Le seul et unique Chalopard !

Je suis l'épitome de la beauté, sans aucun doute, et un "chat" semble-t-il, du moins c'est le terme que les bipèdes utilisent lorsqu'ils me voient. Mon pelage mi-long est presque divin, d'une douceur infinie que très peu de gens ont le privilège de toucher. Ma robe est parfaitement répartie en deux couleurs bien distinctes, le roux et mes rayures qui témoignent de ma descendance aux tigres et de ma bestialité parfaitement contrôlée, parce que oui, je suis dangereux, très dangereux même ! Heureusement que je suis mignon, sinon je ferais fuir tous mes esclaves.

Comment ? Esclaves ? Oui, vous avez bien entendu, c'est le terme que j'utilise pour vous définir, "vous" étant les humains, ces créatures imberbes à l'aspect maladif, qui marchent sur deux pattes sans aucune grâce et qui se parent d'ornements pour dissimuler une peau glabre ridicule. Enfin, il faut avouer qu'ils sont quand même utiles et très facilement manipulables, mais ne nous égarons pas, nous sommes ici pour parler de moi.  

Vient ensuite le blanc, d'une pureté immaculée, semblable à un nuage d'été, qui recouvre de tendresse mes faiblesses: ma culotte, mes petites pattes et leurs coussinets, ma belle truffe, mon bidou et ma gorge. Diantre, j'en suis presque à écrire des poèmes, c'est souvent ça le problème quand je parle de moi, je suis beaucoup trop doué. Mais détrompez-vous, dans la vie rien n’est acquis, garder une telle fourrure nécessite des heures et des heures d'entretien, une assiduité et une patiente qui dénotent une grandeur d'âme incomparable. Oui, je suis exceptionnel, j'imagine que même les plus lents d'entre vous l'auront compris maintenant.

Les ignares, les jaloux et les insipides diront que je suis "enveloppé", presque "gros". Je répondrai que ce n'est autre que leur cerveau et leurs yeux qui sont enveloppés d'une crasse si opaque qu'elle déforme leur vision. Mon poids est synonyme de mon statut: princier, royal et supérieur.  L'opulence est la définition même du confort et de la réussite, je suis né comme ça, en vainqueur. Nous ne sommes pas égaux et ne le serons jamais.

Je vais conclure avec finesse, comme à mon habitude, des centaines de petites chattes pourraient en témoigner. Je vais vous parler de mes yeux, le miroir de l'âme comme on dit, la preuve irréfutable que l'être que je suis frôle le divin. Je parle de frôler parce que c'est bien plus subtil et noble que de vulgairement "toucher" et rappelez-vous, il n'y rien de vulgaire chez moi. Une fois n'est pas coutume, je vais réutiliser les mots d'un des esclaves de mes parents, un poète comme il en existe peu chez vous. Il avait dit un jour:

"Le chat ouvrit les yeux, le soleil y entra. Le chat ferma les yeux le soleil y resta. Voilà pourquoi le soir, quand le chat se réveille, j'aperçois dans le noir deux morceaux de soleil."

Simple, je vous l'accorde, mais plutôt bien écrit et imagé, pour un humain. À défaut qu'il ne s'agit pas de soleils dans les miens, mais de comètes entières, symboles de mon destin extraordinaire à régner sur toutes les races de ce monde.

Mégalomane ? Plait-il ? Pas le moins du monde, il s'agit là clairement d'un trait humain et dois-je vous rappeler que je suis un chat ? La créature la plus intelligente de la planète ? Tâchez de ne pas l'oublier, vos défauts ne m'incombent pas. Je prône la réflexion personnelle, et dans l'optique de vous éduquer un minimum, au lieu de vous donner toutes les réponses, je vais vous poser une question. Connaissez-vous un animal, une autre race qui est autant de pouvoir, de contrôle et de liberté qu'un chat ? Qui d'autre peut se targuer de faire plier l'humanité tout entière d'un simple ronronnement ? De jouer avec les lois de la gravité comme s'il s'agissait de pelotes de laine ? De posséder non pas une vie, ni deux vies, ni trois vies, ni quatre vies, ni cinq vies, ni six vies, ni sept vies, ni huit vies, mais bien neuf vies ?!

Bon, force m'est d'avouer que certains d'entre vous, très peu heureusement, sont assez perspicaces pour se méfier et nous chasser à coups de balai. Quelques-uns, encore moins nombreux, ont développé une allergie à notre encontre, une sorte d'alarme biologique. Je les considère à la fois comme les plus chanceux, puisqu'ils resteront à jamais en dehors de mes machinations et parmi les plus misérables, car ils ne connaitront jamais l'extase et la délivrance que sont mes câlins.

Comment se fait-il que je sois capable d'écrire et comprendre votre langue ? Et bien j'ai passé les quelques minutes les plus ennuyeuses de ma courte vie à étudier les hommes, des drôles de créatures que vous êtes, presque intéressantes, mais beaucoup moins complexes que vous ne pensez.  Malheureusement vous m'êtes nécessaire et d'une importance capitale pour accomplir mon but. Lequel dites-vous? Celui de m'élever au-dessus des dragons célestes et des cinq étoiles, en maître suprême et incontesté de ce monde ! Je serai un empereur juste et généreux, pour ne vous donner qu'un exemple et éviter de vous faire rêver inutilement, j'instaurerai une nouvelle loi: celle de la Sieste Quotidienne Obligatoire ! Alléchant n'est-ce pas ?

Comment je compte m'y prendre ? Un magicien ne dévoile jamais ses secrets, tout comme un roi n'a pas à se justifier devant ses sujets. Sachez simplement, ou chachez, que je suis un chat de parole. En parlant de ça, je ne parle pas encore l'humain, mes cordes vocales ne me le permettent pas, mais votre dialecte est si primitif que cela n'est pas une grande perte. Puis j'ai trouvé d'autres moyens de me faire comprendre par vos semblables. Ce que j'ai, c'est des compétences particulières, que j'ai acquises au cours d'une longue carrière. Des compétences qui font de moi un véritable cauchemar, si vous ne cédez pas à mes caprices. Les érudits qui liront ces quelques lignes auront la référence et sauront de quoi je suis capable ! Les autres, qu'un chat autre que moi ait pitié de votre âme...

Bien, cela suffit, je ne vais pas trop m'attarder sur cette partie, mon intellect est si vaste que je pourrais m'y perdre, et vous avec, cela serait tragique. Je parle de ma disparition évidemment, la vôtre ne serait qu'un dommage collatéral.

Je suis né différent, je l'ai compris assez tôt, quand mes frères se léchaient encore le trou de balle, je lisais déjà les dernières revues scientifiques de VegaPunk. Je dois avouer qu'en chat qui se respecte je fais également ma propre toilette, mais de manière beaucoup plus raffinée et jamais devant un public. Je n'ai aucune idée d'où me vient cette intelligence, le problème c'est qu'il m'est difficile d'avoir une quelconque discussion ou affinité avec mes confrères, leurs intérêts se résumant à: manger, dormir, se frotter un peu partout, prendre un petit bain de soleil, chasser une ou deux petites souris pour le sport et se bagarrer plus ou moins gentiment.  

Je ne dénigre pas ce cercle vertueux, cette insouciante vie de confort que seule une race telle que la nôtre peut se permettre. Ils ont raison de profiter ainsi de leurs privilèges, je m'en satisferais également si je n'étais pas animé de desseins plus grands et j'y reviendrai un jour sans aucun doute. Mais être au sommet de la pyramide écologique n'est pas suffisant pour moi, je ne peux me complaire dans un succès qui n'est mien. Je suis un perfectionniste et éternel insatisfait, je veux battre et soumettre les races inférieures sur leurs propres terrains de jeux que sont: la gestion, l'économie, la politique et la guerre. Je vais prouver à ce monde que la raison pour laquelle les chats n'ont jamais pris un rôle actif sur la scène, n'est aucunement un manque de compétences, mais simplement notre paresse héréditaire et un désintérêt légendaire. Deux particularités dont je suis bien évidemment dépourvu, pour le plus grand dam de votre espèce.

Ah ! Attendez ! Un petit rayon de soleil, laissez-moi quelques minutes... Oh oui... Revenez plutôt dans une petite heure... Que c'est bon...

Ah vous revoilà ! Je viens tout juste de finir de nettoyer mes coussinets ! Quoi ?! On est déjà le surlendemain ?! Et bien... Voyez-vous... Il est difficile d'aller à l'encontre de sa nature et de son instinct, après la sieste je me suis retrouvé à prendre en chasse un colibri, puis j'ai...

Non, mais ! Je n'ai pas à me justifier ! Reprenons !

J'ai grandi à Marie-joie, au palais des Dragons Célèstes, dans la maison Albenas. Nous sommes une famille nombreuse et notre arrivée au sein du palais remonte à plusieurs générations. Mes arrière-grands-parents furent "adoptés", je n'aime pas du tout ce terme humain, surtout que c'est nous qui vous choisissons, mais bon, passons. Ils furent "accueillis" par Elizabeth Elanore Ludmilla, une vieille sénile aujourd'hui, que nous surnommons bête ou beth, en chat comme en humain ça se prononce pareil.

Tout ce que je sais aujourd'hui, je l'ai appris de son fils, Rodrick, il déteste les chats normalement, surtout dans son bureau, mais rien n'est impossible pour moi. Je suis le seul qui est le droit d'entrer dans sa bibliothèque ou son étude et même parfois d'être présent lors de ses réunions. Je pense qu'il se doute de quelque chose, je le vois m'observer du coin de l'œil, les sourcils froncés et le regard attentif, la plupart du temps lorsqu'une question importante est soulevée, comme s'il s'attendait à ce que je réponde ou donne mon avis.

Heureusement, je suis plus malin que lui et je sais très bien jouer la comédie. Un bâillement à m'en décrocher les mâchoires ou un léchage de babines et le tour est joué, retour à la case de chat lambda badaud. Je ne lis ses livres et feuillette ses ouvrages que lorsqu'il est en déplacement. J'imagine que très peu de personnes connaissent l'état du monde et son histoire aussi bien que moi, bien qu'il ne s'agisse que de théorie. J'ai les noms de ces illustres personnages en tête, de ces centaines d’îles et territoires, mais je n'ai pas d'autres images à mettre dessus que des dessins réalisés par ceux qu'on appelle "dessinateur-cartographe", une véritable honte. Je dessinais mieux que ces misérables alors que je tétais encore le troisième mamelon gauche, sur un plan sagittal, en partant de la patte arrière droite de ma mère.

C'est aussi une des raisons qui m'a poussé à quitter mon palais, il m'a fallu un peu moins d'une année humaine pour lire tout ce qui s'y trouvait et commencer à tourner en rond. Le temps ne s'écoule pas de la même manière pour nous et comme je l'ai dit plus haut, vous comprendre est d'une simplicité enfantine. Mon plan est prêt, je suis armé de la connaissance, l'arme la plus puissante qui puisse exister. Il est temps pour moi de partir, d'entamer ma quête, que dis-je ! Ma conquête !

Où ça ? Là où toutes les aventures dignes de ce nom commencent ! Sur les Blues !

Mais avant je vais m'occuper de ces quelques mouches qui grésillent à la fenêtre, ça me démange beaucoup trop. Et peut-être manger un petit morceau aussi, je sens d'ici l'odeur des cuisines, du saumon teriyaki sans aucun doute !