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Aucune bête aussi féroce - Deuxième Partie [Quête : Grimmjack]

Terminus : Tequila Wolf. Une simple déclaration qui avait le goût d’une condamnation.  « N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. » Sans qu’il n’eusse besoin d’être partagé à voix haute ce curieux dicton se répandit à travers tout le navire. Et il n’épargna pas un seul de ses passagers quand le capitaine annonça sobrement qu’ils approchaient de leur destination finale. Ce dernier mot, alors, pouvait être pris d’une manière douloureusement littérale. L’atmosphère, naguère joyeuse et chaleureuse, devint sinistre et glaciale. Bien sûr le climat hivernal de la région n’y était pas pour rien et les mines se renfrognaient autant en raison du vent glacial qui pénétrait les os que pour la perspective du sort qui les attendait à Tequila Wolf. Et dans son bagne. Parmi les trente-mille victimes de son régime dictatorial ils seront bientôt eux aussi réduits à un matricule et une fonction. Bien sûr, tous les passagers n’étaient pas destinés à partager le sort de ces forçats, mais la sinistre réputation des lieux suffisait à faire ressentir de l’empathie au cœur de tout homme. Un sentiment qui n’échappa pas à Félix bien sûr, pour des raisons évidentes, mais qui parvint quand même à toucher Skrik qui sentait ses tripes se nouer plus profondément minute après minute.

Au loin, dans la blancheur immaculée d’un ciel chargé de flocons, la silhouette sombre et massive de Tequila Wolf se détachait comme une impureté dans ce paysage virginal. Et alors que ce distinguait au loin le pont en perpétuelle construction – allégorie douloureusement réelle du destin qu’on réservait ici aux bagnards -  les craintes de l’agent Skrik semblaient se matérialiser. Dans un coin de sa tête ou au plus profond de son cœur l’idée qu’il commettait peut-être une erreur ne parvenait à complètement disparaître malgré ses efforts. En tant qu’agent du Cipher Pol, il était amené à appréhender toutes sortes de criminels sans montrer de compassion et il était parvenu jusque là avec une redoutable efficacité à se débarrasser des doutes ou des remords qui auraient pu le ronger. C’était facile. Il suffisait d’y voir une lutte pour sa propre survie et les pires exactions apparaissaient comme nécessaires ou au moins tolérables. Un combat après l’autre, une chasse en menant à une autre, Skrik n’avait pas le temps, à moins qu’il s’y forçait, de penser aux conséquences. A l’avenir. En l’occurrence, à son absence... Puisque ses cibles finissaient par croupir dans des cellules oubliées ou finissaient-elles par se tuer à la tâche dans ces comptoirs de la mort. Ce jour-là en revanche, il était confronté pour la première fois aux résultats de ses choix.

Skrik, tourné vers Grimmjack, faillit lui proposer de rebrousser chemin. De changer d’avis tant qu’il en était encore possible, mais il se retint. Bien sûr, le jeune homme ne faisait pas ça de bonté de cœur et il aurait été cruel de lui rappeler qu’il n’avait pas vraiment d’autres opportunités. Alors, silencieux, Skrik se contenta de garder ses inquiétudes pour lui en les refoulant sous le tapis de la morale. Les craintes de Félix n’avaient quant à elles pas besoin d’être verbalisées. Son visage était crispé sans que le froid y soit pour grand-chose et l’appréhension se lisait aisément à travers les tremblements qui agitaient ses mains. Machinalement, l’agent consulta les avis de recherches qui correspondaient à ses deux prises. La veille, après qu’ils se soient mis d’accords pour la suite, Skrik s’était esquinté à fabriquer un faux pour Grimmjack puisque ce dernier n’était en réalité recherché pour aucun crime. Il était satisfait du résultat et supposait que les gardes étaient moins regardants quant à l’identité de qui entraient et plus pour ceux qui sortaient. En outre, en tant qu’agent du Gouvernement Mondial, sa crédibilité devait suffire à convaincre des fonctionnaires peu impliqués et il ne pouvait pas réclamer la prime accordées à un arrestation ; mort ou vif. Le Chat, qui ne cessait d’impressionner Skrik, fut le premier à briser le silence.

- Ça va aller grand.

Dans cette main minuscule posée sur son biceps et qui semblait ridicule, il y avait une force que Skrik ne comprendrait peut-être jamais. C’était Félix, Félix terrorisé et cachant du mieux qu’il le pouvait les larmes qui montaient à ses yeux, qui parvenait à rassurer Skrik. Son bourreau. Après cela, il était impensable pour l’agent de douter. Il devait réussir, ou ne le se pardonnerait-il jamais. Oui, si les deux hommes qui avaient remis leur vie entre ses mains devaient être blessés alors sa fierté d’homme en serait à jamais bafouée. Il irait même jusqu’à remettre sa démission au bureau de Henry Stemper, son supérieur direct. Etait-ce seulement possible ? Peu importe, c’est inutile d’y réfléchir. Ça n’arrivera pas. Pour donner le temps, Skrik choisit de rire.

Lorsque le navire accosta à Tequila Wolf, les trois hommes étaient prêts. Ici la neige semblait contaminée par les souffrances  des âmes et perdait sa blancheur dès qu’elle touchait le sol. Ou alors, comme consciente de ce qu’elle pourrait camoufler, peut-être la neige décidait-elle de se transformer en boue glacée pour mieux dévoiler les vices. Skrik en tête et les deux hommes menottés deux pas derrières lui, ils marchèrent le dos voûté pour affronter les rafales qui soufflaient sur le quai. Lorsqu’ils arrivèrent à la lourde porte qui marquait à proprement parler l’entrée de Tequila Wolf ils étaient tout trois couverts de neige et frigorifié. Un homme derrière un guichet grillagé signala à l’agent de s’approcher par un geste de la main.

- Ouiiiiii ? C’est pour queuwaaaa ?
- J’ai ces deux merdeux qui méritent une piaule dans vot’ palace. Le jeune là, c’est… Félix. Skrik planta l’avis de recherche de ce dernier sous les yeux de merlan frit du gardien. L’autre c’est Ricko Connel. Nouvel avis de recherche, même réaction.
- Très biiiiien. On va s’occuuuuuper d’eux.

Le gardien laconique, après un temps d’absence, remarqua néanmoins l’allure si particulière de Grimmjack. Quand ce dernier avait annoncé qu’il refusait de se débarrasser de ses bandages Skrik n’avait pas cherché à comprendre pourquoi, mais pour le justifier il fallait une sacrée bonne raison.

- Il a une sorte d’maladie d’peau. Un vrai carnage. Si t’veux pas dégobiller vaux mieux pas y toucher, tu m’suis.

Le gardien grimaça d’horreur. Sa fertile imagination dépassait de loin ce que Skrik pouvait inventer et c’était précisément l’effet recherché. Sans plus de vérification, il invita deux autres gardiens à se saisir des nouveaux pensionnaires pour leur faire faire un petit tour de l’établissement et comprendre les règles qu’ils devaient respecter tout au long de leurs séjours s’ils souhaitaient le rendre le moins désagréables possible. A présent que cette première phase était couronnée de succès, il était temps d’enclencher la seconde : plus délicate. Grâce à un autre faux habilement fabriqué, Skrik était en possession d’une lettre de recommandation qui lui offrait un poste de de surveillant de classe III dans cette prestigieuse prison. Ce niveau d’accréditation lui permettait une certaines marge de manœuvre, mais n’était pas assez prestigieuse pour susciter l’attention. En théorie.

- Ah ouiiiii ? Je ne suis pas au couraaaaant, vous voyez.. ?
- Oui, c’tait pas vraiment prévu en fait. A la base j’devais aller ailleurs mais-
- Ouiiii ouiiiii, très biiiiiien… Allez voir le capitaine Oyola. C’est avec luiiiiii qu’il faut voir. Okaaaaaaay ?!
- Ça marche, merci chef !

Avec son arme et celle de Grimmjack, Skrik prit la porte désignée par le secrétariat avant que l’envie de lui faire avaler toutes ces lettres en trop ne soit trop grande. Sur les indications d’une tripotée d’autres uniformes il scella les armes et alla se présenter au fameux Oyola qu’il avait intérêt à convaincre dans l’intérêt de la mission.


Dernière édition par Tagata Tai le Mar 21 Mar 2023 - 17:11, édité 2 fois

    Mission : Infiltration

    Suite à sa rencontre avec l'agent Skrik, Grimmjack finit endetté : il avait perdu le bateau du pêcheur qui le transportait par une attaque de monstre marin. Skrik lui proposa alors un plan. Il rembourserai les dettes du chasseur de prime s'il acceptait de s'infiltrer dans la plus grande prison d'East Blue pour retrouver un criminel notoire. Le voici embarqué dans une nouvelle aventure bien plus dangereuse que les précédentes.


    Terminus : Tequila Wolf. Tout était prêt. Nous avions finement répété le role de chacun pour accomplir nos missions respectives. Je jouais un des détenus et captif de l'agent Skrik. Ma mission était d'infiltré la prison et traquer sous couverture le criminel notoire Jan Copper. Cet homme était à la tête d'un réseau de malfrats sur toute la Blue et peut-être plus encore. La portée n'était pas encore connu. Et quel est le meilleure endroit pour diriger tout ce beau monde sans se faire suspecter ? En pleine gueule du loup. Ici, le loup portait le nom de Tequila.

    L'agent Skrik tenu son rôle à la perfection. Il nous présenta à l'accueil, Félix et moi, avec des papiers truqués. La première partie fut sans embûches quand il nous confia aux gardiens qui prirent la relève. Tout était bien huilé et semblait facile. Cela me rassurait quelque peu. Un grand dadet comme moi n'avait jamais mis les pieds dans une prison, alors imaginez le dans la plus grande de toutes les Blues avec 30 000 bagnards a son actif ! J'étais très intimidé mais Félix, au détour d'un regard, me rassurait. Tout allait bien se passer... C'est ce que je me répétais dans ma tête.

    Alors que nous nous étions changés, portant la célèbre tenue aux bandes noires et blanches, menottés aux chevilles et aux poignets, nous marchions dans un grand corridor, traversant multiples bâtiments.
    Je pu observer, non sans attrait, le milieu carcéral dans lequel j'allais vivre à partir d'aujourd'hui. Ce qui me choquait le plus c'était que tout était grillagé. N'importe quel recoin, qu'il soit à l'air libre ou non, était comme une cage sans issue.
    La seconde chose qui me sautait aux yeux c'était la densité de la population. Durant cette petite "visite" guidée je pu voir que les dortoirs, les réfectoires et tous les espaces communs étaient en réalité ... Minuscules. Pour un nombre ... Important, trèèèès important, d'hommes. Gloups. Je déglutis à cette nouvelle. J'étais super timide moi ! Je n'avais jamais vécu en communauté ! Comment j'allais faire ?! J'étais incapable de réussir cette mission ! Dans quel bourbier je m'étais encore fourré !

    Je croisa une nouvelle fois le regard de Félix. J'étais paniqué. Affronter des bestioles marines, ok. Combattre des pirates puissants et dangereux, ok. Mais vivre parmi tous ces gens ... Pas ok du tout ! A son regard Félix me rassura une nouvelle fois. Mais je sentais bien que lui aussi était stressé. Lui allait être derrière les barreaux pour un temps encore plus incertains que le miens. C'était beaucoup plus dur à avaler. Et il ne disait rien, il faisait mine d'être fort et intouchable. De pouvoir braver n'importe quel situation, malgré ses faiblesses et ses lacunes. A cette vue, il me redonna confiance en moi.

    - Oye t'as vu les nouveaux la ... Chuchota un des deux matons à son collègue.
    - Le grand fait carrément flipper... On dirait que la mort le suit partout...
    - Apparement il a la lèpre ... C'est super contagieux cette merde ! Vaut mieux pas le toucher !
    - On va s'en débarrasser. Direction la section des tailleurs. S'il pouvait répandre sa merde à ces vermines ça nous ferait pas de mal. Le p'tit jeune on a qu'à le foutre à l'assemblage.


    Les deux gardiens hochèrent la tête comme s'il s'étaient mis d'accord. C'est alors qu'on nous sépara de force. Je piocha un dernier coup de réconfort dans le regard de Félix avant de suivre le surveillant pénitentiaire qui s'occupait de mon cas, sans dire un mot.
    Plusieurs minutes de longues marches silencieuses s'en suivirent. Je ne savais pas qui était le plus apeuré. Le gardien qui évitait d'entrer au contacte avec moi ou moi qui subissait une grosse crise de timidité.

    - Tiens vermine ! Voici ta nouvelle famille : la section 4C des tailleurs de pierre ! Rien à foutre que tu sois malade, tu vas bosser jusqu'à la mort s'il le faut !

    D'un coup de pied dans le dos je tomba alors dans mon nouvel espace de vie. Super accueillant. Encore plus quand j'entendis le grillage se refermé derrière moi. La cage venait de se refermer. Alors que je me releva avec peine dans la neige, frigorifié par la tenue de bagnard non adapté, un vieil homme se présenta à moi.

    - Hey toi, le nouveau !
    - Bonjour monsieur, je m'appelle Grim.. Euh Ricko Con...
    - Je t'arrêtes tout de suite ! J'en ai rien à foutre de qui tu es ! Je suis Armin et je suis chargé d'expliquer les règles aux nouveaux merdeux dans ton genre !


    Ouuuf ! Heureusement qu'il m'avait stoppé dans ma lancée ! J'étais à un cheveux de dire mon vrai nom ! J'avais oublié, pendant cette infiltration, je n'étais plus Grimmjack mais Ricko Connel le bandit des grands chemins !
    En tout cas, c'était un charmant personnage. Il avait de l'énergie à revendre pour un vieil homme usé par la vie et l'exploitation intensive. Le séjour ici promettait d'être ... Un vrai moment de détente.

    - Règle n°1 : Pas de vagues. Si les gardiens descendent ici, ça sera pour tabasser tout le monde. Rien à foutre que intel ai piqué ta collation.
    Règle n°2 : Tu travailles. Tu suis la journée comme un bon toutou et tu te la fermes ! Si tu fais le rebelle, on te fou au mitard ! Crois moi, personne ne veut faire une semaine au mitard.
    Règle n°3 : Si t'essayes de t'échapper ou d'organiser une évasion ... T'auras le pactole ! On va te tabasser et te foutre au ...

    - Au mitard, j'imagine.
    - Grrrr... Fais pas l'insolent avec moi gamin. Bouges ton cul et va chercher ton équipement ! Le travail commence maintenant !


    Je le suivais au pas. Vu l'accueil agréable et le climat chaleureux, je sentais que j'allais passer un agréable moment ici... Je me demandais comment ça se passait pour Félix. Et surtout, si Skrik n'avait pas rencontrer de problèmes de son côté.


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    Plusieurs centaines de kilomètres de couloirs gris et sales constituaient le quotidien des trop peu nombreux gardiens de Tequila Wolf, en sous-effectif depuis l’ouverture du pénitencier des années auparavant. Rien n’avait changé depuis, pas même les uniformes qui ressemblaient à s’y méprendre à celui des détenus. A ceci près qu’à leur ceinture pendaient des tonfas ou des matraques tandis que les bagnards se contentaient de surins de fortune fabriqués à l’aide de tournevis, de simple morceau de métal ou parfois même à base d’ossements. Généralement issus d’animaux, pas toujours... La violence, dans cet enfer carcéral, était plus que banalisée. Elle était devenue le quotidien de chacun des résidents qui, d’une certaine manière, en étaient tous piégés. Skrik, alors qu’il se dirigeait vers le bureau du gardien en chef, remarqua un détail qui n’était pas sans importance. L’esprit pervers derrière la construction de cet édifice pénitentiaire, l’architecte tordu qui en avait dessiné les plans n’avait rien laissé au hasard pour détruire physiquement et psychologiquement la chair et l’âme des damnés envoyés ici. Au-delà des immenses murs qui s’étendaient à perte de vue, au-delà des bourrasques glacées qui soufflaient en permanence grâce à un habile réseau de galeries, au-delà de tous ces éléments destinés à faire souffrir et qui ne seraient jamais venus à l’esprit de la pire crapule enfermée ici… Il n’y avait pas la moindre fenêtre vers l’extérieur, pas même pour les gardiens qui étaient ainsi condamnés à contempler sans arrêt la désolation dont ils étaient responsables. Était-ce une énième blague cruelle adressée cette fois aux geôliers pour les punir ou, comme le redoutait Skrik, un moyen comme un autre de les transformer eux aussi en animaux, en bêtes sauvages sans respect égard pour la vie humaine.

    L’agent infiltré n’était pas parvenu au bout de sa réflexion quand il finit par atteindre la porte du gardien en chef de cette section. Avant de frapper à la lourde porte d’acier où le nom d’Oyola II était gravé, Skrik prit une profonde inspiration. Il se sentait comme à un entretien d’embauche. Sauf que son CV était truqué et qu’il risquait plus qu’une lettre le remerciant de son intérêt pour l’entreprise, mais n’ayant pas de poste à offrir pour le moment. Dans les longs corridors silencieux qui l’avaient conduit ici, ponctués par le bruit de ses pas et quelques fois par des lointains râles, Skrik s’était répété encore et encore le rôle dont il allait se faire l’interprète. Il n’avait jamais été un grand menteur, moins par manque d’imagination que par manque d’intérêt. Pourquoi mentir, après tout, quand être brutalement honnête – ou simplement brutal - offrait peu ou prou les mêmes résultats ? Aujourd’hui, ici, il ne pouvait pas casser la gueule d’un type simplement parce que c’était plus pratique ou parce que sa tête ne lui revenait pas. Ce qui ne manquerait pas d’arriver. Skrik respira encore une fois, focalisant ses pensées sur Grimmjack et Félix qui comptaient sur lui. Puis, il frappa à la porte qui raisonna longtemps.

    - Entrez, entendit Skrik de l’autre côté.

    C’était l’une des voix les plus désagréable qu’il eut jamais entendu. Non, c’était définitivement la pire. Et Skrik avait pourtant supporté toute une soirée la présence d’une cantatrice ratée qui reproduisait à peu de chose près le son du frottement des boyaux d’un chat sur les crins d’un cheval. Quant à Oyola, il avait vraisemblablement les cordes vocales en ardoises et grattait dessus comme sur une guitare avec des ongles en fer rouillé. Skrik inspira et expira une troisième fois avant de pousser la porte. Le son qu’elle fit en frottant le sol était plus agréable à entendre. Ce qu’elle dévoila en revanche était d’une indescriptible laideur. Pour les besoins du récit, essayons quand même. Cet homme, semblait-il, s’échinait à repousser les frontières du supportable à tous les niveaux. Derrière un énorme bureau où s’affrontaient en duel sur des liasses de papiers des cafards – domestiqués ? - se trouvait un homme anormalement grand et mince, comme s’il avait été piégé dans une presse. Au sommet de ce corps ridicule se trouvait un crâne chauve posé sur un cou prêt à se briser à tout moment. Son visage était lui aussi tout en longueur, rehaussé seulement d’une bouche aux lèvres enflées comme sous l’emprise d’un poison et un nez aquilin. Ses yeux étaient profondément enfoncés dans leurs orbites et surmontaient des cernes d’un noir-violet qui accentuait la pâleur cadavérique de sa peau. Son crâne, aussi imberbe que son visage, était orné d’une profonde cicatrice qui attirait à elle la lumière et les regards dans un mélange de curiosité et de dégoût. Skrik résistait de toutes ses forces pour s’empêcher de penser à ce qui avait pu causer cette blessure si disgracieuse.

    - Bonjour Monsieur, articula-t-il en s’inclinant respectueusement et pour voir autre chose. Je suis Morse, on m’a.. transféré ici et je suis heureux de m’en remettre à votre commandement !

    D’un geste du poignet, Oyola invita Skrik, alias Morse, à s’approcher. Ce dernier s’exécuta sans un mot et avec déférence il tendit les documents de son « transfert » à son potentiel supérieur hiérarchique. Ce dernier s’en saisit du bout des doigts et en parcourut les pages de ses longs doigts aux ongles manucurés. De manière presque imperceptible le gardien chef souriait en découvrant l’histoire de Morse. Sa propension à l’excès de zèle lors d’arrestations. Sa lâcheté face à un ennemi plus important en nombre. Son manque d’éducation, sa soumission à l’autorité… Tout ce qui faisait de Morse une vraie petite saloperie et donc un parfait élément dans le pire bagne des Blues. Avec un mouvement à la désinvolture calculée, il laissa le faux dossier rejoindre une pile de papiers et se concentra sur les deux scarabées combattants. Il semblait sur le point de dire quelque chose lorsqu’un alarme tonna et surprit Skrik au point qu’il se mette à couvert. Oyola le regardait, moqueur.

    - Parfait. Voilà l’occasion de prouver ta valeur, Morse. Il avait dit son nom en le crachant à moitié, comme si cela lui coûtait. Skrik était pourtant le seul à en souffrir véritablement.

    Oyola déplia son long corps, une fois debout il dépassait Skrik d’une tête et demie. Il ordonna ensuite à Morse de le suivre et ils marchèrent sans un mot, l’un derrière l’autre, dans le vacarme assourdissant, jusqu’à un escalier qui descendait. Ils l’empruntèrent puis débouchèrent sur un autre couloir munis cette fois de portiques, de barreaux et de grillages où attendaient déjà cinq gardiens qui s’échauffaient en faisant tournoyer leurs armes et en s’encourageant mutuellement à dépasser le « score de la dernière fois ». Au bout du couloir, une double porte en acier menait à l’extérieur d’où parvenaient des bruits d’affrontements.

    - Messieurs, voici Morse. C’est son baptême aujourd’hui. Voyons voir s’il a ce qu’il faut dans le ventre pour survivre parmi les loups de Tequila Wolf.

    Les cinq hommes aboyèrent et hurlèrent comme des chiens à cette annonce. Skrik n’en était pas sûr, mais il avait peut-être là l’occasion d’assurer sa place et il n’avait pas le droit à l’erreur. Sur son passage les autres gardiens ne retenaient pas leurs rires et se chamaillaient comme des enfants. L’un deux lui offrit sa matraque avec un sourire mauvais. L’agent s’en saisit et se retourna vers Oyola.

    - Derrière cette porte certains de nos… Il chercha un instant une formule qui lui plaisait. … invités.. se sont montrés particulièrement peu reconnaissants envers leur hôtes. Occupez-vous d’eux.

    Le sourire qu’il affichait jusque-là s’était parfaitement évanoui à la fin de sa phrase pour laisser place à un rictus haineux. Cet homme était malade. Dangereux. Skrik sentait qu’il devrait se méfier de lui. On apprenait aux gosses à ne pas jurer un livre à sa couverture, mais Oyola était le parfait contre-exemple à cette leçon. Le venin suintait de chacun des pores de sa peau. Skrik, ou plutôt Morse, se plongea plus profondément dans son personnage. Il allait devoir tabasser des hommes. Des criminels, certes, et ce n’était pas la première fois. Ça ne lui avait jamais réellement posé de problèmes. Mais ces hommes étaient pris au piège et il devait les frapper, encore ? Ça ne sonnait pas juste. Il pourrait y avoir parmi eux d’autres types comme la Momie ou le Chat. Des types qui ne méritaient pas ça. Morse abandonna ses états d’âme à Skrik et poussa la porte pour s’engouffrer à l’extérieur.

    Dehors la plupart des bagnards étaient allongés face contre le sol et attendaient que l’orage passe. Pour la forme, Morse leur balança quand même quelques coups de pieds dans les côtes en cherchant à épargner les organes internes. Puis il se retrouva face à un mur formé par les prisonniers autour de ceux qui avaient déclenché la bagarre. Personne n’avait vu Morse et les trois premiers coups de matraques firent mouches. Les spectateurs effondrèrent comme des pantins auxquels on aurait coupé les fils. Lorsqu’ils le remarquèrent la plupart partirent en courant ou s’agenouillèrent piteusement. Deux hommes, costauds mais usés, voulurent s’en prendre à Morse. Se battre en cachant ses réelles compétences au combat n’est pas aisé. Skrik aurait pu les vaincre en un instant, mais Morse devait prendre quelques coups. Un coup de poings parvint à lui fendre la lèvre supérieure et il jugea que c’en était assez. En tâchant là encore de ne pas les massacrer, il mit à terre les deux hommes avant de s’approcher de ceux qui se battaient entre eux. L’un était équipé d’une lame, l’autre d’une arme plus rudimentaire encore qui ressemblait à une pierre dans un linge. Profitant de leurs blessures et de leurs fatigue, le gardien Morse s’assura de les mettre hors d’état de nuire. Après cela, Oyola II autorisa les autres gardiens à se joindre à la bataille et puisque ses derniers avaient été privé de leur activités favorites ils se vengèrent sur les détenus au sol. Morse les imita en tâchant au mieux de frapper le sol et non des hommes déjà à terre. Lorsqu’ils en eurent assez, ils cessèrent en laissant derrière eux des os brisés et des râles de douleurs. Les gardiens se félicitaient et se tapaient dans le dos. Morse eut droit à quelques compliments offerts par ses collègues et même à un hochement de tête approbatif de la part de son nouveau chef. Skrik était déjà épuisé, mais Morse avait encore beaucoup de travail à faire...

      Section 4C des tailleurs

      Suite à l'infiltration du plus grand bagne des Blues, j'ai nommé Tequila Wolf, Grimmjack sous le nom de Ricko Connel a intégré la section 4C des tailleurs de roche. Il y découvre la vie très routinière du milieu carcéral.


      - Prends une pioche. Ca sera ton seul équipement. Pour des chaussures ou un blouson adaptés au froid, faudra cantiner.

      Armin était aussi glacial que le temps hivernale de l'île. Il m'avait promptement mené au baraquement équipementier de la section. Sans lui, je me serai sans doute perdu. On était tous entassé les uns sur les autres, aussi bien les humains qui peuplaient le bagne que les habitations et bâtiments qui nous logeaient. Le tout formait un vrai labyrinthe. J'allais prendre quelques temps avant de m'y acclimater.

      Je ne le savais pas encore quand Armin m'expliqua que cantiner était un terme carcéral désignant le fait d'acheter des fournitures pour soi dans une prison. Cela pouvait être de la nourriture particulière ou bien des équipements passants au préalable les contrôles de sécurité.

      Je le suivis comme un bon touriste au lieu ou j'allais passer une grande partie de mon temps : une immense manufacture ou était stocké des tonnes et des tonnes de roche, le tout peuplé de plus d'une centaine de bagnards.

      - C'est ici qu'on travaille. Notre job est de tailler la roche en cube pour la construction du pont. Toi t'es un débiteur. Ton rôle est de dégrossir le volume des pierres pour se rapprocher des standards. Les bardeurs transporteront ensuite les blocs aux tailleurs qui finiront le taff. Quand tout est fini, ça part à l'assemblage à l'autre bout du pont, qui s'occuperont de la construction. Mais ça, c'est plus d'notre ressort.

      C'était à la fois terrifiant et fascinant. Terrifiant car aux mines des bagnards le travail ici ressemblait plus à une exploitation humaine qu'autre chose. Fascinant car chaque homme était un rouage dans la machine tel une fourmi dans une fourmilière ! Tout était bien ficelé, le tout sécurisé par un tas de gardiens, pour que l'exploitation soit la plus productive possible.
      Le seul bémol, c'étaient les outils ... Qui étaient très rudimentaires. Cela me rappelait beaucoup le travail dans les champs que j'effectuais dans mon enfance.

      - Si tu bosses bien, d'ici une semaine ou deux t'auras de quoi cantiner une tenue chaude. C'est fini pour la petite visite, maintenant va charbonner avant que j'te foute un coup d'pied au cul bordel ! On à du retard dans la prod' !

      Il partit continuer ses tâches. Apparement, le fait du prendre du retard pour faire l'accueil des nouveaux était pas trop une bonne nouvelle pour lui. Je me rapprochais alors de mon poste.
      A l'air libre, sous la neige, nous étions une bonne cinquantaine tous alignés, face à des tonnes de blocs de pierre. Le bruit du choc entre le métal et le granit résonnait comme une mélodie désaccordée. Tous piochèrent avec hargne la pierre devant eux, comme un face à face entre l'homme et la nature.

      - Bon ... Quand faut y aller, faut y aller ... Marmonnais-je dans mes bandelettes. C'est bizarre, à quelque chose prêt, le maniement d'une pioche ressemble à s'y méprendre à celui d'une faux ...

      J'étais de nature assez positive, et pour me rassurer et tenir le coup, j'avais eu une excellente idée ! Je n'avais qu'à transformer cette tâche rude en entrainement ! Ainsi, piocher à m'en tuer la colonne vertébrale serait au moins bénéfique pour moi ! Et j'allais sans doute progresser dans le maniement de ma faux !

      Je me mis alors au boulot, plus motivé que jamais !

      ***

      Presque 3 heures s'étaient écoulées depuis mon arrivée dans la section. J'avais fais une entrée pour le moins ... Plus que remarquée ! Je ne savais pas si c'était une bonne chose, mais j'avais enchainé le débitage des roches d'une rapidité extrême. Je faisais le boulot d'au moins 10 autres détenus ! Ils étaient tous fascinés par les mouvements bruts et précis que j'effectuais. A chaque coup de pioche, un gros morceaux de calcaire se détachait de la roche. Je n'avais besoin que d'une petite dizaine de coup pour réduire la pierre à la taille demandée contre le double - voir le triple- pour les autres bagnards.

      Bien entendu, la mise en avant de mes capacité attisait la jalousie de certains. Moi qui pensait seulement au bien de ma nouvelle communauté afin de rattraper le retard qu'on avait, j'allais contre mon gré m'attirer des ennuis.

      - Hey toi le lépreux ! Tu avances trop vite ! Tu vas tous nous foutre dans la merde !
      - A cause de toi on peine à barder. Et ça, on ne le pardonne pas.
      - On va te montrer qui contrôle la section, bouseux.


      Caïds de la section 4C et ex-pirates (Avengers) :

      J'étais peut-être allé un peu fort ... En tout cas, vu les réactions des autres taulards, tous fuyants à leur venue, il semblait que ces trois énergumènes étaient les caïds qui terrorisaient la section. Et ils semblaient aussi vouloir en découdre avec moi ... Ah la la, j'espérais que l'intégration de Félix et de Skrik était au moins plus simple pour eux ...
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      Après huit semaines dans la peau de Morse, dans l’uniforme d’un gardien brutal et malveillant, dans les bottes d’un homme qui marchait sur l’honneur et la liberté, en bref dans le rôle d’un personnage de fiction avec lequel il n’avait aucun point commun, l’agent Skrik sentait leurs différences s’estomper au fil et à mesure qu’il rognait sur ses idéaux. Vingt quatre heures sur vingt quatre, sept jours sur sept, il devait incarner son mensonge sans pouvoir risquer la moindre erreur. Ses nerfs étaient mis à rude épreuve et une fatigue qu’aucun sommeil ne venait soulager commençait à peser lourdement sur ses épaules. La métamorphose était visible à l’œil nu. Le teint naturellement halés de Skrik s’était progressivement pâli, ses traits étaient tirés, ses yeux étaient cernés autant qu’il l’était lui-même par ces murs. Ces murs qui l’obsédait, qu’il sentait chaque matin plus hauts, chaque soir plus proches, qui le harcelaient lorsqu’il fermait les yeux et dès qu’il les rouvrait. Le fier animal sauvage qu’il avait pu être autrefois était lentement transformé en chien de garde. Aboyant sur commande, considérant avec mépris tout ceux qui, selon son maître, ne méritaient rien, ne valaient rien, sinon les sévices les plus intolérables et le plus pur dégoût. La brutalité n’exigeait bientôt plus aucun effort ni pour Skrik ni pour Morse lorsqu’elle était infligée à ces moins-que-rien qui parasitaient la société, seulement bons à trimer pour payer leur dette. Une dette dont ils ne seront acquittés qu’au moment où leur âme frelatée quittera leur corps brisé. Voilà comment Morse et tous les autres gardiens de Tequila Wolf considéraient la tâche qui leur avait été confié et la vermine détenue ici. Pour le gardien-chef Oyola le bien fondé de leurs actes ne saurait être remis en question et il veillait soigneusement à ce que ses idéaux soient partagés par tous, par ces hommes comme par les forçats.  

      Pour ne pas céder à la démence de Morse, Skrik se forçait à se répéter jour après jour ce pourquoi il était là. Pour qui. A certains moment, il n’était plus tout à fait sûr de son identité. Il savait que d’une certaine manière Skrik était aussi sa création, son monstre destiné à combler le vide laissé par son amnésie et prêt à servir le Gouvernement, mais à quel point était-ce différent ici ? Dans les quartiers réservés aux gardiens où ces derniers venaient profiter de leurs rares moment de repos ni Morse ni ses collègues ne trouvaient de réponses à leurs doutes, mais au point ils pouvaient les partager. Discrètement bien sûr pour ne pas risquer de se voir affubler des tâches ingrates, mais qui ne pouvaient pas être exécutées par les prisonniers. Parfois, autour d’une partie de cartes et d’une bouteille d’alcool de contrebande, les langues se déliaient. Les ressentiments se dévoilaient. Ceux qui avaient encore des rêves se laissaient à les partager, interrompus par les rires moqueurs de ceux qui n’en avaient plus. Encouragés par ceux qui en avaient besoin le plus. Morse apprit alors que Jamy souhaitait autrefois devenir peintre et que ses aspirations avaient été abrégées par la maladie et les difficultés financières. Roald, lui, avoua qu’il ne se passait plus une nuit sans qu’il ne soit saisi par la terreur d’être assassiné par les fantômes de ses victimes et qu’il était hanté en permanence par des spectres vengeurs qui le harcelaient. Il ne retrouvait alors le calme et la quiétude qu’au fond d’une bouteille. Skrik compatissait avec ces hommes, ces Jamy et ces Roald contraints par leur destiné. Il les haïssait aussi pour l’image qu’ils lui renvoyaient.

      Néanmoins, si les confessions de ses collègues pouvaient êtres touchantes, elles ne faisaient pas l’objet de sa mission. La présence d’un criminel redoutable et l’impunité manifeste qui semblait lui avoir été accordée dans la poursuite de ses activités criminelles étaient autrement plus préoccupantes pour le Cipher Pole que les états-d’âmes de fonctionnaires de secondes voire troisième zone. Aussi, Skrik tendait particulièrement l’oreille lorsque les complaintes des Jamy et des Roald de Tequila Wolf étaient remplacées par les indiscrétions des mouches à merde. Ce surnom affectueux c’était Skrik qui l’avait trouvé pour désigner les gardiens qui se nourrissaient – parfois littéralement – dans la fange. Ils profitaient de leur position pour voler les maigres possessions des détenus, souvent parvenues ici illégalement grâce à un réseau de contrebande qui intéressait de très près Morse. Des cigarettes, de l’alcool ou d’autres marchandises circulaient dans l’enceinte de la prison et cette économie parallèle semblait bénéficier à tout le monde, ou presque. Les mouches à merde se contentaient des restes et une hiérarchie stricte s’était établie parallèlement elle aussi à celle de Tequila Wolf. Les mouches ne s’approchaient donc pas des gros poissons et eux-même se méfiaient les uns des autres. Skrik suspectait également que quelqu’un se trouvait au sommet de cette chaîne alimentaire, un individu puissant et intouchable, une menace invisible comme le serait un pêcheur pour les poissons.

      Tout ce dont Skrik avait besoin pour commencer c’était d’une petite faille à exploiter, un rouage qu’il pourrait gripper sans immédiatement compromettre la machine. Les possibilités ne manquaient pas. Les gardiens véreux étant une espèce presque endémiques à Tequila Wolf. Son choix cependant se porta rapidement vers un individu particulièrement lâche et suffisamment médiocre pour qu’après douze ans de service il ne soit encore confiné qu’au stade de mouche à merde. Derrière de petits yeux noirs son cerveau entravé par l’alcool et la paresse l’avait condamné à un rôle de subalterne méprisé de tous. Sa bouche ne s’ouvrait d’ailleurs que pour vociférer des insultes sans queue ni tête à l’égard d’à peu près tout le monde. Seul le jeune Morse trouvait grâce à ses yeux de fouine, une relation obtenue à grands renforts de grossières flatteries et de bouteilles d’alcool volées à d’autres moucherons. A grand coups de tapes dans le dos la Fouine n’hésitait jamais à remercier son poulain et entre deux élucubrations lui promettait un bel avenir s’il suivait ses conseils. Morse n’en espérait pas moins et ne perdait pas une miette de ces fameux conseils qui se résumaient bien souvent à une suite de lieux-communs, agrémentés néanmoins d’informations sur le personnel et certains détenus. Les déchets des uns font le trésor des ordres et si entre les mains d’un type comme la Fouine elles ne valaient rien, ces détails intimes se révélaient être une mine d’or pour un agent du Cipher Pol.

      Les autres gardiens de son bloc voyaient Morse comme un parfait imbécile, un gars de la campagne avec un accent bizarre qui le forçait à se répéter pour être compris. Ils l’avaient avertis de rester loin de ce toquard, mais Morse était toujours collé à ses basques. Puis, ceux-là même qui s’étaient moqués de Morse se retrouvèrent pris dans ses pièges. Il savait tout d’eux, leurs secrets, leurs trahisons, le nom de leur femme et de leurs enfants. Skrik n’avait pas chômé. Dans l’enceinte de Tequila Wolf il donnait un sens à l’expression «  les murs ont des oreilles » et sa formation d’agent au CP fut largement mise à contribution pour réunir en plus des informations de la Fouine tout un tas de renseignements qui auraient du rester cachés. Avec le temps, Morse comprenait sur quel levier il pouvait tirer et jusqu’à quel point pour obtenir ce qu’il souhaitait. Ceux qui opposèrent une résistance le regrettèrent très vite. Morse n’avait même pas besoin de lever la main, il pouvait forcer d’autres à le faire et raffermir par la même son emprise sur eux. Cet équilibre, néanmoins, était instable et pouvait basculer à tout moment ce qui aurait pour lui des conséquences plutôt létales. Il avait besoin d’un autre moyen de pression et Morse savait très bien lequel : l’argent.

      Pour s’échapper des mouches à merde et rejoindre les vrais joueurs Morse devait non seulement se faire un nom et une réputation, mais aussi un réseau d’acheminement et de distribution interne. Sa progression devait se faire lentement, discrètement, au risque d’effrayer la concurrence qui mettrait un terme à son business avant même qu’il n’ait réellement démarré. La crainte d’être égorgé dans son sommeil s’ajoutait au reste et créa rapidement chez Morse un sentiment de paranoïa permanent. Il devait protéger ses arrières, se fabriquer une police d’assurance qui découragerait les tentatives de meurtres à son égard. Effectuer des rondes quotidienne et régulièrement mater des détenus à la force de sa matraque. Tequila Wolf était une vraie poudrière et il s’amusait à provoquer des étincelles en essayant de contrôler leur propagation. Skrik avait atteint un degré de concentration qu’il ne pensait possible qu’au cœur de la forêt  ou au milieu de l’océan, entouré par des prédateurs. Un tel degré de vigilance était naturellement épuisant, ses sens aiguisés comme des lames de rasoirs pouvaient aussi se retourner contre lui et trouver l’équilibre requérait une attention constante. Ce n’était pourtant pas le moment de se reposer, au contraire il allait mettre les bouchées doubles et pour cela il allait devoir compter sur le jeune Chat et surtout sur la Momie.

      Un midi, alors que la température était de plusieurs points en dessous de zéro, Morse se rendit dans la zone où ses deux compères devaient travailler. Ce jour-là, en raison du froid insupportable, personne ne voulaient s’occuper de cette zone exposée aux intempéries et Morse obtint facilement une raison pour s’y rendre en plus d’un « je t’en dois une » qui n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Courbé en deux sous les rafales de vents Morse entendit le fracas des pioches contre la pierre bien avant de les voir. Cette mélodie infernale avait quelque chose d’entêtant, mystérieuse et effrayante à la fois comme si quelque chose d’énorme et dangereux était en gestation là-bas et ce cœur qui battait annonçait son réveil proche. Enfin, Morse arriva sur les lieux et ce qu’il vit le stupéfia alors qu’il croyait pourtant fermement que rien ne pourrait le surprendre ici à présent. De toutes les sections « proposées » aux bagnard, la taille était de loin la pire, celle qu’on évitait autant que possible et qu’on réservait aux détenus les plus farouches. Ici, en peu de temps, ils étaient invariablement brisés, tristes reflets des blocs sur lesquels ils frappaient. Personne ne parlait ici et ce silence était d’autant plus déroutant qu’il n’était pas tant dû aux consignes qu’à une incapacité physique. Le froid, la fatigue, la douleur muraient les bagnards dans un mutisme surnaturel. Les épaules qui se levaient et se baissaient étaient secouées de spasmes et les dos saisis par des crampes qui les déformaient dans des résultats qui n’avaient plus rien d’humain. Comment ses alliés s’en sortaient-ils dans cet enfer ? Alors qu’il marchait parmi ses êtres désincarnés Morse réalisa une chose : il avait oublié leurs noms… Merde, c’était vraiment pas le moment ! Skrik se maudissait intérieurement et cherchait d’un air distrait un visage connu. Au moins celui de la Momie était unique en son genre..

        Un nouveau leader

        Dès sa première journée Grimmjack fait du grabuge et attire l'attention des caïds de la section 4C. Le chasseur de prime doit s'y faire : vivre dans un milieu carcéral est remplie de mésaventures.


        - Oh ! Navré mess ... Puis je me rappelais que je jouais le rôle de Ricko Connel, bandit des grands chemins. Je me devais de vivre mon personnage à fond pour que je sois crédible ! Vous voulez ma photo les 3 pèquenauds ? J'ai encore du boulot la.

        C'était ainsi dire un changement radical. La timidité qui parcourait ma voix avait laissée sa place à une confiance virile et roque. Mais ceci n'était que subterfuge : à l'intérieur j'étais pétrifié. Non pas que ces loubards me faisaient peur, mais maintenant, toute la section entière nous regardait .... Gloups.

        - Ne nous parle pas sur ce ton !
        - T'es un homme mort le lépreux !
        - Regardez vous autres !
        S'adressait l'homme-poisson au reste de la section. Voici ce qui arrive à ceux qui voudront nous tenir tête !

        Ce que redoutaient les spectateurs arriva : une bagarre. Qui dit bagarre sur Tequila Wolf, peu importe le vainqueur, dit descente des matons. Et quand les matons se mélangent aux taulards, c'était souvent pour foutre des coups de matraque à la tire larigot.

        Le premier - le batracien - fonça sur moi pour m'assener un coup. J'esquiva d'un simple pas sur le côté, laissant trainé un pied au sol, ce qui le fit trébucher et tomba à la renverse dans les gravats de pierre. 1 sur 3.
        Le second - le chauve tatoué - voulut venger son ami. Il arracha la pioche des mains d'un bagnard et accouru à toute vitesse. Un simple coup de coude dans le plexus le stoppa net dans sa lancée. 2 sur 3.
        Le troisième - l'homme-poisson - fou de rage, s'élança à son tour pour m'achever. Mais un coup de pied valsé le fit renvoyer à son poste vers la zone des bardeurs. 3 sur 3.
        Ils étaient pas si forts, les caïds qui terrorisaient la section 4C, après tout ...

        Tous furent stupéfaits, qu'ils soient bagnards ou gardiens qui avaient pu observer la scène. Personne ne s'attendait à ce qu'on mette en déroute ces 3 la d'une telle facilité. Puis l'alarme retentit. Une marée de gardiens déferla. Tous les membres de la sections se mirent ventre à terre et les mains sur le crâne, mais même comme ça ils savaient qu'ils allaient quand même déguster la solidité des gourdins métalliques. J'étais un peu gêné, c'était sans doute de ma faute s'il arrivait tout ça...

        - Bon bah, quand faut y aller, faut y aller !

        Mon état d'esprit était simple. Foncer dans le tas, occuper un maximum de gardiens pour qu'ils s'en prennent le moins possible au reste de la section. Chose faite, car la marée humaine des surveillants pénitenciers prit rapidement le dessus sur Ricko Connel, le bandit des grands chemins qui allait gouter une bonne semaine ou deux de mitard ...

        ***

        - C'est ici qu'on travaille. Notre job est de tailler la roche en cube pour la construction du pont. Toi t'es un tailleur, tu peaufines la pierre pour qu'elle parte à l'assemblage. Les débiteurs te ...
        - Excuse moi papi, c'est qui ce drôle de type qui fait toutes les tâches à la fois ?
        - Ah ça ... C'est Ricko le lépreux. Il est assez effrayant mais c'est un bon bougre. Il a fait un mois entier de mitard et depuis qu'il est sorti, il travaille pour huit ! Tellement qu'il aide les autres quand il finit son débitage ! Il a même rendu les avengers dociles ! Paraitrait même qu'il sifflotait et rigolait enfermé au mitard et qu'il voulait plus en sortir ! C'est un sacrée spécimen ce type ! Mais tout le monde ici l'aime bien !


        Il était vrai que j'avais bien aimé ce mois enfermé dans le noir. Je pouvais enfin retirer mes bandages et laissé ma peau à l'air libre ! Depuis le début de mes aventures - et bien avant d'ailleurs - je n'avais pas eu un petit temps pour moi ! C'était super relaxant comme expérience ! La tranquillité, la méditation toussa toussa ...
        Puis quand j'étais sorti, pour me racheter auprès de mes camarades de bagne, j'avais décidé de mettre les bouchées doubles ! Désormais, j'aidais même au bardage et au taillage quand je finissais mes taches journalières ( à la mi-journée à peu prêt).

        Bizarrement, en aidant les autres et malgré mes différences, j'avais conquis peu à peu leur respect. Bien que la majorité des gens avaient encore du mal à s'approcher de moi, les quelques sourires que je pouvais distinguer étaient tous bienveillants.
        Puis affronter toute une garnison de matons pour qu'ils ne tabassent pas le reste de la section m'avait presque fait rentrer dans le panthéon des légendes de la 4C.
        J'étais Ricko le lépreux, et je m'étais plutôt bien accoutumé au climat, qu'il soit carcéral ou hivernal...

        D'ailleurs, ce jours la, alors que j'aidais les bardeurs à transporter les blocs de roche je vis une silhouette dans la neige. Je le reconnaissais celui-la ... C'était Skrik ! Mince, je l'avais carrément oublié avec toutes ces histoires !
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        Une entreprise, contrairement à ce que pourra vous répéter le directeur des ressources humaines – ressources humaines, vraiment ?! - ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais comme une famille. Ou alors une famille dysfonctionnelle, toxique, avec d’un côté un père abusif, une mère négligente, un grand frère violent… et de l’autre des secrets, des trahisons, des mensonges. En revanche il est tout à fait cohérent et malheureusement de plus en plus pertinent de comparer le système carcéral, et a fortiori, le monde moderne, à celui de quelques multinationales capitalistes. Dans cette logique d’entreprise, comprenez bien qu’un centre de détention quel qu’il soit doit répondre à des objectifs, assurer sa pérennité et, bien sûr, capitaliser suffisamment pour satisfaire les actionnaires qui attendent de leurs investissements initiaux un retour sans cesse plus important et cela bien souvent au détriment des principaux intéressés – entendez par là les employés ou les détenus le cas échéants. En voici pour preuve le cas, presque d’école, de Ricko Connel et de Tequila Wolf. Efficace, il aurait très bien pu prétendre au rang d’employé du mois, voire même de l’année, tant il s’était montré investi dans son travail au point, conséquence logique, de perturber l’écosystème jusque-là établi. Préservé au prix fort depuis des années par une sorte de syndicat géré par les détenus, ce statu quo était bousculé par le nouveau-venu. Une manne financière pour le directeur du camp et ses propriétaires, mais ni plus ni moins qu’une trahison aux yeux des bagnards. Ce conflit aurait pu être géré pacifiquement, politiquement et intelligemment par les concernés, mais puisqu’il concernait des individus violents dans un environnement cruel, il ne pouvait naturellement n’être réglé que dans le sang.

        Grâce aux rapports qui lui étaient quotidiennement transmis Morse était au courant de cette activité inhabituelle, mais il était bien loin d’imaginer que son complice en était le responsable. Pourquoi diable ferait-il démonstration d’un tel excès de zèle dans l’exécution d’une punition aussi injuste que stérile ? Ce comportement déjà surprenant de la part d’un quelconque détenu relèverait carrément de la psychose s’il était le fruit d’un homme enfermé sous un faux prétexte pour une mission secrète. C’est pour cela que Morse eut du mal à en croire ses propres yeux – peut-être trompés par la fatigue ? - lorsqu’il constata que ce « Riz Colonel » dont on parlait n’était nul autre que la Momie lui-même. De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête au point qu’une migraine se profilait tandis qu’il assistait, sans voix, aux exploits dont on parlait tant. Des questions qui devraient attendre avant de trouver une réponse car l’urgence n’était pas là. Malgré la situation incongrue, le faux gardien était néanmoins reconnaissant d’être tombé rapidement sur lui et surtout de voir qu’il semblait en excellente forme, du moins pouvait-on le supposer logiquement malgré ses bandages. Un détail, en outre, n’échappa pas à Morse à présent qu’il s’était habitué aux mœurs carcérales : l’étrange s’était additionné au bizarre et certains détenus semblaient avoir pris le parti de la Momie et constituaient ensemble un groupe assez important pour se prémunir d’une agression par l’un ou l’autre des clans qui sévissaient à Tequila Wolf.

        Les hommes-poisson d’un côté, les familles mafieuses, les pirates qui avaient échappés à la potences… les divisions du monde extérieur n’avaient eu aucun mal à franchir les murailles de Tequila Wolf et prospéraient plus sévères et surtout plus absurdes dans ce lieu où elles avaient pourtant encore moins de sens. Une aubaine pour les gardiens et peut-être aussi pour Skrik, s’il parvenait à s’en servir… Sans quitter son personnage, Morse s’avançait vers Ricky en faisant tournoyer sa matraque dans sa main gauche. Il provoquait du regard les quelques détenus qu’il croisait et qui finissaient par s’éloigner sans un mot. Face à son allié, il eut toute les peines du monde à ne pas baisser sa garde et à afficher le même mépris qu’il  avait pour les autres et, en avisant le matricule imprimé sur son uniforme, il parvenait à le déshumaniser.

        - Prisonnier 325, suis moi. On a du boulot pour toi ailleurs.

        Des protestations s’élevèrent aussitôt parmi les alliés de la Momie tandis que d’autres bagnards riaient ostensiblement du sort qu’ils pensaient réservés à leur rival. Morse ponctua l’ordre d’un coup de pieds derrière le genou qui força Ricko à tomber. Ce n’était pas douloureux, mais efficace. En pointant sa matraque vers les autres détenus, Morse ramena l’ordre et le travail repris normalement. Malheureusement, le Chat n’était pas dans les environs et Morse n’avait pas le temps de se mettre à sa recherche et il se remit en marche avec son ami sur les talons. Plus tôt, il avait repéré un coin désert depuis un effondrement. Le vent marin était parvenu à briser le mur d’un réfectoire aussi efficacement qu’il s’occupait de la chaire des forçats. Pour le « féliciter » de son bon travail, Ricko avait la « chance » de pouvoir le réparer sous la supervision du gardien Morse. Une parfaite couverture pour le duo qui pouvaient ainsi parler librement sans générer la moindre suspicion.

        - T’as l’air d’bien t’débrouiller, commença Skrik en reprenant son accent pour briser le silence. T’t’en sors ? Et l’Chat, l’est toujours entier ?

        Le mur qui était tombé permettait de voir une partie de la cuisine, même si le local n’était certainement pas digne de cette appellation. Des rats énormes y avaient trouvés refuge contre le froid et l’humidité et leur nombre était tel que Morse ne distinguait guère le granit gris sous leurs fourrures. Dans un coin, d’un robinet mal fermé, tombaient à intervalle régulier des goûtes d’eau qui formaient lentement un stalagmite d’une vingtaine de centimètres. Une arme parfaite qui disparaissait après usage, se fit-il la réflexion en fuyant du regard le prisonnier qu’il forçait à travailler.

        - On va d’voir passer à la vitesse supérieure. J’imagine que t’tiens pas à croupir plusieurs mois ici, alors il faudra prend’ des risques pour démasquer les rats qui s’cachent ici.

        Les rongeurs semblaient irrités par la comparaison peu flatteuse de Skrik et il s’élevait de leur masse informe un grognement aux intentions d’avertissement. L’agent infiltré ne se démonta pas et jeta un cailloux qu’il avait ramassé par terre dans leur direction. Il toucha l’un des monstres dans l’indifférence générale, trop occupés étaient-ils à dévorer une carcasse méconnaissable. Le jeune homme espérait juste qu’il ne s’agisse pas d’un corps humain.

        - Pour l’forcer à sortir d’son trou il faut qu’on foute en l’air son organisation. Y a qu’en touchant à sa source d’revenus qu’il réagira et c’comme ça qu’on pourra l’attraper.

        La stratégie de Skrik était relativement simple et avait déjà fait ses preuves à d’autres occasions, lors de différentes missions d’infiltrations. A la différence de celle-ci, il bénéficiait des ressources du Gouvernement Mondial et d’un filet de sécurité – certes bien mince. Incapable de rester là à ne rien faire pendant que son camarade trimait à déblayer les pierres, Morse lui vint machinalement en aide. A la faveur de l’obscurité que la nuit tombante projetait sur Tequila Wolf, ils ressemblaient à deux prisonniers anonymes, presque silencieux. En laissant à son compère le temps de lui poser des questions, il exposa son plan. En premier lieu, ils créeraient ensemble un réseau de distribution et de contrebande. Lui se chargeait de l’approvisionnement grâce aux gardiens qu’ils faisaient chanter et la Momie se chargerait d’inonder le marché en proposant des tarifs plus bas que ceux de la concurrence. Leur entreprise à eux n’ayant pas vocation à durer dans le temps la vente à perte se révélait tout à fait pertinente dans le cadre d’une OPA hostile. Ensuite, à mesure que les organisations rivales réagiraient, ils n’auraient qu’à transférer les opérations jusqu’à remonter au sommet. Comme un pavé dans la marre   ces actions rapides et efficaces troubleront à peine la surface, mais Skrik était certains de constater à des réactions dans les profondeurs. Ils n’auraient alors plus qu’à frapper.

        Son exposé avait exigé un certain temps. Travailler avec des civils requérait des qualités et des compétences que Skrik n’avait que trop rarement aiguisé et il n’était pas sûr de pouvoir lui reparler avant un moment, pour ne pas compromettre le plan. Dans la cour, la température avait encore baissé de quelques degrés et de la vapeur s’échappait de leur corps, réchauffés par l’exercice. D’un geste, il invita Ricko à s’asseoir un instant.

        - Faites attention...

          El Traficante

          Grimmjack et Tai se retrouvent enfin seuls après ces longues semaines d'infiltration. Il est temps pour eux de faire le point et d'avancer ensemble dans leur enquête et leur traque commune.


          - J'ai eu des nouvelles par "Tête de Cactus" de la 2G.

          La 2G, c'était la section qu'on appelait - nous les bagnards - "les baladeurs". C'étaient eux qui s'occupaient du ravitaillement de toutes les sections et de la logistique entre elles. Les seules qui pouvaient se pavaner tranquillement entre les différentes ailes du pont. Un bon taulard devait toujours avoir un baladeur dans la poche ... Moi, j'avais mon tête de cactus. Il était le frère ainé d'un jeune gars de la 4C, un gars que j'avais défendu des Avengers. "Tête de cactus" car sa tête - et surtout sa coupe de cheveux - ressemblait à s'y méprendre à une de ces plantes, même si personnellement j'en avais jamais vu. Et comme un arrangement commun, je surveillais de prêt son petit frère pendant que lui me ramenait des informations de l'extérieur.

          - Il semblerait qu'il aille bien et s'est retrouvé dans la 8X, à l'assemblage, tout au fond du pont ...

          Skrik comme moi savions ce que ça voulait dire. La 8X était réputée pour ne pas être une section très pénible ... Mais particulièrement dangereuse. Les derniers chiffres de l'alphabet constituaient la fin de la chaine de création du pont. A l'assemblage, ils risquaient leur vie tous les jours pour construire ce satané édifice. Le taux de survie était assez faible, une demi-douzaine de mois environ. Ca nous poussait a accélérer la cadence si on voulait enfin sortir de cet enfer, tous en vie ...

          - De la gnole et des clopes ... Il n'y a que ça qui fait tenir les gens ici.

          C'était en effet la contrebande la plus demandée sur le marché des prisonniers. Tout était bon pour oublier ne serait-ce qu'un temps l'état de notre situation.

          - ... Et des Den Den ! Si tu nous trouves ça Skrik, on va faire un carton !

          Ca par contre, c'était une marchandise beaucoup plus rare ... Mais tout le monde paierait cher pour avoir des nouvelles de sa famille ... Ou mieux encore, une communication entre les prisonniers !
          Ramener ce genre de produits couterait gros à Skrik s'il se faisait pincer ... Mais une chose était sûre : si notre petite entreprise fonctionnait, on allait foutre un sacré coup de pied dans la fourmilière !

          On profita de ce bref instant entre nous dans cet endroit un peu sordide, quoi que particulièrement à mon gout ! A force de trop jouer le personnage de Ricko Connel, je commençais à avoir peur de me perdre dans tout ce foutoir ... Alors ces moments avec mon ami, je les chérissais le plus possible.

          ***

          Deux semaines s'étaient écoulées depuis mes retrouvailles avec l'agent Skrik. J'étais tranquillement posé au réfectoire de la 4C - un bâtiment en bois à deux doigts de s'écrouler mais avec une cheminée assez grande pour nous réchauffer - en train de prendre mon souper. Les journées étaient encore plus rudes qu'avant. Personne n'osait s'asseoir à ma table à cause de ma "maladie", mais quelques téméraires y faisaient abstractions.

          - Oh le Lépreux ! Faut qu'on cause !

          C'était ce papi rachitique qu'on surnommait "l'Ancien". Ce même bonhomme qui faisait la visite aux nouveaux. Il était assez énergique pour son âge, même s'il semblait avoir oublié les bonnes manières au fil des années passées dans ces taudis.
          Je lui tira la chaise en lui faisant un large sourire - celui la même qui faisait fuir tous les autres - en l'invitant à me rejoindre.

          - Je sais ce que tu fais le Lépreux. Les gens t'aiment bien ici, tu bosses pour les autres, demandes rien en échange et maintenant tu ramènes de la marchandise en douce. On sait tous que c'est "Tête de cactus" qui te refourgue tout ça, même si on sait pas quel gardien bosse en amont ... Mais crois-moi gamin, tu vas te causer des ennuis ... Y'a des gens à qui ca va pas plaire ... Des gens beaucoup plus dangereux que ces crétins d'Avengers ...

          Cette nouvelle me provoqua un léger sourire. L'ancien pensait que je me foutais de sa poire, mais non ! J'étais clairement heureux que les événements avançaient plus vite que prévu !

          - Nyahahaha ! Dis moi papi Armin, tu m'aimes bien pour que tu t'inquiètes pour moi, c'est ça ?!

          C'était sans doute la vérité. L'ancien était un des seuls hommes qui venait me parler librement et à force d'interaction, on avait construit plus ou moins une relation de confiance entre nous.

          - Qu'ils viennent me chercher des noises ces trous-du-cul. Je les attend de pied ferme ! Parole de Lépreux ! De toute façon plus rien à foutre la mort me guette depuis longtemps déjà !

          Gloups. Je détestais toujours autant cette manière de parler ! Mais j'étais obligé de jouer mon rôle à fond ... Et si ça restait même après avoir terminé ma mission ?! Raaah maman promis je respecterai l'education que tu m'as donnée !

          Le papi grommela en partant. Moi, je continuais tranquillement mon souper. Notre plan fonctionnait à merveille ... Maintenant fallait juste attendre que Jan Copper sortent ses pions et contre-attaquer ...
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          Echec et mat

          Le plan de l'agent Skrik et de Grimmjack semblait marcher à merveille. Très vite, leur contrebande d'escargophones inonda le marché et comme ils s'en étaient douté, ils grappillèrent au fur et a mesure le terrain de leur cible : Jan Cooper.


          L'alarme retentissait dans toute la prison depuis une bonne dizaine de minutes déjà. C'était la panique totale, personne ne savait pourquoi. Ce que nous étions sur, c'était que certaines portes qui devaient être fermées ne l'étaient pas et qu'à cet instant précis toutes les divisions étaient joignable entre elles.

          Défaillance technique ? Tentative d'évasion ? Ces deux hypothèses étaient probables, mais ce n'étaient pas celles que j'avais retenues. Malgré le brouhaha du chaos ambiant et des émeutes qui commençaient à éclater ici et la, j'avançai sur mes gardes. Il était urgent pour moi de quitter la 4C et d'exfiltrer le chat. En ce qui concernait l'agent Skirk, j'étais persuadé qu'il assurait de son côté. Après tout, on s'était préparé pour ...

          Tandis que j'avançai dans la 4C, esquivant les fumées lacrymogènes et toutes les tentatives des gardiens de nous arrêter, je pus observer l'étendue de leur soi-disant défaillance technique ... Toutes les portes empruntés par la 2G étaient grandes ouvertes. Il n'y avait aucun doute la dessus : alors que la direction divisait les prisonniers pour mieux régner, le monde carcéral n'avait jamais été aussi connecté entre eux qu'aujourd'hui.

          Ma priorité, c'était le chat. Je courus saisir une pioche dans l'atelier et m'attelai sans hâte aux sections d'assemblage, tout au bout du pont. Malheureusement, un groupe de détenus me bloquait le passage. Ils ne semblaient pas participer aux émeutes et paraissaient même plutôt calmes malgré l'urgence de la situation. Cela ne pouvait me mettre que la puce à l'oreille ...

          Un vieil homme se démarqua de ses congénères. Celui du style à tout contrôler.

          Aucune bête aussi féroce - Deuxième Partie [Quête : Grimmjack] Jancop10

          - Je n'aurai jamais cru qu'un nouvel arrivant me mettrait autant de bâtons dans les roues. Je t'ai envoyé plusieurs assassins pourtant, mais il faut croire que Ricko Connel est plus difficile à abattre que ça.
          - Il fallait bien ça pour te faire sortir de ta petite cachette, Jan Cooper !

          A ces mots, le vieil homme explosa de rire.

          - Il semblerait que tu sois bien renseigné. Malheureusement pour toi, c'est la fin. Tu ne marcheras plus sur mes plates-bandes ... Dit-il en faisant un signe de la main à ses larbins. Cette prison est à moi !
          - Je n'en ai rien à faire de cette maudite prison ...

          Je saisis ma pioche, seul substitut d'arme ressemblant à une faux, et d'un puissant coup horizontal envoyai valser la première salve d'hommes de main.

          - Ni de ton misérable business d'ailleurs ...

          Je bondis d'une férocité sans pareille sur la deuxième partie du groupe. Enchainant les mouvements amples mais rapides, je me débarrassai un à un de sa milice personnelle. Ils avaient beau être baraqués et armés d'armes artisanales en tout genre, ces pauvres gars l'étaient encore moins fort que les avengers ...

          - Si je suis rentré dans cet enfer carcéral, c'est seulement pour t'arrêter Jan Cooper ! Scythe Half Moon !

          Je réitéra à nouveau ma technique fétiche. Il ne restait plus que lui et moi dans ces couloirs au milieu du chaos général.
          Il para mon coup de son avant-bras à ma grande surprise ! Après tout et malgré son âge avancé, Jan Cooper avait encore de l'énergie à revendre ... Et s'il avait pris le contrôle de la prison, ce n'était pas qu'avec ses petits jeux de pouvoir mais bel et bien en alliant ingéniosité et biceps chargés.

          - Oh ?! Que c'est flatteur ! Serais-tu un membre du Cipher Pole ? Se faire passer pour un détenu et se faire emprisonner juste pour m'arrêter ... Il faut avouer que c'est couillu. Je reconnais bien la signature des agents du gouvernement.

          Plutôt à l'aise dans ses paroles, le vieux l'était tout autant dans ses gestes. Il maniait ses mots simultanément que son corps avec une précision déconcertant et les coups pleuvaient entre nous. Il était fort, je devais l'avouer. Mais comparé à lui, j'avais des personnes à protéger dans toute cette histoire, notamment Félix, le pauvre qui avait enduré tout ça à cause de nous.

          - T'y es pas du tout papi ! Je suis Rick ... Oh et puis zut. Cette affrontement signifiait la fin imminente de ma mission ou de ma vie, aux chiottes ma couverture. Je suis Grimmjack ! Chasseur de primes reconnu dans tout East Blue ! Et tu es en état d'arrestation !

          Il fallait avouer qu'après jouer les espions, je rêvais depuis ma tendre enfance de sortir une phrase du genre à un moment pareil.

          - Shashashashashasha ! En-tout-cas, Jan Cooper ne semblait pas me prendre au sérieux, ce qui était un brin vexant ... Un vulgaire chasseur de primes ?! Tu es bien loin de ton champ d'action mon ami ! Et cette erreur tu la paieras cher ! Shigan !

          D'un revers du bras, le vieillard se créa une ouverture dans ma garde et fondit sur moi à une vitesse impressionnante. Par je ne sais quelle magie, il me transperça l'épaule gauche du bout de son doigt. Un rictus de douleur s'afficha sous mes bandelettes tandis que celles de mon corps s'imprégnaient de mon sang. Je fis quelques pas en arrière pour reprendre une distance de sécurité.

          - Keuf, keuf ... Qu'est ce que ... ?!
          - Dommage que tu ne sois pas du Cipher Pole, nous aurions pu combattre à arme égale. Mais si tu ne maîtrises pas un des six pouvoirs, ta fin est proche.

          Un des six pouvoirs ?! Le Cipher Pole ?! Skirk savait faire ça, lui aussi ?! Par quelle diablerie un homme pouvait endurcir son doigt pour le rendre aussi puissant qu'un coup d'estoc ?!

          - Maintenant, fais tes adieux, tu n'auras été qu'une page dans mon histoire ! Déclarait Jan Cooper avant de s'élancer sur moi de toutes ses forces.
          - J'ai moi aussi plus d'un tour dans mon sac l'ancêtre ! Mummy Constrictor Snakes !

          L'effet de surprise, c'était un atout non-négligeable dans un combat. Et imaginez la stupeur du brigand quand il se fit saisir par tout un tas de bandelettes le stoppant net dans son action. Mais je savais très bien qu'au vu de sa force, je ne pourrais pas l'arrêter définitivement et que je devais saisir cette brèche pour m'immiscer dedans !

          Je profitai alors de ces quelques secondes d'ouverture pour faire tournoyer ma pioche dans la main. Puis, d'un coup précis, l'explosa contre le crâne du vieillard, l'arme se brisant sous la force de l'impact.
          J'avais perdu une pioche, certes, mais en contrepartie, j'avais mis hors état de nuire notre cible prioritaire qui gisait inconscient sur le sol.

          J'étais essoufflé, l'intensité de ce combat avait puisé dans mes forces. Mais ce n'était pas le moment de se reposer. La prison était en proie à différentes émeutes, Felix était sûrement en danger dans tout ce chaos et je me devais de retrouver l'agent Skrik pour nous exfiltrer de tout ce bordel ...

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          Exfiltration

          Après son combat contre Jan Cooper, Grimmjack continua sa recherche de Félix. La prison était dans un chaos sans précédent, beaucoup de cellules et de sections étaient ouvertes entre elles ce qui provoquait une des plus grosses émeutes que Tequilla Wolf eut connu.


          Un état de force majeure. C'était que cette prison avait besoin. Le bordel sur Tequilla Wolf était sans précédent. Plus de la moitié des cellules et des sections étaient ouvertes et les prisonniers se battaient contre les matons pour gagner leur liberté - ou tout du moins pour se venger d'une décennie de violence à leur égard.

          Dans ce chaos ambiant, au milieu du tintamarre des alarmes et des fumées lacrymogènes, entre deux éclats de matraque sur un détenu, je me faufilais comme je pouvais.
          Sur mon dos, je portais le corps meurtri et inconscient de Jan Cooper et dans la main gauche, je tenais celle de Félix, l'allié de l'agent Skirk que j'étais parti rechercher au bout du pont. Il ne manquait plus qu'une personne dans cette équation pour qu'on puisse filer d'ici et cette personne, c'était l'agent Skirk lui-même.

          - Vite Félix, nous avions un point de ralliement en cas de problèmes de ce genre, c'est par ici !

          Effectivement, notre porte de sortie n'était plus très loin. C'était l'accès aux salles de repos des surveillants, prêt de l'entrée. Normalement, Skirk devait nous attendre là-bas. Et s'est soulagé qu'en nous approchant je le vie au point d'attente, tirant avec lui un corps cabossé par les coups.

          - Faut qu'on s'bouge les gars, ça pète dans tous les sens dans c'taudis. Ah ça ... Regardant l'homme qu'il venait de salement amocher. C'est l'type qui taffait pour Cooper, un sacré ripoux. Puis se retourna vers Félix. Content qu'tu sois en un seul morceau l'chat.

          Ni une, ni deux, Skirk nous ouvrit une porte normalement réservée aux matons grâce à son badge, puis on s'engouffra avec nos prisonniers dans les corridors sécurisés de la prison.
          On devait sortir et vite, cette prison était trop grande pour garder un criminel tel que Jan Cooper. Le problème dans ce plan - et c'est ce que nous n'avions pas prévu - c'était cette défaillance technique et les émeutes qu'elle causa.

          Alors qu'on courrait dans les couloirs, un groupe de matons nous bloquèrent le chemin.

          Aucune bête aussi féroce - Deuxième Partie [Quête : Grimmjack] Image
          Lieutenante-Colonel Adela Wagner,
          Chef de pont


          - Halte ! Gardien Morse, qu'est ce que vous foutez avec des prisonniers ici ?! Et pourquoi le Gardien en chef Oyola II est dans cet état ?!

          Voilà que Skirk grommelait. Dans son regard, je compris que tomber sur cette haute-gradé n'était pas un coup de pouce du destin. Immobile, je restais derrière lui alors qu'il se mit à répondre.

          - Chef Wagner, mes salutations. Suis pas l'gardien que vous connaissez ... Dit-il en jetant sa carte d'agent gouvernemental à la femme. Mais un agent du CP2 en mission chez vous. L'chat la, c'est Félix, et l'type bizarre, c'est Grimmjack, un chasseur mandaté par nos services. Continua-t-il en lui donnant ma licence de chasseur qu'il avait soigneusement gardé avec lui. Nous venons d'arrêter Jan Cooper qui trafiquait depuis l'intérieur des cellules et c't'enfoiré d'Oyola était son complice. Bref, tout ce merdier ça s'ra dans des rapports et tout l'tralala. J'suis pas trop pap'rasse moi ...

          La femme, accompagnée d'une brigade de matons, étudia avec précision les documents que venait de lui remettre l'agent Skirk. Puis les lui renvoya avant de continuer.

          - M'semblait bien que votre administrateur en avait parlé a Polyanta. Nous nous dirigions d'ailleurs vers la tour de contrôle, car nous soupçonnions Oyola d'avoir ouvert les cellules et les portes inter-sections. Apparemment, vous nous avez mâché le travail...

          La lieutenante-colonel fit un signe à ses hommes de récupérer les deux hommes inconscients. Skirk me lança un regard pour me persuader de les laisser faire, ce que je fis.

          - On va les mettre en cellules isolées le temps que tout ce bordel se calme. Quant à vous deux ... Son regard s'attarda sur Skirk et moi. Vous êtes en partie responsable de tout ce foutoir, alors si vous voulez sortir d'ici, va falloir nous aider pour calmer les émeutes, sinon je vous fous au trou et feinterais l'ignorance quant a l'existence de votre mission. Compris ?!

          Skirk me lança un regard perplexe. Est-ce qu'on avait le choix d'ailleurs ?!

          [***]

          Pfiouuuuuu ! Quelle journée ! Voilà des semaines que j'avais infiltré les détenus de Tequila Wolf pour qu'aujourd'hui je passe de l'autre côté de la barrière ! Je me posai dans la salle de repos des gardiens avec Skirk, tous deux exténués. J'avais enfilé le manteau des matons et nous avions aidés à réprimander les émeutes durant toute la journée durant. C'était un sacré foutoir cette mission, mais le soleil se couchait sur l'île avec beaucoup plus de calme désormais.

          J'avais encore un peu de sang sur ma tenue. Il fallait avouer que de jouer de la matraque toute l'après-midi contre mes anciens codétenus était une sensation particulièrement ... Déroutante. Mais c'était pour le bien de notre mission, et puis comparé aux autres, j'étais bien plus gentil quant au traitement des prisonniers ...

          Alors qu'on venait à peine de se poser, la Lieutenante-colonel fit irruption dans les locaux.

          - J'ai vu avec la directrice, tous les préparatifs sont en ordre. Vous avez bien bossé les gars, sans vous, on aurait eu beaucoup plus de mal à calmer tous les prisonniers. Nous félicitait-elle avant de prendre une brève pause. Pour Jan Cooper et Oyola II, comme convenu entre les administrateurs, ils sont maintenant sous votre responsabilité agent Skirk. Un navire de la marine ne devrait pas tarder à vous récupérer.

          Un regard de soulagement se posa sur mon collègue. Avant même que je dise quoi que ce soit, Skirk me coupa et répondit.

          - C'est bon mon grand, tout est fini maintenant.


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