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Un jour Dieu a dit à Levi d'attendre. Et depuis...



Lévi a tort

Léviathan.
Ce nom ne m'évoque rien.
Et pourtant.

-Terre en vue !

Je saute sur le pont en frémissant d'excitation, non sans me prendre au passage les pieds dans un cordage qui traînait sur le chemin, manquant de peu de m'étaler de tout mon long au terme d'une course effrénée définitivement trop intense étant donnés ses enjeux. Mais il faut me comprendre. C'est la première fois de ma vie que je sors de Carcinomia, l'événement mérite d'être célébré. Qui plus est pour me rendre sur une autre Blue. Rien que ça. Et même l'absconse raison de notre escapade, l'observation du chantier du Lévianthan, « fleuron » de la flotte de la marine -ce qui, soit dit en passant, m'impressionne et m'intéresse autant que les « poèmes » que mon précepteur croit bon de m'asséner à longueur de temps-, ne saurait entamer mon enthousiasme.

Une chose en est pourtant capable.

-Fais attention, Charlie ! Tu veilleras à te tenir correctement là-bas, n'est-ce pas ? Nous avons une réputation à entretenir.

Le « gna gna gna... » que je réponds ne résonne que dans mon esprit. Courageuse mais pas téméraire. Si l'autorité de mon géniteur m'affecte autant que le  minuscule caillou qui m'a suivi depuis Carcinomia, bien calé quelque part au fond de ma bottine -à savoir assez peu, exceptées les rares fois où il s'évertue à me rappeler sa présence, provoquant au pire une légère démangeaison désagréable-, je sais très bien qu'il en va différemment du reste de l'expédition et qu'il est en possession de tout le pouvoir nécessaire pour m'enfermer tout le temps que notre visite va durer, me privant ainsi intégralement du plaisir de visiter une contrée lointaine -et à vrai dire, je soupçonne qu'il y prendrait même un certain plaisir-. Alors pas question de lui donner la moindre opportunité.

Pourtant, il faut dire que le si caractéristique balai enfoncé dans son fondement l'est encore plus profondément -si c'est possible- depuis le début du voyage. Apparemment, le Léviathan est quelque chose d'important pour les ingénieurs. On parle d'un bijou, d'un chef d’œuvre. Beaucoup d'initiés donneraient cher pour le voir et nous -enfin, surtout mon père-, on a été invités, rien que ça. Il semblerait que notre famille possède encore des relations favorables avec de lointains cousins sur Zaun, et le nom de Valentine y aurait meilleure réputation que les magouilles qui font loi sur ma très chère île natale. Alors le patriarche y a été convié. Quant à moi... Eh bien ils avaient trop peur de me laisser seule. Je crois. Qu'à cela ne tienne, si cela me permet de vivre une vraie aventure et de découvrir le monde, je prends.

Croyez-moi, je n'ai pas la moindre intention d'accorder la plus mince attention à ce chantier qui promet d'être des plus ennuyants. Dès que tout le monde aura le dos tourné, je compte bien m'éclipser pour partir à la recherche d'histoires croustillantes, d'aventuriers daignant me conter leurs épopées ou, comme mes parents le souligneraient bien que je le nie en bloc, d'ennuis à m'attirer. Mais je me rends compte, accoudée au bastingage alors que notre navire approche du port, que ce ne sera pas chose si aisée ; sur le ponton tout un comité d'accueil nous attend. D'ici, difficile de distinguer à quel genre d'empêcheur de tourner en rond je vais devoir faire face. J'espère juste qu'ils ne vont pas nous coller aux basques tout le séjour, sinon mes velléités d'escapades risquent de tourner court.


Dernière édition par Charlie O. Valentine le Sam 10 Déc 2022 - 15:53, édité 13 fois
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Aujourd’hui était un jour très particulier. Pas pour moi, quoi que l’évènement qui s’apprêtait à se dérouler m’impactait forcément aussi, mais surtout pour toute l’île. Depuis des mois et des mois tous les meilleurs ingénieurs et charpentiers de la région s’afféraient sur ce qui devait – sur le papier – devenir le fleuron de la Marine. Le plus grand et puissant navire existant sur les mers, un bijou de technologie, de qualité et de puissance de feu, certains se permettaient même d’annoncer qu’il pourrait réaliser un Buster Call à lui tout seul ! Une bête de bois et de métal, avec des mats si hauts qu’ils pouvaient presque toucher le ciel, et des voiles si grandes qu’il avait fallu agrandir les bâtiments où elles étaient cousue. Un monstre titanesque qui se dressait enfin devant la population rassemblée sur les quais. La plus part des navires de pèche et de civils avaient été éloignés pour l’occasion et une bonne partie du corps militaire local avait été affecté à la sécurité des lieux.

C’est ainsi que je me retrouvai en service un jour de fête, le fusil dans le dos, à devoir fixer tout sauf ce monstrueux bâtiment et à faire des rondes à l’écart de la foule. Ça braillait et ça riait derrière moi, mais je n’y faisais pas attention, trop occuper à tantôt observer l’horizon, tantôt ausculter ces mains toutes en métal. J’avais encore beaucoup de mal à m’y faire, bien que ces doigts bougent exactement comme leur ordonnait mon cerveau, ce n’était pas les miens. Ni ces poignets, ni ces coudes, ni ces pieds couverts dans de solides bottes de cuir sombre, ni ces genoux enfermés dans ce pantalon bleu flambant neuf et donc encore peu élastique. Mes quatre membres n’étaient plus que d’un métal froid et lisse, où la douce chaleur d’un corps chaud avait dû laisser place à une boite d’acier, de câbles et de tendeurs.
J’étais passé à un rien de la mort, j’avais déjà vu ma courte vie défiler devant mes yeux au moment où mon père intervint et m’empêcha de rejoindre l’intense lumière blanche. Depuis je suis cette boite de conserve bourrée de haute technologie, au service d’une Marine qui m’a permise de rester en vie. Souvent la nuit je me réveillai en sursaut, hurlant de douleur alors que mon cerveau tentait vainement de faire bouger des bras absents. D’après papa ce n’était qu’une histoire de semaines, de mois tout au plus pour que cela cesse et que j’adopte définitivement ma nouvelle condition.

Un nouveau navire apparu au loin, voulant certainement accoster et assister à temps pour le grand évènement. Je plissai des yeux sans parvenir à reconnaitre le pavillon flottant au sommet, le soleil en contre-jour n’aidant pas.
C’est à ce moment-là que mon père eu la mauvaise idée de me tapoter l’épaule, ce fou ! Surgissant de la foule il avait voulu me faire une surprise et l’eut très vite regretter, car la première chose que nous apprenions à l’école militaire c’était bien les clés de bras.

« Ma chérie, si tu pouvais éviter de trop abimer ton idiot de père, j’en ai encore besoin quelques années. » Lança ma mère peu après, elle aussi sortant de la foule, un panier en osier dans les bras recouvert d’un torchon à carreau blanc et rouge.
« Ah bonjour maman, vous allez faire un pique-nique ? » Répondis-je en lâchant mon père soufrant et rieur.
« Tout à fait, et nous voulions te proposer de te joindre à nous. J’ai fait la tarte aux pommes que tu aimes tant. »
« C’est très gentil mais je suis en poste aujourd’hui, et ça risque de durer longtemps. Amusez-vous bien. » Expliquai-je en reprenant ma surveillance.

Mais alors que je pensais la conversation terminée, ce fut mon père qui revint à la charge tandis que le navire repéré plus tôt se rapprochait et s’apprêtait à accoster, relevant progressivement les voiles des trois mâts. Ils seront bientôt à quai et c’était visiblement ce qui attirait toute l’attention de mon paternel.

« Oh Lucy ma toute petite tu les reconnais ? Oh bon sang je n’y crois pas … »
« Qui donc ? »
« Eux. Les Valentine. Tu ne les reconnais pas ? C’est une famille très célèbre pour le nombre d’ingénieurs immensément talentueux parmi leurs membres ! C’est en partie grâce à eux que tu es encore en vie. »
« Oh … super … » Concluais-je sur un ton morose.

Derrière nous, maman soupirait mais n’intervenait pas, connaissant trop bien son époux pour gaspiller son énergie à le raisonner, elle préféra attendre en retrait le temps qu’il se calme.
Le navire des Valentine accosta finalement quelques courtes minutes plus tard, la planche rejoignant le quai ne tarda pas à être installée et rapidement les premières personnes descendit.

« Bienvenue à vous, veillez à ne pas faire de grabuge, il faudra docker votre navire plus loin ensuite pour ne pas gêner l’évènement. » Annonçai-je de but en blanc, récitant mon texte mot pour mot pour ne pas trahir mon inexpérience.

Mais papa n’avait pas cette retenue et se présenta aussitôt en les complimentant pour toutes les prouesses qu’ils avaient apporter à la technologie et la médecine.
Le mieux était de faire comme si je ne le connaissais pas, alors plutôt que d’y porter attention, j’observai leur navire jusqu’à croiser le regard d’une fille contre le bastingage, une blonde aux yeux rouges qui devait avoir le même âge que moi.
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Lévi a tort

La planche de bois faisant office de pont pour rejoindre la terre ferme touche le dock dans un *poc* sourd, me permettant enfin de quitter ce bateau. Ne vous méprenez pas, je n’ai rien contre les voyages. Cela me laisse tout le temps du monde pour lire, m’évader, rêver. Et traverser la flaque se trouva être une expérience intéressante. Mais celui-ci a duré plusieurs jours et pour être honnête, il me tarde de faire de nouvelles rencontres. Non pas que la présence autoritaire, antipathique et en proie au stress de mon père soit ingérable, mais presque. Subir ses jérémiades et ses consignes assommantes sur comment je vais devoir me comporter m’ont drainé toute patience, en plus d’être d’une inutilité crasse.

À peine avons-nous posé le pied sur le port que le comité d’accueil nous alpage en bonne et due forme. Je vous le dis tout de suite, il y a là plus de silhouette guindée et à l’allure bien coincée comme il faut que ce que mon esprit ne peut supporter. Un homme s’approche de mon géniteur pour lui présenter ses salutations, ses respects, ses compliments et je soupçonne même ses hommages au regard de tout ce que la famille Valentine a accompli pour l’ingénierie, et j’ai toutes les peines du monde à retenir un éclat de rire devant l’ironie de la situation. Si la branche zaunienne de la famille a bien réalisé quelques prouesses au fil des dernières décennies, la nôtre était bien occupée à magouiller dans son coin pour maintenir les affaires au sommet. Et, au vu du véritable bataillon en rang serré derrière lui, cet homme montrerait probablement moins de déférence à son égard s’il savait dans quelles affaires louches mon père avait trempé.

Mais ce dernier ne se démonte pas.

-Merci beaucoup pour vos paroles. Voici ma femme et mon f… ma fille, Charlie.

-C’est un honneur. Voici ma propre fille, Lucy. Elle est de service aujourd’hui et sera donc au vôtre. De service, ahahah.

Je tourne un regard effaré vers la dénommée Lucy, qui s’avère être la marine qui nous a transmis les consignes quand nous avons accosté. Mais qu’est-ce qu’il se passe là exactement ? Voilà qu’ils sont deux maintenant. Pourquoi nos parents sont en train de nous présenter comme si nous étions leur dernière invention ? Surtout lorsque l’on connaît l’incommensurable fierté que le mien éprouve à mon égard. J’espère du fond de tout ce qui peut me servir de trippes que je ne vais pas être obligée de rester en la gênante compagnie de tous ces ingénieurs. Je crois que j’en mourrais d’ennui avant la nuit tombée. Et je n’exagère pas.

L’effarement laisse cependant bien vite place à la curiosité sur mon minois en souffrance alors que j’observe un peu plus en détails la jeune femme. Mon incroyable sens de l’observation me suggère qu’elle doit avoir environ mon âge. Si jeune, et déjà engagée dans une voie aussi barbante que celle de la marine. Quelle tristesse. Et le morne ton qu’elle a employé ne présage pas qu’elle soit bien moins inintéressante -triple négation, fais un effort Charlie- que son choix de carrière. Cela dit, mon petit doigt me souffle, lui, qu’il y a peut-être quelque chose de plus croustillant derrière. Mon petit doigt, et la présence d’une double paire de prothèse mécaniques en lieu et place de ses bras et jambes. Il y a sans doute une histoire digne de mon intérêt derrière cette « particularité » anatomique. Sans réellement faire d’effort particulier pour ne pas être entendue, je lui lance un appel à l’aide désespéré.

-Salululu. Est-ce que par miracle tu serais capable me tirer de là ?

-Charlie ! Ce ne sont pas des manières, je t'ai pourtant prévenue plusieurs fois ! Veuillez excuser son imp...

-Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah...

Trop c'est trop.

Ma patience déjà mise à rude épreuve pendant le voyage arrive à son terme. J'ai entendu assez de remontrances pompeuses de la part de mon géniteur pour aujourd'hui. Sous les regards ahuris de l'assemblée, je prends mes jambes à mon cou, détalant dans une direction complètement aléatoire, cherchant simplement à mettre le plus de distance possible entre moi et cette horrible scène, riant à moitié en imaginant l'expression indignée et embarrassée de mes parents pantois.

Pour les conséquences, on verra plus tard.


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Elle semblait aussi peu à l’aise dans cette situation que moi. Déjà rien que le fait que son propre père ait failli l’appeler fils plutôt que fille annonçait l’ambiance qu’il devait y avoir dans leur famille. Une chance que je n’ai pas ce souci avec mon propre père, c’était même plutôt l’inverse, sa fifille adorée qu’il n’échangerait pour rien au monde.
Les salutations furent un autre exemple des tensions entre cette dénommée Charlie et son paternel, car il ne fallut pas grand-chose pour que la demoiselle abandonne un combat dont nous autre étions totalement étranger, et prenne la poudre d’escampette. Elle en avait de la chance, pouvoir fuir toutes ses responsabilités. A moins que …

« Je vais vous ramenez votre fille Monsieur Valentine, en attendant veillez à avoir déplacé votre navire au large. Il n’est pas autorisé ici et personne ne souhaiterait recevoir une amende un jour de fête. »
« Mais voyons ma Lucy ce ne sont pas n’importe qui. » Tenta de rattraper mon père, tiraillé entre l’amour de sa fille et sa passion excessive de la technologie.
« Cela ne change rien, pas de traitement de faveur. Maman, occupes-toi de ton mari s’il te plait. Et bienvenue à Shell Town. »

Sans laisser la moindre possibilité à quiconque de rétorquer quoi que ce soit, je tournai aussitôt les talons dans la direction de la fuyarde et plongeai dans la foule. Je connaissais cette île et cette ville comme ma poche, chaque recoin, chaque raccourci, chaque impasse. Malgré le monde, retrouver une étrangère ne devrait pas prendre bien longtemps. C’était sans compter l’effervescence de certains, déjà une cruche à la main. Comment diable était-ce possible si tôt ? Une question sans le moindre sens, il n’y a pas d’heure pour boire, répondrait mon grand-père s’il était encore de ce monde. Hélas pour moi et heureusement pour eux, j’avais autre chose à faire que de m’en occuper.
Je tournai ainsi plusieurs minutes, demandant par moment aux gens s’ils n’avaient pas aperçu une jeune femme de mon âge environ mais avec une longue chevelure blonde. La demoiselle était passé si vite et si brusquement qu’elle avait déranger pas mal de villageois sur son chemin, autant de volontaires pour aider aux recherches.

Je remontai ainsi sa piste jusqu’à apercevoir une silhouette, une ombre anormale contre un mur. Est-ce qu’elle était sur le toit ? Du regard je cherchai une échelle, une caisse sur laquelle monter, même un tabouret. Sur le côté du bâtiment, un tréteau de bois avait été renversé, trahissant le passage choisi par la demoiselle pour prendre la hauteur. Je fis de même pour ne pas faire de bruit, escaladant la paroi et arriver sur les tuiles sans risquer de passer au travers.

« Charlie ? Votre père risque de s’inquiéter pour vous. » Fis-je en m’approchant précautionneusement. « Cela dit je comprend tout à fait que vous préféreriez rester ici, la vue est pas mal. Loin des gens et du bruit. Est-ce que vous allez bien ? »

D’ici nous avions une vue panoramique sur l’ensemble du port et sur l’immense Léviathan, déjà énorme depuis les quais il paraissait encore plus titanesque depuis les hauteurs.

« Cela n’avait pas franchement l’air d’aller avec votre père. Mais ici c’est dangereux, et surtout interdit. Les tuiles ne sont pas bien solides et la chute pourrait être très mal. Vous voulez bien descendre ? »

Il sera toujours bon de discuter une fois sur la terre ferme.
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Lévi a tort

Il ne me faut pas moins d’une bonne grosse minute pour être complètement et irrémédiablement perdue dans le dédale de rues de Shell Town. Excellent. Encore un parfait exemple de « Charlierie », comme mes parents aiment tant à l’appeler. Pour ma défense, les allées se ressemblent toutes. Et le chantier du Léviathan a rameuté beaucoup de monde, fort heureusement en majorité des touristes ou des ingénieurs venus admirer le mastodonte flottant. Pour être honnête, je ne m’affole pas plus que ça. Ils disent tous que l’égarement, c’est un peu ma deuxième maison. Une sorte de seconde nature, si vous voulez. Et je dois bien admettre qu’ils n’ont pas foncièrement tort. Mais après tout, une vie sans aléas n’est-elle pas une lente agonie ?

Se perdre, c’est découvrir.

Je ne suis pas non plus particulièrement inquiétée par le sermon que mon adorable géniteur va très certainement me passer. Et pourtant après un coup pareil il promet d’être mémorable. Mais j’ai l’habitude. Et très honnêtement ça a autant d’effet sur moi que les menaces de Mr Finnerty, un homme fort sage s’il en est, lorsqu’il réalise que je n’ai absolument pas étudié ses leçons de mathématiques. C’est-à-dire peau de zob.

Bien. Il s’agirait tout de même de trouver un moyen de se repérer. Il y a forcément quelque chose de sympa à voir dans cette ville d’ennuyeux ingénieurs. Quelque chose qui mériterait ma curiosité. Et quel meilleur moyen pour repérer une cible que de prendre de la hauteur -littéralement. Il parait que je suis déjà assez perchée comme ça- ? J’avise un bâtiment quelques pas en arrière qui m’a l’air suffisamment facile à escalader, notamment grâce à la présence de tréteaux et autres outils de chantier précisément faits pour. Je me hisse sans mal sur le toit de la bâtisse et entreprend d’admirer la vue. Il faut dire que je suis rodée à ce genre d’exercice ; c’est l’un de nos passe-temps favoris avec Louli, sur Carci’, grimper en haut de trucs. Bon, c’est parfois pour fausser compagnie à quelques gaillards peu fréquentables quand on traîne un peu trop du côté de Favela, mais ceci est une autre histoire.

Par un heureux hasard, il se trouve que le toit sur lequel je suis montée offre un point de vue imprenable sur le chantier, et plus particulièrement sur le Léviathan. Oubliant instantanément la raison pour laquelle je m’y suis hissée, je m’accorde un instant pour observer la bête. C’est tout de même un sacré morceau. Le genre de vaisseau qui vous emmène vivre des histoires incroyables que vous pourrez ensuite relater, si vous voyez ce que je veux dire. Dans un moment d’égarement je me prends à me demander si un jour je pourrai prendre la mer pour voir tout ce qu’il y a à raconter dans le monde. Mais le rêve est bien vite balayé tandis que je me rappelle avec un rictus ironique que mon avenir est sans doute sur Carcinomia, et que l’homme qui m’a élevée ne me laissera jamais quitter le berceau familial -et ce même s’il n’a de cesse de répéter qu’il se demande bien ce qu’il va faire de moi-. Il ne faudrait pas que je puisse aspirer à être heureuse, tout de même.

Mes joyeuses rêveries sont interrompues par une voix dans mon dos, m’arrachant un sursaut de surprise. Je me retourne pour faire face à Lucy, la fille de cet homme qui avait l’air si admiratif de mon propre père -pour quelles étranges raisons, je ne me l’explique pas-. Celle-ci avance précautionneusement dans ma direction, et je ne sais pas qui de son attitude prudente ou de sa première phrase me fait le plus éclater de rire.

-Lulu ! Tu m’as trouvée bien vite dis donc ! C’est plutôt toi qui devrais t’inquiéter de ce qu’il fera lorsqu’il m’aura remis le grappin dessus ahahah. Drama queen much ? Si peu. Ça va et toi ?

Je me détourne à nouveau pour faire face au chantier avant de m’asseoir en tailleur tout en tapotant à côté de moi pour l’inviter à me rejoindre. Sa dernière phrase ne parvient même pas jusqu’à mes oreilles -à moins que je ne choisisse délibérément de l’ignorer, personne ne sait-. Descendre ? Et pour quoi faire ? Pourquoi dégringoler quand on peut s’envoler ?

-Viens t’asseoir là va ! J’avoue que la vue vaut le détour. Mes iris rubis viennent se planter dans les siens. Tu as déjà voyagé à bord d’un machin comme ça ? Ah, et aussi, il t’est arrivé quoi ? Pourquoi t’es toute…

Tout en laissant ma phrase en suspens, je me lance dans une bien piètre imitation d’androïde, profitant de la flexibilité hasardeuse de mon corps pour remuer les bras comme s’ils étaient articulés mécaniquement. Du tact ? Oui j’en déborde. Offensant ? Pourquoi donc le serait-ce ?


Dernière édition par Charlie O. Valentine le Sam 10 Déc 2022 - 15:14, édité 1 fois
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Son ton me perturba, passé la surprise d’avoir été retrouvée elle rayonnait de vitalité et de bonne humeur. Elle qui semblait si aigrie tout à l’heure aux côtés de son géniteur apparaissait comme un soleil en plein jour. Une sacrée surprise, et une bonne. Il valait clairement mieux cela que l’inverse.
La demoiselle se montra également curieuse et n’hésita pas à me tutoyer ni à me surnommer comme si nous avions été depuis des années les meilleures amies du monde.

« Je répondrais à toutes vos questions miss, seulement si vous acceptez de descendre de ce toit. » Lui répondis-je avec le sourire, soucieuse de garder cette surprenante bonne entente tout en respectant les règles.

Et à mon grand soulagement elle accepta, non sans râler, mais le principal était acquis. Avec un saut souple et agile, je rejoignis le sol pavé de la ruelle, rebondissant presque sur mes ressors fraichement huilés puis attendis d’être suivie, le nez en l’air.

« Navrée hein, mais bon c’est la loi. Je déroge déjà à mon poste en venant vous chercher, si en plus je ne fais pas respecter le minimum … Par contre je connais un endroit parfaitement légal où vous pourrez avoir une meilleure vue sans craindre le moindre problème. Et en plus il y a un vendeur de hotdog sur le chemin. »

C’était clairement une invitation, ce que je ne précisais pas c’était l’emplacement de ce lieu si paradisiaque, à deux pas de la caserne et des quais où devait normalement aller sa famille avec leur gros bateau pour ne plus gêner le port.
L’invitant à s’accrocher à mon bras, autant pour ne pas la perdre de vue que pour garder un certain contrôle sur la situation.

« Chose promise chose due mademoiselle Charlie. Vous vouliez savoir pour ceci. » Dis-je en faisant danser mes doigts mécaniques devant nous. « C’est ce qui m’a permise de rester en vie. Voyez-vous il y a quelques temps une bande de sales pirates ont voulu faire les malins ici, dans une rue un peu plus au nord. Et en s’enfuyant je me suis retrouver sur leur chemin. Ils ne m’ont laissé aucune chance. Mon père a fait tout ce qu’il pouvait pour me sauver, notamment grâce à ses contacts et les recherches de votre famille si j’ai bien tout compris. »

En cour de route je nous fis bifurquer dans une ruelle adjacente, évitant la rue bondée qui apparaissait au bout et les gardes s’y trouvant qui pourraient vouloir venir mettre leur grain de sel dans une situation pour le moment sous contrôle.
Au moins en passant par là nous restions pratiquement seules à marcher, hormis divers travailleurs sortant leurs poubelles à l’arrière de leur établissement.

« Et vous mademoiselle ? Vous touchez un peu à la mécanique ? Qui sait, je pourrais être amené à porter quelque chose que vous auriez vous-même fabriqué. Mais cela semblait particulièrement tendu avec vos parents, puis-je vous demandez pourquoi ? Les histoires de famille sont souvent compliquées mais de là à vouloir fuguer. »
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Lévi a tort

Lucy m'explique qu’elle répondra à mes questions si et seulement si je descends de ce toit. Voyez-vous cela. Du chantage ? En voilà des manières pour la tristement célèbre -en tout cas sur Carcinomia- marine. Mais je ne peux pas vraiment dire que je suis surprise. Et revoilà ce « miss », le même que l’on me rabâche à longueur de journée sur mon île natale, au même titre que « mademoiselle » et qui m’horripile au plus haut point. L’étiquette. Quelle notion absconse. Les gens accordent beaucoup trop d’importance à l’identité, et pas assez aux faits. Au moins, la réputation de la famille Valentine -exception faite de moi, bien entendu- est associée à l’ingénierie et pas seulement au prestige de son nom.

En attendant, me voilà face à une question pour le moins existentielle : est-ce que la frustration puérile que je ressens à me voir dicter quoi faire l’emporte sur le désir ardent de connaître l’histoire tragique de cette jeune fille. Eh bien ma chère Lucy, tu as de la chance que ma curiosité soit pratiquement pathologique et que je n’ai présentement pas en tête de réplique cinglante et ironique à te servir. Une fois n’est pas coutume, je cède donc à la tyrannie et lui emboîte le pas en bougonnant. Et ce n’est pas la tuile qui s’affaisse brusquement dans un craquement sinistre sous mon pas -et que je me garde bien de lui raconter- qui va me libérer de ma mauvaise tête -si elle ne me vexe pas plus encore-.

-Pffff… D’aaaaaccord. Et c’est juste « Charlie ». Ça doit être terriblement ennuyeux de suivre toutes ces lois tout le temps. Tu sais ce qu’on dit hein… « Les règles sont faites pour être brisées ».

Je lâche une grimace spontanée à la mention de hot-dog et refuse aussi poliment que possible -à savoir avec un petit geste de recul- son invitation à lui prendre le bras, sans trop me soucier de critiquer aussi directement son mode de vie ou de heurter sa sensibilité en me montrant tantôt amicale, tantôt distante. C’est que, voyez-vous, j’ai une relation assez unique avec les gens et un espace personnel plutôt étendu. Mais mon mouron est de bien courte durée et je retrouve mon air enjoué et captivé dès que Lucy commence le récit de ses mésaventures. Et c’est aussi croustillant que je l’espérais, même si je reste un peu sur ma faim. Des pirates sanguinaires, un sauvetage in extremis de son père, et..

-Et en fervente marine, gardienne protectrice de la loi et de la justice, tu t’es battue comme une belle diablesse, défendant au péril de ta vie la veuve et l’orphelin dans un affrontement épique et apocalyptique ?

L’excitation est très clairement perceptible dans le timbre de ma voix alors que mon imagination s’emballe, commençant déjà à concevoir la ballade de Lucy la Pieuse, transformée en cyborg par son père désespéré pour lui permettre d’accomplir ses desseins de justice, renaissant de la main de son géniteur telle une Pinocchio des temps modernes. Mais mon envolée créative est bien vite interrompue par la nouvelle question de ma garde personnelle et mon air perdu dans mes songes s’efface instantanément pour laisser place un nouvel éclat de rire ma foi bien hors de mon contrôle.

-La mécanique ? Si tu savais… Non, la mécanique, je la fuis comme la peste. La seule chose que je fabrique, ce sont les histoires, et je doute que tu les portes sur toi. Quelque chose d’aussi rigide, d’aussi carré… Je force un frisson de répulsion. Autant de règles, de lois de la physique, de théorie… Oof. C’est la liberté qu’on assassine. Ce serait comme arracher les ailes d’un ange.

Il n’est pas impossible que mon histoire personnelle -et ma très légère tendance au drama- me fasse exagérer l’aversion que j’éprouve à l’égard de cette discipline. Mais à mes yeux, la mécanique représente l’ennemi absolu ; c’est le fondement même de la guerre froide qui m’oppose à mon père, la prison qui me retient sur Carcinomia ainsi que l’exact opposé de ce à quoi j’aspire. Autant vous dire qu’elle et moi, on est pas vraiment besties. A la mention des tensions avec mes parents, j’hausse nonchalamment les épaules, adoptant un air détaché minimisant clairement à quel point l’état désastreux de notre relation m’affecte. Je me permets même un petit sourire narquois.

-Ahahah ce n’était pas une fugue. C’était juste pour m’amuser un peu et faire enrager mon père. Pourquoi c’est tendu ? Huuum… C’est tendu depuis que je suis née. Parce que monsieur voulait un fils fier et fort pour reprendre les affaires familiales et à la place il a eu… moi.

J’écarte les bras et m’adonne à une courbette ironique, imitant à la perfection -habitude oblige- un salut de ces dames de la haute société. Je ne m’épanche pas plus sur la question. Mes états d’âme n’intéressent personne -pas même moi- et sont d’un ennui mortel. Et l’ennui, c’est l’ennemi. Avec la mécanique. Alors que je me remets à suivre aveuglément Lucy -à nouveau totalement perdue-, une pensée me vient à l’esprit.

-En tout cas merci. Grâce à toi mon père va fulminer encore un peu plus. Avoir une dette envers la marine, ça va l’en-chan-ter. Bon alors c’est où cette vue incroyable ? Je te préviens, elle a intérêt à être encore meilleure que celle de tout à l’heure hein ! Sinon je… euh… Je saute à l’eau dans le port !
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La demoiselle insistait pour n’être appelée que Charlie, peut-être était-ce là une volonté farouche de s’émanciper et de voler de ses propres ailes. A l’écouter elle avait tout de la future globe trotteuse indépendante et insouciante.

« Mmh je vois, pas une fugue et pourtant vous êtes partie seule sans prévenir qui que ce soit, dans une ville que vous semblez ne pas connaitre, sans sac ni affaires de rechange. Après tout pourquoi pas, nous appellerons cela l’aventure. » Concluais-je grand sourire aux lèvres, jouant le jeu pour garder cette étrange atmosphère apaisée.

Un véritable rayon de soleil cette fille, et une boule d’énergie intenable. Je commençais à comprendre le mal qu’avait son paternel à se faire respecter, on ne peut pas enfermer la liberté même si parfois c’est difficile à suivre. Alors je faisais mon possible pour garder son attention à portée et continuer de titiller sa curiosité, cela semblait être la seule façon de la maintenir un minimum sous contrôle.

« Pour apporter quelques détails cela dit, non hélas il n’y a eu ni affrontement épique ni veuve ni orphelin. Ces pirates m’ont laissée pour morte. Littéralement hein, il ne me restait que le torse et la tête d’après mon père. S’il était arrivé quelques secondes plus tard c’était terminé et je rejoignais la longue liste des cadavres que ces types avaient laissés derrière eux. » Expliquai-je en haussant les épaules. « Mais ne vous en faites pas Charlie, je les retrouverais et là ! Là ! Ça va faire mal. Là ils sauront qu’ils sont allés trop loin. Là ils mordront tous la poussière les uns après les autres, n’ayant pas d’autres choix que de s’écraser sous le poids de ma Justice ! » Il ne manquait plus qu’un feu d’artifice ou une explosion en arrière-plan pour définitivement rendre le plan fantastiquement héroïque. « Mais bon, pour ça il faut d’abord que je m’entraine dur, ces forbans font partit d’un équipage déjà hautement recherché. Ils sont tous très fort, bien suffisamment pour que personne ne parvienne à leur mettre la main dessus, alors moi pff aucune chance. Cependant … »

Et je laissai ma phrase en suspend, pointant discrètement du doigt le sommet d’une excroissance rocheuse vers laquelle nous nous dirigions pour n’attirer l’attention que de la demoiselle et échapper à l’imposante foule qui ne faisait que grossir et grossir encore de minutes en minutes dans les rues adjacentes.

« Qu’est-ce qu’un combat héroïque s’il n’y a personne pour le conter ? » La question était volontairement orientée et je fixais son visage pour y lire chaque bribe de réponse avant qu’elle n’y mette les mots. « Ce serait l’occasion d’écrire une bonne histoire, et de l’ajouter à ce que je porte déjà. Dommage d’ailleurs que vous n’aimiez pas la mécanique, j’aurais pu vous proposer de me laisser votre trace. »

Cette fois-ci le sourire se faisait clairement espiègle, provocateur. Je voulais voir jusqu’où elle était capable d’aller avec une perche aussi belle. Car il était évident qu’une novice n’aura aucunement le droit de me bricoler quoi que ce soit, mais l’invitation pouvait plaire.
Nous arrivions bientôt au pied du promontoire, et comme précisé plus tôt le vendeur de hot-dogs était là, fidèle au poste et indétrônable, que je saluai d’un mouvement de main sans faire de halte cette fois-ci. La demoiselle avait refusée cette proposition de repas, inutile donc de s’y attarder. Au lieu de cela j’ouvris la voie pour grimper au sommet, une échelle par-ci, un escalier par-là. Je m’arrêtai de temps à autre pour vérifier qu’elle tenait la cadence et éventuellement l’aider, grâce à la puissance des pistons remplaçants mes mollets une telle ascension ne représentait plus aucune difficulté pour moi. Mais elle ?

Enfin de compte nous arrivâmes enfin au sommet, ce rocher communiquait avec le reste de l’île par un pont de bois derrière nous, détail que j’avais soigneusement omis de préciser, et offrait une vue imprenable sur le port, l’énorme navire qu’était le Léviathan, la petite foule en contrebas, le QG gouvernemental non loin et …

« Bah ? Il est où le bateau de votre père ? Normalement il aurait dû se mettre par là-bas pour respecter les consignes. Bon sang j’espère qu’ils n’ont pas fait n’importe quoi … pourquoi est-ce que ça ne peut pas être simple, juste une fois. »

Lassitude, ô lassitude.
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Lévi a tort

Oh ? Serait-ce la flamme de la passion que je perçois soudainement dans la voix de ma larbine de la marine ? Un petit sourire amusé éclaire mon visage alors que je la vois décrire avec ferveur le sort qu’elle réserve aux forbans qui l’ont mise dans cet état, promettant que sur eux s’abattra le courroux meurtrier de sa vengeance. La vengeance. Encore un concept qui me dépasse, tiens. S’accrocher ainsi à l’idée de châtier les coupables d’un acte passé, au point que cela devienne une obsession. Comme si cela avait une chance de réparer le mal causé. Une énième manière qu’ont trouvé les humains de s’enchaîner, s'enfermer dans une quête qui guide chacun de leurs actes. Comme s’ils cherchaient sans cesse désespérément à fuir leurs chances de liberté.

Alors Lucy rajoute un commentaire qui me fait tiquer. J’arque un sourcil intrigué tandis que mon regard ambre balaye la cyborg de pied en cape. « Qu’est-ce qu’un combat héroïque s’il n’y a personne pour le conter ? ». Mon sourire s’élargit. La question est subtile, et le ton est profond. La Marine aurait-elle effectué des recherches sur nous avant notre venue sur l’île ? Ce ne serait pas si surprenant de la part de ces félons en col bleu. Jamais je n’aurais imaginé que l’agent boulon ici présent, le balai protocolaire de la Marine profondément enfoncé dans l’arrière-train, possède une once de sensibilité pour les arts dramatiques.

-Je ne te voyais pas adepte de contes homériques, Lulu. Mais je me dois de ne pas être d'accord eheh. Un combat héroïque n’a pas forcément besoin de conteur. L’inverse n’est, hélas, pas vrai. Ceci étant dit… Mon regard se perd au loin. Il est clair que mon esprit a quitté en l’espace d’un instant cette dimension. Ce serait sans doute effectivement une bonne histoire. Le commun des mortels raffole des histoires de vengeance.

Et je peux les comprendre. Si le sentiment de rancune, comme je le disais plus tôt, m’interpelle et me laisse songeuse, l’acte d’accomplissement d’une quête de vendetta possède quant à lui ceci de cathartique qu’il vous libère des chaînes de votre rancœur. En plein syndrome du sauveur, le vindicatif s'escrime alors à se rendre la liberté qu’il s’est lui-même ôté, tel un…

-…Pompier pyromane. C’est brillant.

Je reprends contact avec la réalité, ignorant avec une grâce toute mienne le fait que mon intervention est en apparence complètement hors-sujet. Je trottine pour rattraper Lucy alors qu’elle commence à escalader ce qui ressemble à un immense pic rocheux, s’aidant de ce que les gens ont installé pour faciliter l’ascension. Malgré les craintes de la jeune femme, je n’éprouve aucune difficulté à suivre sa cadence. On pourrait croire, étant donnée ma carrure, que je ne suis pas taillée pour les efforts, mais mes escapades sur Carcinomia en exploration urbaine avec Louli m’ont forgé de jolies endurance et agilité.

-Oh, ne t’en fais pas, je trouve toujours un moyen de laisser ma marque. Ça a tendance à désespérer mes parents, mais les gens se souviennent généralement de mon passage, il parait…

Je souris sans vraiment m’en rendre compte. Finalement, nous arrivons au sommet du pic et je lâche un « ouaaaah » d’émerveillement. Je dois bien avouer que Lucy ne s’est pas moquée de moi. La vue est effectivement imprenable. D’un côté, la mer dans son immensité gargantuesque, de l’autre, l’insignifiance de l’humanité qui s’efforce de construire des villes et d’inventer, en sachant pertinemment que jamais il ne saura égaler la splendeur de la nature. Et entre les deux, un vieux pont de singe délabré. Mon regard se perd, entre horizon infini et immensité proche en la personne de ce Léviathan, essayant de mémoriser aussi précisément que possible cette vision, regrettant à cet instant précis de n’avoir ni appareil photo, ni talent pour la peinture. Alors Lucy semble s’étonner de l’absence du navire des Valentine. Je hausse les épaules en riant, tout en m’approchant du pont derrière nous.

-T’as regardé s’il était pas caché derrière son égo démesuré ? Bizarre, c’est pas le genre de la famille, de pas respecter les consignes…

J’avance de quelques pas sur les lattes brinquebalantes, faisant tanguer l’ensemble du pont en riant. Mes yeux rubis se tournent vers le sol. Moins d'une dizaine de mètres plus bas, le bras d’un fleuve va pour se jeter dans et alimenter l’immense océan. Je me penche dangereusement par-dessus la corde qui sert de barrière.

-Marrant, ce pont. On est montées haut quand même. À ton avis, il se passe quoi si je tombe dans l’eaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !

Eh bien j’imagine qu’on va rapidement le savoir.
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Et la réponse de la joyeuse blonde n’aidait pas du tout face à ce nouveau problème. Par de courts moments, j’entrevois l’une des potentielles raisons découlant de ses problèmes familiaux, elle est constamment dans les nuages, toujours à rêvasser et à réagir avec intensité. Elle vit l’instant présent sans – sans doute – se soucier des conséquences que provoqueraient ses réactions. En cela je comprenais la lassitude de ses parents, ou tout du moins une partie, ce genre de personnalité n’était jamais simple à cadrer, encore plus pour un rôle de parents. Et alors que je m’inquiétais de l’absence du bâtiment naval familiale, elle le prenait à nouveau à la légère, préférant jouer sur le pont bringuebalant.

« Mademoiselle vous ne devriez pas … » Essayai-je de glisser au milieu des exclamations curieuses et joyeuse de la civile.
« Marrant, ce pont. On est montées haut quand même. À ton avis, il se passe quoi si je tombe dans l’eaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! »
« CHARLIE !! »

Je me propulsai à sa suite sans réfléchir un instant de plus. Sans évaluer ce qu’il serait le mieux à faire dans cette situation, non je réagis d’instinct. Mes pistons chauffèrent brutalement alors que je me jetai dans le vide à sa suite. Plutôt qu’une simple chute, mon saut volontaire me fit rapidement rattraper la jeune femme que j’enlaçai comme un gros tapis encombrant. Pas le temps pour le glamour, l’eau se rapprochait à toute allure, il ne restait pas beaucoup plus d’une seconde et les rochers sous le niveau de la mer ne nous feront aucun cadeau.
Toujours à maintenir le sac à patate humain, je plantai mes doigts mécaniques dans le mur de la falaise, particulièrement ravie de ne plus avoir de nerfs sensoriels à ce niveau-là pour ne pas sentir mes phalanges se déchiqueter à mesure que notre vitesse de chute ralentissait. Et tant pis pour les quelques débris de roche nous percutant au passage, il valait mieux cela qu’heurter le fond de plein fouet.
Hélas nos deux poids combinés restaient un effort trop conséquent pour ma main gauche seule. Les pieds fut mit à contribution et rapidement le cuir des bottes militaires flambant neuves partit en fumée, jusqu’à ce qu’inévitablement nous tombions à l’eau.

Le vacarme de cette péripétie attira l’attention malgré l’effervescence que provoquait la mise à l’eau du Léviathan. Peut-être pas peur d’une soudaine attaque, d’une tentative d’attentat, encore un sale coup de ces sales pirates tout sales !
Mon bras maintenait Charlie au-dessus et contre moi alors que nous plongions dans l’eau. Avec une main et des chaussures en miettes, je tentai encore de la protéger d’un mauvais choc. Et ce mauvais choc fini par survenir quand mon dos et surtout l’arrière de ma tête heurta le fond. Ma vue se troubla jusqu’à devenir totalement noire, perdant connaissance dans les rapides qui nous mèneraient au port et en compagnie d’une Charlie que j’espérais saine et sauve.
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Lévi a tort

Qui n’a jamais rêvé de voler ?

J’aime à penser que je m’envole parfois, lorsque mon esprit s’égare dans les méandres de mon imagination débordante. Au moins spirituellement parlant. Mais ça, ce que je suis en train de vivre, c’est tout autre chose. Le choc de la surprise passé, je ferme les yeux pour apprécier le vent qui lèche mon visage, les bras ouverts en croix dans un saut de l’ange qui ferait pâlir de jalousie les assassins les plus expérimentés d’une autre époque. C’est donc ça, être libérée de toutes ses chaînes ? À l’exception bien sûr de cette foutue gravité, qui m’attire inéluctablement vers le sol mais qui est royalement ignorée dans mon esprit en paix, profitant de l’instant présent sans jamais penser à ce qui viendra ensuite.

Comme je sais si bien le faire.

Mais la liberté est de bien courte durée. Une poigne de fer -presque littéralement- vient me saisir au vol, freinant ma chute par tous les moyens à la disposition du corps cybernétique de ma sauveuse. Le crissement du bras mécanique contre la paroi de la falaise résonnant dans un vacarme assourdissant alors que des gravas se mettent à rebondir contre le haut de mon crâne. Et puis, l'inévitable acmé de cette -courte mais intense- chute libre se produit, sous la forme d’une rencontre fracassante avec l’eau glacée de la rivière. Et malgré la protection -salvatrice, il faut bien l’admettre- de mon ange-gardienne de la marine, le choc est rude.

Je sens ma cage thoracique s’écraser sur elle-même, me coupant le souffle alors que le brusque changement de température manque de me faire perdre connaissance. Électrifiée. Si ceci n’est pas revigorant, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Après quelques secondes en apnée, je refais surface dans une interminable inspiration avant d’éclater de rire, oubliant l'espace d'un instant la douleur au profit de l'euphorie grisante que l'expérience vient de me procurer.

-Ah bah putain ! Ça, c’était cool ! Alors, toi aussi t’as apprécié le grand plongeon Lulu ? …Lulu ?

Voilà que ma binôme d’infortune ne me répond pas. Pire, je ne vois pas l’ombre de sa silhouette à l’horizon. Alors ça, c’est la plaie. Merde. Ne me dites pas qu’elle est restée au fond du fleuve -et ceux qui ont déjà lu son post seront priés de ne pas divulgâcher-. Cela semble malheureusement l’explication la plus probable. Me voilà bien. Après une nouvelle profonde inspiration, je replonge, ouvrant grand les mirettes à la recherche de ma sauveuse du jour. Il ne me faut pas longtemps pour la repérer, divaguant au milieu des rochers qui parsèment le lit de la rivière, visiblement inconsciente. C’est bien ma veine. Quelle idée de perdre connaissance dans une situation pareille. Et si j’avais mangé l’un de ces légendaires fruits du démon, hein ? Si j’avais été une enclume incapable de faire le moindre mouvement sous l’eau, nous serions toutes les deux mortes à l’heure qu’il est.

Heureusement que je ne touche pas à ces choses-là. Pas très discret ton foreshadowing gros.

Après un rapide passage à l’air libre pour refaire le plein d’oxygène, je repars à l’assaut des abysses -je sais, il y a à peine trois mètres, mais il faut bien dramatiser un peu. Non ?-. Arrivée à sa hauteur, j’agrippe son corps inerte de mes deux bras et tente une poussée vers la surface. C’est qu’elle est lourde, la bougresse. À croire que des augmentations cybernétiques pèsent un chouïa plus que de la chair. La surprise est de taille. Malheureusement, l’empathie qui règne malgré mes véhémentes protestations au plus profond de mon âme -et ce quoi que vous puissiez en dire- l’emporte sur l’asphyxie qui commence à s’emparer de mes poumons. Je ne peux décemment pas laisser Lulu se noyer au fond de la rivière alors même qu’elle vient de se jeter à l’eau -littéralement- pour me sauver. Et si la notion de décence est un concept que je ne saisis pas toujours avec précision, il semblerait que celle de danger de mort soit quant à elle appréhendée à merveille par mon corps. Celui-ci me gratifie d’un shot d’adrénaline décuplant mes maigres forces qui me permet au moyen d’une poussée contre le lit de la rivière d’emporter avec moins de mal que je ne l’imaginais la carcasse de ma nouvelle copine marine jusqu’à la surface.

Mais je réalise tout en tirant Lulu jusqu’à la berge que je suis loin d’être au bout de mes peines. À quelques mètres de la rive, c’est tout un bataillon qui nous attend, visiblement alerté par le bruit de notre baignade forcée. Et les armes pointées dans ma direction ne me disent rien qui vaille. Je laisse échapper un soupir de lassitude tout en trainant Lucy au sec. J’espère qu’elle ne va pas mettre trop longtemps à se réveiller, sinon je sens que je vais encore me retrouver dans des histoires ennuyantes et ennuyeuses.

Il ne faudrait pas qu’en prime ils attirent mes parents dans le coin avec toute cette agitation.

-Évidemment.

-Éloignez-vous de l’adjudant Emerald immédiatement ! Et montrez-nous vos mains.

-T’es pas le crayon le mieux taillé de la trousse toi, je me trompe ?

Ben voyons. Et ils veulent pas que je me passe les menottes aussi ?
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C’est assez étrange d’être inconscient quand on y songe. Il ne se passe absolument rien. On ne pense à rien, on ne fait rien, c’était sans doute l’état se rapprochant le plus du concept de décès. Le temps continuant à filer comme un train ne s’arrêtant jamais alors qu’on est sur le quai. Et pourtant nous sommes là, valise à la main regroupant l’ensemble de notre petite vie anonyme, à observer les wagons défilés inlassablement et le sol tremblé sous le poids des roues d’acier. A nous demander ce qu’il se passerait si nous avancions un pied. Est-ce que cela signerait définitivement la fin ? Y a-t-il même une fin à toutes fins ? Est-ce qu’en avançant ce pied, cela nous permettrait de découvrir d’autres mondes, d’autres lieux où semble si vite partir ce train ?
J’étais là sur ce quai, inerte, immobile et trop pale pour faire partit des vivantes. Que se passerait-il si … Une soudaine force me tira en arrière, un flot de lumière jaillit au point de me bruler la rétine, mais plus important une plainte soudaine de mes poumons me fit tousser brutalement, de quoi cracher plusieurs verres d’eau douce sur le pavé et mon uniforme. Quel enfer ! Il me fallut plusieurs secondes pour reprendre pleinement conscience, faire le point sur ce qu’il m’entourait, l’heure le jour l’époque. Tout va bien, les poules n’ont pas encore de dents ? Et pourtant il y a autant de Marine tout autour ? Tous armés et à pointer dans le même direction. Charlie ?

« Hop hop hop … *kof kof* Laissez-là, laissez-là. Bande de truffes rangez vos fusils …. Ah bon sang … Quel enfer … »

Les soldats passablement perdu se regardèrent, ne sachant trop quoi faire avant de finalement obéir. L’un d’eux m’apporta même une serviette, comme s’il cherchait à se faire pardonner, sous le regard dégouté de ses comparses. Le fayot.
Je me redressai enfin, non sans mal et accompagnée de plusieurs quinte de toux, les mains sur les genoux alors que ceux-ci étaient encore tremblotants.

« Merci Charlie. Ce n’est pas passé loin, mais évite les sauts dans le vide quand même pour les prochaines fois, d’accord ? » Commentai-je avec le sourire. « On peut dire qu’on est quitte je pense, même si je suis ne pas pressée de recommencer. Je vais aller me reposer de toutes ces aventures. Je peux te faire confiance pour retourner auprès de tes terribles parents ? »

Une nouvelle série de toux suivie, dont j’essuyai les restes du dos de ma main.

« A la prochaine mademoiselle Valentine. Faites tout de même attention à vous. »

Je la saluai une dernière fois avant de tourner les talons avec le petit régiment, complètement vidée après tant de péripéties.
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