enjamba les pylônes de bois et se retrouva finalement au milieu de l’arène de fortune, sous les regards émerveillés des spectateurs et des parieurs.

« Et maintenant… celui qu’on surnomme « le Silencieux », tout droit venu des dunes de Nchakala et bien décidé à prendre aujourd’hui la première place du tournoi, voici Ocho Nouébé ! »

Quelques applaudissements se firent entendre ici et là, mais le silence gagna la petite place rapidement, car personne ne traversa la foule pour rejoindre l’arène. Au lieu de ça, tout à coup, venu du ciel, ou plutôt du toit du bâtiment d’en face, on distingua une silhouette, en partie masquée par les rayons du soleil. Elle se projeta dans les airs d’un bond, et atterrit au beau milieu de l’arène après une pirouette magistrale. La foule délira lorsqu’elle reconnut son combattant favori. Un corps svelte mais musclé, la peau foncée et couverte de peintures de guerre, des tresses plaquées en arrière, le fameux Ocho Nouébé harangua la foule de toute sa prestance après son entrée en scène remarquable.

« Vous rêvez de voir ces deux géants de l’arène s’affronter n’est-ce pas ? Mais patience mes amis, nous vous proposons d’abord un petit échauffement. Vous avez aujourd’hui le privilège de voir ces deux guerriers combattre ensemble contre deux autres…volontaires. Lorsqu’ils sortiront vainqueurs, parce qu’ils sortiront vainqueurs évidemment, vous pourrez enfin les voir s’affronter l’un contre l’autre, jusqu’à ce que mort s’ensuive ! A ma gauche, voici celui qui se fait appeler…Comment c’est déjà ?
- L’enfant du pays.
- L’enfant du pays, Dirk Kichaw !! »

Un silence de mort dans l’assistance, suivi de huées bruyantes qui firent grincer les dents de Krid.

« Pour l’accompagner dans ce duel, à ma droite, voici celui qu’on appelle…attends t’es sérieux là ?
- Totalement.
- Ahem…Laissez-moi vous présenter…le Colosse Cosmique, le Massacreur des Univers, la Lumière Céleste, le Pourfendeur des Lunes… Jack !! »

Ned reçut le même accueil que le héros d’Hinu Town, lui qui pensait que la ribambelle de surnoms grandiloquents allait lui donner un certain charisme, c’était tout l’inverse. Les deux compères avancèrent dans l’arène sous les huées, les bousculades et les jets de tomate. Une fois les quatre combattants réunis à l’intérieur du champ de bataille boueux et sanglant, l’homme grassouillet, perché sur sa petite estrade, fit sonner sa clochette.

« Messieurs, merci de bien vouloir déposer vos armes et de piocher un ticket. »

Un petit vieillard s’approcha au plus près de l’arène en se faufilant comme il le put. Tenant un petit panier entre ses mains, on l’aida à escalader les pylônes. Ned et Krid, ou plutôt Jack et Dirk, l’air dubitatif, le regardèrent s’approcher dans la gadoue. Nazeem Main Moite s’avança vers le vieillard en faisant trembler le sol et lui remit la masse qu’il portait à la ceinture. Il plongea son épaisse main dans le panier et tira un bout de papier qui parut infiniment minuscule entre ses doigts calleux. Il le déplia et le montra au vieillard.

« Nazeem Main Moite a tiré… les POINGS AMERICAINS !! »

La ferveur du public se fit ressentir à l’annonce du vieillard. On remit à Nazeem Main Moite ses nouveaux jouets, qu’il enfila à ses phalanges avec le sourire de ceux qui se réjouissent de faire couler le sang.

« Je croyais que c’était un combat à mains nues ? s’enquit Krid.
- Faut croire que non. Et qui dit combat armé, dit potentiellement combat à mort, poursuivit Ned qui ne semblait pas surpris de la situation.
- … Des combats à mort… dans notre capitale !
- On fera de la politique plus tard, reste concentré.
- Ils ont dit qu’on doit déposer nos armes…
- Hm ? Oui, ça paraît évident.
- Etranger, je ne peux pas me résoudre à leur remettre mon sabre.
- Pourquoi ? C’est seulement l’affaire de quelques minutes.
- Le Shamshir est le trésor de mon clan, je ne peux m’en séparer. Ce…ce serait trop risqué. »

Ned comprenait la crainte de Krid, pour un épéiste, perdre sa lame était le pire qu’il pouvait advenir. Mais l’hésitation dans sa voix cachait quelque chose de plus, chose que Ned ne parvenait pas à percer. Il tenta de convaincre son « partenaire » comme il le put, qui finalement se résolut à remettre son grand cimeterre entre les mains du vieillard. Il tira à son tour son papier et s’efforça de garder son calme en voyant le vieil homme balancer le Shamshir sur son dos cabossé comme un vulgaire sac à dos.

« L’enfant du pays a tiré… le TRIDENT ET LE FILET !! »

Krid se réjouit de sa pioche, mais ce ne fut pas le cas de la foule qui en profita pour le huer de nouveau, avec même une plus grande ardeur que la fois précédente. On lui remit à son tour son arme, un long trident rouillé et un vieux filet à moitié troué. Le Mentor haussa les épaules, se disant que c’était sans doute la bonne pioche pour pouvoir tenir à distance le colosse qu’était Nazeem Main Moite.

Ocho Nouébé s’approcha du vieillard en faisant des pirouettes dignes d’un acrobate de cirque. Il piocha lui aussi son bout de papier et afficha un long sourire lorsqu’il le déplia.

« Le Silencieux a tiré…le FLEAU !! »

Les spectateurs se mirent à jubiler, tout comme Ocho Nouébé, qui se réjouit lorsqu’on lui remit entre les mains une longue barre de métal avec une chaîne accrochée, où pendait à l’extrémité une immense boule d’acier couvertes de piques aussi aiguisées que des rasoirs.

Ned s’avança à son tour, non sans une grimace lui aussi, il remit ses sabres au vieillard, qui se retrouva désormais avec un véritable arsenal de guerre sur le dos. L’Etranger plongea sa main dans le panier, la fit tourner quelques secondes comme s’il avait la main sur sa chance, et finit par tirer son ticket. Il le déplia, mais à sa grande stupeur, le bout de papier était entièrement blanc, pas le moindre écrit, pas même la moindre trace d’encre.

« Qu’est-ce que ça veut d…
- Jack a tiré… les MAINS NUES !! »

La foule entra en extase et Ned resta pantois au milieu de l’arène, son bout de papier immaculé au bout des doigts. Il le savait, les acclamations qui lui frappaient les oreilles n’étaient pas là pour le féliciter de sa pioche, mais plutôt pour se réjouir de sa mort à venir. Le vieillard quitta l’arène sous le regard méfiant de Krid, qui voyait sa précieuse épée s’éloigner. La clochette du grassouillet retentit une fois de plus, du haut de l’estrade, et la foule se tut un instant pour laisser place à l’annonce qu’elle attendait.

« Mes amis, vous avez vos armes ! Alors je n’ai qu’une chose à dire, que les meilleurs gagnent ! COMMENCEZ !! »

Le son de cloche marqua le début du combat. La foule retint son souffle jusqu’à ce que le premier combattant s’élance. Ce fut Nazeem Main Moite qui décida de lancer les hostilités. Telle la brute sauvage qu’il était, il se jeta en direction des deux alliés de fortune. Son pas était lourd et suffisamment lent pour qu’ils puissent réagir avant que ses phalanges monstrueuses ne s’abattent sur eux. Mais c’était sans compter sur la sournoiserie d’Ocho Nouébé, qui profita de l’esquive des deux hommes pour se mouvoir derrière eux. Le son du fléau bourdonna aux oreilles de Ned, qui s’empressa de se jeter sur un côté pour éviter la boule pleine de piques qui fondait sur lui. Il se pensa sorti d’affaire après avoir roulé dans la boue, mais le choc soudain qu’il reçut en pleine temps l’envoya au tapis.

Nazeem Main Moite ramassa Ned par la jambe après l’avoir à moitié assommé d’un coup de poing, puis il le souleva comme un vulgaire gibier tout juste chassé. De l’autre côté de l’arène, voyant son adversaire se défouler sur l’Etranger, Krid tenta de lancer son filet sur le colosse pour l’arrêter, mais un coup de talon dans les côtes l’en empêcha et l’envoya valser contre un pylône, sous les acclamations de la foule. Après son coup de pied, Ocho Nouébé fit tournoyer son fléau dans les airs et accéléra au rythme des encouragements du public. Il abattit son arme sur le héros d’Hinu Town à moitié au sol, mais Krid parvint à parer l’attaque à l’aide de son trident et repoussa son assaillant de toutes ses forces.

De son côté, Ned se remettait lentement de son choc, la tête en bas, pendu par les pieds et balloté dans tous les sens par Nazeem Main Moite qui jouait avec lui comme une poupée. Le jeune homme, une fois partiellement lucide, se tracta le long du bras gigantesque du monstre et lui rendit la pareille en lui décochant un crochet du gauche. Le mastodonte recula d’un pas, fit mine de tituber sous les yeux ébahis des spectateurs, puis s’arrêta net et empoigna le cou de Ned avec une force digne d’une bête sauvage. Le public gronda, tout comme Nazeem, qui rugit en exhibant sa proie à ses supporters. Mais tout à coup, son rugissement se changea en cri de douleur. Il fit volte-face en un éclair et réalisa qu’Ocho Nouébé était aux prises avec un filet dont il essayait de se dépêtrer et que « L’enfant du pays » venait de l’embrocher dans le dos. Krid venait de prendre l’ascendant en un rien de temps. Sous la douleur lancinante, le colosse relâcha son étreinte et l’Etranger retrouva son souffle. Krid voulut retirer son trident des lombaires du monstre, mais celui-ci attrapa le manche pour l’empêcher de s’extraire. Il agrippa son porteur par le bras, le tira vers lui d’un geste violent et lui asséna un coup de poing américain en pleine mâchoire. L’impact fut si violent que les spectateurs en ressentirent l’onde de choc. Krid vacilla et s’écroula à son tour, le visage tuméfié. Nazeem Main Moite retira le trident planté dans son bas du dos en poussant un râle de douleur, puis, l’arme en main, il tenta d’embrocher le héros d’Hinu Town d’une attaque verticale. Ned se jeta sur lui pour l’en empêcher et parvint à le renverser malgré sa stature. Une fois les deux dans la boue, Nazeem reprit l’ascendant et bascula sur l’Etranger. Il tenta de lui asséner un coup de poing d’acier, que Ned esquiva en bougeant sa tête au dernier moment. Les phalanges du monstre entrèrent en contact avec le sol, qu’elles fendirent sur plusieurs mètres de long. Ned imagina un instant ce que serait devenu son visage s’il n’avait pas réussi à esquiver. Nazeem Main Moite était doté d’une puissance remarquable, mais il pêchait par sa lourdeur, et donc sa lenteur. Une chose que Ned comptait tourner à son avantage.

Pendant ce temps, à l’extérieur de l’arène, Lenny et Jaskar observaient le spectacle qui se jouait sous leurs yeux, comme le reste de l’auditoire. Jaskar, imposant bonhomme d’une quarantaine d’années, se tenait le visage en affichant un air dépité. A ses côtés, plus petite, Lenny, les poings serrés, était obnubilée par le combat et encourageait ses compagnons de vive voix.

« Bon sang, mais quelle mouche les a piqués… marmonna Jaskar.
- ALLEZ ! Faites-en de la chair à pâté ! » hurla Lenny en donnant des coups de poing dans le vide, comme si elle combattait elle aussi.

Jaskar tira de sa poche un mini escargophone qu’il activa discrètement, sans jamais quitter l’arène des yeux.

Pulupulupulu…pulupulupulu…Gatcha !

« Liana ? Tu me reçois ?
- Oui Jaskar, je t’écoute.
- Où êtes-vous ?
- Dans un bar, on cherche.
- Vous avez quelque chose à vous mettre sous la dent ?
- Rien pour l’instant, et vous ?
- Nous sommes tombés sur une petite place où se tient des combats clandestins. J’ai pensé que c’était typiquement le genre d’endroit à être sous la botte des cartels, mais en y regardant de plus près, j’ai vu plusieurs personnes arborer un soleil orange sur la peau.
- L’OTS…
- Oui, visiblement les fanatiques de Denderah ne se contentent pas de prier leur dieu. Je pense que pour dénicher des infos sur ce Gibab Nah on ne trouvera pas meilleur endroit.
- Je vois. Appelle-moi quand tu as d’autres infos, on vous rejoint au plus vite. »

Pendant ce temps, dans l’arène, la situation était tout autre. Le héros d’Hinu Town gisait au sol, encore sonné par le coup de poing de Nazeem Main Moite. Ned, lui, affrontait le colosse à mains nues, comme il le pouvait. En réalité, il passait plus de temps à esquiver les attaques dévastatrices qu’on lui portait. Sans ses sabres, il se sentait démuni, comme dépourvu de réflexes et d’automatismes. Heureusement, il avait encore son agilité pour lui, et s’en servait à bon escient. Mais, aux assauts du géant s’ajoutèrent les pirouettes armées d’Ocho Nouébé, dont la grimace trahissait la colère d’être resté coincé aussi longtemps entre les mailles d’un filet. Aussi agile était-il, l’Etranger n’était pas en mesure d’esquiver des assauts rapides venus de chaque côté. Il préféra encaisser les phalanges du mastodonte dans l’abdomen plutôt que les piques du fléau. L’impact lui coupa brutalement le souffle, avec une étrange et douloureuse sensation, comme si ses poumons voulaient fuir par sa bouche. Il tâta son torse et la douleur se fit insupportable lorsque sa main passa sur ses côtes. Brisé de l’intérieur, épuisé et couvert de boue, il était seul, et n’avait plus le moindre atout en poche. Ses deux adversaires s’étaient placés face à lui et s’apprêtaient à en finir. Dans leur dos, le héros d’Hinu Town était en train de se relever péniblement et Ned comprit rapidement que les deux hommes ne l’avaient pas remarqué. Lorsque leurs regards se croisèrent, il fit signe discrètement à son compagnon de fortune en lui demandant d’attaquer ensemble.

Ocho Nouébé fut le premier à s’élancer, fléau virevoltant dans les airs et prêt à s’abattre sur l’archéologue. C’était le moment opportun pour riposter. Et la réponse fut expéditive.

Ned racla le sol d’un geste et aveugla Nazeem Main Moite d’un jet de boue, tandis que Krid l’entrava de son filet. Les deux camarades profitèrent de cette diversion de quelques secondes pour en finir avec Ocho Nouébé. Ned esquiva le fléau en faisant volte-face en un éclair et repoussa son assaillant d’un violent coup d’épaule qui l’éjecta un mètre plus loin. De son côté, Krid réceptionna la proie en l’embrochant d’un coup de trident. La foule se tut, Ocho Nouébé se figea et tomba à genoux lorsque le héros d’Hinu Town retira l’arme de son torse. Le public entra en délire lorsque le corps sans vie d’Ocho Nouébé rejoignit le sol boueux. Les spectateurs avaient trouvé leurs nouveaux champions et les encouragements changèrent de côté. Nazeem Main Moite, plein de haine, se jeta éperdument sur le héros d’Hinu Town mais il fut stoppé en pleine course par un coup de fléau qui s’abattit en plein sur son visage. Le colosse s’effondra à son tour et Ned, qui avait récupéré l’arme du Silencieux, s’avança vers son dernier adversaire en mauvaise posture et le martela de son fléau. Sur ses vêtements, le sang du colosse se mêla à la boue. Il frappa, encore et encore. Et lorsque le visage de Nazeem Main Moite n’était plus qu’une crevasse de chair et de sang, l’Etranger relâcha son arme ensanglantée sous les acclamations incessantes de la foule. Le bruit insupportable des applaudissements tapa sur ses tympans et s’il avait pu, il les aurait fait taire, eux-aussi.

L’Etranger observa ses mains pleines de sang, il se sentait anormalement violent, plus qu’il ne l’avait jamais été. Krid s’approcha de son allié d’arène et posa une main sur son épaule. Une main qui parut apaisante.

« Un justicier ou un meurtrier sanguinaire… je crois avoir ma réponse. Regarde-toi étranger, toi-même tu ne sais plus. »

La cloche retentit, Dirk Kichaw et Jack avaient vaincu.
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L’Etranger épousseta ses vêtements gorgés de boue et de sang, sous le regard du Mentor. Krid se sentait épuisé, les phalanges de Nazeem Main Moite lui faisaient encore tourner la tête. Assis sur un banc, les deux hommes pansaient les quelques plaies que les combats leur avaient laissés. Dans l’arène, les affrontements avaient repris et la foule grondait de plus belle. Les vainqueurs avaient été ovationnés quelques minutes, mais leur moment de gloire fut aussi court que leur duel, le public était rapidement passé à autre chose, happé davantage par le spectacle qui se jouait sans relâche et qui n’avait vocation qu’à satisfaire leur appétit.

Comme prévu, on avait remis leurs armes aux deux combattants. Ned s’était empressé d’attacher ses sabres à sa ceinture, tandis que Krid avait minutieusement observé son cimeterre, et ce durant de longues minutes, à la recherche du moindre défaut qu’on aurait pu y laisser. Lenny et Jaskar avaient retrouvé leurs camarades dans un état approximatif. La jeune fille les avait félicités pour leur victoire, tandis que le gaillard qu’était Jaskar en avait profité pour remonter les bretelles de son propre chef, bien conscient de s’être laissé emporter par son orgueil. Mais, une fois les remontrances faites, la situation actuelle exigeait un certain sérieux. Jaskar informa les deux coéquipiers d’arène de ce qu’il avait observé, à savoir les soleils orange que certains membres du public arboraient discrètement sur leur peau, signe que cet endroit n’était assurément pas étranger à l’OTS.

Pour le groupe, le moment était venu de passer à l’action, ou plutôt, de faire la pêche aux informations auprès des organisateurs des combats. Ils le savaient, en battant les supposés champions de l’arène, Ned et Krid s’étaient attiré les faveurs des parieurs. Alors qu’ils se décidaient à aller à la rencontre des organisateurs, ce fut finalement eux qui vinrent à eux. Deux hommes de taille moyenne qui se ressemblaient étrangement, des tuniques amples en soie qui dénotaient singulièrement des haillons que le reste de la foule portait. Tous deux affichaient le même grand sourire et arboraient la même crinière bouclée, brossée soigneusement en arrière.

« Messieurs…dames…bonjour ! s’écrièrent les deux hommes en chœur. Avant tout, nous souhaitons vous féliciter pour votre victoire dans l’arène, reprit l’un des deux. C’était un duel impressionnant, avec des hauts et des bas, et puis finalement, vous avez réussi à surpasser nos deux colosses de l’arène. Personne n’aurait cru que ce match d’exhibition allait devenir l’affrontement le plus intéressant de la journée. »

Ned observa ses deux interlocuteurs et remarqua que l’intérieur de leur poignet était tatoué d’un soleil orange. Tandis qu’ils continuaient à faire leurs éloges, le sabreur tapa discrètement la jambe de Lenny et lui fit signe de regarder les marques que les deux hommes portaient.

« Notre patron souhaiterait vous rencontrer, joignez-vous à nous !
- Votre patron ? demanda Krid.
- Oh, un homme très influent ici, il aimerait parler affaires avec vous. Il serait dommage de laisser passer de tels potentiels. »

Le groupe accepta le proposition sans concertation et emboîta le pas des deux dandys. Ensemble, ils quittèrent la petite place animée et arpentèrent les ruelles étriquées des Quartiers Rouges jusqu’à un étrange bâtiment dont la devanture colorée dénotait des façades ternes des autres immeubles et de la saleté qui jonchait les rues.

« Bienvenue au Red Room ! » s’exclama finalement un des deux organisateurs, les bras levés.

Ils entrèrent tour à tour dans l’établissement, sans vraiment savoir ce qui les attendait à l’intérieur. La pièce était sombre, plongée dans une épaisse fumée qui dégageait une forte odeur de tabac. Ils n’y voyaient pas grand-chose, mais furent guidés par les deux dandys à travers un long couloir carrelé. Ned scruta les alentours, une main discrètement agrippée à la garde de son sabre. L’endroit avec tout l’air d’un salon de thé. Plusieurs petites pièces aux entrées voûtées longeaient le couloir et étaient protégées par des rideaux de soie qui empêchaient de voir à travers. De ces pièces émanait l’odeur de tabac chaud, qui se mêlait aux effluves des encens disposés un peu partout dans le couloir. Au bout du couloir, ils atteignirent une grande salle ouverte, éclairée par des bougies qui se balançaient au plafond. La salle, bien que relativement exiguë, était animée. Des hommes et des femmes étaient assis au sol sur des coussins et bavardaient autour d’un verre de thé et d’un narguilé. Au bout de la salle, sur un canapé massif, deux filles en tenues légères étaient blotties entre les bras d’un homme aussi large que grand, qui avoisinait les trois mètres de haut. Le cou, la gueule et la carrure larges amplifiaient son air patibulaire. Il était vêtu d’un kimono sombre qui laissait entrevoir sa poitrine couverte de tatouages et arborait un cache-œil.

Le groupe pénétra dans la salle et rompit par la même occasion l’agitation qui y régnait. Des regards étonnés se tournèrent vers eux et l’un des deux dandys mit fin au silence qui s’était installé.

« Hello Boss ! s’exclama-t-il, s’adressant à la montagne sur le canapé. Je vous présente Dirk Kichaw et Jack, ce sont eux qui ont vaincu nos deux champions de l’arène. Autrement dit, je vous présente nos nouveaux champions ! »

Pas d’applaudissements, ni quelconques félicitations, le « Boss » se contenta d’observer de son œil valide les deux champions, qui s’étaient avancés d’un pas. L’homme quitta les deux jeunes femmes et se dressa de toute sa hauteur, obligeant le groupe à lever les yeux. Son envergure aurait fait pâlir n’importe quel forban, et chaque pas qu’il fit vers les deux champions semblait décisif. Il tira longuement sur son cigare, puis recracha sa fumée près des deux hommes, ridiculement petits à côté de lui.

« Jack et Dirk Kichaw, hein… lança-t-il d’une voix grave. Plutôt impressionnant pour une première dans l’arène. Nazeem Main Moite et Ocho Nouébé n’étaient pas n’importe qui. Venez, asseyez-vous. »

Le groupe prit place sur le canapé à l’angle de mur, et le géant retrouva la compagnie de ses dames. Une servante apporta à boire, des verres de thé d’abord, puis elle déposa à leurs pieds un narguilé. Ned se sentait étouffé par la chaleur, l’odeur du tabac et les encens qui embaumaient la pièce. Mais, par-dessus-tout, l’atmosphère étonnement tendue commençait à l’inquiéter. Il remarqua le sabre qui pendait à la ceinture du colosse. Un fourreau et une garde blanches, immaculés, d’une finition exemplaire. Discrètement mais parfaitement orné, ce sabre n’était pas n'importe lequel, et Ned le savait, pour manier une telle arme, il ne fallait pas non plus être n’importe qui.

« C’est vous qui organisez ces combats ? » lança subitement Krid en cachant difficilement sa colère.

L’homme attrapa un verre qui n’avait rien d’un verre thé et le vida d’une traite, renversant la moitié sur sa poitrine et éclaboussant au passage les filles qui gloussaient contre lui.

« Ouais, ce sont mes jeux. Et ça rapporte gros. Mais à cause des descentes régulières des mouettes dans les Quartiers Rouges, on a été obligé de ralentir un peu l’activité.
- Vous vous appelez Serizawa n’est-ce pas ? J’ai déjà vu votre tête sur des avis de recherche » reprit Krid en coupant presque la parole au mastodonte.

L’homme dévisagea le héros d’Hinu Town un instant et un vent de frayeur traversa la pièce. Il reprit un verre de sa substance et éclata de rire.

« Géhahaha ! J’suis célèbre hein ? Huit millions, c’est un peu sous-évalué quand même. M’enfin, c’est peut-être mieux comme ça, avoir une prime sur sa gueule c’est jamais bon pour le business.
- Vous ne craignez pas que la marine remonte jusqu’à vous à cause de ces tournois de rue ? lança Jaskar.
- Peuh, ils pourront jamais mettre leur nez ici. Les marines ont beau augmenter les rondes ces derniers temps, ils pourront jamais s’immiscer dans les sous-sols des Quartiers Rouges. Ici, c’est chez nous. Non, sur cette île il y a d’autres menaces. Y a des types qui ont le soutien du peuple et qui eux, peuvent fourrer leur nez un peu partout. Les Granulés. Et ils s’invitent trop souvent là où ils ne sont pas les bienvenue. Paraît qu’on a vu leur chef aux portes de la ville tout à l’heure. Vous le connaissez ? Le grand Krid Chawki ! Le héros d’Hinu Town ! Le Mentor ! Géhahaha ! »

Ses moqueries amusèrent les gens dans la pièce et la colère marqua un peu plus le visage de Krid à chaque rire qui éclatait.

« Qui ne le connaît pas ? reprit Ned en voyant son camarade d’arène se crisper.
- Ouais c’est une vraie pointure ici, tout le peuple de cette fichue île l’admire. Paraîtrait que son clan a démantelé le Cartel de Sinah il y a quelques années. On raconte qu’il aurait brandi son sabre légendaire, le Shamshir, contre le chef de Sinah lors d’un duel mythique au Repos des Anciens. La lame était tellement belle que son éclat aurait aveuglé le vieux chef avant que le dernier coup ne soit donné. Géhaha ! Quelle histoire !
- De bien belles rumeurs, si vous voulez mon avis, reprit Jaskar calmement.
- Des rumeurs p’têtre bien, mais si y a bien un truc de vrai dans cette histoire, c’est que le Shamshir est une arme remarquable, ornée de pierres rares datant de l’époque de Denderah. Un vrai bijou, Géhéhé… »

Un silence plombant accabla la pièce. Les deux dandys disparurent discrètement, tout comme les servantes, et des ombres se mouvèrent depuis le couloir. La tête relevée, le « Boss » tira sur son cigare.

« Et dire que dans une autre vie vous auriez pu être mes champions… Non seulement vous me servez le Shamshir sur un plateau d’argent, mais vous m’apportez la tête de son porteur avec. Géhaha !
- Merde, merde, merde ! C’est un putain de piège ! gueula Lenny en tirant ses dagues. »

En une fraction de seconde, tout bascula. Une dizaine d’hommes armés firent irruption dans la salle et provoquèrent un chaos sans nom. Ils tentèrent de leur résister, mais leur nombre et la surprise jouèrent en leur défaveur. On les maîtrisa, non sans peine, et ils furent alignés sur les genoux, face au canapé.

Le colosse glissa lentement sur les coussins et fit greloter les glaçons dans son verre en sondant de son œil valide chaque membre du groupe. Il resta silencieux quelques instants, et on n’entendait plus que les frémissements de son cigare, à mesure qu’il tirait dessus.

« Je vous l’avais dit, non ? Les Granulés s’invitent trop souvent là où ils ne sont pas les bienvenue. Qu’est-ce que vous croyiez au juste ? Que vous pouviez vous balader incognitos dans nos rues ? Que vous pouviez repartir tranquillement ? »

Krid releva la tête et dévisagea le colosse. La colère suintait de tous ses pores, et à travers le turban qui lui couvrait le visage, le dédain qu’il éprouvait brûlait dans son regard. Un des hommes armés lui retira son voile d’un geste brusque et ils découvrirent le héros d’Hinu Town sous son vrai visage.

« Dirk Kichaw, hein ? Géhahaha ! T’aurais pu trouver un peu plus original quand même. Alors, dites-moi chers Granulés, qu’est-ce que vous veniez chercher ici ? »

Un silence de mort fit suite aux paroles du « Boss ». Il reprit un énième verre de son breuvage en riant à gorgée déployée, de toute évidence amusé par la situation.

« Je me doutais bien que vous seriez des tombes. J’vais vous épargner les discours de tortionnaire, à vrai dire, je m’en tape de connaître vos objectifs. Prendre vos têtes suffira amplement. Eh ! Le vieux ! Tu m’entends ?! gueula le colosse tout à coup. J’ai un truc pour toi, ça va t’plaire ! »

Les compagnons s’observèrent du coin de l’œil, tout en cherchant celui que le colosse venait d’appeler. Mais personne ne daigna se montrer et seul un sentiment de confusion traversa la pièce.

Tout à coup, un léger clapotement se fit entendre, comme si quelque chose s’apprêtait à émerger de l’eau. Une épaisse silhouette se dessina dans un des miroirs suspendus au mur, et une tête en sorti, puis un buste. Un vieillard s’échappa de la paroi de verre, provoquant surprise et sidération. La peau mate et rabougrie, une barbe blanche et hirsute lui ornait le visage. Il semblait plus mort que vivant, seuls ses mouvements saccadés trahissaient le peu de vitalité qu’il lui restait. Ses yeux blancs scrutèrent longuement la pièce et firent pâlir ceux qui les croisèrent. Il s’arrêta brusquement sur le héros d’Hinu Town, qu’il inspecta et jaugea un moment, comme l’aurait fait un fermier pour évaluer la bonne santé d’une bête. Toujours à moitié dans son miroir, il s’écria soudainement. Un cri indéchiffrable auquel on aurait pu accoler n’importe quel adjectif. Joie, peur, satisfaction, révélation, tout paraissait s’y mêler.

« Il est là ! C’est lui ! Seigneur, quelle beauté ! Le Shamshir !!
- Géhaha ! J’étais sûr que ça te plairait Gibab, ça te fait une sacré pièce pour ta collection. »

Les membres du groupe s’adressèrent un bref regard lorsqu’ils entendirent le nom. Gibab. C’était la cible.

« JACKPOT !! hurla Lenny subitement.
- Lenny, maintenant ! » lança Jaskar à son tour.

La jeune fille tira de sa poche une boule grise qu’elle s’empressa de balancer au sol. La boule explosa et provoqua un boucan assourdissant. Un épais voile de fumée se déversa dans la pièce, jusqu’à la recouvrir entièrement. A l’entrée du Red Room, la porte vola en éclats et un nouveau groupe armé fit irruption. Mais cette fois, aucun soleil orange sur la peau, mais au contraire, des visages que Krid, Ned, Lenny et Jaskar connaissaient bien. Liana et les jumelles Sira et Nifa menaient l’assaut, et derrière elles, les guerriers d’El Beïda s’amassaient dans le couloir étriqué, prêts à donner la mort aux fanatiques de l’OTS.

***

Quelques minutes plus tôt, dans les ruelles des Quartiers Rouges…

« Liana ? Tu me reçois ?
- Oui Jaskar. Des nouvelles ?
- On est avec les organisateurs de l’arène. Ils portent des soleils orange, eux-aussi.
- Où est-ce qu’ils vous emmènent ?
- De ce que je vois…ça a l’air d’être un établissement…le « Red Room ». Ils veulent qu’on rencontre leur patron.
- Leur patron ? Sûrement un des apôtres, non ?
- Probablement. En tout cas, on va clairement entrer en terrain hostile, mais si on peut mettre la main sur un des apôtres, c’est une aubaine pour nous.
- Et en plus il pourra nous conduire à Gibab Nah quand je l’aurai menacé avec ma dague ! Hihihi !
- Chut Lenny, parle moins fort ! Ils sont juste devant nous.
- Oups !
- Liana, vous pouvez nous rejoindre au Red Room ? On va essayer de tâter le terrain. Si jamais ça tourne au vinaigre, Lenny donnera le signal.
- Un signal ? Lequel ?
- Je ferai tout péter !
- Chut, tais-toi Lenny ! »

***

Le présent, au Red Room…

Dans la salle principale, l’incompréhension régnait en maître. Les compagnons reprirent les armes et un torrent d’acier déferla au milieu des encens et des narguilés. Les adeptes de l’OTS se retrouvèrent rapidement en infériorité numérique, acculés contre les murs qui bordaient le couloir et la salle principale.

« Mes frères et sœurs, rejoignez-moi ! Dépêchez-vous ! Entrez dans le monde-miroir ! » hurla Gibab Nah de sa voix tremblotante.

Tout à coup, le même clapotement qui avait précédé l’arrivée du vieillard se fit de nouveau entendre, mais cette fois depuis les autres miroirs accrochés au mur. Les passages s’ouvraient, les adeptes se jetèrent les uns après les autres à travers les parois de glace et se volatilisèrent. Dans la fumée qui commençait peu à peu à se dissiper, le colosse était toujours assis sur son canapé, en train de terminer son dernier verre. Deux hommes le protégeaient de ceux qui tentèrent de l’approcher, tandis qu’il s’amusait de la situation sans être le moins du monde préoccupé par la fumée qui emplissait l’air ou par le chaos ambiant. Il engloutit son verre et se leva, dépassant tout le monde par sa stature. Il traversa à son tour un miroir, le plus large de tous, et disparut du Red Room.

« Ils prennent la fuite ! s’écria Krid au milieu du vacarme.
- On les suit ! Sautez dans les miroirs ! » reprit la cheffe des Sœurs.

Les Granulés s’exécutèrent sans hésiter et suivirent leurs ennemis à travers la glace, sans savoir ce qui les attendait.
L’Etranger fit de même et emprunta un miroir, le plus large de tous…

[…]

Il n’y avait plus âme qui vive au Red Room, simplement une odeur de fumée qui flottait dans l’air au-dessus d’un décor macabre, comme un présage de ce qui allait advenir ailleurs.
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Ned se releva péniblement, encore assailli par les douleurs de son combat dans l’arène. L’endroit était sombre, beaucoup trop pour qu’il puisse discerner clairement quoi que ce soit. Tout ce qui l’entourait lui paraissait étrange, des miroirs de différentes formes arpentaient les murs et le plafond, et dans l’atmosphère, c’était comme s’il n’y avait ni odeur, ni air, si bien qu’il se demanda un instant s’il n’était pas mort. En réalité, il le comprit rapidement, il avait basculé dans une autre dimension, une comme il n’en avait jusqu’alors jamais vue.

Autour de lui, il n’y avait pas que des miroirs, mais aussi des montagnes d’objets qui jonchaient le sol et qui s’entassaient sur des étagères à moitié décomposées par la temps et qui s’affaissaient sous les poids des antiquités qu’elles portaient. Ces objets n’étaient pas n’importe lesquels, et son œil d’archéologue avait su tirer des conclusions après un simple tour d’horizon. Il s’agissait de vieilleries datant de l’époque denderienne, et elles s’amoncelaient ici et là dans un grand bazar qui avait le don de l’étouffer, en plus de lui donner l’impression d’être enfermé dans un grenier sans fin. Parmi les montagnes d’antiquités, il découvrit certaines raretés, parfois mises en valeur au-dessus des étagères, comme des trophées exposés à la vue de tous. Le crâne et l’épée d’un vieux roi, des pierres précieuses aux couleurs uniques, le sceptre d’un prêtre, ou même encore la coupe d’or de la princesse Alkaban IV, dans laquelle elle aurait bu le jour de ses noces.

Il ne put s’empêcher de les approcher, et en les effleurant, il se souvint de son enfance, des livres et des pages qu’il avait lus durant des nuits entières et qui mentionnaient ces joyaux de Denderah. Aujourd’hui, ils étaient là, face à lui, et il s’évada un instant à imaginer la cité perdue, somptueusement parée de tous les objets qui inondaient ce lieu mystérieux.

Un cri résonna soudainement et le tira de ses songes. Malgré tout, il s’efforça de ne pas oublier qu’il était en terrain hostile et que, probablement, les combats commencés au Red Room se poursuivaient ici. Il reprit sa route avec méfiance, une main posée à la garde de son sabre.


Pendant ce temps, du côté de Lenny…

Gibab Nah se tenait face à elle, assis en tailleur sur une sorte d’estrade faite de vieux livres à moitié en lambeaux, que le temps avait comme fusionnés pour en faire un immense pilier. Le vieil homme était en train de méditer sans prêter attention à ses deux adversaires. Lenny était en mauvaise posture, le corps engourdi par les coups qu’elle avait reçus. A ses côtés, Jaskar était adossé contre une bibliothèque, la poitrine ouverte et calcinée. Chacune de ses respirations se faisait de plus en plus bruyante, la vie semblait le quitter lentement, au rythme des sifflements douloureux qu’il émettait.

« Jaskar ! T’as intérêt à rester avec moi ! » lui lança Lenny en restant sur ses gardes.

Le Granulé lui adressa un sourire en réponse. Il n’en avait plus pour longtemps, et il en était conscient. De son côté, la jeune fille était sur les nerfs, elle et son camarade étaient mal en point et elle n’avait décelé aucune faille chez son adversaire. Elle s’en voulait d’avoir autant sous-estimé le vieil homme, mais ce qui l’exaspérait par-dessus tout, c’était le fait qu’il méditait sur son estrade, sans prêter la moindre attention à ses adversaires.

« Eh ! Le vioque ! Tu vas arrêter de m’ignorer oui ?! »

Elle lui jeta sa dague par frustration, mais il rattrapa l’extrémité de la lame avec une facilité déconcertante.

« Ne me dérangez pas pendant mes prières. »

La lame disparut en un éclair et se retrouva en une fraction de seconde dans la jambe de la jeune Sœur du désert. Un râle de douleur s’échappa de ses lèvres, qu’elle s’efforça de contenir par orgueil et par colère. Son corps avait beau être flasque et rabougri, le vieil homme faisait pourtant preuve d’une vivacité insoupçonnée. Lenny retira sèchement la lame de sa cuisse en serrant les dents et retira son voile qu’elle enroula autour de la plaie. Elle essuya les gouttes de sueur qui perlaient le long de ses temps et expira longuement.

« Je dois vous punir. Il le faut. Je dois vous punir pour avoir souillé le Musée Al Fihri de votre présence impure. » lança furieusement le vieil homme.

Il se leva comme un pantin et se crispa de tout son corps, comme s’il était sur le point d’imploser.

« VOTRE PRESENCE EN CES LIEUX N’EST PAS TOLEREE !! »

Le vieil homme s’enflamma. Littéralement. Des flammes jaillirent autour de lui et il devint en un instant une véritable torche humaine.

« Putain mais il crame le con !
- Tu trépasseras pour avoir eu l’audace de pénétrer en ces lieux !
- Ouais c’est ça ! Allez, amène-toi ! »


Pendant ce temps, du côté de Krid et Liana…

« Avancez mes frères, ne les laissez pas s’échapper, s’écria le héros d’Hinu Town.
- C’est un vrai labyrinthe cet endroit, reprit sa Sœur, agacée par la situation.
- Ouais, mieux vaut ne pas se disperser, j’ai un mauvais pressentiment. »

Les Granulés empruntèrent des dédales étroits et des couloirs labyrinthiques durant de longues minutes, à la poursuite des adeptes de l’OTS. Ils arrivèrent finalement dans une sorte d’immense hall où le plafond était perché à plusieurs dizaines de mètres. Ici, comme dans n’importe quel recoin de cette étrange dimension, le sol et les murs étaient couverts d’antiquités et de miroirs. Mais, ici, les centaines de miroirs qui bordaient le hall avaient tous la même forme.

« Encore des miroirs ! Y’en a partout, c’est un coup à devenir fou ! se plaignit un des hommes de Krid.
- Attendez, c’est étrange, ces miroirs…ils sont tous identiques, reprit le Mentor d’un ton méfiant.
- Quelle importance ? questionna Liana.
- Chaque miroir est un portail reliant Hinu Town à cette dimension, et si ici chaque miroir est identique, c’est parce qu’ils le sont aussi à l’extérieur. Donc, s’ils sont identiques, ça veut sûrement dire…
- Qu’ils mènent à un même endroit.
- Ce qui m’inquiète surtout, c’est que les portails semblent tous activés. »

Le héros d’Hinu Town eut juste le temps de terminer sa phrase que des hommes armés jaillirent soudainement des miroirs. Encore et encore. Ils apparurent par vagues successives et envahirent la pièce en un battement de cil.

« Putain ! Ces miroirs sont reliés à une base de l’OTS ! On est pris en tenaille. Guerriers d’El Beïda ! En formation défensive ! »

La voix de Krid s’entoura d’une aura particulière, et elle galvanisa ses hommes en un rien de temps. Ils adoptèrent la position requise en formant une ligne de défense et Krid entonna les ordres depuis le centre de la formation. Dans ses mains, le Shamshir resplendissait, et sa longue lame s’apprêtait à rendre justice.


Du côté de l’Etranger…

Serizawa était assis comme un prince sur des ossements de denderiens. Il se réjouissait de voir Ned face à lui, qui l’avait poursuivi durant de longues minutes à travers la dimension labyrinthique.

« Géhaha ! Je suis pas étonné de te voir ici, t’as pas pu résister à l’appel du sabre, n’est-ce pas ?
- Un apôtre de l’OTS, qui plus est un sabreur…c’est à moi qu’il revient de t’affronter.
- Hm… Deux sabres à la ceinture, des longs cheveux, une barbe… L’Etranger, je me trompe ?
- Non.
- Géhaha ! Encore mieux ! Mais bon, j’aimerais d’abord voir si les rumeurs sur le tueur de Yayah Mam’ni sont vraies. Ndjaleb, Omar ! Occupez-vous de lui. »

Les deux gardes du corps de l’apôtre dégainèrent leurs lames et se ruèrent sur l’Etranger sans crier gare. Il resta impassible et les laissa croire un instant qu’ils avaient percé sa garde. Il se glissa entre les deux et leurs têtes tombèrent en même temps. Elles roulèrent jusqu’aux pieds du « Boss », et il les observa longuement sans dire mot.

« Tu croyais vraiment qu’ils avaient une chance ? Ne me sous-estime pas.
- Soit. »

Serizawa se dressa de toute sa stature, l’air menaçant qu’il afficha le rendit soudainement plus impressionnant. Il tira lentement sa lame et s’avança de quelques pas. Les deux hommes se toisèrent un instant, non pas pour se jauger, mais pour s’accorder à penser que d’ici quelques minutes, un seul d’entre eux tiendrait encore debout.

« Tâchons de rendre ça intéressant, lança le colosse.
- Et comment. »

Ned s’élança le premier, lames brandies vers l’avant, et il frappa. L’acier s’approcha au plus près de la poitrine du borgne, mais la réponse fut cinglante. Les lames du jeune homme furent repoussées avec une force inouïe et l’impact l’emporta un mètre plus loin. L’apôtre décolla à son tour, en un éclair, il brisa la distance qui les séparait.

Les coups pleuvaient, encore et encore, un véritable raz-de-marée s’abattit sur l’Etranger, qui peinait à tenir la cadence. Joue, menton, bras, main, poitrine, cuisse…tout y passait. Mais, les entailles avaient beau se multiplier, Ned ne rechignait pas et s’efforçait de suivre les mouvements de son adversaire. Il subissait les assauts déchaînés sans être en mesure de riposter, à chaque fois qu’il pensa déceler une faille, la vitesse de Serizawa le rappela à l’ordre.

Au cours des premières passes d’arme qu’ils échangèrent, Ned ne parvint pas même à ne serait-ce que l’effleurer. Le borgne était doué, bien plus qu’il ne l’avait imaginé. Plus puissant, plus rapide, plus habile, rien ne semblait être du côté de l’Etranger. La victoire s’éloignait déjà, à mesure que les coups s’abattaient sur lui. Il les trouvait de plus en plus lourds, de plus en plus en sournois. Ou bien était-ce lui qui perdait peu à peu ses moyens ? Il n’avait même plus sa lucidité pour lui, il ne restait plus qu’une once de détermination, qui flottait lentement, quelque part dans sa tête. Une détermination alimentée par les souvenirs douloureux qui le hantaient, par tout ce que l’OTS lui avait subir.

Il devait les faire payer. Quoi qu’il se passe, quoi qu’il advienne, il devait les faire payer.

Il devait vaincre.

Ned décroisa ses lames avec hargne et repoussa Serizawa aussi loin qu’il le put. Le colosse afficha un sourire pour cacher sa surprise et retrouva ses appuis rapidement.

« Géhaha ! Monsieur se réveille ?
- Tu m’avais endormi.
- Géhaha ! Menteur ! »

Ils se jetèrent l’un sur l’autre avec une hargne nouvelle. L’acier s’entrechoqua comme un coup de tonnerre et les deux hommes se rendirent coup pour coup durant de longues minutes. Frappe, feinte, esquive, riposte, ils s’exécutaient à une telle vitesse, que de l’extérieur, on n’aurait vu qu’un brouillard étincelant et assourdissant, qui se déplaçait au milieu des montagnes d’objets. La détermination de Ned l’aidait à tenir le rythme, et la lucidité qu’il avait retrouvée lui permit à de brefs instants de reprendre l’ascendant. Le borgne enchaîna d’une frappe verticale, mais il ouvrit sa garde d’un côté pour employer plus de force. Ned bascula à sa gauche d’un pas vif et leva son sabre, comme s’il s’apprêtait à parer. L’arme s’abattit, mais au dernier moment, le jeune homme se laissa glisser gracieusement et son autre lame trouva le ventre du colosse.

L’entaille était profonde, mais pas suffisamment pour le faire flancher. Le borgne s’écarta en grinçant des dents, mais son orgueil le poussa à réitérer son assaut. La lame fondit une nouvelle fois, mais cette fois, l’Etranger vit l’attaque arriver et bascula de nouveau sur le côté. Mais, le katana bascula lui aussi, et la surprise dans les yeux du jeune pirate ne suffit pas à le sauver. La lame lacéra sa poitrine et le choc l’expulsa en arrière. Il roula sur quelques mètres et n’eut pas le temps de retrouver l’équilibre qu’une autre vague d’acier fusait vers lui.

« Raimei Hyou !! »

Ned releva la tête et écarquilla les yeux en voyant une panthère déferler sur lui. Il arrêta la lame d’air de justesse et essaya de la dévier de toutes ses forces. Mais, sa douleur au torse l’en empêcha. La panthère brisa sa garde et l’entailla de part en part. Les cris étouffés qu’il poussa trahirent la douleur insupportable qui assaillit chaque parcelle de son corps.

Il flancha un instant. Pensa même à poser un genou au sol. Pourtant, quelque chose dans sa tête lui interdisait. Une voix. Il n’avait pas oublié la raison qui l’avait poussé à entamer cette quête vengeresse, quelque part elle l’attendait. Il devait la retrouver. Mais, pour ça, il devait vaincre, il le fallait.

Ned se remit d’aplomb, malgré le sang qui ruisselait le long de son corps et la douleur qui le hantait, c’était une évidence. Il n’allait pas faillir. Il se jeta sur le borgne à une vitesse folle, virevolta dans les airs pour esquiver la frappe d’estoc de son adversaire, et retomba avec hargne sur celui-ci.

« Frappe du temps »

En une fraction de seconde, ses lames trouvèrent la poitrine du mastodonte, qu’elles taillèrent en biais. L’apôtre flancha et recula d’un pas, ouvrant sa garde malgré lui. Ned tenta de décroiser ses lames à son cou pour séparer sa tête de ses épaules, mais l’instinct de survie du géant reprit le dessus et sa parade déclencha une onde de choc que les deux hommes s’empressèrent de surmonter. Lame contre lame, force contre force, colère contre colère, leurs regards brûlants s’affrontèrent un moment, pour savoir qui tiendrait encore debout dans quelques instants. Le borgne se dégagea d’une pirouette arrière et frappa l’air à de multiples reprises, enchaînant les mouvements avec une précision chirurgicale.

« Moeru Tori ! »

Des oiseaux tranchants se multiplièrent et formèrent un voile immense. Ils déferlèrent sur l’Etranger, qui les repoussa un à un en faisant danser ses sabres autour de lui. Quelques-uns trouvèrent ses cuisses et ses bras, mais l’adrénaline le maintint debout.

Ned se débarrassa des derniers volatiles dans une course effrénée, puis il glissa aux pieds de Serizawa et tenta de lui trancher les rotules. Le borgne esquiva d’un saut et frappa à son tour vers le sommet du crâne du jeune pirate. La parade retentit encore une fois et fit vibrer le sol sur lequel Ned se maintenait. Il s’écarta en tourbillonnant et profita de la vitesse accumulée pour répliquer en tentant une passe d’armes. Le colosse lut les mouvements de son adversaire comme il le put, mais l’imprévisibilité des gestes de l’archéologue eurent raison de sa garde et une entaille en « S » se dessina sur son torse. La colère lui monta au nez, et le borgne frappa de toutes ses forces en tenant son sabre à deux mains. Il repoussa le jeune homme, qui s’envola et s’écrasa sur une étagère pleine de vieilleries.

Les deux hommes s’observèrent longuement, tous deux respirant péniblement. La vue trouble, le corps engourdi et douloureux, les nerfs à vif, ils le savaient, l’issue était proche. Serizawa changea de garde et se prépara à tenter le tout pour le tout. Une dernière attaque, décisive. Ned s’élança à toute vitesse pour frapper le premier. Un bond, puis il croisa ses lames, prêtes à s’abattre et à en finir avec l’apôtre. Mais le borgne esquiva d’un pas en arrière et concentra toute sa force avant d’éjecter une lame d’air tourbillonnante. Un cercle tranchant se déchaîna sur l’Etranger, incapable de répondre à une telle vitesse et à une telle puissance. Une de ses lames se brisa sous la force du déferlement, alors qu’il tentait vainement de se protéger. La tornade frappa, trancha, taillada, et sonna le glas.

Ned s’effondra brusquement, les yeux révulsés. Au-dessus de lui, Serizawa haletait bruyamment, couvert d’entailles et de lacérations.

« C’est terminé, soupira le colosse. C’était un beau duel…mais tu n’as pas été à la hauteur. »

Il adressa un dernier regard au corps de son adversaire et fit volte-face, blessé, épuisé, mais victorieux.

Mais derrière lui, une voix résonnait fébrilement. Et lorsqu’il se retourna de nouveau, l’Etranger, pourtant aux portes de la mort, se tenait debout.

Quoi qu’il se passe, quoi qu’il advienne, il devait vaincre.

Le colosse l’observa, tétanisé par un regard soudain, brûlant, impitoyable et effrayant. Sa vue se fit trouble, un voile épais se dessina devant lui et il fut incapable de discerner clairement ce qu’il était en train de se passer. Des pétales apparurent subitement et se mirent à virevolter autour de l’Etranger.

Un kimono rapiécé, une longue chevelure pourpre, une lame rouge, un masque noir, et un large chapeau fendu, d’où s’échappèrent des yeux sanglants.

« Qu’est-ce que… »

La peur le gagna, car face à lui, l’Etranger était tout autre.

« Gaijin... »

Sa dernière lame se pointa en direction de l’apôtre, et elle sembla soulever les pétales qui l’entouraient. Ils gravitèrent autour du sabre, formant une nuée gracieuse et onirique. L’Etranger disparut en un éclair et se retrouva derrière le colosse.

Serizawa avait compris. Cette fois, c’était terminé.

« Alètheia »

Un trou béant apparut dans la poitrine de l’apôtre. Il abaissa son regard, observa la plaie un instant, puis tomba à genoux, tremblant, suffoquant.

Les pétales disparurent et Ned réapparut, blessé, épuisé, mais victorieux.

Il s’approcha lentement du colosse, qui ne semblait plus en être un, et s’assit face à lui.
 
« Kof…Kof… Bien joué. Ca, je l’avais pas vu venir.
- C’était un beau duel.
- Et comment. Des années que j’avais pas affronté quelqu’un comme toi. Tu vas t’en sortir tu penses ?
- J’espère.
- C’est quoi la prochaine étape ? Abu Mussa ?
- Hm.
- Géhaha… Kof ! Kof ! Fais attention, gamin. Au fait, pardonne-moi d’avoir brisé un de tes sabres.
- J’aurais dû être vigilant.
- Je crois qu’Ame no Habakiri te réclame. Et je pense que tu l’as mérité. Ce serait con que ma lame disparaisse avec moi. Tiens.
- Ame no Habakiri…
- Elle a été brandie par la famille Kozuki de Wano pendant des générations. Prends-en soin.
- Je m’en assurerai. Merci. »

Un dernier regard, un hochement de tête, et Serizawa s’écroula.

Ned observa Ame no Habakiri un instant et l’attacha à sa ceinture. Il soupira une dernière fois, avant de s’effondrer à son tour.
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La bataille faisait rage entre les Granulés et les adeptes de l’OTS. Krid menait ses hommes d’une main de maître, et malgré la perte de quelques-uns de ses meilleurs éléments, il tenait tête aux troupes de l’Ordre qui s’étaient amassées dans l’immense hall.


Pendant ce temps, du côté de Lenny…

Le cou du vieillard s’allongea anormalement et sa tête brûlante fusa en direction de la jeune fille.

« Waaah !! C’est quoi ce truc ?! »

Elle recula de quelques pas et tira en même temps de sa sacoche sa sarbacane et quelques fléchettes enduites de poison. Elle souffla dans le tube en bois et l’aiguille se logea dans la nuque du vieillard. Mais le tranquillisant ne fit pas effet, tout du moins il ne fut pas suffisant pour calmer le fanatisme ardent du vieil homme.

« Merde ! Merde ! »

Le vieillard bondit et propulsa ses deux jambes enflammées sur le sommet du crâne de la jeune fille. Elle pensa esquiver, mais les jambes du vieux s’allongèrent et la heurtèrent violemment. Le choc la fit vaciller, elle tituba en arrière, à moitié sonnée, mais se remit d’aplomb in extrémis. Elle essuya le sang qui s’écoulait de ses narines, pesta, se plaignit, se résigna même à croire qu’elle n’avait pas la moindre chance. En clair, elle commença à subir de plein fouet ce qui pouvait arriver de pire dans un combat : le doute. Elle n’avait plus d’échappatoire et n’avait pas su déceler une faille chez son adversaire. C’était limpide, elle ne faisait pas le poids. De brefs instants elle songea à Ned et à ce qu’il aurait fait à sa place. La seule chose qu’elle put imaginer, c’était que malgré la douleur, malgré la difficulté, jamais il n’aurait abandonné face à l’OTS. Alors, elle devait faire de même, garder la tête haute quoi qu’il en coûte, ne pas faillir quoi qu’il advienne. Si elle n’avait pas la force physique de son côté, en revanche, elle avait un autre atout en poche : la ruse.

Gibab Nah était rapide, bien trop pour elle, bien trop pour qu’elle ne puisse réagir avant qu’il n’attaque. Alors, elle devait le tromper pour ne plus être une proie facile. Et pour tromper quelqu’un, rien de mieux que de tromper ses sens. Pour ça, elle avait de sacrés cartes en main, ou plutôt, en poche.

Remise d’aplomb, elle tira une nouvelle boule grise qu’elle jeta immédiatement. Un écran de fumée se propagea dans la bibliothèque et la jeune fille s’immisça dans le brouillard.

« Si tu crois que tes petits tours de passe-passe te sauveront… »

A son tour, Gibab pénétra à l’intérieur du brouillard noir, affichant une sérénité presque nonchalante. Au milieu de la brume, ses yeux usés ne purent distinguer la jeune fille, seule une silhouette vague apparaissait ici et là, distillant ses coups de poignard rapidement. Les lames trouvèrent le ventre, les cuisses et les bras du vieil homme, mais la douleur ne le fit pas réagir le moins du monde, comme s’il était insensible à elle. Il resta stoïque de longues secondes, tandis que son sang jaillissait autour de lui. Puis, tout à coup, son bras s’enflamma et il attrapa violemment la jeune fille par le cou.

Le feu lui brûla la gorge, tandis qu’un frisson lui traversa l’échine et lui glaça le sang. Encore une fois, il avait été trop rapide. Elle pensait que la fumée la dissimulerait encore un moment, mais elle avait échoué.

« Je t’avais dit que tes tours de passe-passe ne marcheraient pas !
- Gnnhh…lâche-moi !
- Tu vas payer pour ton intrusion ici. Tu vas payer…tu vas…tu… »

Le visage de Lenny se changea soudainement. Ses traits devinrent grossiers, sa peau rugueuse, et des poils poussèrent le long de ses joues. Son nez s’épaissit et un museau noir prit sa place, sa mâchoire s’élargit en avant, devint une gueule, et des crocs acérés lui poussèrent à la place des dents. Gibab Nah trembla de peur, la bouche béante, incapable de prononcer le moindre mot. Il émit un bruit, bafouilla quelque chose, déglutit, puis se racla la gorge.

« Sa…sa…sa Sainteté ! Qu’est-ce que…J-je…je vous ai frappé ! Mon dieu, pardonnez-moi ! Pardonnez-moi ! »

Transi d’effroi, Gibab Nah se plia à genoux, frappa le sol de son front, et implora « Sa Sainteté ». Face à lui, Lenny retrouva son souffle, après que le vieil homme a lâché sa gorge, et observa le pauvre fanatique avec un certain étonnement.

La poison hallucinogène qu’elle avait discrètement enduit sur ses dagues avait fait effet, et la jeune fille s’en réjouit quand elle comprit que le vieillard nageait en plein délire. « Sa Sainteté », elle avait déjà entendu ce surnom quelque part. C’était le nom que donnaient les adeptes de l’OTS à leur gourou, Abu Mussa. Tant que le poison faisait effet, c’était le moment ou jamais de se débarrasser du vieil homme, et si en plus il la prenait pour son chef, c’était une aubaine pour elle. Une aubaine dont elle entendait tirer plaisir.

« Tu oses t’en prendre à ton Gourou ?! hurla-t-elle en lui balançant des coups de pied.
- Mon acte est impardonnable ! J-j’ai cru que vous étiez une…jeune fille !
- Une jeune fille ?! Tu confonds ton Gourou avec une fillette ?!
- Aaargh ! »

Elle le poignarda, encore et encore, fit jaillir son sang dans la bibliothèque jusqu’à ce qu’elle n’ait plus assez de force dans le bras pour faire pénétrer la lame.

Elle reprit lentement son souffle et fit frétiller ses doigts pour reprendre le contrôle de sa main engourdie.

« Ça, c’était pour Jaskar. » murmura-t-elle.

Gibab Nah baignait dans une mare de sang, le corps percé de multiples plaies. Il respirait encore et ses râles d’agonie agacèrent la jeune fille.

Le vieillard releva la tête et grinça des dents en voyant qu’Abu Mussa n’était plus là. Et qu’il ne l’avait jamais été. Gibab Nah avait retrouvé sa tête et la colère lui monta au nez lorsqu’il vit Lenny.

« P…petite garce ! Tu t’es payé ma tête !
- Ferme-la, répondit-elle en lui écrasant la nuque.
- Aaaargh !! T-tu as commis un autre blasphème ! Tu as osé prendre l’apparence de Sa Sainteté !
- C’est toi tout seul qui as imaginé ça ! Tu te rends compte, tu imagines d’autres personnes avec la tête de ton Gourou ! C’est hyper blasphématoire ! A ta place, je m’ouvrirai le ventre pour avoir pêché de la sorte.
- Silence mécréante ! Tes viles sournoiseries ne m’auront pas !
- Ne t’aurons plus tu veux dire ?
- Raaaaaah ! SILENCE ! »

Elle le poignarda à la cuisse sans hésiter et ses cris résonnèrent de nouveau à travers la bibliothèque.

« Tu parles beaucoup je trouve, vu ta position.
- Si tu crois que tes petits subterfuges et tes dagues auront raison de moi…ICI, C’EST MON MONDE !!
CHANGEMENT ! »

La pièce se mit à vibrer et à gronder, Lenny chancela et fut renversée par les meubles qui s’écroulèrent subitement sur sa tête. Les murs, le plafond et les sols s’ouvrirent comme la gueule d’une bête et tout ce qui l’entourait sembla fuir, changer de place, se réorganiser.

« Q-Qu’est-ce qui se pa… »


Au même moment, dans le hall…

« Cramponnez-vous !! hurla Krid à s’en rompre les cordes vocales.
- Bordel mais qu’est-ce qui se passe ?! » vociféra Liana.

Le hall s’était ouvert en deux, et le sol sous leurs pieds s’élevait vers des plafonds qui se déplaçaient sans cesse. La pièce pivota, se retourna sur elle-même, recula, s’avança, se scinda en deux, en trois, en quatre, se réassembla ailleurs, différemment.


Non loin d’ici, sur les restes d’un duel…

L’Etranger avait ouvert un œil. Puis l’autre.

Le vacarme l’avait réveillé, et il rampait tant bien que mal pour tenter d’échapper aux sols, aux murs et aux plafonds qui tentaient de l’emporter avec eux. La douleur était insoutenable, réveillée un peu plus chaque fois qu’il était balancé, jeté, renversé au gré des envies du monde-miroir, qui semblait doté d’une volonté propre tant sa soudaine réaction était capricieuse.


Quelques minutes plus tard, dans la dimension miroir.

Lenny retomba douloureusement sur le ventre. Elle pesta et cracha le goût de sang qu’elle avait dans la bouche. Elle se tortilla, pivota, puis releva la tête. Les yeux ébahis, elle découvrit un endroit gigantesque, à tel point que c’en était délirant. Des milliers de miroirs parcouraient les murs, et s’effaçaient à l’horizon, qui lui, ressemblait plus à une vue sur l’infini. Au milieu de la salle gargantuesque, un escalier en colimaçon s’élançait vers des hauteurs vertigineuses, où se suspendaient des plateformes tout aussi imposantes. Et au milieu de cet endroit interminable, les joyaux de Denderah resplendissaient un peu partout. Pendus à des estrades d’or, protégés dans des tableaux de verre, exhibés sur des meubles gravés avec finesse.

« Monde-miroir, version finale : Le musée Al Fihri… »

La voix chevrotante de Gibab Nah tonna en un écho dans l’immense salle. Au milieu de celle-ci, Lenny reprenait son souffle, l’Etranger s’était adossé contre un miroir et tâchait de ne pas s’évanouir, et Krid, Liana et les Granulés avaient repris leurs esprits et s’étaient de nouveau engagés face aux adeptes de l’Ordre. Ils étaient tous là, réunis dans un seul endroit par les pouvoirs délirants de Gibab Nah, qui observait la scène en agonisant sur un fauteuil de marbre.

« Le vieux ! On en a pas fini toi et moi ! Tu voulais chercher de l’aide c’est ça ?! C’est pour ça que t’as tout fait bouger ! gueula Lenny qui avait repris ses dagues en main.
- Tu ne pourras pas me tuer fillette, je suis bien trop précieux pour l’Ordre. Mes frères et sœurs me protégeront. Serizawa ! Serizawa ! Serizawa !! »

Il appela le colosse, encore et encore. Mais aucune réponse ne lui parvint. Il scruta la salle et essaya de trouver son sauveur dans l’agitation des combats, mais il ne vit qu’un corps immense gisant au sol, les yeux refermés.

« L-laisse-le…reposer en paix, lança péniblement Ned.
- Qu…c’est…c’est impossible ! Il n’a pas pu être vaincu ! »

Lenny afficha un sourire quand elle comprit que son compagnon de fortune était venu à bout du borgne. Elle se rua ensuite vers le vieil homme, dagues pointées sur lui.

« T’es le prochain ! » s’écria-t-elle.

Gibab Nah était vulnérable, c’était le moment ou jamais d’en finir. Mais alors qu’elle se jetait éperdument sur lui, il disparut soudainement de son siège, et réapparut en un éclair derrière elle. Il la frappa d’un coup de latte derrière la nuque et elle s’écroula sous la puissance du coup.

« Tes petits coups de poignard ne sont pas suffisants jeune fille ! Je t’ai dit que tu ne pourrais pas me battre ! »

Il s’apprêtait à lui écraser le visage d’un coup de talon mais il fut stoppé net par la pointe du sabre de Liana qui caressa sa joue. Il recula d’un pas et se tourna vers sa nouvelle opposante.

« Liana Chawki…
- On ne touche pas à mes Sœurs. »

Elle chargea et ses passes d’arme mirent en difficulté le vieil homme, obligé de faire usage de toute son agilité pour esquiver les assauts de la cheffe des Sœurs du désert. Il enflamma son bras et l’allongea pour décocher un crochet magistral à la jeune femme, mais elle vit venir l’attaque et se glissa sur un côté avec la finesse d’un chat et lui trancha net le bras. Le vieillard hurla, tint son moignon par sa seule main et fit un bond en arrière. Le vieillard était mal en point et n’avait plus que ses prières pour le sauver.

Du côté de Krid et de ses hommes, ils terrassaient les adeptes de l’OTS, qui n’étaient désormais plus qu’une poignée. Le Shamshir dansait au milieu des combattants et le héros d’Hinu Town ne faisait qu’une bouchée de ceux qui osaient croiser sa route. Une cuisante défaite se profilait pour l’Ordre du temple des sables, un apôtre avait déjà perdu la vie, le deuxième n’en avait assurément plus pour longtemps.

Soudain, des vagues se dessinèrent sur certains des miroirs qui bordaient l’immense salle. Une nouvelle fois, le clapotement se fit entendre et des hommes par dizaines émergèrent des glaces. Ils arboraient tous sans exception des masques en forme de crâne et leurs corps étaient couverts de soleils orange. Au milieu de cette nouvelle troupe armée, une jeune femme, elle-aussi masquée, s’avança de quelques pas. Lenny l’a reconnu immédiatement et ses mains se crispèrent.

« Djamila !!! »

La femme au masque de crâne ne daigna pas répondre et se contenta de faire de grands gestes, qui donnèrent les ordres pour les hommes qui l’accompagnaient. Ils déferlèrent sur les Granulés, qui se pensaient tout juste débarrassés des membres de l’OTS, mais qui devaient désormais en affronter d’autres, en bien plus grand nombre.

« Ne vous relâchez pas mes frères, gueula Krid de toute sa voix, montrons-leur la force du clan El Beïda ! »

Derrière les adeptes de l’OTS, une immense silhouette se dévoilait, tout juste sortie d’un grand miroir. Elle s’approcha des affrontements lentement, silencieusement. Les yeux se rivèrent sur l’ombre, qui grossissait à chaque pas qu’elle faisait au milieu des rangs.

Des poils longs, drus, grisonnants, un œil blanc invalide, une crinière rousse et défraichie, et dans d’immenses mains griffées, une longue faux émoussée. Tout le monde le reconnut.

« Sa Sainteté est là ! Sa Sainteté est là pour me sauver ! » s’écria Gibab avec une joie immense, comme si son bras coupé n’avait plus d’importance.

La hyène titanesque fit trembler de peur ceux qui croisèrent son œil valide, et elle s’avança au milieu des combats, sans que personne n’ose l’attaquer.

« Kaïkaïkaïkaïkaï ! »

Le rire perça le cœur de Ned. Allongé près d’un mur, il releva la tête lentement. Une étrange boule au ventre asphyxia ses entrailles, une sueur brûlante perla le long de ses pores et un frisson glaçant, terrorisant, lui traversa l’échine. Les larmes vinrent, mais ne coulèrent pas. Sa voix rauque, abîmée, s’éleva, mais ne suffit pas à se faire entendre.

« ABU MUSSA !!!! »

Le chaos masqua son cri. Il rampa comme un mort-vivant, les dents tellement serrées qu’elles auraient pu rompre sous la pression. Lenny l’arrêta dans sa vaine tentative, lui tenant fermement les bras pour l’empêcher de s’échapper.

« Arrête-toi, t’es pas en état, lança-t-elle difficilement, à peine remise du coup de Gibab Nah. Ça sent clairement pas bon, ils sont beaucoup trop nombreux, et en plus…la hyène est là. Il faut qu’on trouve un moyen de se tirer d’ici. »

Ned se débattit un instant. Plus il le regardait, plus la colère montait, et plus les souvenirs refaisaient surface. Cette nuit-là…le claquement d’une balle, le corps sans vie de son père. La scène réémergeait clairement, comme un funeste tableau qui se présentait à lui. Mais la pression exercée par sa partenaire pour le retenir lui fit retrouver sa lucidité. Elle avait raison, il n’était pas en état. Peu importe dans combien de temps, il finirait par avoir sa vengeance, alors il pouvait patienter encore un peu, le moment viendrait.

La situation était un bordel sans nom. Les Granulés poursuivaient tant bien que mal leur combat contre les nouveaux arrivants, tandis que le Gourou de l’OTS, titan parmi les hommes, se délectait du carnage, planté au beau milieu des affrontements.

Liana était toujours aux prises avec un Gibab Nah sapé de toute son énergie. Il n’arrivait plus à riposter et les entailles se multipliaient sur son corps flétri. La cheffe des Sœurs se déchaînait sur lui avec une hargne insoupçonnée. Il tenta un coup de pied, mais elle esquiva une énième fois et brisa d’un mouvement la distance qui les séparait. Sa lame courbe fusa et embrocha le vieil homme. Elle se retira sèchement et il s’écroula comme un pantin désarticulé.

« Ton heure est venue. Ton musée et ton monde vont disparaître avec toi. »

Elle s’apprêtait à le décapiter, mais au moment où sa lame s’abattit, elle fut stoppée net par la faux d’Abu Mussa. La parade entraîna un choc dévastateur, qui la projeta à plusieurs mètres. Elle traversa des meubles et s’écrasa lourdement contre un miroir.

« Liana !! » hurla Krid, aux prises avec un adepte de l’Ordre.

La hyène épousseta ses vêtements rapiécés et observa avec dédain le vieux fanatique de Denderah se vider de son sang.

« Gibab…Gibab…Tu ne vas pas mourir quand même ?
- S-sa Sainteté…Pardonnez-moi…Kof…j’ai échoué. »

La hyène releva la tête et observa un instant le musée Al Fihri.

« Mes frères et sœurs, emportez les joyaux de Denderah avec vous et quittez au plus vite le monde-miroir ! Notre vieux frère Gibab va disparaître, nous devons protéger chaque merveille de Denderah tant qu’il respire encore ! »

Les hommes du Gourou s’exécutèrent et commencèrent à déblayer entièrement le musée, emportant avec eux chaque antiquité dendérienne qui y siégeait. Les Granulés tentèrent de les en empêcher, mais une immense lame d’air traversa la salle et annihila les derniers hommes d’El Beïda.

« Mes frères !!! » rugit le héros d’Hinu Town.

Ses meilleurs hommes et amis de longue date venaient d’être anéantis en un claquement de doigt. Il resta coi, tremblant d’effroi et de haine, le Shamshir ballant au bout de ses mains. Ils n’étaient plus qu’une poignée encore debout, mais certainement plus pour longtemps. La situation leur avait complètement échappé, et si les derniers survivants s’attardaient ici, c’était la mort assurée.

La hyène bondit dans les airs avec une agilité déconcertante, et se déplaça en virevoltant au-dessus de la foule de combattants. Sa faux tournoya, provoquant une lame d’air qui fusa en direction des jumelles Sira et Nifa qui tentaient de venir en aide à leur cheffe. L’attaque était beaucoup trop rapide pour qu’elles ne puissent ne serait-ce que la voir venir. La mort fondait sur elles, mais Krid s’élança en un éclair et contra la lame tranchante de toutes ses forces. Le Shamshir ne ploya pas et il repoussa la lame d’air avant qu’elle ne progresse davantage.

« Tu ne t’en prendras à personne ici !
- Kaïkaïkaïkaïkaï ! Et c’est toi qui vas m’arrêter, hein, Krid Chawki ?
- Krid ! Il faut qu’on s’en aille d’ici tout de suite ! hurla Liana à son frère.
- Partez et ne vous retournez pas ! Cet homme ne touchera pas une seconde fois, je le jure ! »

Le héros d’Hinu Town s’élança à une vitesse démesurée, faisant éclater le sol sous ses pieds. Le Shamshir brandit, il le fit danser autour de lui, et enchaîna les mouvements à un rythme infernal, donnant dans chaque coup toute la force et la détermination qu’il lui restait. La hyène repoussa chaque frappe avec un air amusé.

« Kaïkaïkaï ! T’es sacrément en colère ! Mais désolé, c’est pas ça qui m’empêchera de tous vous envoyer six pieds sous terre.
- TU NE TOUCHERAS PERSONNE ICI !! »

Krid fit un bond en arrière et agita son cimeterre dans de grands gestes qui projetèrent une multitude de lames d’air.

« La danse du désert !
- Oh, joli ! »

Les échos tranchants se déployèrent autour de l’immense hyène, mais il les repoussa d’un coup de faux qui les brisa tous. Krid profita de ce leurre pour fuser en direction du Gourou et pour pénétrer sa garde. Il frappa en biais, et sa lame trouva la poitrine du chef de l’OTS, qui se retira in extrémis d’un bond en arrière. Le Shamshir l’avait entaillé, la plaie était superficielle, mais elle était bien là.

Abu Mussa passa un doigt sur l’entaille et afficha une grimace d’agacement. En un éclair, il se retrouva à quelques centimètres de Krid, qui leva par réflexe son arme pour se protéger. La faux déferla sur le jeune chef d’El Beïda, provoquant un torrent infernal d’acier auquel il ne put résister. La puissance des coups était démentielle, chaque impact le faisait vibrer de l’intérieur et manquait de l’éjecter à des dizaines de mètres.

« Fuyez, et ne vous retournez pas ! IL NE VOUS TOUCHERA JAMAIS !!! »

Le héros d’Hinu Town, plus que jamais, porta son titre avec courage. Il riposta aux enchaînements du Gourou, se donna corps et âme dans un duel perdu d’avance. Chaque parade défendit l’honneur de son clan, chaque attaque signa la hardiesse de son peuple. Et lorsque sa garde fut brisée, il ne faillit pas, car certains des siens n’avaient pas encore traversé les miroirs. Il l’avait juré, Abu Mussa ne les toucherait pas.

La faux empala le héros d’Hinu Town et le souleva de terre.

« KRIIIIIIIIIIIIIIIIIIID !!! » hurla sa petite sœur.

Sira et Nifa emportèrent Liana à travers un miroir, et les derniers hommes d’El Beïda firent de même, s’efforçant de suivre le dernier ordre de leur Mentor.

Abu Mussa exhiba son trophée au bout de sa faux et son rire déchira le silence morbide qui planait dans le monde-miroir. Il retira l’arme et Krid chuta lourdement, le Shamshir toujours serré dans ses mains. Le Gourou de l’OTS s’apprêta à faire taire les derniers gémissements du jeune homme, mais Lenny se faufila comme un serpent près de la hyène et emporta sous son bras le héros d’Hinu Town avant que la faux ne s’abatte une dernière fois. Le poids de Ned sur son dos ne l’empêcha pas de courir le plus vite qu’elle put et elle sauta à travers le miroir sous les rires sordides du Gourou de l’OTS.


[…]

Ils étaient saufs. Les éclats du miroir brisé jonchaient le sol de la chambre où ils avaient fait irruption. Sur le lit, Krid Chawki respirait une dernière fois. Ses hommes et les Sœurs l’entouraient. Liana était assise près de lui, et avait sa main dans la sienne.

L’Etranger s’était adossé contre un mur.

Krid tourna la tête vers lui.

« Je suis sûr que toi et moi, on en aurait fait qu’une bouchée. »

Ned ravala ses larmes.

« Ton cœur est plein de rancœur, mais il vient de nos sables. Je le sais. Quand tout sera fini, j’espère que tu trouveras la paix. Mon ami. »

Krid se tourna vers sa Sœur et les siens.

« Liana, pardonne-moi de te laisser maintenant avec tant de poids sur les épaules. Mais j’ai confiance en toi, je sais que notre terre est entre de bonnes mains. »

Elle ne put retenir ses larmes.

« Le Shamshir est à toi, porte-le avec fierté. Papa serait aux anges s’il te voyait avec. »

Krid concentra ses dernières forces, pour ses derniers mots.

« Dites, ai-je été suffisant pour notre île ?
- Tu as été le plus grand leader de notre clan, le plus grand héros de notre peuple, répondit un de ses hommes.
- Merci Amir. »

La voix rauque de l’Etranger se fit doucement entendre et Krid tendit l’oreille sans se retourner.

« Tu as été une bonne personne. »

Il afficha un sourire.

« Tant mieux. »

Le héros d’Hinu Town referma les yeux et s’éteignit.
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