Tendre le bâton pour se faire battre
Ce festival se révèle aussi divertissant que ce que j’espérais, si ce n’est plus. Pour le moment, j’ai déjà rencontré des personnages fort sympathiques -quoiqu’un peu étranges-, mangé des pommes de terre excellentes -quoiqu’un chouïa chaudes- et participé à une imitation de la Déesse-Enfant fort amusante -quoi qu’il en coûtera-. La surprise ne vous étouffera sûrement pas si je vous dis à présent que j’ai perdu de vue -et perdu tout court- mes deux acolytes chasseurs de primes il y a maintenant quelques minutes de cela en m’arrêtant pour admirer un stand probablement un peu trop coloré pour mon esprit étourdi. Vous ne serez sans doute pas beaucoup plus étonnés d’apprendre que je ne suis absolument pas partie à leur recherche, préférant m’aventurer un peu plus profondément dans les méandres du festival à la recherche d’une activité amusante à faire.
Et la chance me sourit très vite alors que je croise sur mon chemin un énorme stand. Deux hommes sont en train de s’affronter dans ce qui ressemble à une joute, à ceci près qu’ils se battent à l’aide de grands bâtons, qu’ils sont en équilibre sur une étroite planche en bois en lieu et place de destriers et qu’ils se trouvent au-dessus d’une grande bassine ronde remplie d’un liquide transparent. Du détail. L’un des deux hommes porte un grand coup d’estoc que le second parvient à parer, mais l’impact le repousse et il se retrouve à battre des bras au-dessus de la grande piscine, cherchant à retrouver son équilibre nouvellement perdu. C’est peine perdue, son Momentum est trop grand et il finit par succomber aux lois de la gravité, basculant dans le liquide sous les acclamations du public. Le vainqueur entame une petite danse de la victoire alors que le responsable du stand se tourne vers l’assemblée.
-Encore une victoire pour notre champion ! Y a-t-il encore un brave pour venir tenter de le détrôner ?
-Moi je veux bien essayer.
L’animateur semble d’abord surpris en s’apercevant que c’est bien moi qui ai relevé le défi, et quelques rires fusent parmi les badauds, mais il finit par me faire signe de monter sur la planche, me tendant au passage un bâton que j’attrape avant de me hisser pour faire face au précédent vainqueur qui me regarde avec un sourire carnassier. Quelque chose me dit qu’il ne doute pas énormément de l'imminence sa victoire.
-Bien. Rappel des règles : le but est de faire tomber son adversaire dans la « piscine ». Les contacts ne sont autorisés que via les bâtons ou les pieds, mais attention à ne pas glisser eheheh. Pas de bâton de rechange donc s’il tombe c’est tant pis pour vous. Vous êtes prêts ? C’eeeest paaaaaaar *plouf* …ti ?
-Ah… Oups.
-...
-Le bâton m’a glissé des mains, je peux en avoir un nouveau ?
-… Vous avez rien écouté de ce que je viens de dire ?
-… Si ?
-Eh bien non, c’est tant pis pour vous, on dirait bien que ce duel ne va pas durer bien longtemps vu que nos deux adversaires ne se battent pas à armes égales !
C’est bien ma veine. Ma gaucherie a encore frappé au meilleur moment et me voilà à devoir me débrouiller sans arme. Et mon adversaire n’a pas l’air d’avoir l’intention de me faire de cadeau. Il se jette dans ma direction avec un cri de rage qui me fait arquer un sourcil. Eh bien monsieur, il faut se calmer voyons. Certain de pouvoir m’atteindre étant donnée mon incapacité à parer, il arme son bâton et l’envoie dans un immense arc en direction de ma tête, cherchant à finir ce combat en un seul coup. Malheureusement pour lui, si j’ai bien été dotée à la naissance de deux mains droites -tragique pour une gauchère-, j’ai passé des années à vagabonder dans les quartiers les plus tortueux et les plus dangereux de Carcinomia, sous la tutelle de l’incroyable Louli.
Et mon corps est capable de choses que personne n’a encore su expliquer.
Son bâton frappe le vide, mes pieds ayant reculé une fraction de seconde plus tôt, me permettant de me baisser sous le coup. Je me retrouve en équilibre les deux mains sur la planche et lui emporté par son élan. Tandis que, à l’instar de sa précédente victime, il se bat contre la pesanteur, je me relève tranquillement et, avec un petit sourire facétieux, lui souffle dessus au moment où il bascule pour venir rejoindre mon bâton dans le liquide transparent. Après un moment de stupeur, la foule se réveille et m’applaudit à mon tour pour mon plus grand plaisir.
-C’est vrai que c’était rapide.
-Incroyable, quelle agilité ! Et quel retournement de situation ! Mesdames et messieurs, nous avons une nouvelle femme à abattre ! Qui voudra tenter sa chance ?