Un type au visage ridé et à qui il manquait un doigt à la main gauche grattait les cordes de sa guitare sur un rythme qu’il était peut-être le seul à comprendre. De toute façon il n’y avait personne pour l’écouter dans ce sinistre bistrot, à part quelques ombres isolées et les habituels piliers de comptoir qui ne décollaient pas les yeux du sol crasseux. La peau du musicien était sombre, presque cuivrée, comme l’armure d’un soldat antique. Contrairement aux mobiliers et à la clientèle, couverts de poussière et délavés par la fumée de mauvaises cigarettes, il irradiait de tout son être une lumière étrange qui trouvait sa source dans ses iris dorés. Skrik ne pouvait en détacher son regard, jusqu’à oublier la raison même de sa présence dans ce taudis et ce n’est pas la bière éventée qu’on y servait qui le détournerait de sa fascination. Deux autres hommes rejoignirent la minuscule scène, l’un avec une trompette et l’autre avec un instrument que Skrik n’avait jamais vu et qui ressemblait à une guitare aussi haute que lui. Les premières notes ne changèrent rien à l’ambiance de la salle, mais quelques pieds s’étaient machinalement mis à taper au sol. Puis, progressivement, les trois musiciens se métamorphosèrent. Une énergie incroyable, que Skrik n’avait vu que sur le ring d’un match de boxe, émanait de la scène où les trois hommes semblaient jouer et se battre tout à la fois. Les soûlards relevèrent la tête, hébétés et les silhouettes anonymes gonflèrent, gagnèrent en substance jusqu’à redevenir des hommes grâce à la puissance de la musique.
Trois jours plus tôt, le Quartier Général du Cipher Pole avait été averti d’une potentielle menace visant la dynastie royale de Al-Jawhara. Malgré leur rôle purement symbolique, l’assassinat d’un membre de la famille royale sous le protectorat du Gouvernement Mondial risquerait de fragiliser les liens avec un peuple encore très attaché à ses traditions. Pire encore, cela pourrait ruiner les accords passés avec d’autres royaumes. Le rôle de la police secrète était justement d’empêcher ce genre de mauvaise presse. Ou d’en contenir les répercussions, le cas échéant… A ces fins, tous les moyens sont bons et les questions d’ordres morales ou éthiques sont reléguées au rang d’obstacles mineurs lorsque sont déployés les impitoyables agents du CP. Rompus aux arts de la guerre, ils sont craints et malgré la nature secrète de cette organisation, sa simple évocation fait trembler le plus endurci des criminels. Skrik est l’un d’eux. Et même si le jazz l’a momentanément écarté de sa mission, il s’en acquittera. De fait, la raison de sa présence dans ce bar mal famé y est intrinsèquement liée.
Rien ne se passe à Anatakata sans qu’Attalia ne soit concernée. Aussi liée entres elles que peuvent l’être la Lune et les marées. Unique ville portuaire du royaume, Attalia est un passage obligatoire pour tous, touristes autant que locaux. Grouillante d’activités de jour comme de nuit, son économie est indispensable au pays des sables, qu’elle soit régulière ou souterraine. C’est bien sûr cette dernière qui intéressait Skrik. Si un crime se préparait à la capitale c’est ici qu’il trouverait sa source et Skrik comptait bien mettre à profit le manque de jugeote de la canaille ainsi que sa formidable incapacité à tenir sa langue. Rapidement, il était parvenu à identifier la cible : un prince héritier ou quelque chose dans ce goût là au nom imprononçable. Toutefois, le mobile du crime demeurait inconnu. Certains parlaient d’un attentat pour revendiquer la souveraineté du peuple ou d’une vengeance menée par un cartel local qui se débarrasserait ainsi d’un farouche défenseur du patrimoine et donc une épine dans leur pied. Ce jour-là, Si Skrik profitait d’un concert au Hathi’s Outspot, c’était pour en apprendre plus à propos d’une troisième théorie : des étrangers qui prépareraient l’enlèvement du prince et exigeraient une rançon contre sa libération.
Le Jango Renard Trio avait besoin d’une petite pause et après un fantastique solo de trompette qui marqua à tout jamais l’esprit de Skrik, les trois musiciens s’approchèrent du comptoir pour y trouver quelques rafraîchissement. Dans leur attitude, dans la fatigue et la sueur du trio, le jeune agent retrouva les souvenirs de sa formations de soldat et ces brefs moments de repos après un exercice éreintant. Il mourait d’envie de se lever pour offrir une bière à ces nouveaux compagnons d’armes, mais son devoir l’attendait ailleurs. Frustré, il siffla d’un coup le reste de sa bière tiède en attendant impatiemment que sa cible débarque. Son petit doigt, par le truchement d’une mafrat local qui avait passé un sale quart d’heure, lui avait soufflé qu’un « facilitateur » rencontrerait ici l’auteur en devenir du kidnapping. Un type qui avait ses entrées à la capitale et jusque dans les hautes sphères de la ville fortifiée. Un anonyme, probablement un simple fonctionnaire cupide qui faciliterait les activités criminelles de n’importe qui, moyennant un échange de service. Un service sonnant et trébuchant, comme on dit. Cet homme avait beau n’être qu’une crapule ordinaire, sa tête d’employé véreux sautait aux yeux quand Skrik l’aperçut enfin.
Aussi à l’aise qu’un rhinocéros dans un château gonflable, il tentait de se frayer un chemin à travers le bar en évitant la crasse omniprésente. Après des décennies sans avoir connue de serpillière ou d’éponge, les murs et les tables du Outspot semblaient constitués au moins pour moitié de la crasse à laquelle le facilitateur tentait vainement d’échapper. Incapable de léviter au-dessus du sol, le petit homme abandonna et se résigna en posant son postérieur chétif sur un tabouret collant. El Bollose, car tel était son nom, aurait sans doute préféré ignorer pourquoi, mais un jet de vomi expulsé par un ivrogne en formation lui apporta les indices dont il se serait volontiers passé. Comme un lapin piégé dans un collet, il se tournait et se retournait pour chercher son rendez-vous. A en croire son agitation, il était au moins aussi pressé que Skrik qui ne ratait rien du spectacle, assis trois tables plus loin. Quelques épouvantables minutes plus tard, le trio de musicien revint à sa place. Alors qu’ils reprenaient leurs instruments les clients étrangement réceptifs à leur musique se figèrent sur place en scellant les lèvres qui ainsi cachaient leurs abominables chicots. El Bollose, lui, n’avait pas l’air concerné par les prouesses dont il était témoin. Il épongeait son front dégarni qui se mit soudain à suer à grosses goûtes quand il croisa le regard d’une autre cliente. Une femme. En voyant le phénomène, Skrik eut presque pitié du pauvre homme. Son instinct lui souffla aussi qu’il était sur la bonne piste.
Trois jours plus tôt, le Quartier Général du Cipher Pole avait été averti d’une potentielle menace visant la dynastie royale de Al-Jawhara. Malgré leur rôle purement symbolique, l’assassinat d’un membre de la famille royale sous le protectorat du Gouvernement Mondial risquerait de fragiliser les liens avec un peuple encore très attaché à ses traditions. Pire encore, cela pourrait ruiner les accords passés avec d’autres royaumes. Le rôle de la police secrète était justement d’empêcher ce genre de mauvaise presse. Ou d’en contenir les répercussions, le cas échéant… A ces fins, tous les moyens sont bons et les questions d’ordres morales ou éthiques sont reléguées au rang d’obstacles mineurs lorsque sont déployés les impitoyables agents du CP. Rompus aux arts de la guerre, ils sont craints et malgré la nature secrète de cette organisation, sa simple évocation fait trembler le plus endurci des criminels. Skrik est l’un d’eux. Et même si le jazz l’a momentanément écarté de sa mission, il s’en acquittera. De fait, la raison de sa présence dans ce bar mal famé y est intrinsèquement liée.
Rien ne se passe à Anatakata sans qu’Attalia ne soit concernée. Aussi liée entres elles que peuvent l’être la Lune et les marées. Unique ville portuaire du royaume, Attalia est un passage obligatoire pour tous, touristes autant que locaux. Grouillante d’activités de jour comme de nuit, son économie est indispensable au pays des sables, qu’elle soit régulière ou souterraine. C’est bien sûr cette dernière qui intéressait Skrik. Si un crime se préparait à la capitale c’est ici qu’il trouverait sa source et Skrik comptait bien mettre à profit le manque de jugeote de la canaille ainsi que sa formidable incapacité à tenir sa langue. Rapidement, il était parvenu à identifier la cible : un prince héritier ou quelque chose dans ce goût là au nom imprononçable. Toutefois, le mobile du crime demeurait inconnu. Certains parlaient d’un attentat pour revendiquer la souveraineté du peuple ou d’une vengeance menée par un cartel local qui se débarrasserait ainsi d’un farouche défenseur du patrimoine et donc une épine dans leur pied. Ce jour-là, Si Skrik profitait d’un concert au Hathi’s Outspot, c’était pour en apprendre plus à propos d’une troisième théorie : des étrangers qui prépareraient l’enlèvement du prince et exigeraient une rançon contre sa libération.
Le Jango Renard Trio avait besoin d’une petite pause et après un fantastique solo de trompette qui marqua à tout jamais l’esprit de Skrik, les trois musiciens s’approchèrent du comptoir pour y trouver quelques rafraîchissement. Dans leur attitude, dans la fatigue et la sueur du trio, le jeune agent retrouva les souvenirs de sa formations de soldat et ces brefs moments de repos après un exercice éreintant. Il mourait d’envie de se lever pour offrir une bière à ces nouveaux compagnons d’armes, mais son devoir l’attendait ailleurs. Frustré, il siffla d’un coup le reste de sa bière tiède en attendant impatiemment que sa cible débarque. Son petit doigt, par le truchement d’une mafrat local qui avait passé un sale quart d’heure, lui avait soufflé qu’un « facilitateur » rencontrerait ici l’auteur en devenir du kidnapping. Un type qui avait ses entrées à la capitale et jusque dans les hautes sphères de la ville fortifiée. Un anonyme, probablement un simple fonctionnaire cupide qui faciliterait les activités criminelles de n’importe qui, moyennant un échange de service. Un service sonnant et trébuchant, comme on dit. Cet homme avait beau n’être qu’une crapule ordinaire, sa tête d’employé véreux sautait aux yeux quand Skrik l’aperçut enfin.
Aussi à l’aise qu’un rhinocéros dans un château gonflable, il tentait de se frayer un chemin à travers le bar en évitant la crasse omniprésente. Après des décennies sans avoir connue de serpillière ou d’éponge, les murs et les tables du Outspot semblaient constitués au moins pour moitié de la crasse à laquelle le facilitateur tentait vainement d’échapper. Incapable de léviter au-dessus du sol, le petit homme abandonna et se résigna en posant son postérieur chétif sur un tabouret collant. El Bollose, car tel était son nom, aurait sans doute préféré ignorer pourquoi, mais un jet de vomi expulsé par un ivrogne en formation lui apporta les indices dont il se serait volontiers passé. Comme un lapin piégé dans un collet, il se tournait et se retournait pour chercher son rendez-vous. A en croire son agitation, il était au moins aussi pressé que Skrik qui ne ratait rien du spectacle, assis trois tables plus loin. Quelques épouvantables minutes plus tard, le trio de musicien revint à sa place. Alors qu’ils reprenaient leurs instruments les clients étrangement réceptifs à leur musique se figèrent sur place en scellant les lèvres qui ainsi cachaient leurs abominables chicots. El Bollose, lui, n’avait pas l’air concerné par les prouesses dont il était témoin. Il épongeait son front dégarni qui se mit soudain à suer à grosses goûtes quand il croisa le regard d’une autre cliente. Une femme. En voyant le phénomène, Skrik eut presque pitié du pauvre homme. Son instinct lui souffla aussi qu’il était sur la bonne piste.