Le contraste. C’est le truc que j’ai toujours trouvé le plus marquant sur Shabondy. Ce bout de mangrove c’est plus qu’une ile, c’est une carte du Monde a taille humaine. Ou arrivent à se mélanger presque sans se marcher dessus des zones de non droits pleine de pirates et des zones civiles pleines de marchands et de marines. Shabondy c’est toute la quintessence du GM avec ses hypocrisies révélées au grand jour sans que ça ne choque personne. Des pirates dans le coin ? Bien sûr, mais attention, ils sont de l’autre coté de ce cours d’eau, alors tout est normal. Acheter des esclaves ? Bien sur que c’est possible, juste ici. C’est interdit par le GM ? Oui bien sûr, la traite d’être humain c’est horrible, mais vous comprenez, c’est une particularité locale, ici c’est permis par les dragons célestes, alors évidemment c’est différent…
Je crois que je déteste ce trou marécageux.
Sans surprise, le quai des embrumes se trouve à l’exact opposé des zones luxueuses de ventes d’esclaves destinés aux gens de la haute de Marijoa venu chercher un peu de frisson dans le bas monde. Dans un groove ou même la végétation fait la gueule, ou les arbres sont marrons plutôt que verts, et ou les bulles ne font qu’éclore a la surface en lâchant des bruits de pet nauséabond, le quai ne porte plus que les ruines d’une ancienne activité florissante. Jadis on a construit ou réparé des navires dans le coin, surement enrobé les premiers navires qui ont plongés vers l’ile des hommes poissons, mais il n’y a plus ici que des taudis squattés par la lie de la faune locale.
Mais bon. Maintenant qu’on est là…
D’un trou pourri à l’autre, on finit par nous dénicher ce qu’on est venu chercher ici, un type qui enrobe les bateaux dont les syndicat ne veulent pas. Dans un abri a bateau usé mais entretenu, et où sont bien entreposés des brassés de ces pinceaux géant qui sont les outils du métier, nous tombons sur un homme poisson dont la gueule et l’âge suffisent largement à expliquer pourquoi il a fini par atterrir ici...
- Alors l’ancêtre ? Tu bosses encore ?- Je travaillerais encore si les syndicats nous laissait des clients. Qu’est ce que vous me voulez ?
- Et ben justement, on est clients. On a un enrobage à faire.
- Hum…
- Je croyais que la question c’était « quel taille fait votre navire »
- Ici on demande plutôt pourquoi les syndicats d’enrobeur n’ont pas pris votre commande.
- Il parait que c’est trop gros pour eux.
- Trop gros ?
- D’après eux, le temps d’enrober toute la coque la résine appliquée au départ serait déjà foutue…
- Hum. Quelle taille fait votre navire ?
- A peu près comme le groove…
- Ah… C’est un très gros navire. Effectivement, on ne peut rien faire, vraiment désolé.
Délaissant l’homme poisson, nous tenons un conciliabule rapide dans un coin du hangar.
- C’est la merde. Je vois pas comment on va pouvoir faire. On peut pas démonter, on vient de le reconstruire.
- D’après mes calculs nous pourrions envisager une version alternative avec des bulles multiples plutôt qu’une seule grosse bulle de la taille de la coque. Thriller Bark n’est pas une coque classique, en nous contentant d’englober le château et les infrastructures, je pense que nous pourrions obtenir une mise en œuvre possible.
- C’est plutôt malin.
- Plutôt Marvin oui…
- Néanmoins, cela rendra le trajet sous marin beaucoup plus risqué, avec des risques accrues de disloquer la structure qui se retrouverait tiraillé entre les différentes bulles..
- Grand père ! On peut le faire avec mes pisto pinceaux !
- Tais toi. Laisse les clients tranquille.
- Mais je suis sur qu’on peut le faire !
L’irruption cavalière dans la discussion est celle d’une jeune fille poisson, en tenue de mécano, et qui vient de se planter à coté du vieux pour le pousser du coude pendant qu’il essaye sans succès de la faire disparaitre a nouveau dans le décor.
- Vous pouvez le faire avec quoi ?
- Avec rien. C’est trop gros, impossible.
- On peut le faire avec mes pistos pinceaux !
- Un seul à la fois, merci. La demoiselle à la parole.
- La demoiselle n’est pas une enrobeuse ! C’est mon chantier !
- Il est mort ton chantier Grand père ! On a plus un seul client depuis que les syndicats nous ont mis sur la liste noire !
- Ce n’est que passager !
- Ce n’est pas passager du tout ! Ouvre les yeux enfin ! On a même plus de quoi entretenir les outils ! Regarde !
Saisissant un des pinceaux, la môme en attrape le crin géant et le tord, le brisant net comme une poignée de branches séchées là où il devrait être souple et soyeux…
Un coup vache pour le vieux poisson.
- Reprenons, vous aviez dit que vous pouviez le faire. Vous êtes qui ? Et comment vous pouvez ?
- Je m’appelle Alienor. Et j’ai mis au point une méthode d’enrobement révolutionnaire !
- Vraiment ? Et qui marche ?
- Alors… En théorie oui…
- Ces gens sont dangereux Alienor. Il ne faut pas leur mentir… Ne l’écoutez pas messieurs, s’il vous plait, je suis désolé qu’elle vous ait importuné…
- En théorie Aliénor ? Continue…
- Ne bougez pas, je vous montre.
Ignorant la désapprobation qui suinte du regard de Papy, la miss part farfouiller dans un coin du hangar, et en revient avec un tonneau équipé d’un dispositif complexe, tuyaux, pompes, manomètre…
- J’ai appelé ça un pisto pinceau. Regardez, on met la résine dans le tonneau. Grace au dispositif de compression et à un solvant de mon invention, on peut la comprimer pour en rentrer beaucoup plus. Le tonneau fait deux cent litres, mais on peut en fait en rentrer cinq fois plus !
- Et ensuite ça explose ?
- Non. Enfin, normalement non. Ensuite, on utilise ceci !
Au bout d’un tuyau qui sort du tonneau, la môme attrape ce qui ressemble effectivement à un pistolet, un de ces modèles en bec de canard qu’adorent les navires esclavagistes, ou tous ceux qui prévoient d’être confrontés a des ennemis beaucoup plus nombreux.
- Quand on appuie sur la gâchette, la résine est projetée en éventail par le canon. Ça permet d’enrober une zone bien plus grande que par le pinceau, et de recouvrir tout un navire sans jamais s’arrêter ! D’après mes calculs, on pourrait aller dix fois plus vite qu’avec un pinceau traditionnel !
- Si le tonneau n’explose pas, ou le canon, comme c’est arrivé jusqu’ici…
- C’est parce que je n’ai pas assez d’argent pour acheter de vrais matériaux !
- Marvin ? T’en penses quoi ?
Le cyborg se penche sur l’appareil que la fille poisson lui abandonne a regret, et commence à en examiner méthodiquement les différents composants. L’étude dure quelques longues minutes, au bout desquels Marvin repose le tout avant de hocher la tête.
- Le principe de l’appareil est valide. Mais en l’état il est plus dangereux que fonctionnel.
- Et il marcherait comme elle le prétend ?
- Il faudrait que j’étudie le solvant dont elle parle. Mais en théorie c’est possible.
- Ne l’encouragez pas ! L’enrobage se fait au pinceau !
- Ouais il parait. Mais il parait aussi que sur mon navire ça ne passe pas. Alors désolé pour la tradition, mais on va jouer la carte moderne. Gamine ? Fais nous une liste de ce qu’il te faut pour fabriquer un de tes bidules.
- Pisto pinceau.
- C’est ça ouais. Marvin va rester avec toi le temps de piger la méthode…
- Mais ce sont mes pistos pinceaux ! Je ne les vend pas !
- Je me doute, et de toute façon je n’en ai pas l’usage. Mais tu vois, j’ai pas l’impression que tu ais les installations ici pour en fabriquer plusieurs, alors que moi je les ai. Alors, si tu penses que tu peux enrober mon navire, il va falloir qu’on se répartisse le boulot. Marvin peut s’occuper de faire fabriquer un certain nombre de tes bidules. De ton coté tu vas devoir réunir réserver un stock de résine suffisant pour qu’on puisse lancer le chantier, et trouver des gens pour le gérer. Je suppose que Papy doit avoir encore quelques contacts s’il arrête de bouder ?
- Papy ?
- Humpf…
- Il a dit d’accord ! Mais… Les syndicats risquent de ne pas vouloir nous laisser acheter autant de résine. Et puis… Nous n’avons pas les fonds pour ça.
- Baker ?
- Patron ?
- Tu vas rester ici et aider la demoiselle a gérer le relationnel avec les syndicats et les achats. Sois souple, mais pas trop.
- Souple, mais pas trop. Ça marche patron, je vais gérer.
- Pour ce qui est des fonds, payer la résine et le chantier ne sera pas un problème. Mais si tes plans fonctionnent je vous laisserai avec un outillage sacrément fonctionnel…
- Si ça marche et qu’on décroche des contrats, on vous remboursera les frais du chantier !
- Hum… Je préfèrerais qu’on considère ma participation à votre remise à flot comme un…. Investissement.
- Vous voulez devenir actionnaire du chantier ?!
- Je ne sais pas quand j’aurais a nouveau besoin de revêtement. Mais c’est quelque chose qui risque d’arriver. Je me dis que ce jour la j’aimerais bien bénéficier des services les plus rapides…
- Je vous promet que ça va marcher !
- On verra bien.
Deux jours plus tard, je quitte shabondy allégé de Baker et d’un gros tas de pognon, mais plus lourd d’un prototype de pisto pinceaux que je vais m’empresser de faire dupliquer par les gars d’Armada.