La réponse qui me parvient est anormalement... normale. Je dois avouer que j'aurais imaginé une voix un peu plus imposante de la part d'une entité aussi méphistophélique. Et je n'ai pas vu l'ombre d'un orifice s'ouvrir sur la créature pour délivrer cette phrase. Et aussi, je suis à peu près certaine que le son ne provenait pas du tout de sa direction. Et, maintenant que vous le dites, elle ne répondait absolument pas à ma question. Après réflexion, il est envisageable que son auteur ne soit pas mon apocalyptique adversaire. Mais alors, qui ? Une bien étrange énigme que je parviens contre toute attente à résoudre en tournant mon regard d'un quart de tour sur la droite. Oh. Alors je n'étais en réalité pas seule dans ce cimetière ? Première nouvelle.
-Oh, salut !Concentration, Charlie.
Le nouvel -l'est-il vraiment ?- arrivant est lui aussi aux prises avec ce me semble être une pierre tombale et autres funestes éléments de décor qui ont eu l'idée saugrenue de s'animer. Tout en geignant intérieurement à cause de la douleur qui me lance le pied suite à mon attaque fortuite, celle de ma cicatrice que le monstre a réveillée par je ne sais quelle magie et celle de mon bas-ventre qui a fait la malencontreuse rencontre d'un énorme bloc de pierre -oui, cet affrontement se présente sous les meilleurs augures, je sais-, je prends un instant pour l'examiner. Un sourire ironique traverse mon visage alors que je me fais la réflexion qu'il est à peu de choses près mon exact opposé : aussi droit et austère que je suis tordue et inappropriée, il a enfilé un masque aussi blanc que le mien est noir et il a l'air d'autant savoir ce qu'il fait que je ne suis en train de me battre avec mon propre corps.
En parlant de se battre, il ne faudrait pas que j'oublie que je suis déjà
légèrement occupée, et mon instant de déconcentration me vaut de voir une nouvelle salve d'ennemis s'abattre sur moi. J'attrape une pierre tombale au vol et la renvoie dans ses vingt-deux, emportant au passage quelques cadres et objets qui se ruaient sur moi. Bon. Il est temps de faire le ménage. Profitant d'un court instant de répit, j'enfile à mon tour mon masque. Voyons voir si les pouvoirs terrifiants que je suis capable d'en tirer seront suffisants pour me tirer de ce mauvais pas. Concentrant absolument toute la force spirituelle dont je dispose, je pose mon regard sur la monstruosité qui entre temps s'est approchée de moi, visiblement vexée par ma provocation.
A ton avis, je peux être plus effrayante que toi ?
-Bouh !Bien évidemment que non. Absolument rien ne se passe. Pourtant je sais que ma technique a fait effet. Je ressens la présence éthérée dans mon dos. Le froid. Ce frisson glacé qui saisit mon échine. Pour autant, le Macabre ne trésaille même pas. Suis-je vraiment surprise ? Cette chose n'éprouve certainement pas le moindre sentiment. Peut-être, au mieux, de la rage. Si, comme mon imagination fertile me le suggérait, j'ai en face de moi l'incarnation de la Mort, qu'est-ce que j'espérais vraiment ? Dis-moi, de quoi peut bien avoir peur la Mort ?
-Hey t'as vu on est copains de masques !Concentration, Charlie.
Aujourd'hui sera peut-être le jour où je vais enfin comprendre pourquoi on m'a déjà reproché à maintes reprises mon incapacité à appréhender le sérieux des situations dans lesquelles je me trouve. Mon petit aparté -bien trop enjoué- à destination de mon allié d’infortune est exactement le moment où l’immense cadavre exquis -qui, au cas où vous auriez encore un doute, n’a pas le moins du monde été affecté par ma technique des Yeux du Diable- décide de passer à l’attaque. Trop distraite à faire un concours de masque avec l’homme à côté de moi, je n’aperçois que trop tard l’énorme rocher qui lui sert de main s’abattre sur moi et ne parviens pas à l’esquiver à temps.
Je n’ai éprouvé une telle douleur qu’à une seule et unique autre occasion dans ma vie, et croyez-moi je ne recommande pas. Le coup me propulse une nouvelle fois en arrière, non sans me briser quelques côtes au passage. Un violent flash blanc m’éblouit alors que je percute brutalement une énième sépulture. Si je survis à cet affrontement, j’aurai de quoi ouvrir des pompes funèbres. Mais rien n’est moins sûr. Sonnée, je discerne à peine au travers du voile qui atrophie ma vision la silhouette infernale avancer dans ma direction. Je suis même incapable de distinguer si elle flotte ou si elle marche. Quelle importance ? Dans un nouveau râle d’ahan je parviens non sans mal à me relever. Le long de mon arcade sourcilière, une goutte de sang commence à perler.
Désolé mon vieux, mais tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement.
Tout en m’escrimant à atténuer les titubations, je me mets en garde, levant les poings devant mon visage comme Louli me l’a appris. Qu’il approche. Il y a encore
un nain dans la Moria deux âmes dans le cimetière qui respirent. Geste futile ? Possiblement. Mon esprit embrumé me joue sans doute des tours, mais il me semble entrevoir un instant d’hésitation chez l’Abomination lorsque je me relève, juste avant qu’elle ne lève à nouveau son difforme bras pour m’asséner un nouveau coup. Cette fois-ci, elle cherche clairement à m’écraser. Sans surprise, ma pauvre garde ne tient pas le choc et je me retrouve à nouveau face contre terre.
Jamais deux sans trois, comme on dit.
Pourtant, j’ai le sentiment que cette attaque était moins puissante que la première. Mon corps s’est-il habitué à la souffrance ? Ou bien est-ce la proximité -tant spatiale que temporelle- de la mort qui le pousse à m’injecter un tel shot d’adrénaline que je ne ressens plus la douleur ? Bon, je ne fais tout de même pas la fière : j’ai un nombre incalculable d’os brisés, je viens de cracher une gerbe de sang qui ne présage rien de bon et je suis incapable d’aligner correctement deux pensées tant la confusion qui règne dans mon esprit est grande. Alors c’est ça ? C’est ici que je vais crever ? En creusant de mon corps ma propre tombe au milieu du cimetière. Quelle ironie.
C’est mort. Métaphoriquement.
Je refuse. Il n’est pas question que je laisse ma peau dans un endroit aussi sinistre. J’ai encore trop de choses à faire. Trop d’aventures à vivre. Trop d’histoires à raconter. Je suis la narratrice de ce monde, il a besoin de moi. Le sifflement continu dans mes oreilles est assourdissant. J’arrive à soulever le haut de mon corps en m’appuyant sur mes mains. Je tousse un nouveau jet d’hémoglobine. Un pied, puis l’autre. Ce n’est que le début de ce conte. Je chancelle, mais parviens par miracle à tenir debout. Cette fois-ci, aussi confus que soit mon esprit, je le perçois avec certitude : le monstre ne supporte pas que je me relève. Sa colère est sourde -et muette-, mais elle est presque palpable. Comment un être aussi faible et insignifiant peut lui tenir tête ? L’excroissance qui lui fait office de bras se lève une dernière fois. Je ferme les yeux, me préparant à recevoir le coup.
J’ai l’enfer aux bords des lèvres
J’écris à l’article de la Mort
Même Elle ne peut tuer un rêve
L’esprit est plus fort que le corpsLe coup n’arrive jamais.
Alors que toute la rage de la créature s’abat sur moi, le bras se met soudainement à s’effriter pour tomber en l’espace d’un instant en poussière à mes pieds. Je n’ai plus l’énergie de me réjouir, ni même de m’étonner. Je vais devoir laisser le soin à mon collègue masqué de vaincre l’Abomination, victime d’un bien étrange mal…
Dis-moi, de quoi peut bien avoir peur la Mort ?
- Spoiler:
Désolé pour le pavé. Étant données les maigres compétences en combat de Charlie, j'ai essayé de jouer sur un autre angle. L'explication rp est que la Conviction inébranlable en la mort du Macabre a été, en fait, ébranlée par le désir de vie de Charlie. J'espère que ça ira !