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La rue était froide, hésitant entre boue et neige souillée, et entourée de hautes battisses grises constellées de barbelés. Les hautes portes cochères, bien que neuves n'avaient aucun éclat métallique, qui aurait pu apporter un peu de lumière à défaut de couleur dans le coin. Des fenêtres bardées de barreaux ne filtrait qu'un noir intense, encore plus morbide que l'extérieur à vrai dire. Il n'y avait pas de vie possible entre les grillages, les numéros inscrits sur chaque geôle s'enchainaient méthodiquement, sans que rien ne pu arrêter cette mécanique infernale. Dans le petit village, il n'y avait aucun bruit audible, même pas la lamentation d'un rat à l'agonie, seulement la neige qui tombait, de plus en plus sale et la boue qui ruisselait le long de rares pavés grisâtres que l'on pouvait encore apercevoir. D'ailleurs, cette boue n'en était pas vraiment une, c'était plus de la crasse mêlée à des excréments qui dégageaient une odeur abominable.
Soudain, un bruit régulier se fit entendre, lent mais particulièrement fort. La vie revenait derrière ses barreaux, sous la forme d'esclaves exploités à la construction du pont, non loin de là. Ils avaient d'abord reconstruits un village, plus proche des travaux puis avaient continuer leur travail, inexorablement. Les autorités avaient donné à l'ensemble de baraquements le nom de Porto Dell, c'était accrocheur et même assez vendeur si on partait de ce point de vue, ça sentait les vacances et la joie de vivre... Les visages émaciés et les corps décharnés rejoignirent leur domicile sous la direction de soldats de la marine, accompagnés de chien. Parmi les premiers, une petite fille aux cheveux blancs et aux yeux rouges, flottant dans sa combinaison bleue de prisonnière visiblement conçue pour les adultes, poussa une grande porte et s'engouffra dans la fraicheur du lieu qu'elle appelait sa «maison» en compagnie de ses frères et sœurs un peu plus jeunes qu'elle.
Kana poussa un soupir. Une journée de plus écoulée et une journée de moins à souffrir avant de mourir. Elle commença par allumer un feu sur le maigre poêle qui gisait dans un coin puis sortit les provisions que leurs avaient donné leurs bourreaux et les fit cuire avant de donner à manger à ses compagnons de fortune en leur conseillant de bien mâcher. Après quoi, la gamine se hissa au second étage d'un pas trainant et se posta devant la fenêtre pour regarder les étoiles. Elle ne savait pas pourquoi elle était là, on lui avait dit qu'elle avait commis des crimes avec les autres enfants mais la petite ne se souvenait pas et surtout, elle ne comprenait pas. Son passé s'était envolé mais il semblait pourtant qu'elle était arrivées sur les chantiers de Tequila Wolf après la construction du village. Plus les jours passaient et moins elle se rappelait.
Après avoir vu passer la dernière fournée de prisonnier et la dernière ronde, l'albinos se précipita vers le fond du grenier, monta sur une caisse puis décrocha une tuile mal fixée. Elle avait trouvé ça il y avait maintenant une semaine, alors qu'elle souffrait d'insomnie mais n'en avait parlé à personne. Bien que ses sœurs et frères la respectent, ils avaient peur de son apparence, comme les adultes d'ailleurs. La jeune fille ne pouvait se fier qu'à elle-même. Avec un peu de difficultés à cause de courbatures, elle se hissa au dehors. Il faisait froid et la neige venait de recommencer à tomber mais pourtant, Kana préférait être frigorifiée et libre que avoir chaud et rester une minute de plus dans cet endroit sordide. C'était la perspective de sortir toutes les nuits qui la faisait tenir durant les durs heures de la journée.
Une fois les barbelés enjambés, la gamine se laissa glisser jusqu'à la rue sombre et dissimula ses cheveux, la majeur partie de son visage et sa combinaison bleue derrière une grande couverture noire. Son souffle faisait comme de la fumée de cigarette, bien qu'elle ne sache pas d'où lui vienne cette référence. Peut être son esprit avait-il bloqué tous ses souvenirs pour qu'elle puisse y avoir accès plus tard... En tout cas, si elle voulait passer du temps dans la forêt et revenir à l'aube, il ne fallait pas trainer.
La petite aux cheveux blancs accéléra le pas et sortit finalement du village.