Kikai no Shima, un endroit réputé dans tout Grand Line. Forte de son immense capacité hôtelière et de taxes avantageuses concernant le jeu, l’endroit était devenu avec le temps l’une des capitales mondiales du faste et de la démesure. L’on disait qu’on trouvait plus d’hôtels et de casinos que d’immeubles d’habitation sur place. Lors des pics d’affluence, la population elle-même était deux fois nombreuse que les touristes. De telles extravagances étaient bien loin du cadre modeste que proposait Tanuki. Rien qu’à observer au loin les lumières de la ville, ses immenses immeubles et son arène géante, Ambrosias avait le vertige. Cet endroit n’était pas fait pour elle, c’était une évidence, et elle espérait ne pas devoir s’y attarder trop longtemps.
La raison de sa présence était somme toute assez simple. Une semaine auparavant, les Broyeurs avaient pris en chasse un équipage pirate ayant cambriolé un musé réputé du Royaume de Drum. Après avoir fait pression sur leur chef, le Commodore Epinondas était parvenu à lui tirer les vers du nez en étant fidèle à sa réputation. Les mains couvertes de sang, il était revenu vers les siens tandis que son prisonnier vivait ses derniers instants. L’officier avait appris que les forbans comptaient se rendre sur Kikai no Shima pour y vendre leurs biens à un receleur connu sous le nom de Shiro. À en croire le commodore, l’homme en question n’était visiblement pas très célèbre, mais le fait qu’il se cache aussi aisément sur une île sensée être sous le contrôle du Gouvernement Mondial ne lui plaisait pas. N’ayant aucune envie de se frotter à l'administration locale, le Colonel Pancho Shima étant réputé pour être un officier compliqué, Miltiades décida de confier la tâcher à sa jeune seconde. N’étant pas en position pour refuser, la lieutenant-colonel avait accepté volontiers.
L’île étant sous le contrôle de la 149ème division de la Marine régulière, certains quais mieux aménagés et plus sécurisés étaient réservés aux militaires. C’est là que le Béluga alla termina sa manœuvre d’accostage. À sa gauche se trouvait un imposant cuirassé, bien qu’il ne fasse finalement pas tant d’ombre que cela au navire offert quelques temps auparavant à Ambrosias par son être aimé. La puissance de feu du navire produit en série était cependant bien plus grande, ses tourelles étant de véritables engins de mort ambulants. De ce que savait la vétérinaire, il était sous le commandement de la Commodore de Saint Just, une officier compétente qui avait tout le respect d’Epinondas. Par ailleurs, Miltiades lui avait bien stipulé qu’en cas de besoin, elle pourrait aider les hommes du Béluga.
Une fois le pied posé à terre, Ambrosias se rendit bien vite compte qu’en dépit de la splendeur des lieux, une ambiance finalement assez pesante régnait. C’était comme si les bâtiments magnifiquement décorés ou illuminés n’étaient là que pour attirer l’œil et tromper les touristes. Il y avait de l’argent, cela ne faisait aucun doute, mais il était clair également que la marine ne régnait pas en maître. Il n’y avait qu’à voir les fréquentations des quais normalement réservés aux militaires pour comprendre que quelque chose n’allait pas. Se déplaçant avec un cortège restreint de quelques hommes menés par son quartier-maître, elle prit la direction du QG. Ce dernier se trouvait à un peu moins d’un quart d’heure du port. Avançant au travers des rues, la jeune femme y ressentait la même chose que lors de son séjour sur Logue Town, là où elle avait mis la main sur une sale petit voleur ayant essayé de lui piquer son portefeuille. Elle n’aimait pas cette ville où la criminalité semblait cachée mais pourtant omniprésente. Les gardes à l’entrée du QG ne cherchèrent même pas à vérifier l’identité de la troupe et les laissèrent passer sans vraiment s’intéresser à eux. Agacée, Ambrosias se retint de dire quoi que ce soit, elle n’était après tout pas ici chez elle. Se débrouillant seule, elle trouva finalement le bureau du Colonel, mais ce dernier était visiblement un homme occupé. Dans une grande salle, une secrétaire ouvertement lasse devait gérer pas moins d’une vingtaine de civils. La moitié d’entre eux semblaient être des gens aisés, peut-être des patrons de casino, le reste semblaient sortir d’une famille mafieuse.
« Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
- On vous a jamais causé de Kikai no Shima ?
- Pas vraiment, ou très peu en tout cas.
- Cette île est pourrie jusqu’à la moelle. Je ne connais pas l’officier chargé des lieux, mais visiblement il est soit corrompu soit complètement incompétent.
- Espérons que ce ne soit ni l’un ni l’autre... »
En dépit de ses efforts auprès de la secrétaire pour passer devant les civils, Ambrosias n’obtint pas gain de cause. Obligée d’attendre, elle patienta presque une heure avec ses hommes. Quand leur tour arriva finalement, le Colonel haussa un sourcil en voyant la troupe entrer dans son bureau.
« Hum ? C’est quoi ces histoires ? Un à la fois. Betty ! Je vous ai déjà dis pas plus d’une personne à la fois.
- Nous sommes envoyés par le Commodore Epinondas.
- Ah, oui, oui, oui, il m’a passé un coup de fil. Oui, oui, bien sûr, le chef des Broyeurs. Bref, la règle c’est la règle, une personne à la fois. Restez lieutenant-colonel, mais vos hommes attendront dehors.
- Comme vous voudrez, Colonel. »
Après qu’elle leur ait fait signe de prendre congé, les quelques hommes du Béluga ici présent ne se firent pas prier. Refermant la porte derrière eux, ils laissèrent Ambrosias seule avec cet étrange officier barbu.
« Vous êtes là pour une histoire de receleur si j’ai bien tout suivi ?
- C’est exact.
- Quelle vilaine histoire. Je puis vous assurer qu’il n’existe à ma connaissance aucun réseau de recel d’œuvres d’arts volées sur Kikai no Shima.
- Le Commodore Epinondas pense le contraire. Nous avons eu l’occasion d’interroger un homme qui comptait vendre le fruit de son larcin ici-même.
- Un pirate ? Pfeu ! Qui de vraiment sérieux leur ferait confiance ?
- Je suis là pour enquêter, Colonel, pas pour discuter les ordres de mon supérieur.
- Certes, oui, je comprends. Écoutez, je peux vous épargner du temps perdu pour rien. Vous ne trouverez rien ici, faites moi confiance.
- Votre sollicitude me touche, mais si vous n’y voyez pas d’objection, je vais malgré tout mener mon enquête.
- Hum... Non. Pas d’objections, faites, mais ne traînez pas. Je vous laisse trois jours.
- Trois jours ? Sauf votre respect Colonel je...
- Sauf mon respect ? Trois jours ! Vous êtes ici sur une île sous MA juridiction, pas celle du Commodore Epinondas. Il n’y a de toute façon rien à trouver, vous perdez votre temps. Rompez, lieutenant-colonel.
- À vos ordres. »
Serrant la mâchoire avec agacement, la jeune femme se garda bien de dire quoi que ce soit. Professionnelle, elle garda le silence jusqu’à ressortir du QG en compagnie de ses hommes. Dans les rues de la ville, elle tenta d’allumer con cigare mais échoua plusieurs fois tant elle était énervée avant de le jeter par terre.
« Alors ? Première case je suppose ?
- Quoi ?
- Corrompu ou incompétent ?
- Certainement les deux.
- Mouais, le contraire m’aurait franchement étonné. On fait quoi du coup ?
- On suit les ordres. Nous avons trois jours pour trouver notre cible.
- Trois jours ? Eh beh, va pas falloir chômer vu la taille de l’île. »
Ambrosias savait que le sergent-chef Paracchini disait vrai. Le temps donné aux hommes du Béluga était tout bonnement ridicule. Pur mener une enquête sérieuse, il lui faudrait au moins une semaine, si pas deux. Elle avait vraiment l’impression que l’homme se moquait d’elle. En lui donnant un délai si court, c’était comme s’il cherchait volontairement à la voir échouer. Pourquoi était-il sûr de lui en affirmant qu’il n’y avait aucun receleur sur l’île ? Cela n’avait aucun sens. Revenant sur le Béluga, elle réunit ses officiers et leur expliqua la situation. Tandis qu’elle restait dans son bureau pour réfléchir, la moitié de son équipage se scinda en plusieurs groupes sous la direction de ses lieutenants pour commencer à mener l’enquête en ville, mais elle n’était pas très confiante. Ils cherchaient littéralement une aiguille dans une botte de foin. Tard dans la soirée, un peu avant minuit, aucune piste concluante ou sérieuse n’avait été trouvée. Perdant progressivement son sang-froid, elle frappa plusieurs fois du poing sur le bureau en contenant avec peine un hurlement de rage. Pourquoi cet idiot de colonel ne les laissait pas faire leur travail ? Fallait-il réellement croire qu'il était corrompu jusqu'à la moelle ? La jeune femme avait bien du mal à admettre qu'un homme si haut placé dans la marine puisse de compromettre de la sorte. Bien naïve, elle en oubliait l'officier voleur d’œuvres d'arts de Goa. Si son sens aigu de la justice était admirable, tous ne pouvaient pas en dire autant, et cette information avait bien du mal à passer chez elle.
Après avoir longuement rongé son frein, la lieutenant-colonel se rappela les conseils de son supérieur. Si Pancho Shima refusait de réellement l'aider, peut-être que la commodore de Saint Just serait plus utile. Quittant son navire à la hâte, elle se rendit à celui de ladite officière qui ne se trouvait qu'à quelques mètres du Béluga. Prenant le temps de s'annoncer auprès des factionnaires, on ne tarda pas à la faire monter à bord. La capitaine était dans ses quartiers et accepta de recevoir Ambrosias. Pénétrant dans son bureau, elle la trouva attablée, le nez dans une pile impressionnante de documents en tous genres.
« Bonsoir, Commodore.
- Bonsoir. Lieutenant-colonel Ambrosias, vous êtes sous les ordres du Commodore Epinondas, c'est bien cela ?
- Tout à fait.
- Je vois. Que puis-je pour vous ?
- J'ai été envoyée pour trouver et capturer un homme connu sous le nom de Shiro.
- Le receleur ?
- Je... Oui, c'est exact. Comment savez-vous cela ?
- Il est nouveau dans le coin, mais il fait déjà beaucoup parler de lui, et je sais écouter les rumeurs de la rue.
- Je ne comprends pas, le Colonel Shima m'a pourtant dit que nous faisions fausse route.
- Quoi de plus normal ? Pancho est un incapable et un officieux véreux. Je suis prête à parier qu'il a déjà été payé par Shiro pour garder le silence.
- Ce sont là de graves accusations, Commodore...
- Graves oui, mais fondées j'en ai bien peur.
- Si vous dites vrai, pourquoi est-il encore en poste ?
- Parce qu'il est doué pour dissimuler ses fautes. Cela fait des mois que je me bats autant contre que la pègre locale que contre les affres de sa corruption. J'ai beau chercher, je n'ai pour le moment rien trouvé pour le faire tomber, mais ça viendra. Il ne perd rien pour attendre.
- Bon sang, si je m'écoutais...
- Je sais, moi aussi, mais nous ne pouvons nous abaisser à cela, ce ne serait pas digne de la Justice que nous défendons.
- Vous avez raison.
- Je vais vous aider.
- Vraiment ?
- Oui. Ne sautez pas au plafond pour autant. Je ne sais pas grand chose sur l'homme que vous cherchez. Je ne sais même pas s'il s'agit vraiment d'un homme ou une femme, mais je partagerai mes informations avec vous.
- Merci, merci infiniment.
- En sortant, allez voir mon second, le commandant Greenwood, il vous dira ce que vous avez besoin de savoir.
- Merci encore, Commodore.
- C'est naturel, et puis j'ai une dette envers votre supérieur.
- Bonne soirée à vous.
- De même. »
La conversation à peine terminé, Saint Just replongea dans les dossiers qui lui faisaient face, ne prêtant plus la moindre attention à son interlocutrice. Comme convenu, Ambrosias alla questionner son second. Elle apprit que Shiro était connu pour évoluer dans des milieux relativement aisés et qu'il vendait des œuvres toujours plus précieuses et surtout onéreuses. Nul ne savait où le trouver, mais les hommes de la commodore avait mis la main quelques temps auparavant sur un de ses sbires qu'ils avaient relâchés faute de preuves suffisantes. Ils avaient essayé de le questionner, mais sans grand succès. Ambrosias comptait réitérer l'expérience, mais en se montrant bien plus convaincante.
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