Shell Town, son zoo excepté, y’avait rien à en tirer. L’île se confondait avec la bourgade, son insolente et indécente garnison trônant au beau milieu de la carrées. En ces lieux, on n'y venait que pour s’y perdre ou y faire escale. Restait le zoo, néanmoins. Même qu’il ne restait que ça après déduction de la morne et placide vie routinière environnante. On y venait de loin pour ce zoo-ci. Car quand on n’avait qu’un as dans sa manche, il était de bon ton que celui-ci fut assez rutilant pour capter les regards.
Pour que ça fourmille dans les cages ; qu’on y rugisse dans certaines et qu’on y mugisse dans d’autres, il avait fallu ratisser large afin de peupler les enclos. Les Blues, Grand Line ; tout avait été arpenté pour y garnir le joyau de Shell Town. Les braconniers mis à contribution, pour la peine, avaient été trempés dans la sainte onction du Gouvernement Mondial afin que leur crime devint un service. Un service estimable et estimé pour ce que la ménagerie comptait maintenant de bestiaux. Il y en avait des exotiques par ailleurs ; les chasseurs ayant poussé leur vice jusqu'aux abords des côtes de L’Île des Animaux. Mais il en était un de ces animaux mythiques qui, de fraîche date, avait marqué son entrée : l’hippopotame rachitique bavard de South Blue. Hippopotamus Maigrichonus Blablatus de son nom scientifique. Une espèce rare. Si rare qu’on ne lui connaissait qu’un spécimen reconnu. Et celui-ci, c’est bien à l’abri derrière les cages de Shell Town qu’on pouvait le découvrir.
- « Dis, maman, pourquoi le popotame il a un chapeau ? »
L’innocence des enfants constituait toujours un spectacle des plus charmant. Avec bienveillance, une mère s’employait à parfaire les connaissance de sa fille lorsque celle-ci, séparée de la bête par quelques barreaux dressés en colonnes, s’interrogeait des choses de la nature qu'elle observait ingénument.
- « Mais enfin ma chérie, répondit sa mère le plus naturellement du monde, c’est pour ne pas attraper de coups de soleil. »
La réponse, effectivement, tombait au coin du bon sens et la petite demoiselle, de ce fait, fut alors bien instruite à cette occasion. Toutefois, curieuse et naïve comme l’étaient les enfants de son âge, celle-ci persistait néanmoins à poser des questions sous le regard attendri des visiteurs environnants.
- « Mais pourquoi le potame il se tient sur deux jambes ? »
C'était là une question des plus classique pour qui méconnaissait les us des hippopotames rachitiques bavards. Après avoir gloussé d’un petit rire attendri, sa génitrice, puisant à nouveau dans un inépuisable réservoir de connaissances, rétorqua avec justesse et précision :
- « Parce que s’il ne se tenait que sur une seule, ma puce, il aurait du mal à garder l’équilibre, enfin. »
- « Ah bah oui, je suis bête. » Se corrigea la jeune fille avec une fraîcheur telle qu'on ne pouvait que sourire à s'y exposer de près.
Une personne âgée, témoin de la scène, se pencha vers cette mère à la sagacité remarquable pour lui dire à quel point sa fille était mignonne. Et cette dernière n’en finissait pas de l’être puisqu’elle revenait une fois de plus à la charge, décidément assoiffée de connaissances.
- « Et pourquoi qu’il boit du rhum à la bouteille le potame ? »
Il y eut encore une fois des petits rire dans l’assistance. Non pas que ceux-ci furent condescendants, mais la candeur d’une enfant suscitait parfois cette réaction amusée chez les adultes qui s'y éprouvaient. Comme à son habitude, maman avait réponse à tout, car elle était bien informée des choses du monde.
- « Ça, ma chérie, c’est parce qu’il n’a pas de verre. Il est donc contraint de boire au goulot. »
Dans la nature, les hippopotames rachitiques bavards étaient en effet soumis à de rudes conditions de vie. Et, afin d’émuler au mieux son environnement naturel, le zoo de Shell Town avait justement pris soin de n’omettre aucun détail. Aussi on ne servait aucun verre à l’animal lorsque celui-ci buvait le rhum qui constituait sa première source de subsistance.
Admirable bête que celle-ci.
- « Et pourquoi qu’il… »
- « Oh. La sourdine un peu. Est-ce que je t’en pose des questions, moi *burp* ? Répliqua préventivement l’animal dans toute sa majesté alors que, depuis le début de la session de questions-réponses, celui-ci s’était trouvé collé aux barreaux qui le séparait de la plèbe, à moins d'un mètre de la fillette. Est-ce que je te demande pourquoi tes chaussures sont pas assorties à ta robe ? Hein ?! »
L’hippopotame rachitique bavard - c’était de notoriété publique - manquait de tact et de savoir-vivre. D’intelligence aussi. Surtout.
Mère et fille, quand la plus jeune fut éconduite en larmes, quittèrent précipitamment la troupe de touristes amassés devant la cage de peur d’agacer davantage l’animal. Les barreaux, alors, ne les avaient pas prémunies des mots blessants.
Il avait fier allure, le bestiau, à cuver son rhum et jeter la bouteille sur un amas de verre qui n’en finissait pas de s’amonceler dans l’enclos. La notice d’information spécifiait en effet que l’animal était coutumier du fait. Ce qui ne le rendait que plus fascinant. Des mauvais esprits, néanmoins, crurent trouver là matière à apporter leur science au débat.
- « Dites… vous trouvez pas qu’il ressemble franchement à un être humain normal ? »
La stupeur, à ces mots, fut générale. Alegsis lui-même, captif qu’il était, entrouvrit en grand sa bouche tant la déclaration lui parut choquante à lui aussi.
- « Mais non enfin, objecta un deuxième commentateur d'un avis bien tranché, vous voyez bien comme ses narines sont séparées l’une de l’autre. C’est clairement un hippopotame. »
À bien y regarder de plus près, les yeux plissés derrière ses lunettes et son nez presque collé au museau de la bête, le premier intervenant posa enfin son verdict au terme d'un examen scrupuleux.
- « Vous avez raison. »
Tous, dans l’assistance, soupirèrent de soulagement en s’étant un instant crus bernés par une combine douteuse.
- « Qu'est-ce que je suis bête, des êtres humains aussi moches, de toute façon ça pourrait pas exister dans la nature ha-ha-ha ! »
Et tous, dans l’assistance, rirent de bon cœur à cette réflexion piquée au coin du bon sens. Tous, même Alegsis. Cela, en dépit des larmes qui lui coulaient le long des joues tant le camouflet exercé par la dernière réplique fut sévère à son endroit. Mieux valait en rire qu’en pleurer ; lui choisissait de faire les deux.
Après qu’on eut jeté quelques cacahuètes à la bestiole – que celle-ci s’empressa de manger d’un appétit farouche – les visiteurs lui caressèrent le sommet du chapeau en immortalisant l’instant avec un Visio-Dial avant de poursuivre leur exploration du zoo.
N’étant plus pour l’heure l’attraction principale de ces lieux, le singulier pachyderme se flatta les valseuses et alla s’allonger sur le flanc en prenant appui sur son coude pour maintenir sa tête.
Deux semaines auparavant, à peine avait-il eu quitté les planches pourries du Cimetière d’Épaves pour s’épanouir dans un rôle de chasseur de primes nouvellement accordé, les braconniers de Shell Town l’avaient capturés en désespoir de cause. Ils avaient des quotas de nouvelles espèces à respecter pour s’assurer un bonus chaque année. Aussi, avec une gueule construite comme la sienne, Alegsis fit office de pis-aller. Ses ravisseurs, sur sa vilaine trogne, brodèrent une histoire d’animal légendaire pour combler un enclos vide. De là était né l’hippopotame rachitique bavard. Rachitique car il était moins massif qu'un pachyderme et bavard pour justifier qu'il fut doté de la parole.
On avait vu, après tout, des créatures plus étranges en ce bas monde.
Par cent fois déjà depuis qu’on l’avait capturé, Alegs aurait pu mettre les bouts. Cependant, gracieusement biberonné au rhum tel qu’il l’était depuis sa capture, jamais sa vie minable ne fut aussi radieuse. Aussi s’en contentait-il mollement. Exit Alegsis Jubtion, le chasseur de primes en devenir. Il fallait à présent faire place à Alegsis, l’hippopotame rachitique bavard ; une carrière dont un homme de si peu d’intellect et d’aspiration n’aurait même osé rêver de là où il venait.
Parce qu’il vivait le rêve, Alegsis, à mâchonner des cacahuètes et à rincer les morceaux collés entre ses dents à coup de liqueur. Ce serait ça, sa vie, à présent : des journées entières passées à glander dans un cachot laissé à l’air libre, la bouteille dans une main, et l’autre dans le pantalon.
- « J’ai quand même bien fait de partir de chez moi. Mâchonnait-il encore, sincèrement heureux de son sort. J’aurais pas connu le luxe autrement *burp*. »
Cloîtré une vie durant dans le Cimetière d’Épaves, ostracisé dès sa prime jeunesse tant il était stupide et ignorant du monde qui l’entourait, Alegs n’aurait jamais soupçonné qu’une vie meilleure puisse l’attendre ici bas. Le deuil de sa vocation de chasseur de primes fut entamée avant même que sa carrière ne commença et de ce triste constat, il s’en contentait allègrement. Ainsi débutaient les aventures d'Alegsis Jubtion l'hippopotame rachitique bavard de Shell Town.
Ne restait au destin qu’à le semoncer d’un sévère coup pied au cul pour le remettre sur le droit chemin.
Pour que ça fourmille dans les cages ; qu’on y rugisse dans certaines et qu’on y mugisse dans d’autres, il avait fallu ratisser large afin de peupler les enclos. Les Blues, Grand Line ; tout avait été arpenté pour y garnir le joyau de Shell Town. Les braconniers mis à contribution, pour la peine, avaient été trempés dans la sainte onction du Gouvernement Mondial afin que leur crime devint un service. Un service estimable et estimé pour ce que la ménagerie comptait maintenant de bestiaux. Il y en avait des exotiques par ailleurs ; les chasseurs ayant poussé leur vice jusqu'aux abords des côtes de L’Île des Animaux. Mais il en était un de ces animaux mythiques qui, de fraîche date, avait marqué son entrée : l’hippopotame rachitique bavard de South Blue. Hippopotamus Maigrichonus Blablatus de son nom scientifique. Une espèce rare. Si rare qu’on ne lui connaissait qu’un spécimen reconnu. Et celui-ci, c’est bien à l’abri derrière les cages de Shell Town qu’on pouvait le découvrir.
- « Dis, maman, pourquoi le popotame il a un chapeau ? »
L’innocence des enfants constituait toujours un spectacle des plus charmant. Avec bienveillance, une mère s’employait à parfaire les connaissance de sa fille lorsque celle-ci, séparée de la bête par quelques barreaux dressés en colonnes, s’interrogeait des choses de la nature qu'elle observait ingénument.
- « Mais enfin ma chérie, répondit sa mère le plus naturellement du monde, c’est pour ne pas attraper de coups de soleil. »
La réponse, effectivement, tombait au coin du bon sens et la petite demoiselle, de ce fait, fut alors bien instruite à cette occasion. Toutefois, curieuse et naïve comme l’étaient les enfants de son âge, celle-ci persistait néanmoins à poser des questions sous le regard attendri des visiteurs environnants.
- « Mais pourquoi le potame il se tient sur deux jambes ? »
C'était là une question des plus classique pour qui méconnaissait les us des hippopotames rachitiques bavards. Après avoir gloussé d’un petit rire attendri, sa génitrice, puisant à nouveau dans un inépuisable réservoir de connaissances, rétorqua avec justesse et précision :
- « Parce que s’il ne se tenait que sur une seule, ma puce, il aurait du mal à garder l’équilibre, enfin. »
- « Ah bah oui, je suis bête. » Se corrigea la jeune fille avec une fraîcheur telle qu'on ne pouvait que sourire à s'y exposer de près.
Une personne âgée, témoin de la scène, se pencha vers cette mère à la sagacité remarquable pour lui dire à quel point sa fille était mignonne. Et cette dernière n’en finissait pas de l’être puisqu’elle revenait une fois de plus à la charge, décidément assoiffée de connaissances.
- « Et pourquoi qu’il boit du rhum à la bouteille le potame ? »
Il y eut encore une fois des petits rire dans l’assistance. Non pas que ceux-ci furent condescendants, mais la candeur d’une enfant suscitait parfois cette réaction amusée chez les adultes qui s'y éprouvaient. Comme à son habitude, maman avait réponse à tout, car elle était bien informée des choses du monde.
- « Ça, ma chérie, c’est parce qu’il n’a pas de verre. Il est donc contraint de boire au goulot. »
Dans la nature, les hippopotames rachitiques bavards étaient en effet soumis à de rudes conditions de vie. Et, afin d’émuler au mieux son environnement naturel, le zoo de Shell Town avait justement pris soin de n’omettre aucun détail. Aussi on ne servait aucun verre à l’animal lorsque celui-ci buvait le rhum qui constituait sa première source de subsistance.
Admirable bête que celle-ci.
- « Et pourquoi qu’il… »
- « Oh. La sourdine un peu. Est-ce que je t’en pose des questions, moi *burp* ? Répliqua préventivement l’animal dans toute sa majesté alors que, depuis le début de la session de questions-réponses, celui-ci s’était trouvé collé aux barreaux qui le séparait de la plèbe, à moins d'un mètre de la fillette. Est-ce que je te demande pourquoi tes chaussures sont pas assorties à ta robe ? Hein ?! »
L’hippopotame rachitique bavard - c’était de notoriété publique - manquait de tact et de savoir-vivre. D’intelligence aussi. Surtout.
Mère et fille, quand la plus jeune fut éconduite en larmes, quittèrent précipitamment la troupe de touristes amassés devant la cage de peur d’agacer davantage l’animal. Les barreaux, alors, ne les avaient pas prémunies des mots blessants.
Il avait fier allure, le bestiau, à cuver son rhum et jeter la bouteille sur un amas de verre qui n’en finissait pas de s’amonceler dans l’enclos. La notice d’information spécifiait en effet que l’animal était coutumier du fait. Ce qui ne le rendait que plus fascinant. Des mauvais esprits, néanmoins, crurent trouver là matière à apporter leur science au débat.
- « Dites… vous trouvez pas qu’il ressemble franchement à un être humain normal ? »
La stupeur, à ces mots, fut générale. Alegsis lui-même, captif qu’il était, entrouvrit en grand sa bouche tant la déclaration lui parut choquante à lui aussi.
- « Mais non enfin, objecta un deuxième commentateur d'un avis bien tranché, vous voyez bien comme ses narines sont séparées l’une de l’autre. C’est clairement un hippopotame. »
À bien y regarder de plus près, les yeux plissés derrière ses lunettes et son nez presque collé au museau de la bête, le premier intervenant posa enfin son verdict au terme d'un examen scrupuleux.
- « Vous avez raison. »
Tous, dans l’assistance, soupirèrent de soulagement en s’étant un instant crus bernés par une combine douteuse.
- « Qu'est-ce que je suis bête, des êtres humains aussi moches, de toute façon ça pourrait pas exister dans la nature ha-ha-ha ! »
Et tous, dans l’assistance, rirent de bon cœur à cette réflexion piquée au coin du bon sens. Tous, même Alegsis. Cela, en dépit des larmes qui lui coulaient le long des joues tant le camouflet exercé par la dernière réplique fut sévère à son endroit. Mieux valait en rire qu’en pleurer ; lui choisissait de faire les deux.
Après qu’on eut jeté quelques cacahuètes à la bestiole – que celle-ci s’empressa de manger d’un appétit farouche – les visiteurs lui caressèrent le sommet du chapeau en immortalisant l’instant avec un Visio-Dial avant de poursuivre leur exploration du zoo.
N’étant plus pour l’heure l’attraction principale de ces lieux, le singulier pachyderme se flatta les valseuses et alla s’allonger sur le flanc en prenant appui sur son coude pour maintenir sa tête.
Deux semaines auparavant, à peine avait-il eu quitté les planches pourries du Cimetière d’Épaves pour s’épanouir dans un rôle de chasseur de primes nouvellement accordé, les braconniers de Shell Town l’avaient capturés en désespoir de cause. Ils avaient des quotas de nouvelles espèces à respecter pour s’assurer un bonus chaque année. Aussi, avec une gueule construite comme la sienne, Alegsis fit office de pis-aller. Ses ravisseurs, sur sa vilaine trogne, brodèrent une histoire d’animal légendaire pour combler un enclos vide. De là était né l’hippopotame rachitique bavard. Rachitique car il était moins massif qu'un pachyderme et bavard pour justifier qu'il fut doté de la parole.
On avait vu, après tout, des créatures plus étranges en ce bas monde.
Par cent fois déjà depuis qu’on l’avait capturé, Alegs aurait pu mettre les bouts. Cependant, gracieusement biberonné au rhum tel qu’il l’était depuis sa capture, jamais sa vie minable ne fut aussi radieuse. Aussi s’en contentait-il mollement. Exit Alegsis Jubtion, le chasseur de primes en devenir. Il fallait à présent faire place à Alegsis, l’hippopotame rachitique bavard ; une carrière dont un homme de si peu d’intellect et d’aspiration n’aurait même osé rêver de là où il venait.
Parce qu’il vivait le rêve, Alegsis, à mâchonner des cacahuètes et à rincer les morceaux collés entre ses dents à coup de liqueur. Ce serait ça, sa vie, à présent : des journées entières passées à glander dans un cachot laissé à l’air libre, la bouteille dans une main, et l’autre dans le pantalon.
- « J’ai quand même bien fait de partir de chez moi. Mâchonnait-il encore, sincèrement heureux de son sort. J’aurais pas connu le luxe autrement *burp*. »
Cloîtré une vie durant dans le Cimetière d’Épaves, ostracisé dès sa prime jeunesse tant il était stupide et ignorant du monde qui l’entourait, Alegs n’aurait jamais soupçonné qu’une vie meilleure puisse l’attendre ici bas. Le deuil de sa vocation de chasseur de primes fut entamée avant même que sa carrière ne commença et de ce triste constat, il s’en contentait allègrement. Ainsi débutaient les aventures d'Alegsis Jubtion l'hippopotame rachitique bavard de Shell Town.
Ne restait au destin qu’à le semoncer d’un sévère coup pied au cul pour le remettre sur le droit chemin.