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Le château ambulant

« Vous avez tout compris, Rosier ? » répétait la voix de l’agent Dew depuis l’escargophone qui trônait, seul, sur une table de sa cabine.

- Oui, Dew darling, répondit l’intéressé d’un ton sarcastique, j’avais même compris quand on m’a donné l’ordre de mission à Mariejoie. Avouez que vous avez juste appelé pour entendre ma voix. Je vous manque depuis notre interrogatoire hm ?

La bouche à grosses lèvres du Den Den Mushi tremblota légèrement, laissant échapper plusieurs balbutiements à peine audibles. L’agent Dew était manifestement gêné, toujours pas habitué aux avances de la nouvelle recrue du Cipher Pol. Rosier émit un petit ricanement cristallin en pensant à son collègue, à l’autre bout du fil, en train de se décomposer. Le jeune homme se servit de l’eau d’une carafe dans laquelle baignaient des morceaux de concombres ainsi que des feuilles de menthe. Depuis l’escargophone, Devin Dew s’éclaircissait la gorge et reprit tandis que Rosier but une première gorgée désaltérante.

« Vous avez les plans ? » demanda Dew sans répondre à la taquinerie de son homologue.

- Qu’est-ce que ça peut faire ? soupira Rosier en posant ses deux pieds sur une chaise adjacente. C’est pas moi qui vais construire ce foutu truc.

« C’est vous qui devez superviser la construction, c’est votre rôle, pas les matelots ! »

- Alors il sert à quoi le vice-amiral ? C’est ptet’ pas un peu beaucoup d’ailleurs de me l’avoir collé dans les pattes ?

« Du tout. Il est là pour vous surveiller, Milady. Et… »

- Vous devenez impertinent, Dew darling. Vous savez pertinemment que Milady n’a rien à voler ni à humilier sur cet endroit vide, coupa subitement Rosier en se redressant sur son fauteuil, posant brutalement son verre à côté de l’escargophone qui ne manqua pas de sursauter.

« … et s’assurer de la bonne tenue de la mission. L’île est, comme vous l’avez bien souligné, inoccupée par une quelconque faction, ce qui en fait un point de convergence pour tous. Nous devons nous assurer de notre bonne implantation sans que personne ne soit au courant. Ce qui veut dire que- »

- Ok Dew, je raccroche, byyyye ! ♪

Katcha !

L’agent Del’Mar reposa promptement le combiné du denden sur son socle, mettant alors fin à l’appel. La conversation l’avait quelque peu ennuyée, il savait ce qu’il devait faire et ne faisait que s’amuser avec son collègue. Le Gouvernement Mondial tenait absolument à ce que la mission qu’on lui avait confiée soit la plus réussie possible ; et cela se ressentait quand on voyait qu’ils avaient dépêchés le vice-amiral Fenyang pour l’accomplir. Les voiles du navire, habituellement floquées aux armoiries de la Marine, avaient été troquées pour de simples voiles blanches. Les uniformes des soldats et matelots avaient été remplacés par des tenues sobres de boucaniers explorateurs. Et le drapeau qui flottait en haut du haut mât représentait, étrangement, un grand visage rond et jaune avec des yeux enjoués ainsi qu’un sourire allègre. Tout devait être fait dans la plus parfaite discrétion pour que personne ne soit au courant que le plan émanait des instances du Cipher Pol. L’idée était simple ; Longring Longland était depuis toujours une zone de non droit qui n’appartenait à personne. Le Gouvernement Mondial voulait que cela reste le cas, mais les services secrets tenaient à y implanter une antenne d’espionnage pour glaner toutes les informations possibles sur les voyageurs de passage, qu’ils soient pirates, révolutionnaires ou simples civils.

D’un soupir lascif, Rosier se leva tout en repoussant ses bésicles noirs sur son nez pointu. Il passa une main gantée de noir dans ses cheveux en bataille avant d’attraper un grand manteau en plumes de corbeau. Le jeune homme n’enfila pas le vêtement et se contenta de le poser sur ses épaules, le laissant flotter derrière lui comme une cape. Ses manches se balançaient de chaque côté de ses épaules. Il réajusta quelque peu sa cravate au nœud piqué d’une broche en forme d’œil, l’iris en aquamarine d’un azur intense perçant quiconque la regardait un peu trop longtemps. Elle appartenait, d’après Rosier, à une Nefertari d’Alabasta qui s’était déplacée pour un voyage de plaisance sur les Blues. La vérité, c’est qu’elle était en réalité la propriété d’une aristocrate alabastienne dont tout le monde se fiche du nom, distante cousine des Nefertari, et que la broche avait été prêtée à une des princesses qui n’en avait pas tenu soin. Malheureusement pour la noble, les doigts de velours de Milady étaient passés par là, au plus grand bonheur de Rosier. Son manteau enfilé, le bel éphèbe attrapa une mallette posée à côté du denden et l’ouvrit. Il posa l’escargophone à l’intérieur, juste à côté du gastéropode de communication, plusieurs plans architecturaux soigneusement pliés. Rosier referma la mallette avant de serrer les lacets de ses bottines à hauts talons puis sortit de sa cabine.

L’air marin le frappa au visage, de même que l’effervescence qui régnait sur le pont. Longring Longland était en vue, tout le monde s’activait en prévision de la descente. Glissant ses yeux sur les matelots en plein travail, Rosier reconnaissait les quelques sbires du Cipher Pol qui, incognito, allaient rester sur l’île pour gérer l’antenne qu’ils s’apprêtaient à bâtir. La construction était audacieuse et allait tirer partie de l’anneau de Longring et de ses fréquentes marées. Le bâtiment promettait d’être un charmant mélange entre l’auberge de voyage et la boutique de ravitaillement. Le tout serait posé sur des fondations qui tenaient plus du navire qu’autre chose, afin que le tout ne se fasse pas emporter par les marées et circule régulièrement entre les différents points de l’anneau. L’antenne serait ambulante, lui conférant un certain cachet qui attirerait n’importe quel navigateur. L’idée de l’auberge espionne était venue à un administrateur qui, parcourant de vieilles archives, était retombé sur les travaux de Baroque Works, ancienne organisation criminelle d’un corsaire renégat, qui possédait un établissement du genre. Le Spider Café, qui subsiste toujours dans le désert alabastien, ayant perdu son éclat d’antan, réunissait les membres de l’organisation pour des réunions secrètes. Le Cipher Pol voulait faire de même, non pas pour s’en servir de base, mais comme vitrine attrayante. Pirates et révolutionnaires y seraient les bienvenues, bien traités et accueillis ; des agneaux dans une bergerie tenue par des loups.

-Ooooh, et voilà le meilleur bonbon de la boîte ! s’écria Rosier en apercevant le vice-amiral Fenyang, étirant sur son visage un sourire inquiétant. Hihihihi… !

Ricanant en laissant apparaître toutes ses dents, Rosier descendit l’escalier séparant sa cabine du pont, tournoyant élégamment pour éviter de bousculer un mousse en train d’attacher une corde autour d’un taquet. Achevant sa pirouette, l’agent gouvernemental porta deux doigts à sa bouche pour souffler un baiser mutin mais, au lieu de le diriger vers le vice-amiral, le laissa partir vers la mer. Une onde de choc souffla un groupe de goélands en plein vol qui, percutés de plein fouet par le baiser, disparurent sous les vagues.

- Bien reposé, deary ? Si non, je suis un excellent masseur, sachez le, huhuhu. Hmm… j’espère que, s’il y a du monde sur l’île, personne ne vous reconnaîtra. Autrement, il va falloir vous grimer un peu.

Rosier marqua une pause, son sourire se faisant plus carnassier cette fois.

- Finalement, j’espère que ça arrivera… ça justifierait que je vous maquille… ! dit-il en riant aux éclats avant d’éclater à voix haute. Allons-y, du nerf, nous avons un château ambulant à construire !

Le château ne serait qu’une auberge mais, dans son imaginaire, il la voulait royale…
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C’est en silence et sans vraiment rien faire, que j’observais mon nouvel interlocuteur se perdre tout seul dans ses délires plus que chelous. Si j’avais rencontré cet énergumène deux ans plus tôt, soit peu avant ma débâcle contre Kiyori, j’aurai surement pété un câble au grand dam de mes soldats. Faut bien avouer que ce genre de types me sortaient par les pores et pas qu’un peu ! Il cristallisait à lui tout seul tout ce que je pouvais fondamentalement détester chez un être humain. Non content de pérorer à tout va comme un véritable adepte de l’Okama Way, son exubérance apparente et son appartenance au Cipher Pol le rendait tout bonnement irrespirable. Pour peu, j’aurai pu lui décoller la tête des épaules d’un simple et bref mouvement d’épée, avant de mettre ce meurtre sur le compte d’un pirate quelconque qui passerait par là. Après tout, personne n’aurait vraiment remis en cause les circonstances de sa mort, d’autant plus que les pontes du gouvernement devaient avoir pas mal d’agents prêts à le remplacer si besoin. La mort d’agents spéciaux devait être monnaie courante. Du reste, qui mettrait en doute la parole d’un vice-amiral prêt à donner de sa personne, en plus d’avoir maintes fois prouvé sa dévotion à la marine et son penchant pour une justice vraie et noble ? Là encore, personne, hormis quelques CP fouineurs, éventuellement. C’est dire à quel point c’était possible… Que je pouvais clairement me laisser aller… Sauf que je balayai rapidement ces pensées de mon esprit avant de soupirer lourdement.

- « C’est une bonne chose de vous savoir motivé comme jamais par cette… Mission. Au moins, je peux être certain qu’on la finira très rapidement. »

Sur cette phrase dont l’intonation trahissait mon mood horriblement blasé, je fouillai dans l’une des poches de ma tunique blanche made in Alabasta, avant de ressortir un paquet de cigarettes et le zippo qui allait avec. Quelques secondes après, j’étais entrain de tirer ma première taffe, les yeux rivés vers un ciel plutôt bien dégagé, avant de me mettre à sourire. Y’avait pas à dire : le tabac avait le don de m’apaiser, même si le revers de la médaille était bel et bien le fait que j’en étais devenu accro. Pour le reste, je me faisais la réflexion que la vieillesse était quelque chose de terrible. Je m’étonnais de voir à quel point j’avais changé et que j’étais devenu maitre de moi-même. A défaut de meurtre, l’ancien moi aurait pu également verser dans la violence et les menaces pour mettre à distance ce foutu agent qui pensait jouer dans la même ligue que moi… Mais voilà que j’étais devenu plus posé, plus calme, plus observateur et moins enclin à me laisser porter par mes émotions. Quelque part, je m’effrayais un peu. A croire que perdre contre Kiyori m’avait aidé à passer un cap. « Je suppose que vous ne fumez pas, donc je ne vous en proposerais pas. » Sur cette phrase, je virai une nouvelle fois mon regard vers le travesti, avant de ranger illico mon paquet de cigarettes dans l’une de mes poches. Et comme il pouvait le voir, j’avais déjà troqué mes vêtements habituels pour un style bien plus traditionnel. Bien plus alabastien quoi…

- « N’ayez crainte pour notre anonymat. Personne n’aura aucun signe ostentatoire qui trahirait notre appartenance. »

Il n’y avait qu’à voir l’accoutrement des autres matelots pour le comprendre : tous étaient vêtus comme de simples civils. Ce choix m’inquiétait un peu, à bien y repenser. Cette décision pourrait donner de mauvaises idées à des pirates qui passeraient par là. Bien sûr, si nous défendre ne serait absolument pas un problème, il n’en demeurait pas moins que des combats ralentiraient le futur chantier et que la perspective n’était absolument pas pour me plaire. J’avais pas que ça à foutre moi... M’improviser baby-sitter pour des Cipher Pol, ça allait deux secondes quoi. « Et pour ma part, avec le retour à la vie, des miracles sont toujours possibles… » Me grimer qu’il disait ? Il devait en rêver, c’est clair. Il devait en baver, même. Après tout, ma gueule avait toujours attiré du monde, hommes comme femmes ; sauf qu’il n’y avait pas moyen de me travestir ou de le laisser me toucher. Il aurait été une meuf avec un gros derche que l’idée ne m’aurait absolument pas gêné, mais pas d’bol pour lui hein… D’ailleurs, pour tuer tous ses espoirs en la matière, je me mis à faire pousser mes cheveux et ma pilosité de façon hasardeuse ; ce qui m’enlaidit plus que de raison, me rendant donc totalement méconnaissable. Là-dessus, un petit rire sec m’échappa avant que je ne hausse mes épaules et que j’annule vite fait les efforts de mon pouvoir. J’étais peut-être pas un acteur de génie, mais après tout, j’avais de quoi faire niveau déguisement.

C’était grâce à ce pouvoir que j’avais même pu infiltrer l’île de Tetsu pendant six mois…

- « J’ose espérer que notre collaboration sera fructueuse… »

Sur cette phrase pleine d’honnêteté, je m’approchai de lui avant de tapoter amicalement l’une de ses épaules. C’est à ce moment précis que notre navire accosta enfin sur les terres d’une des îles les plus ennuyantes de Grand Line, pour ne pas dire insignifiantes, carrément ! L’îlot rallié gagnait tout doucement en visibilité. La marée se retirait lentement, ce qui promettait à l’équipage pas moins de neuf heures de tranquillité pour entamer les travaux. Pour ce faire, plusieurs charpentiers dans les rangs avaient été mobilisé et les hommes s’affairaient déjà à sortir des cales tout le matériel nécessaire pour entamer les constructions. Constructions qui dépendaient d’ailleurs de l’autre zouave là et de quelques-uns de ses compères : « D’ailleurs, puis-je jeter un coup d’œil sur vos plans ? Avez-vous des compétences en ingénierie navale ? » Si on m’avait à peine donné toutes les informations de cette foutue « mission », la configuration de l’île et ses marées régulières ne laissaient place à aucun doute : la construction aurait des assises navales, logiquement. Cependant, vu le phénomène qui me faisait face, j’avais de gros doutes, pour ne pas dire une certaine appréhension sur ce qui allait se passer. Son délire sur le fameux « château ambulant » ne m’avait pas spécialement rassuré. De toute évidence, s’il faisait du n’importe quoi et me faisait perdre mon temps, je n’hésiterai pas à l’abandonner sur place, quitte à me manger des blâmes.
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- Mollo sur les poils vous allez vous enflammer avec votre clope, grinçait doucement Rosier alors que le vice-amiral laissait son pouvoir augmenter sa pilosité faciale. Ah bah super vous ressemblez à un mink maintenant.

Le dignitaire de la Marine tirait une tronche suffisamment équivoque pour que Rosier comprenne qu’il n’avait aucune envie de se retrouver ici ni d’accomplir cette mission. En tant que vice-amiral, Fenyang devait avoir été habitué aux opérations périlleuses et de prime importance ; l’agent secret se doutait qu’il pouvait trouver cette collaboration avec le Cipher Pol comme une putride punition, une corvée qui était indigne de lui. En entrant au sein des services secrets gouvernementaux, Rosier avait été mis au parfum quant à l’inimitié qu’éprouvait la Marine à leur égard. Un coordinateur lui avait dit que de nombreux officiers les haïssaient sans vraiment comprendre la véritable nature de leur travail. Et les agents Dew et Schmidt, qui avaient permis son entrée dans les rangs du CP8, racontaient que certains loups dissidents préféraient blâmes ou punitions qu’une mission partagée avec le Cipher Pol. Le jeune homme craignait que cela soit également le cas pour le vice-amiral qui lui faisait face. Il fit le choix de ne pas répondre aux questions de Fenyang quant aux plans, mais de les lui tendre en glissant sa main dans la mallette, commentant sur autre chose :

- Bien sûr que je fume, mais uniquement des cigares, pas ces p’tites cibiches, fit-il en creusant son rictus chafouin. Je fume des cigarettes que quand je bosse.

En disant cela, Rosier faisait allusion à l’usage de sa persona de Milady et de ses multiples vols en série. Parfois, il était nécessaire pour lui, avant de mettre la main sur un trésor, de jouer les femmes mondaines et participer à de somptueuses réceptions en déguisement. Lors de ces mascarades, sortir un fume-cigarette et battre des cils pour capter une proie à séduire avait moult fois fait son effet. Fenyang ignorait cela, mais peut-être que l’allusion lui donnerait du grain à moudre pour un temps. Rosier avait oublié ses cigares avant de partir ; à défaut de pouvoir fumer, le bel éphèbe ouvrit la mâchoire pour bailler aux corneilles. En fermant la bouche, Rosier s’adossa au bastingage, tournant le dos à l’île vers laquelle ils s’approchaient. Sur le pont, plusieurs matelots avaient le clapet bien fermés sur des bâtons de sucette, certains encore en train de mastiquer le bonbon. L’agent gouvernemental ne put réprimer un léger rire nerveux ; la technique de la sucette pour les fumeurs désirant réduire leur consommation avait été largement popularisé les dernières semaines par le World Economic News Paper. Rosier s’amusait tout seul à imaginer l’équipage refaire leur stock de friandises avant de quitter Mariejoie, prenant soin de prendre plusieurs arômes pour les échanger. Del’Mar en était sûr, la saveur soda devait être celle qui avait le plus de valeur dans leur quartier.

- Notre collaboration sera fructueuse, reprit Rosier en pivotant sa tête vers Fenyang, toujours hirsute. Vous n’avez pas été promu à votre poste en vous comportant comme un enfant et en bâclant votre travail.

Cette fois, Rosier plissa ses yeux pour lancer à Fenyang un regard digne d’un renard. Il referma ses lèvres sur ses dents et étira un sourire à la fois inquiétant et hypnotique. Le jeune homme n’avait pas de maquillage, mais il arborait face à son interlocuteur cet air qui avait, sous fard et perruques, fait vaciller les défenses de la haute société des Blues comme un château de carte : le visage de Milady. Plutôt que de reprendre sa voix narquoise, Rosier changea de ton pour le draper de velours.

- Non non non… Nous ne serons pas ces garnements qui s’écharpent et ne peuvent pas se voir en peinture, pas vrai pudding ? Il est grand temps de lever ces préjugés ri-di-cules qui circulent entre nos deux branches.

Les yeux de Rosier brûlaient d’un éclat aussi intense que la pleine lune derrière ses lunettes teintées, les chaînettes d’or qui tombaient sur ses épaules brillant presque aussi fort. Il quitta le vice-amiral ainsi que le bastingage, laissant derrière lui une subtile fragrance de magnolia et bergamote. Longring Longland était enfin à portée d’amarrage et leur navire laissa mouiller l’ancre tandis que des mousses aidaient leurs aînés à déployer la passerelle de descente. Rosier se dirigeait vers le maître coq qui avait quitté le rouf qui lui servait de cuisine. C’était un homme mince et élancé, aux cheveux plaqués en arrière sur son crâne, au visage et à la carrure osseuse. Sbire du Cipher Pol, il faisait partie de ceux susceptibles de rester à l’antenne une fois construite. L’agent extravagant se pencha vers lui, passant une main sur son col pour le réajuster tout doucement :

- Dois-je prendre le venin de vipère albastienne, au cas où nous devrions mettre en place la manœuvre du « repas amical » ? dit-il simplement à Rosier qui finissait de triturer son col de cuistot.

- Tu es d’humeur joueuse aujourd’hui, mon chou à la crème ! minauda Rosier. Prend le par précaution, mais nous n’empoisonnerons pas de potentiels inconnus comme ça. Il faudra les brosser dans le sens du poil, on aura l’air fin avec des cadavres à planquer ensuite !

La passerelle était enfin déployée. Le coq laissa Rosier, manifestement déçu de ne pouvoir préparer son fameux croquembouche à l’arsenic ni son pavé de varan marin au venin de serpent. Le bel agent se dépêcha de rejoindre Fenyang alors qu’il s’apprêtait à descendre enfin à terre. L’opération allait enfin pouvoir commencer…
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- « Du venin de serpent, rien que ça… »

C’est d’un soupir las que je lançai cette phrase à la gueule de l’excentrique cipher pol qui venait de me rejoindre une nouvelle fois. Si je n’étais absolument pas dégouté de le voir minauder ou comploter dans son coin, c’était bien parce que j’avais fini par m’habituer à ces énergumènes, à force de les côtoyer bien malgré moi. Ils étaient sacrément fatigants et c’était à se demander pourquoi les hautes pontes insistaient toujours autant pour que ces deux entités collaborent aussi ouvertement. Mes relations avec ces gens avaient toujours été très ambiguës d’ailleurs : entre l’amour que j’avais éprouvé pour Shaïness, l’attirance éphémère pour le gros cul de Sweetsong qui m’avait rendu maboule, les ressentiments profonds que je nourrissais envers Pénélope Solète, il fallait avouer que je n’avais pas été bien verni. Que de bonasses qui me l’ont toutes mises à l’envers, heh ! Paie ton karma de queutard invétéré ! Une réflexion fugace qui m’arracha un sourire jaune sur le moment. Du reste, c’était même la première fois que je travaillais avec un homme sorti tout droit de leurs branches obscures. Enfin… Pouvait-on vraiment le considérer comme un homme vu ses manières ? Très bonne question, même si avec lui à mes côtés, je pouvais être serein : aucune chance de succomber à un quelconque désir… Si tant est que j’en avais encore depuis deux ans…

- « Enfin bon… Tâchez de laisser mes hommes en dehors de ça. »

Ce qui était bien pratique avec le haki de l’observation, c’est qu’on pouvait facilement entendre des personnes parler même à des kilomètres à la ronde. Avec ce qui venait de se passer, je n’avais pas eu à employer de grands efforts pour les écouter et j’me tournai même vers le fameux cuistot avec des yeux presque vides, dénués de toute antipathie particulière. Néanmoins, le regard que je lui adressai à l’instant T le fit rapidement sursauter ! Si son petit délire à lui était d’empoisonner des personnes, grand bien lui fasse ! Après tout, chacun d’entre nous avait ses manières d’opérer. Quand bien même j’agissais au nom de la justice, je n’étais pas forcément meilleur à agiter mon sabre pour hacher menu la chair de mes ennemis. Cependant, les marines et moi avions généralement le mérite d’affronter ouvertement nos adversaires ce qui rendait le procédé bien plus noble. Les messes-basses et procédés lâches avaient également leurs avantages, mais on pouvait très clairement questionner leur éthique et pas qu’un peu. Je n’étais plus spécialement opposé à ces façons de faire, pour avoir perdu toute ma naïveté et une partie de ma noblesse face à Kiyori ; mais je ne serai jamais un partisan des méthodes du Cipher Pol. Une chose était de comprendre, une autre d’adhérer. Constat amer qui eut pour effet de m’attrister quelque peu. La vieillesse me rendait trop pragmatique.

- « J’admets à contrecœur que vous avez raison sur un point : nous marcher dessus ne mènerait à rien. Cela étant dit, ne nous méprenons pas : la marine ne s’acoquinera jamais avec le Cipher Pol. Enfin… C’est quelque chose dont vous vous rendrez compte au fil du temps, j’imagine. Par ailleurs, Pudding ? S’il s’agissait de moi, plus de surnom je vous prie. Restons donc professionnels voulez-vous ? Ne m’obligez surtout pas à devenir désagréable… »

Un petit rire de circonstance accompagna mes dires, avant que je ne plaque presque brutalement les plans foireux du cipher pol sur son torse, pour les lui rendre. Foireux, c’était clairement le mot, oui. Mais contre toute attente, je n’eus moi non plus aucun commentaire sur cette structure farfelue qu’il avait élaboré. Je n’avais pas non plus insisté sur ses talents d’ingénieur, supposant aisément qu’il ne devait absolument pas avoir la moindre compétence en la matière. Nous voilà bien, même si j’espérais qu’il avait autre chose qu’un empoisonneur dans son équipe. J’aurai même voulu lui demander son "grade" au Cipher Pol, mais je préférai là encore m’abstenir. Pas comme si ça allait changer grand-chose de toute façon. « La plupart de mes hommes seront sous votre supervision pour la construction de votre… Bref. Je compte sur vous pour ne pas les surmener. Quant à moi, je vais instaurer un périmètre de sécurité et faire ensuite un tour dans les parages pour m’assurer qu’il n’y a personne pour gêner à la construction. » Une manière de me dérober ? Assurément. D’un côté, ça me ferait des vacances, on va pas se mentir. De l’autre, chacun allait tout simplement jouer sa partition. Le futur bâtiment à construire n’appartiendrait pas à la marine. Partant de ce constat, il ne nous incombait pas de la construire nous-même. Juste d’assister à sa bonne mise en œuvre…

Si elle foirait, c’était pas notre problème dans tous les cas. On avait d’autres chats à fouetter.

- « Questions ? Suggestions avant que je m’acquitte de mes missions ? »

Mais ça, c’était avant qu’à l’autre bout du chantier qui se dessinait déjà, un cri strident ne se fasse entendre…
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Les matelots, soldats marines comme agents, s’étaient immédiatement attelés à disposer les fondations de la structure à construire dès l’instant où ils avaient posé les pieds à terre. Cependant, un certain nombre d’entre eux, Rosier compris, ne pouvaient s’empêcher d’observer longuement le moindre animal qui passait dans leur champ de vision. Sur Longring Longland, tous les animaux possédaient une taille impressionnante. Le moindre cheval avait un cou long comme celui d’une girafe, les canards un bec si imposant qu’on aurait pu le confondre avec une barque. Les imagiers pour enfant et les spectacles de papier utilisaient souvent le bestiaire si particulier de cette île pour tant amuser qu’émerveiller. Et l’agent en manteau de plumes comprenait pourquoi. Ils étaient si difformes, exprès pour pouvoir survivre aux marées fréquentes qui inondaient l’île. Même les arbres étaient immenses ; un seul d’entre eux faisait la taille du mât du navire sur lequel ils étaient venus. Au sommet, on ne pouvait les voir, mûrissaient des pommes si étirées qu’on aurait dit des courges. Certains soldats avaient entrepris de couper plusieurs arbres pour économiser leur matériel, une initiative saluée par tous tant les troncs de ces arbres étaient massifs.

Au milieu de ce petit monde, le maître coq à qui Rosier avait parlé avait installé son poste pour cuisiner, touillant ses ingrédients dans plusieurs marmites chauffées par de simples dials. Un agréable fumet de ragoût commençait à se répandre autour de lui, donnant l’eau à la bouche de tous ceux qui passaient à porter. Près de lui, Rosier se tenait avec les plans de construction aux côtés d’un marine à l’uniforme si repassée qu’elle ne possédait pas le moindre pli. Autour de ses poignets, il avait passé plusieurs eternal poses qui indiquaient diverses destinations, dont Mariejoie, et tenait entre ses mains un registre sur lequel il avait noté ça et là sur les pages, sans respecter une quelconque structure en suivant les lignes. Il était navigateur et océanologue émérite, produit virtuose du pensionnat Santa Maria de Bliss. Mais, malgré qu’il fut bien jeune, presque cinq ans de moins que Rosier, il en paraissait bien facilement le double. La théorie et les études étaient une chose, mais la pratique, sur Grand Line qui plus est, en fut pour lui une autre. Et devoir manœuvrer des navires de l’armée gouvernementale sur une mer incertaine et sauvage avait eu raison de ses nerfs, creusant de nombreuses rides sur sa figure. Ce dernier étudiait son manuscrit tout en tournant fréquemment sa tête vers la côte pour regarder la mer, s’inquiétant parfois du vent.

- Nous devrions avoir une bonne brochette d’heures avant que la prochaine marée ne survienne, conclu-t-il alors qu’il continuait ses calculs.

- Hm hm, répondit Rosier en écoutant d’une oreille. Le gros des fondations devrait être achevé d’ici là, tout le monde pourra s’y mettre, continuer de travailler.

- Il faudra juste faire attention à ce que les taupes qui vivent dans les souterrains ne viennent pas ruiner nos efforts et…

- C’est pour ça que le vice-amiral Fenyang est allé installer un périmètre de sécurité, coupa Rosier en soupirant lascivement.

Rosier aurait donné cher pour être à la place de l’officier plutôt que de devoir superviser ces travaux. La tâche était d’un ennui colossal, bien loin de ce qui lui provoquait excitation et adrénaline lorsqu’il devait voler des richesses. Ici, Milady n’avait aucune raison d’être, mais il fallait bien parfois faire de basses besognes. Le Cipher Pol lui donnerait bien de meilleurs grains à moudre plus tard. Après tout, ils l’avaient bien recruté pour ça. Aux côtés de Rosier et du navigateur, le cuisinier se mit à tourner un moulin à épices bien bruyant pour faire tomber quelques copeaux de fines herbes dans ses mixtures. Mêlée à l’odeur du mijoté s’ajoutait celle de morceaux de poisson gras qui avait été pêchés pendant leur traversée, à quelques heures à peine de leur arrivée. Parfois, le coq s’arrêtait pour dévisager avec attention un des animaux de Longland qui passait, s’imaginant avec intérêt quelles recettes il allait pouvoir tester. Avant d’être un agent du Cipher Pol, l’homme était avant tout un cuisinier dans l’âme, et le naturel revenait vite au galop. Il était doué, un peu froid, mais très doué. Rosier allait s’apprêter à le taquiner lorsqu’une voix aïgue l’arrêta net :

- C’quoi tout vot’ brol ici ?

De concert, Rosier, le cuisinier et le navigateur firent volte-face. Devant eux se tenaient ce qui ressemblait à une fillette. Elle possédait des couettes noires tressées qui retombaient de chaque côté de son visage poupin. Mais ce qui frappait le plus chez elle, ce n’était pas la culotte bouffante qui arrondissait sa tunique autour de sa taille, ce n’était pas le jaune de ses yeux en amande. C’était son long cou qui portait sa tête si haute qu’elle arrivait à la taille des trois hommes qui se tenaient devant elle. Le navigateur fut si choqué qu’il en lâcha son livre tandis que le maître-coq saisit un de ses couteaux, prêt à s’en servir. Cette enfant à long cou, sans doute une serpentine, avait dû se trouver dans la même zone qu’eux lorsqu’ils avaient débarqué.

- Nous sommes des explorateurs, sweetie, lui répondit Rosier en croissant les bras sous le manteau de plumes qui lui servait de cape. Nous savons au sujet des marées de cette île, nous construisons juste une petite plateforme pour ne pas avoir de problème, vois-tu ? Et toi, d’où tu viens ?

- D’là dessous, dit-elle en montrant le sol.

Rosier pinça les lèvres, elle ne devait pas être seule. Il pivota sa tête vers le cuisinier et lui fit signe d’aller chercher Fenyang. Ce dernier planta son couteau dans une planche à découper avant de s’exécuter, prenant soin avant de partir de bien plier son tablier…
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- « Mais alors, pourquoi c’lui là, il a un insigne du gouvern'ment sur sa poche ?! »

La serpentine pointa alors d’un doigt inquisiteur la chemise qu’un gouvernemental (ou Cipher Pol ?) arborait. Était-ce un oubli ? Une négligence d’un membre du gouvernement qui pensait que personne ne reconnaitrait l’insigne ? Va savoir ! Toujours est-il que « l’erreur » était de taille et qu’elle arracha un sourire presque inquiétant à la gamine qui faisait face à l’Okama et qui avait même plissé ses yeux en regardant son vis-à-vis d’un air malicieux. Cette expression qui donnerait presque la chair de poule à n’importe quelle autre personne. D’ailleurs, quelques agents et soldats s’étaient arrêtées de travailler pour observer ce qui se passait et voir comment le Cipher Pol en herbe allait se démerder, surtout e l’absence du vice-amiral clairement occupé ailleurs. Sans attendre forcément de réponse, la gamine se mit à ricaner comme une démente, si bien que c’était à se demander si elle avait toute sa tête. Et puis surtout, était-ce vraiment une gamine malgré sa taille et sa bouille d’enfant ? Après tout, rien n’indiquait que certains serpentins ne puissent pas être atteint d’une forme de nanisme. A moins qu’elle ne soit elle-même le produit de l’union entre un serpentin et une naine, vice-versa ? Les surprises étaient monnaie courante sur Grand Line et toute supposition était plus que probable, in fine…

Mais alors qu’on pourrait penser que la jeune femme serait une probable menace (et la seule sur le moment), surgirent brusquement de sous terre une multitude de taupes, comme s’il fallait s’y attendre ! Difformes et horriblement laids avec leur peaux qui donnaient juste envie de vomir, ces monstruosités faisaient quand même deux bons mètres et semblaient être aptes au combat, vu les postures de combat qu’ils adoptèrent aussitôt. Rosier, pour sa part était entouré de pas moins de trois bestioles prêtes à surgir sur lui et à le déchiqueter dans tous les sens. Quant au chantier, il était tout simplement proie au chaos. Des hurlements fusèrent de toutes parts et des détonations se faisaient même déjà entendre çà et là, preuve que des combats avaient déjà commencé ! Toutefois, l’équipage s’était déjà préparé à cette éventualité et j’avais donné des préconisations à mes hommes qui n’étaient en rien intimidés ou désarçonnés par ce qui leur tombait au coin de la gueule. On avait déjà vécu pire, après tout ! D’ailleurs, les miens ne se souciaient pas spécialement des agents du gouvernement, étant déjà bien occupés avec leurs adversaires du jour. Rosier et les siens n’avaient plus qu’à se démerder comme ils le pouvaient. Dans ce genre de missions, c’était généralement chacun pour sa gueule en dépit des ordres de missions donnés…

Après tout, qui tirerait quelconque gloire à défendre ces fumiers du gouvernement ?

La fracture entre les factions était bien plus profonde que ne le pensait l’agent encore en formation.

Une formation, c’était d’ailleurs le mot juste pour bien décrire ce qu’il vivait pleinement à présent.

***

- « Vice-ami- »

Le cuistot n’eut même pas fini de l’ouvrir qu’il pouvait constater autour de moi une multitude de cadavres de taupes. Sans manquer, je m’en étais débarrassé d’un coup de lame et je m’étais même permis le luxe de m’asseoir tranquillement sur le cadavre de l’un d’entre eux. A la fois dégouté et impressionnant, le cuisto réprima une grimace insatisfaite, avant de lever les yeux vers moi pour reprendre parole. Mais à peine avait-il ouvert la bouche que j’avais levé l’une de mes paluches pour le sommer de se taire et d’attendre, non sans ajouter d’un air amusé : « Pause clope, mon vieux. J’sais déjà que ton énergumène est déjà bien entouré. Ça coule même de source. Mais la pause clope, c’est sacré, tu vois… » Un sourire goguenard étira mes lèvres alors que je recrachai un peu de fumée. Manifestement, j’étais pas disposé à aider l’autre zigoto qui n’avait qu’à se démerder comme un grand garçon ! Cette fois-ci, le cuistot était vert de rage, les poings serrés, mais que pouvait-il dire d’autre ? Lui sentait qu’à la moindre erreur, il pouvait finir comme les cadavres de ces animaux répugnants qui infestaient l’île. Il grinça des dents, fulmina presque sur place, mais finit par disparaitre de ma vue sous un soru plutôt bien exécuté, désireux de rejoindre son chef (ou son collègue ?) le plus rapidement possible. Quelle fidélité, quand même !

Pour peu, j’aurai même eu des larmes aux yeux, heh…

Mais finalement, seul un rire moqueur m’échappa. Avec les CP, j’étais définitivement de mauvaise foi, faut croire.
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