Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas remis les pieds à Logue Town. Un an, pour dire vrai. Une certaine nostalgie s’était emparée de nous une fois son sol foulé à nouveau. Des nouvelles de notre père et de notre maître nous parvenaient souvent, mais il était indéniable qu’ils nous manquaient au plus haut point.
Cependant, nous ne pouvions pas baisser les bras et reculer. La tâche se montrait certes ardue, mais avec l’expérience que nous avions déjà accumulée sur l’île du Karaté en ingénierie, nous ne pouvions pas échouer. La commandante Popov nous avait à l’œil, notre candidature et notre implication dans nos études l’avaient poussée à nous observer attentivement.
La raison de notre présence ici, dans la ville où tout commence et où tout finit, s’en trouvait être simple. Nous assistions à un séminaire au sein de son université. Il traitait de l’importance de la biologie dans les années à venir et de ses applications au cœur des expériences courantes de la brigade scientifique.
Il était intéressant, nous ne pouvions le dénier, mais il s’éternisait un peu trop à notre goût. Voilà quatre heures que le présentateur faisait une logorrhée sur l’utilisation des facteurs anormaux des cellules dans l’étude des maladies orphelines. Nous nous étirions une fois encore, perdue dans le rang du milieu, pour nous reconcentrer sur ce verbiage presque indigeste.
Mais le salut de notre âme vint enfin nous délivrer quand les hôtes de la convention annoncèrent la pause de midi. Nous avions quartier libre pendant une heure et demie ; autant dire de quoi visiter la ville et trouver un bon restaurant pour manger. Naoko, notre meilleure amie depuis notre entrée à l’académie, nous proposa d’aller flâner en centre-ville dans l’espoir de dénicher une pépite gastronomique.
Nous la suivîmes donc avec alacrité, le son de ses bottes à talons et de sa canne se réverbérant sur les murs des bâtisses. Nous discutions de ces quatre dernières heures avec un peu de dérision. Cherchant un lieu où nous arrêter, nous guignâmes les diverses enseignes et cartes de la rue piétonne de Logue Town.
Nous nous posâmes dans un établissement tout à fait pittoresque. L’ambiance y était tout particulièrement charmante. Elle fleurait bon l’ancien, avec des meubles passés de mode par trop longtemps, mais dont l’apparence marquait une certaine authenticité. Les serveurs portaient beaux dans leur uniforme plutôt classique et sobre, qui accompagnait avec justesse le décor. Nous nous approchâmes de notre amie et l’enlaçâmes enjouée.
— Il en faut bien une de nous deux qui remonte le niveau, nous répondit-elle, un ton moqueur dans la voix. Si je t’écoutais, nous mangerions dans des bouges presque constamment.
D’un petit coup de canne dans les jambes, elle nous pressa pour que nous suivions la barmaid qui nous devançait et nous indiquait déjà une table à proximité d’un tableau couvrant le mur nord.
C’était une représentation de la fameuse exécution de Gol D. Roger. Un moment historique jamais égalé depuis. Aucun autre prétendant au titre de Roi des pirates n’était sorti de l’ombre et il en serait ainsi pour encore des décennies. Nous nous saisîmes du menu et tout en regardant les suggestions, nous lorgnâmes sur cette œuvre imposante.
Naoko, un peu confuse, leva son nez de sa carte et posa sur nous une oeillade perplexe. Nous pointâmes l’objet de nos convoitises. Elle acquiesça après avoir compris où nous voulions en venir.
— Il a marqué l’histoire en effet. Sans son "règne", nous sommes persuadée que toi comme nous ne seriont pas là où nous en somme en ce moment.
Elle se pencha vers nous et nous toucha là main de ses doigts gantés.
— Pareillement ! Nous lui répondîmes d’un sourire Nonobstant, ce n’est pas le même discourt que tu nous as tenu quand on nous a assigné à la même chambre. Tu te souviens ? Tu nous avais traitée de "Barbare" quand nous avions déposé nos gantelets sur notre lit.
— Et bien pardonne-moi d’avoir pensé que tu avais tout dans les bras et rien dans la tête exceptée la création de ses petits bijoux. Après tout, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
Nous rîmes de bon cœur ensemble tandis que la barmaid arriva près de nous pour noter nos commandes. Nous prîmes toutes deux un plat du jour, un risotto terre-mer de calamars et chorizo, ainsi qu’un carafon de vin rouge. Alors que nous lui servîmes un verre, elle nous posa une question un tantinet étrange.
— Nous aimerions te répondre que oui, nous nous exprimâmes un peu hésitante.
— J’y ai longuement songé. "Le joyau des mers". Une nef qui serait resplendissante, à mon image. Je n’ai pas envie d’être subordonné à un supérieur qui ne me conviendrait pas. Il est indéniable qu’au début cela sera le cas. Mais dès que je le peux, je prends mon envole. Enfin, si c’est toi, je pense que je pourrais m’y faire. Ou sinon, c’est toi qui seras sous mes commandements si j’embrace ma liberté en première.
— Et ben, trinquons à la première de nous deux qui obtiendra son bateau.
Nous levâmes nos verres et les firent tinter dans les airs scellant cette promesse tacite. Une heure passa sans vraiment que nous y prêtions attention. Dans le doute, Naoko regarda sa montre à gousset pour nous rappeler à l’ordre. Il nous restait une petite demi-heure pour retourner à la conférence, ce qui était suffisant. Après nous être acquittée de l’addition, nous nous remîmes en route, son bras dans le mien.
Nous déambulâmes ainsi encore quelques instants, profitant de ce peu de temps au cœur de la cité. Notre meilleure amie fit du lèche-vitrine bien malgré elle, une habitude qui ne la quittait pas. Cependant qu’elle admirait une robe de soirée plutôt échancrée et qui soulignerait parfaitement sa silhouette, un reflet attira notre attention dans la devanture.
Une mink renarde passa derrière nous dans la foule. Nous n’en avions entendu parler qu’à l’académie, dans des manuels scolaires. En voir une pour la première fois de nos yeux vus relevait d’une expérience inattendue, mais sympathique. Nous faudrait-il l’aborder ?
— Oui, elle t'irait très bien. Écoute, rentre sans nous. Nous venons d'apercevoir une mink qui nous a captivée. Nous aimerions lui parler, nous expédiâmes avec empressement de peur de perdre la renarde.
— D’accord… Et bien, fait vite et prudence dans ce cas ! Je te garde ton siège, nous garantit-elle, un brin rieur derrière son monocle, sachant qu’il était très rare pour nous d’agir de la sorte.
Alors que nous saluions Naoko de la main, nous nous retournâmes pour pourchasser cette demoiselle en fourrure, cependant elle nous avait échapper de vue, comme nous le craignions. Ainsi, nous nous élançâmes à sa poursuite, cherchant avec peu d’assurance l’éventuel chemin qu’elle aurait pu emprunter.
Dix minutes plus tard, dans cette cohorte infernale du début d’après-midi, nous allions baisser les bras quand nous l’aperçûmes sortir d’une boutique. Elle marcha une nouvelle fois devant nous sans nous remarquer. Une beauté animale irradiait d’elle, avec sa fourrure duveteuse et ses cheveux aussi roux et particuliers que son pelage. Nous nous approchâmes d’elle, un peu incertaine, et l’alpaguâmes.
Tandis que nous venions d’émettre ce compliment et qu’elle allait repartir sans demander son reste, nous poursuivîmes derechef.
Dernière édition par Ashlinn Widdershins le Sam 14 Jan 2023, 14:07, édité 2 fois