Terminus : Tequila Wolf. Une simple déclaration qui avait le goût d’une condamnation. « N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. » Sans qu’il n’eusse besoin d’être partagé à voix haute ce curieux dicton se répandit à travers tout le navire. Et il n’épargna pas un seul de ses passagers quand le capitaine annonça sobrement qu’ils approchaient de leur destination finale. Ce dernier mot, alors, pouvait être pris d’une manière douloureusement littérale. L’atmosphère, naguère joyeuse et chaleureuse, devint sinistre et glaciale. Bien sûr le climat hivernal de la région n’y était pas pour rien et les mines se renfrognaient autant en raison du vent glacial qui pénétrait les os que pour la perspective du sort qui les attendait à Tequila Wolf. Et dans son bagne. Parmi les trente-mille victimes de son régime dictatorial ils seront bientôt eux aussi réduits à un matricule et une fonction. Bien sûr, tous les passagers n’étaient pas destinés à partager le sort de ces forçats, mais la sinistre réputation des lieux suffisait à faire ressentir de l’empathie au cœur de tout homme. Un sentiment qui n’échappa pas à Félix bien sûr, pour des raisons évidentes, mais qui parvint quand même à toucher Skrik qui sentait ses tripes se nouer plus profondément minute après minute.
Au loin, dans la blancheur immaculée d’un ciel chargé de flocons, la silhouette sombre et massive de Tequila Wolf se détachait comme une impureté dans ce paysage virginal. Et alors que ce distinguait au loin le pont en perpétuelle construction – allégorie douloureusement réelle du destin qu’on réservait ici aux bagnards - les craintes de l’agent Skrik semblaient se matérialiser. Dans un coin de sa tête ou au plus profond de son cœur l’idée qu’il commettait peut-être une erreur ne parvenait à complètement disparaître malgré ses efforts. En tant qu’agent du Cipher Pol, il était amené à appréhender toutes sortes de criminels sans montrer de compassion et il était parvenu jusque là avec une redoutable efficacité à se débarrasser des doutes ou des remords qui auraient pu le ronger. C’était facile. Il suffisait d’y voir une lutte pour sa propre survie et les pires exactions apparaissaient comme nécessaires ou au moins tolérables. Un combat après l’autre, une chasse en menant à une autre, Skrik n’avait pas le temps, à moins qu’il s’y forçait, de penser aux conséquences. A l’avenir. En l’occurrence, à son absence... Puisque ses cibles finissaient par croupir dans des cellules oubliées ou finissaient-elles par se tuer à la tâche dans ces comptoirs de la mort. Ce jour-là en revanche, il était confronté pour la première fois aux résultats de ses choix.
Skrik, tourné vers Grimmjack, faillit lui proposer de rebrousser chemin. De changer d’avis tant qu’il en était encore possible, mais il se retint. Bien sûr, le jeune homme ne faisait pas ça de bonté de cœur et il aurait été cruel de lui rappeler qu’il n’avait pas vraiment d’autres opportunités. Alors, silencieux, Skrik se contenta de garder ses inquiétudes pour lui en les refoulant sous le tapis de la morale. Les craintes de Félix n’avaient quant à elles pas besoin d’être verbalisées. Son visage était crispé sans que le froid y soit pour grand-chose et l’appréhension se lisait aisément à travers les tremblements qui agitaient ses mains. Machinalement, l’agent consulta les avis de recherches qui correspondaient à ses deux prises. La veille, après qu’ils se soient mis d’accords pour la suite, Skrik s’était esquinté à fabriquer un faux pour Grimmjack puisque ce dernier n’était en réalité recherché pour aucun crime. Il était satisfait du résultat et supposait que les gardes étaient moins regardants quant à l’identité de qui entraient et plus pour ceux qui sortaient. En outre, en tant qu’agent du Gouvernement Mondial, sa crédibilité devait suffire à convaincre des fonctionnaires peu impliqués et il ne pouvait pas réclamer la prime accordées à un arrestation ; mort ou vif. Le Chat, qui ne cessait d’impressionner Skrik, fut le premier à briser le silence.
- Ça va aller grand.
Dans cette main minuscule posée sur son biceps et qui semblait ridicule, il y avait une force que Skrik ne comprendrait peut-être jamais. C’était Félix, Félix terrorisé et cachant du mieux qu’il le pouvait les larmes qui montaient à ses yeux, qui parvenait à rassurer Skrik. Son bourreau. Après cela, il était impensable pour l’agent de douter. Il devait réussir, ou ne le se pardonnerait-il jamais. Oui, si les deux hommes qui avaient remis leur vie entre ses mains devaient être blessés alors sa fierté d’homme en serait à jamais bafouée. Il irait même jusqu’à remettre sa démission au bureau de Henry Stemper, son supérieur direct. Etait-ce seulement possible ? Peu importe, c’est inutile d’y réfléchir. Ça n’arrivera pas. Pour donner le temps, Skrik choisit de rire.
Lorsque le navire accosta à Tequila Wolf, les trois hommes étaient prêts. Ici la neige semblait contaminée par les souffrances des âmes et perdait sa blancheur dès qu’elle touchait le sol. Ou alors, comme consciente de ce qu’elle pourrait camoufler, peut-être la neige décidait-elle de se transformer en boue glacée pour mieux dévoiler les vices. Skrik en tête et les deux hommes menottés deux pas derrières lui, ils marchèrent le dos voûté pour affronter les rafales qui soufflaient sur le quai. Lorsqu’ils arrivèrent à la lourde porte qui marquait à proprement parler l’entrée de Tequila Wolf ils étaient tout trois couverts de neige et frigorifié. Un homme derrière un guichet grillagé signala à l’agent de s’approcher par un geste de la main.
- Ouiiiiii ? C’est pour queuwaaaa ?
- J’ai ces deux merdeux qui méritent une piaule dans vot’ palace. Le jeune là, c’est… Félix. Skrik planta l’avis de recherche de ce dernier sous les yeux de merlan frit du gardien. L’autre c’est Ricko Connel. Nouvel avis de recherche, même réaction.
- Très biiiiien. On va s’occuuuuuper d’eux.
Le gardien laconique, après un temps d’absence, remarqua néanmoins l’allure si particulière de Grimmjack. Quand ce dernier avait annoncé qu’il refusait de se débarrasser de ses bandages Skrik n’avait pas cherché à comprendre pourquoi, mais pour le justifier il fallait une sacrée bonne raison.
- Il a une sorte d’maladie d’peau. Un vrai carnage. Si t’veux pas dégobiller vaux mieux pas y toucher, tu m’suis.
Le gardien grimaça d’horreur. Sa fertile imagination dépassait de loin ce que Skrik pouvait inventer et c’était précisément l’effet recherché. Sans plus de vérification, il invita deux autres gardiens à se saisir des nouveaux pensionnaires pour leur faire faire un petit tour de l’établissement et comprendre les règles qu’ils devaient respecter tout au long de leurs séjours s’ils souhaitaient le rendre le moins désagréables possible. A présent que cette première phase était couronnée de succès, il était temps d’enclencher la seconde : plus délicate. Grâce à un autre faux habilement fabriqué, Skrik était en possession d’une lettre de recommandation qui lui offrait un poste de de surveillant de classe III dans cette prestigieuse prison. Ce niveau d’accréditation lui permettait une certaines marge de manœuvre, mais n’était pas assez prestigieuse pour susciter l’attention. En théorie.
- Ah ouiiiii ? Je ne suis pas au couraaaaant, vous voyez.. ?
- Oui, c’tait pas vraiment prévu en fait. A la base j’devais aller ailleurs mais-
- Ouiiii ouiiiii, très biiiiiien… Allez voir le capitaine Oyola. C’est avec luiiiiii qu’il faut voir. Okaaaaaaay ?!
- Ça marche, merci chef !
Avec son arme et celle de Grimmjack, Skrik prit la porte désignée par le secrétariat avant que l’envie de lui faire avaler toutes ces lettres en trop ne soit trop grande. Sur les indications d’une tripotée d’autres uniformes il scella les armes et alla se présenter au fameux Oyola qu’il avait intérêt à convaincre dans l’intérêt de la mission.
Au loin, dans la blancheur immaculée d’un ciel chargé de flocons, la silhouette sombre et massive de Tequila Wolf se détachait comme une impureté dans ce paysage virginal. Et alors que ce distinguait au loin le pont en perpétuelle construction – allégorie douloureusement réelle du destin qu’on réservait ici aux bagnards - les craintes de l’agent Skrik semblaient se matérialiser. Dans un coin de sa tête ou au plus profond de son cœur l’idée qu’il commettait peut-être une erreur ne parvenait à complètement disparaître malgré ses efforts. En tant qu’agent du Cipher Pol, il était amené à appréhender toutes sortes de criminels sans montrer de compassion et il était parvenu jusque là avec une redoutable efficacité à se débarrasser des doutes ou des remords qui auraient pu le ronger. C’était facile. Il suffisait d’y voir une lutte pour sa propre survie et les pires exactions apparaissaient comme nécessaires ou au moins tolérables. Un combat après l’autre, une chasse en menant à une autre, Skrik n’avait pas le temps, à moins qu’il s’y forçait, de penser aux conséquences. A l’avenir. En l’occurrence, à son absence... Puisque ses cibles finissaient par croupir dans des cellules oubliées ou finissaient-elles par se tuer à la tâche dans ces comptoirs de la mort. Ce jour-là en revanche, il était confronté pour la première fois aux résultats de ses choix.
Skrik, tourné vers Grimmjack, faillit lui proposer de rebrousser chemin. De changer d’avis tant qu’il en était encore possible, mais il se retint. Bien sûr, le jeune homme ne faisait pas ça de bonté de cœur et il aurait été cruel de lui rappeler qu’il n’avait pas vraiment d’autres opportunités. Alors, silencieux, Skrik se contenta de garder ses inquiétudes pour lui en les refoulant sous le tapis de la morale. Les craintes de Félix n’avaient quant à elles pas besoin d’être verbalisées. Son visage était crispé sans que le froid y soit pour grand-chose et l’appréhension se lisait aisément à travers les tremblements qui agitaient ses mains. Machinalement, l’agent consulta les avis de recherches qui correspondaient à ses deux prises. La veille, après qu’ils se soient mis d’accords pour la suite, Skrik s’était esquinté à fabriquer un faux pour Grimmjack puisque ce dernier n’était en réalité recherché pour aucun crime. Il était satisfait du résultat et supposait que les gardes étaient moins regardants quant à l’identité de qui entraient et plus pour ceux qui sortaient. En outre, en tant qu’agent du Gouvernement Mondial, sa crédibilité devait suffire à convaincre des fonctionnaires peu impliqués et il ne pouvait pas réclamer la prime accordées à un arrestation ; mort ou vif. Le Chat, qui ne cessait d’impressionner Skrik, fut le premier à briser le silence.
- Ça va aller grand.
Dans cette main minuscule posée sur son biceps et qui semblait ridicule, il y avait une force que Skrik ne comprendrait peut-être jamais. C’était Félix, Félix terrorisé et cachant du mieux qu’il le pouvait les larmes qui montaient à ses yeux, qui parvenait à rassurer Skrik. Son bourreau. Après cela, il était impensable pour l’agent de douter. Il devait réussir, ou ne le se pardonnerait-il jamais. Oui, si les deux hommes qui avaient remis leur vie entre ses mains devaient être blessés alors sa fierté d’homme en serait à jamais bafouée. Il irait même jusqu’à remettre sa démission au bureau de Henry Stemper, son supérieur direct. Etait-ce seulement possible ? Peu importe, c’est inutile d’y réfléchir. Ça n’arrivera pas. Pour donner le temps, Skrik choisit de rire.
Lorsque le navire accosta à Tequila Wolf, les trois hommes étaient prêts. Ici la neige semblait contaminée par les souffrances des âmes et perdait sa blancheur dès qu’elle touchait le sol. Ou alors, comme consciente de ce qu’elle pourrait camoufler, peut-être la neige décidait-elle de se transformer en boue glacée pour mieux dévoiler les vices. Skrik en tête et les deux hommes menottés deux pas derrières lui, ils marchèrent le dos voûté pour affronter les rafales qui soufflaient sur le quai. Lorsqu’ils arrivèrent à la lourde porte qui marquait à proprement parler l’entrée de Tequila Wolf ils étaient tout trois couverts de neige et frigorifié. Un homme derrière un guichet grillagé signala à l’agent de s’approcher par un geste de la main.
- Ouiiiiii ? C’est pour queuwaaaa ?
- J’ai ces deux merdeux qui méritent une piaule dans vot’ palace. Le jeune là, c’est… Félix. Skrik planta l’avis de recherche de ce dernier sous les yeux de merlan frit du gardien. L’autre c’est Ricko Connel. Nouvel avis de recherche, même réaction.
- Très biiiiien. On va s’occuuuuuper d’eux.
Le gardien laconique, après un temps d’absence, remarqua néanmoins l’allure si particulière de Grimmjack. Quand ce dernier avait annoncé qu’il refusait de se débarrasser de ses bandages Skrik n’avait pas cherché à comprendre pourquoi, mais pour le justifier il fallait une sacrée bonne raison.
- Il a une sorte d’maladie d’peau. Un vrai carnage. Si t’veux pas dégobiller vaux mieux pas y toucher, tu m’suis.
Le gardien grimaça d’horreur. Sa fertile imagination dépassait de loin ce que Skrik pouvait inventer et c’était précisément l’effet recherché. Sans plus de vérification, il invita deux autres gardiens à se saisir des nouveaux pensionnaires pour leur faire faire un petit tour de l’établissement et comprendre les règles qu’ils devaient respecter tout au long de leurs séjours s’ils souhaitaient le rendre le moins désagréables possible. A présent que cette première phase était couronnée de succès, il était temps d’enclencher la seconde : plus délicate. Grâce à un autre faux habilement fabriqué, Skrik était en possession d’une lettre de recommandation qui lui offrait un poste de de surveillant de classe III dans cette prestigieuse prison. Ce niveau d’accréditation lui permettait une certaines marge de manœuvre, mais n’était pas assez prestigieuse pour susciter l’attention. En théorie.
- Ah ouiiiii ? Je ne suis pas au couraaaaant, vous voyez.. ?
- Oui, c’tait pas vraiment prévu en fait. A la base j’devais aller ailleurs mais-
- Ouiiii ouiiiii, très biiiiiien… Allez voir le capitaine Oyola. C’est avec luiiiiii qu’il faut voir. Okaaaaaaay ?!
- Ça marche, merci chef !
Avec son arme et celle de Grimmjack, Skrik prit la porte désignée par le secrétariat avant que l’envie de lui faire avaler toutes ces lettres en trop ne soit trop grande. Sur les indications d’une tripotée d’autres uniformes il scella les armes et alla se présenter au fameux Oyola qu’il avait intérêt à convaincre dans l’intérêt de la mission.
Dernière édition par Tagata Tai le Mar 21 Mar 2023 - 17:11, édité 2 fois