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[1628] La légende de l'hippopotame rachitique bavard (PV Ned Mayhem)

Shell Town, son zoo excepté, y’avait rien à en tirer. L’île se confondait avec la bourgade, son insolente et indécente garnison trônant au beau milieu de la carrées. En ces lieux, on n'y venait que pour s’y perdre ou y faire escale. Restait le zoo, néanmoins. Même qu’il ne restait que ça après déduction de la morne et placide vie routinière environnante. On y venait de loin pour ce zoo-ci. Car quand on n’avait qu’un as dans sa manche, il était de bon ton que celui-ci fut assez rutilant pour capter les regards.
Pour que ça fourmille dans les cages ; qu’on y rugisse dans certaines et qu’on y mugisse dans d’autres, il avait fallu ratisser large afin de peupler les enclos. Les Blues, Grand Line ; tout avait été arpenté pour y garnir le joyau de Shell Town. Les braconniers mis à contribution, pour la peine, avaient été trempés dans la sainte onction du Gouvernement Mondial afin que leur crime devint un service. Un service estimable et estimé pour ce que la ménagerie comptait maintenant de bestiaux. Il y en avait des exotiques par ailleurs ; les chasseurs ayant poussé leur vice jusqu'aux abords des côtes de L’Île des Animaux. Mais il en était un de ces animaux mythiques qui, de fraîche date, avait marqué son entrée : l’hippopotame rachitique bavard de South Blue. Hippopotamus Maigrichonus Blablatus de son nom scientifique. Une espèce rare. Si rare qu’on ne lui connaissait qu’un spécimen reconnu. Et celui-ci, c’est bien à l’abri derrière les cages de Shell Town qu’on pouvait le découvrir.

- « Dis, maman, pourquoi le popotame il a un chapeau ? »

L’innocence des enfants constituait toujours un spectacle des plus charmant. Avec bienveillance, une mère s’employait à parfaire les connaissance de sa fille lorsque celle-ci, séparée de la bête par quelques barreaux dressés en colonnes, s’interrogeait des choses de la nature qu'elle observait ingénument.

- « Mais enfin ma chérie, répondit sa mère le plus naturellement du monde, c’est pour ne pas attraper de coups de soleil. »

La réponse, effectivement, tombait au coin du bon sens et la petite demoiselle, de ce fait, fut alors bien instruite à cette occasion. Toutefois, curieuse et naïve comme l’étaient les enfants de son âge, celle-ci persistait néanmoins à poser des questions sous le regard attendri des visiteurs environnants.

- « Mais pourquoi le potame il se tient sur deux jambes ? »

C'était là une question des plus classique pour qui méconnaissait les us des hippopotames rachitiques bavards. Après avoir gloussé d’un petit rire attendri, sa génitrice, puisant à nouveau dans un inépuisable réservoir de connaissances, rétorqua avec justesse et précision :

- « Parce que s’il ne se tenait que sur une seule, ma puce, il aurait du mal à garder l’équilibre, enfin. »

- « Ah bah oui, je suis bête. » Se corrigea la jeune fille avec une fraîcheur telle qu'on ne pouvait que sourire à s'y exposer de près.

Une personne âgée, témoin de la scène, se pencha vers cette mère à la sagacité remarquable pour lui dire à quel point sa fille était mignonne. Et cette dernière n’en finissait pas de l’être puisqu’elle revenait une fois de plus à la charge, décidément assoiffée de connaissances.

- « Et pourquoi qu’il boit du rhum à la bouteille le potame ? »

Il y eut encore une fois des petits rire dans l’assistance. Non pas que ceux-ci furent condescendants, mais la candeur d’une enfant suscitait parfois cette réaction amusée chez les adultes qui s'y éprouvaient. Comme à son habitude, maman avait réponse à tout, car elle était bien informée des choses du monde.  

- « Ça, ma chérie, c’est parce qu’il n’a pas de verre. Il est donc contraint de boire au goulot. »

Dans la nature, les hippopotames rachitiques bavards étaient en effet soumis à de rudes conditions de vie. Et, afin d’émuler au mieux son environnement naturel, le zoo de Shell Town avait justement pris soin de n’omettre aucun détail. Aussi on ne servait aucun verre à l’animal lorsque celui-ci buvait le rhum qui constituait sa première source de subsistance.

Admirable bête que celle-ci.

- « Et pourquoi qu’il… »

- « Oh. La sourdine un peu. Est-ce que je t’en pose des questions, moi *burp* ? Répliqua préventivement l’animal dans toute sa majesté alors que, depuis le début de la session de questions-réponses, celui-ci s’était trouvé collé aux barreaux qui le séparait de la plèbe, à moins d'un mètre de la fillette. Est-ce que je te demande pourquoi tes chaussures sont pas assorties à ta robe ? Hein ?! »

L’hippopotame rachitique bavard - c’était de notoriété publique - manquait de tact et de savoir-vivre. D’intelligence aussi. Surtout.  
Mère et fille, quand la plus jeune fut éconduite en larmes, quittèrent précipitamment la troupe de touristes amassés devant la cage de peur d’agacer davantage l’animal. Les barreaux, alors, ne les avaient pas prémunies des mots blessants.
Il avait fier allure, le bestiau, à cuver son rhum et jeter la bouteille sur un amas de verre qui n’en finissait pas de s’amonceler dans l’enclos. La notice d’information spécifiait en effet que l’animal était coutumier du fait. Ce qui ne le rendait que plus fascinant. Des mauvais esprits, néanmoins, crurent trouver là matière à apporter leur science au débat.

- « Dites… vous trouvez pas qu’il ressemble franchement à un être humain normal ? »

La stupeur, à ces mots, fut générale. Alegsis lui-même, captif qu’il était, entrouvrit en grand sa bouche tant la déclaration lui parut choquante à lui aussi.

- « Mais non enfin, objecta un deuxième commentateur d'un avis bien tranché, vous voyez bien comme ses narines sont séparées l’une de l’autre. C’est clairement un hippopotame. »

À bien y regarder de plus près, les yeux plissés derrière ses lunettes et son nez presque collé au museau de la bête, le premier intervenant posa enfin son verdict au terme d'un examen scrupuleux.

- « Vous avez raison. »

Tous, dans l’assistance, soupirèrent de soulagement en s’étant un instant crus bernés par une combine douteuse.

- « Qu'est-ce que je suis bête, des êtres humains aussi moches, de toute façon ça pourrait pas exister dans la nature ha-ha-ha ! »

Et tous, dans l’assistance, rirent de bon cœur à cette réflexion piquée au coin du bon sens. Tous, même Alegsis. Cela, en dépit des larmes qui lui coulaient le long des joues tant le camouflet exercé par la dernière réplique fut sévère à son endroit. Mieux valait en rire qu’en pleurer ; lui choisissait de faire les deux.
Après qu’on eut jeté quelques cacahuètes à la bestiole – que celle-ci s’empressa de manger d’un appétit farouche – les visiteurs lui caressèrent le sommet du chapeau en immortalisant l’instant avec un Visio-Dial avant de poursuivre leur exploration du zoo.

N’étant plus pour l’heure l’attraction principale de ces lieux, le singulier pachyderme se flatta les valseuses et alla s’allonger sur le flanc en prenant appui sur son coude pour maintenir sa tête.
Deux semaines auparavant, à peine avait-il eu quitté les planches pourries du Cimetière d’Épaves pour s’épanouir dans un rôle de chasseur de primes nouvellement accordé, les braconniers de Shell Town l’avaient capturés en désespoir de cause. Ils avaient des quotas de nouvelles espèces à respecter pour s’assurer un bonus chaque année. Aussi, avec une gueule construite comme la sienne, Alegsis fit office de pis-aller. Ses ravisseurs, sur sa vilaine trogne, brodèrent une histoire d’animal légendaire pour combler un enclos vide. De là était né l’hippopotame rachitique bavard. Rachitique car il était moins massif qu'un pachyderme et bavard pour justifier qu'il fut doté de la parole.
On avait vu, après tout, des créatures plus étranges en ce bas monde.

Par cent fois déjà depuis qu’on l’avait capturé, Alegs aurait pu mettre les bouts. Cependant, gracieusement biberonné au rhum tel qu’il l’était depuis sa capture, jamais sa vie minable ne fut aussi radieuse. Aussi s’en contentait-il mollement. Exit Alegsis Jubtion, le chasseur de primes en devenir. Il fallait à présent faire place à Alegsis, l’hippopotame rachitique bavard ; une carrière dont un homme de si peu d’intellect et d’aspiration n’aurait même osé rêver de là où il venait.

Parce qu’il vivait le rêve, Alegsis, à mâchonner des cacahuètes et à rincer les morceaux collés entre ses dents à coup de liqueur. Ce serait ça, sa vie, à présent : des journées entières passées à glander dans un cachot laissé à l’air libre, la bouteille dans une main, et l’autre dans le pantalon.

- « J’ai quand même bien fait de partir de chez moi. Mâchonnait-il encore, sincèrement heureux de son sort. J’aurais pas connu le luxe autrement *burp*. »

Cloîtré une vie durant dans le Cimetière d’Épaves, ostracisé dès sa prime jeunesse tant il était stupide et ignorant du monde qui l’entourait, Alegs n’aurait jamais soupçonné qu’une vie meilleure puisse l’attendre ici bas. Le deuil de sa vocation de chasseur de primes fut entamée avant même que sa carrière ne commença et de ce triste constat, il s’en contentait allègrement. Ainsi débutaient les aventures d'Alegsis Jubtion l'hippopotame rachitique bavard de Shell Town.

Ne restait au destin qu’à le semoncer d’un sévère coup pied au cul pour le remettre sur le droit chemin.
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On avait admis communément et scientifiquement que les blues étaient des mers calmes, sans grand danger, où l'on pouvait naviguer sans trop se soucier des flots sous son vaisseau. Pourtant, tout bon marin ayant un minimum d'expérience en mer ne savait que trop bien que l'imprévisibilité des eaux ne garantissait aucun voyage prudent et qu'à tout moment, sans raison apparente, l'océan pouvait gronder. 

La modeste embarcation de Ned, Jayce et Lenny venait de subir de plein fouet ce changement brusque. Le calme était devenu tempête et en un instant la houle avait attaqué leur petit vaisseau. Les talents de navigateur de Jayce couplés à un instinct de survie commun leur avaient évité de sombrer dans les profondeurs en quelques minutes. Mais le déchaînement fut tel que le pauvre mât n'avait pas résisté à la pression des vents. Lorsque Ned se jeta dessus pour tenter de le remettre sur pied, il fut emporté par une vague, impuissant face à la force soudaine qui l'avait avalé. 

Il se réveilla quelques minutes, quelques heures ou quelques jours plus tard. Il n'en savait rien et il n'était pas en état de savoir. Tout ce qu'il sentit lorsqu'il rouvrit péniblement les yeux étaient la rugosité d'un filet de pêche et l'odeur saline du poisson. Il se dépêtra comme il le put de la montagne de maquereaux qui lui obstruait la vue et déglutit d'un jet toute l'eau accumulée dans sa poitrine.

Dites-moi que j'rêve ?!

La voix rauque d'un vieux pêcheur lui fit vibrer les tympans et il réalisa par la même occasion que la vie ne l'avait pas quitté.

T'as vu ça Alfred ?! J'crois qu'on a r'pêché un humain !

Alfred manqua de s'étouffer avec sa liqueur. Il n'en croyait pas ses yeux. Il lui fallut les frotter cinq ou six fois pour accepter que tout ça n'était pas le fruit des trop nombreux flacons qu'il avait avalés.

Bon sang mais libère-le tout de suite Joe ! cria Alfred, un brin paniqué.

Alfred s'exécuta et libéra le malheureux de sa cage souple. Les maquereaux se déversèrent sur les quais et Ned y roula, trempé jusqu'à l'os.

Eh mon gars, t'es en vie ? s'enquit Alfred en lui donnant une tape hésitante sur la poitrine.

Il n'eut pour réponse que des grognements indéchiffrables et une toux si forte qu'on aurait pu croire que le malheureux cherchait à faire sortir son âme.

Mais oui, il était bien vivant.

Il manquait évidemment de lucidité et son corps n'était qu'un fardeau à cet instant, mais il respirait. Les deux bonhommes le couvrirent d'un long manteau de pêcheur, lui donnèrent à boire et le conduisirent non sans confusion à l'auberge la plus proche.

Quelques heures venaient de s'écouler depuis le naufrage du jeune pirate. Ned avait retrouvé ses esprits et un peu de chaleur. Il était toujours un peu déboussolé, mais il avait les yeux en face des trous. C'était au moins ça. Dans l'auberge, il avait discuté un peu avec les malencontreux pêcheurs. Mine de rien, sans eux et cet énorme coup de chance, il n'aurait certainement jamais revu la terre ferme en vie.

Il avait atterri sur Shell Town, c'était ce que les deux hommes lui avaient d'abord confié. Une ville modeste sous le contrôle de la marine. De n'importe quel endroit de la ville on pouvait apercevoir la base militaire, dressée en plein coeur de l'île. Cette information ne le ravit pas le moins du monde, lui pirate esseulé, sans aucun moyen de communiquer avec ses compagnons perdus en mer. Il préféra d'ailleurs éviter volontairement de se poser la question "sont-ils morts ?". Il allait patienter là, discrètement, puis trouver un moyen de quitter cet endroit pour partir à leur recherche, s'ils ne le retrouvaient pas avant. C'était bien là tout ce qu'il pouvait faire. Et pour l'instant, il n'avait d'autre choix que de partir explorer l'île.

Il arpentait les rues et quartiers de Shell Town silencieusement, emmitouflé dans son long manteau jaunâtre de pêcheur qui cachait ses sabres. Alfred et Joe lui avaient parlé de la plus grande attraction de la ville (peut-être bien la seule à bien y regarder), un zoo où l'on pouvait admirer des espèces rares venues des quatre coins du monde. C'était peut-être un bon endroit pour y calmer ses nerfs. Car oui, il était furieux. Furieux d'avoir manqué de vigilance, furieux d'avoir abandonné ses camarades, de les avoir laissé en proie à une mer déchaînée, furieux de ne pas avoir été à la hauteur.

Alors qu'il broyait du noir, ressassant la situation en mer en essayant de comprendre désespérément là où il s'était manqué, quelque chose heurta ses jambes.

Ouïlle ! réagit brusquement le quelque chose.

Ned baissa la tête et découvrit près de ses jambes un garçon haut comme trois pommes, glace trois boules dans une main, barbe à papa dans l'autre. Il le dévisagea sans dire mot, avec ce regard qu'on pose généralement sur l'ennemi. Le garçon déglutit et tremblota un moment en essayant d'ouvrir la bouche.

Pardon monsieur, balbutia-t-il.

Le pirate remarqua qu'une partie du cornet du petit était vide, ou plutôt qu'une boule de glace manquait à l'appel. Il baissa un peu plus le regard et constata que le sorbet fraise-mangue s'était enlacé à son pantalon.

Elliott, bon sang, je t'ai dit d'arrêter de courir partout ! Je vous prie de l'excuser monsieur, il est surexcité à cause du zoo, s'excusa platement sa mère en accourant vers eux.

Ned songea à dégainer ses lames et à transformer le petit Elliott en knacki, mais il se remémora in extrémis les enseignements de la Voie du Sabre à propos de la sérénité et de la tempérance. Mais quand même, il y songea. Un petit bras en moins, ou une petite oreille...

Finalement, il essuya la tâche grasse d'un revers de manche et continua sa route sous les yeux apeurés d'Elliott et le regard confus de sa mère. 

Au moins, il l'avait compris, il venait d'arriver au zoo.

Il s'y balada un moment, toujours perdu dans ses pensées, en observant babouins et lions sur sa route. Mais à un croisement, quelque chose, ou plutôt un bruit de foule, le tira de ses songes. Un attroupement important s'agglutinait autour d'un vaste enclos et y émanaient des applaudissements et des encouragements enthousiastes. Curieux, Ned s'immisça au milieu de la foule et se rapprocha de l'enclos, souhaitant voir de ses propres yeux ce qui suscitait autant d'engouement.

Un employé du zoo grimpa tout à coup sur une estrade de fortune et s'accapara l'attention.

Ahem... messieurs-dames bonjour ! Nous avons l'honneur de vous présenter en exclusivité cette espèce rare, venue tout droit des confins de South Blue...hum... il hésita un moment en jetant un coup d'oeil au papier qu'il avait tiré de sa poche. L'hippo...l'hippopotame rachitique bavard ! Cette espèce, mesdames messieurs, est réputée pour sa danse si particulière qu'elle répète plusieurs fois au cours d'une journée...la...la danse de la boue ! Rapprochez-vous et n'en manquez pas une miette ! N'hésitez pas à passer d'abord à notre buvette juste à côté, pour acheter sodas, marshmallows et autres sucreries à prix déraisonna...abordables pour pouvoir profiter au mieux de cette expérience unique ! 

La danse de la boue ? Qu'est-ce que c'étaient que ces conneries ? Ned n'était certes pas un fervent zoologiste, mais il avait suffisamment appris et vu de choses dans sa modeste vie pour savoir que cette espèce n'existait ni dans ce monde, ni même dans l'infinité des réalités alternatives de l'univers.

Alors pour le croire, il fallait le voir.
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Plusieurs centaines de mètres carrés arrogés rien que pour gueule – sa vilaine gueule qui plus est – ça se payait chèrement. Aux hippopotames, le loyer, on ne leur prélevait pas sur un compte en banque : le prix de leur séjour se monnayait en dignité. Fallait danser pour avoir une vie princière ? Alors Alegsis danserait. L’honneur ? Il n’avait même jamais entendu parler du mot. Au Cimetière d’Épave, la fierté ne nourrissait pas son homme, il fallait se salir les mains jusqu’à parfois se dégueulasser l’âme. À grandir dans un bain méphitique où l’on y détroussait des cadavres de noyés dès le plus jeune âge, le sens des valeurs, il n’était à la fin plus tout à fait le même que celui du « civilisé » moyen.
Sans valeur, sans grâce et sans dignité, Alegs entamait ainsi une danse majestueuse de son cru ; son faciès ingrat toujours aussi placide que pouvait l’être une tête de pachyderme. C’était dire s’il prenait son rôle à cœur et cela, sans même en avoir conscience.

La ritournelle tonnait pour rythmer la disgrâce ; ça égayait la misère. Glorieux, estimé de la foule qui, à défaut de compassion, gratifiait la bête de cris de joie entre autres cacahuètes, ce serait sa vie à présent, et il n’aurait su mieux s’en contenter. Une existence durant, un homme pouvait la passer sans être remarqué par qui que ce soit. Un abruti de première bourre, en revanche, fraîchement débarqué de ses épaves flottantes et pétri de sa méconnaissance du monde, quant à lui, pouvait faire l’admiration de centaines de personnes à raison d’une journée. Pour de mauvaises raisons, certes, confondu qu’il était avec un animal du fait d’un tarin ingrat ; néanmoins, rares furent les personnalités à avoir su si bien amasser les foules que lui.

La prestation, remarquable pour ce qu’elle avait d’indécente et de grotesque à déballer, s’acheva une fois de plus sur une ovation générale. À cet animal-là, ses intestins ne lui pardonnaient pas de se gaver d’arachides en si grosse quantité, mais à défaut de grives, on mangeant des cacahuètes. On les mangeait d’autant mieux quand le tout venant vous les accordait en offrandes. Pas tous cependant.
Si l’hippopotame savait parler – en plus de s’habiller et de se tenir sur ses deux pattes arrières – il savait aussi héler à la criée quand la contrariété lui rongeait le ciboulot.

- Hep, toi, là ! S’exclama-t-il la bouche pleine d’arachides pilées entre ses curieuses mâchoires dont la dentition contribuait pour beaucoup à le faire confondre avec un hippopotame. Je t’ai pas vu jeter de cacahuètes.

Son tribut, il y tenait, et il n'aurait su tolérer qu'on omette de le lui verser.
La foule, depuis la fin de son déhanché suave, s’était déjà passablement dispersée pour s’en aller se divertir auprès d’autres attractions. S’il en avait pointé un du doigt, Alegsis, c’était ce jeune homme resté là à le regarder,dont les nippes et les cheveux blonds encore légèrement humides laissaient entendre qu’il avait goûté à de l’eau salée relativement récemment.
Ses prunelles, graves et tristes, prenaient en pitié cet animal dont il devinait parfaitement qu’il s’agissait d’un homme ; un aliéné heureux de l’exploitation honteuse dont il était le sujet sinon la victime.
Mais Alegsis ne voulait pas de compassion : il voulait des cacahuètes.

- C’est quoi ton problème ? T’es allergique aux arachnides ? L’hippopotame rachitique bavard était notoirement analphabète en plus d’être idiot et soupe-au-lait. Va me chercher un truc à bouffer !

- Quelle verve il a cet animal. S’ébaudissait une spectatrice qui, si elle avait aperçu un pareil comportement venant d’un de ses semblables, l’aurait plus volontiers qualifié de « rustre ».

S’il avait du cœur, cet homme qui toisait Alegs avec tant miséricorde dans l’œil, peut-être profiterait-il que les badauds se soient écartés des abords de l’enclos afin de s'en approcher pour mieux le raisonner. Peut-être irait-il, pour se faire, jusqu'à en appeler à sa dignité – ce qui en soit était une gageure.
Le jeune visiteur du zoo avait en tout cas dans les yeux la souffrance de ceux qui, de la captivité et de la brimade, en avaient fait le seuil de leur existence pour s’en être émancipé sur le tard. Sans doute un pareil individu ne comprenait que trop bien la souffrance d’un opprimé pour ne pas comprendre qu’on puisse, délibérément, s’aliéner sa liberté ainsi que sa dignité dans l’allégresse la plus révoltante qui soit tant celle-ci était obscène. Les imbéciles heureux, cela se savait, posaient constamment des cas de conscience aux Hommes lucides de ce monde, généralement atterrés de tant d'idioties. Et présentement, de l'idiotie, il venait d'en trouver un filon intarissable derrière les barreaux de la cage.

Il approcha enfin, ce visiteur, mais dans la main, on ne put y déceler la moindre cacahuète. De là, la mâchoire sans lèvres de l’hippopotame se crispa.
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- TU TE FOUS DE MA GUEULE ?!

Ce furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche. Il avait songé à tourner trois fois sa langue dans sa bouche et à se frotter les yeux pour s’assurer de ce qu’il voyait, mais constater l’irrépressible imbécilité de ce type le mit hors de lui, bien plus qu’il ne l’était déjà. Lui qui pensait trouver un peu de calme au zoo, le voici désormais face à la stupidité en personne, comme si elle avait pris soudainement forme humaine à travers deux trous de nez anormalement dilatés et deux pauvres dents qui fuyaient par delà des lèvres inexistantes. Qualifier ce gus d’ « âne » aurait été la plus grande insulte envers ces solides animaux porteurs de fardeaux ; d’autant plus que si l’on restait sur le plan du physique, il aurait été aisé de trouver n’importe quel âne plus gracieux que cet énergumène.
La vie est parfois extraordinaire, capable de réunir des milliards de particules physique pour pondre un bipède avec une unique cacahuète dans le crâne et une tronche à inciter à la cécité.

Ned ne reçut en réponse qu’un silence et de gros yeux globuleux qui : première option, le sondèrent au plus profond de son âme ou, deuxième option, qui en saisirent autant à la situation que la mouche qui zigzaguait entre eux, c’est-à-dire pas grand chose, pour ne pas dire absolument que dalle.

- Mes cacahuètes ?! Où qu’elles sont ?

Visiblement, on tendait vers la deuxième option.

Ned observa le fameux « hippopotame rachitique bavard » avec une sorte de colère compatissante. D’hippopotame il n’en avait que la face. Rachitique ? Il est vrai qu’il n’était pas le mammifère le plus robuste de l’histoire des mammifères. Et oui, le bavardage semblait être sa spécialité, car pour réclamer des cacahuètes et berner les gens il y avait du monde. En revanche, pour faire preuve d’un minimum d’amour-propre, de grandeur d’âme et pour s’affranchir de sa condition d’esclave…

Voilà tout ce qui rendait le jeune pirate furieux, lui qui avait vécu les chaînes aux pieds, qui pouvait encore sentir le cuir du fouet râper son dos, lui qui avait perdu sa mère depuis trop d’années, vendue comme un vulgaire bibelot, voilà qu’il se retrouvait face à un bonhomme qui profitait de sa lâcheté pour se complaire dans un confort illusoire. Il préférait servir de bête de foire dans une cage et se gaver de cacahuètes et de compliments que d’avoir à assumer sa propre existence, étant a priori un poids bien trop lourd à porter sur ses frêles épaules. A quel point fallait-il être couard pour s’aliéner volontairement, pour se satisfaire des barreaux d’une cage et de maigres cacahuètes qu’on jetait comme du pain aux oiseaux ? Ned n’essaya même pas de le comprendre, car il n’y avait de toute façon pas grand chose à cerner. Cet homme était tout bonnement bête et méritait qu’on lui secoue l’âme pour qu’enfin il saisisse la nécessité de la liberté et l’importance de la vie.

L’hippopotame rachitique bavard se tenait à quelques centimètres de lui et attendait sa cacahuète avec une large pliure entre ses sourcils qui traduisait son agacement naissant. Mais il n’y eut ni cacahuète, ni autre apéritif à se mettre sous la dent, seulement une poigne qui s’agrippa sèchement à son col et le plaqua contre les barreaux qui ceignaient l’enclos. L’hippopotame lâcha un grognement mêlé de douleur et de surprise avant d’essayer de se dépêtrer de la main qui le retenait.

- Des millions de gens sont morts derrière des barreaux, enchaînés et traités comme les plus vils animaux. Et pendant que je parle, des millions d’autres souffrent de la main d’un maître, du claquement d’un fouet, de la faim et de la solitude. Des millions d’autres seraient prêts à se couper les pieds et les mains pour se libérer de leurs entraves. Et pendant ce temps, toi, lâche et moche que tu es, tu profites de ta condition pour te complaire dans un enclos, pour réclamer des cacahuètes et pour amuser la galerie comme le plus stupide des singes. Comme oses-tu te satisfaire de ça ? Tu n’as donc aucun respect pour la vie pour sacrifier la tienne de cette manière ?

La scène attira quelques regards et un visiteur se risqua à demander au sabreur de se calmer. Mais les yeux brûlants de Ned dissuadèrent qui que ce soit de tenter quelque chose et rapidement, l’attraction de « l’hippopotame rachitique bavard » se vida de ses derniers spectateurs.

- Ecoute-moi bien espèce de lâche, reprit sévèrement le pirate, la main toujours serrée autour du col de l’imbécile.  T’as intérêt à te bouger le cul, parce que je vais pas te laisser t’en tirer comme ça. Pas de refus possible et si t’oses me réclamer une cacahuète, je te tranche la gorge sur-le-champ, pigé ? Alors active-moi cet unique neurone dans ton crâne et réveille-toi !

Il ne le connaissait pas, il ne l’aimait pas, mais pourtant il ne put s’empêcher de lui apporter son aide. Les mots étaient durs, certes, peut-être même maladroits, mais ils étaient sincères et comportaient une grande part de vérité. Son passé était encore trop douloureux pour qu’il puisse laisser cet homme à sa condition d’esclave et de bête de foire ; il s’était soudainement senti responsable et investi d’un devoir. Alors, il comptait bien tirer cet énergumène de là, quand bien même il faille lui donner une dizaine de coups de pied au cul pour y parvenir.

Et pour le tirer de là, deux solutions s’offraient à lui. Les barreaux de l’enclos ne semblaient pas bien résistants et un coup de sabre aurait pu en venir à bout, mais c’était prendre le risque d’alerter les employés du zoo et la sécurité. S’attirer des problèmes ici n’était sans doute pas la meilleure chose à faire, il était seul, sans moyen de quitter l’île et une base de la marine se trouvait à quelques lieues d’ici. Il se devait d’être plus subtil, plus sournois, plus…voleur.

Il l’avait rapidement aperçu, ce trou de serrure à la porte de l’enclos. Et donc, qui dit serrure, dit clé. La piste la plus probable était qu’elle était entre les mains de l’employé qui avait présenté l’hippopotame rachitique bavard. Il avait quitté les lieux il y a quelques minutes déjà, Ned l’avait aperçu pour la dernière fois en train de se diriger vers le bâtiment à l’entrée du zoo, sans doute réservé aux employés.

- Ramasse tes affaires si t’en as et prépare-toi à décamper ! Lança-t-il à l’énergumène en le pointant du doigt.

Le jeune homme relâcha son étreinte et tourna les talons. Il n’attendit pas de réponse et prit la route vers le bâtiment, marchant d’un pas vif et déterminé. Il se faufila à l’intérieur par une porte arrière et inspecta les lieux sur la pointe des pieds.
L’employé en question ne fut pas bien difficile à retrouver. Il était affalé sur une chaise dans une pièce sombre, en train de visionner à moitié les retours des escarméras du zoo. A moitié, car il était quasiment endormi, un sandwich dégoulinant de cheddar entre les doigts. Une aubaine pour le jeune pirate, qui, à tâtons, s’approcha de lui, avant de glisser sa main dans la poche de sa veste. Il sentit un paquet de cigarettes, des mouchoirs usagés, puis le cliquetis d’un trousseau de clés. Bingo.

Le saint Graal en main, il fit volte-face, mais au moment où il se retourna, sa chaussure heurta la chaise en fer de l’endormi. Le grincement et le choc firent sursauter l’employé. Le sandwich s’envola en même temps que le cheddar s’éparpilla comme des confettis.

- Qu…?! qu’est-ce que vous f…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un coup de paume à la tempe lui fit retrouver les bras de Morphée.

- Eh merde…

Lui qui ne voulait pas s’attirer des ennuis… Voilà qu’il regrettait la filouterie de Lenny. La vie était plus compliquée sans ses camarades.

Plus de temps à perdre, il quitta l’endroit sans demander son reste. Il retrouva l’hippopotame rachitique bavard, assis en tailleur, en train de chercher un filon d’or au fond de son nez. Ned lui jeta le trousseau de clés à ses pieds et le toisa silencieusement. Il lui avait donné toutes les cartes en main, mais là, ce choix revenait au concerné. C’était un sérieux risque de lui faire confiance pour cette décision, sachant que l’employé du zoo ne tarderait pas à se réveiller. Mais c’était un risque nécessaire, l’hippopotame rachitique bavard se devait de comprendre et de choisir par et pour lui-même.

La raison allait-elle réussir à prendre le pas sur l’idiotie ?
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Philosophes et scientifiques, de concert, et à plancher sur la question durant des années, n'étaient jamais vraiment parvenus à déterminer qui, de l'idiot ou de celui qui en appelait à son intelligence, était effectivement le plus imbécile des deux. Ce bon samaritain, fougueux et bouffi de compassion comme il l'était, à s'indigner si légitimement de toute la bêtise du monde qu'on eut cru compilée en un seul homme - ou hippopotame, il avait beau avoir tous les arguments pour lui, ceux-ci, lorsqu'il les présentait au bougre, plongeaient alors dans des abysses de stupidité. La Raison, quand on s'y essayait à l'endroit d'Alegsis Jubtion, était toujours employée en pure perte.
Quand tant d'hommes et de femmes avaient péri pour la liberté, quand d'autres, encore aujourd'hui, subissaient les chaînes qu'on leur avait imposées de force, qu'un individu aussi peu regardant de son honneur s'avilisse si gaiement et cela, pour accéder à un confort précaire au beau milieu de l'indignité, constituait en soi une insulte grossière et honteuse adressée aux opprimés de toutes les nations. Du reste, Alegsis le vivait bien. Il le vivait d'autant mieux que son intellect, pour ce qu'il avait de putatif, était incapable d'accéder à la compréhension de ce qu'avait tenté de lui faire parvenir le blondin. Devant des discours enflammés, où la Liberté y était si joliment mise à l'honneur, l'hippopotame avait conservé son air benêt tout du long, clignant des yeux d'une stupéfaction morne à n'y rien comprendre.

Son visiteur, bien qu'il eut disserté à s'en faire saigner la langue, n'avait pas fait osciller d'un iota l'encéphalogramme du pachyderme factice. Et pourtant, devant ce qui se présentait comme une cause perdue, engagé qu'il était dans un combat dans lequel il n'avait pourtant rien à gagner - si ce n'est une crise de nerf exténuante - il avait poursuivi ses efforts et pris des risques indus pour un débile qui, décidément n'en valait pas la peine.
On la lui avait jeté, la clé, à l'animal. Son sauf-conduit était à ses pieds, Alegs ne le considéra qu'avec réticence, pareil à une bête farouche qui reniflait une embrouille.

- « Je peux pas partir, enfin. »

Il le pouvait ; il le pouvait maintenant mieux que jamais alors qu'un sésame lui fut avancé en offrande sans même qu'il en formula la demande.

- « J'ai construit une vie ici. »

À Shell Town, on l'y avait traîné depuis trois semaines à peine.

- « Même que je me suis marié. Eh oui ! »

Le dernier argument pour justifier qu'il resta ainsi vautré en captivité jusqu'à ce que l'arachide ait raison de sa santé avait cependant quelque chose de pertinent à faire valoir. Du moins, jusqu'à ce qu'on y vît clair à travers la brume. Car, lorsque madame Jubtion fit irruption après que son mari l'ait invoquée, la stupeur du révolté fut aussi considérable que consternée.
Un hippopotame - un vrai cette fois - était venu jusqu'au bavard en trottinant, ouvrant en grand sa gueule avec la ferme intention de le bequeter. Un bras appuyé contre chaque mâchoire avant que celle-ci ne se referma pas sur lui, Alegs, faisant montre d'une force qu'on n'aurait su lui soupçonner, resta ingénu au dernier degré : celui de la crétinerie furieuse.

- « Regarde-la comme elle est folle de moi, elle peut pas s'empêcher de vouloir m'embrasser, Jeri-hi-hi-hi. Pas devant le monsieur, cherie, enfin. »

- « Elle cherche clairement à te bouffer. »

À ce strident rappel d'une réalité pourtant évidente pour qui avait plus de deux sous de jugeote, Alegsis resta évidemment sourd, jetant au loin sa compagne qui tomba avec fracas dans le bassin qui leur fut aménagé à tout deux. C'était sa routine et, ces tentatives d'agressions fréquentes, il les vivait comme des demandes d'affection de sa femme.
Se frottant les mains après avoir fait voltiger sa dulcinée, Alegsis n'en finissait pas de lister les prétextes pour lesquels il se refusait à tout amour-propre afin de ne jamais avoir à se fouler dans la vie.

- « Eh puis, au zoo, les enfants m'adorent. Tu veux qui pleurent, c'est ça que tu veux ? Engueulait-il presque son aspirant sauveur en fronçant les sourcils d'au-dessus ses yeux ronds et inexpressifs. Tiens, regarde-là celle-ci, fit-il remarquer alors qu'une jeune fille courait vers son enclos, elle vient tout le temps me voir. Je suis comme un père pour elle, extrapolait-il à outrance bien qu'il ne fut pour la marmaille qu'une attraction de foire parmi tant d'autres.

- « Dis, fais le cri de l'hippopotame », exigeait-elle d'emblée avec cette absence de gêne juvénile que partageait d'ailleurs Alegs.

La requête était ardue, mais Alegsis sut s'y plier avec la grâce de l'hippopotame.

- « Je suis un hippopotame rachi...machin qui cause. Tout ce que je dis, c’est ça le bruit de l’hippopotame. Qu’elle est bête celle-là. » Déclarait-il désinvolte, un auriculaire dans le nez.

La gamine, ainsi rembarrée, ne modérait cependant pas ses assauts, insistant, bornée comme l'étaient les enfants de son âge, afin que ses caprices se concrétisèrent dans l'heure.

- « Fais le cri de l’hippopotame. »

- « Je viens de te dire qu… »

- « Fais le cri de l’hippopotame ! »

Se saisissant d'une pierre dans sa cage, disposé plus que jamais à lapider une enfant à force que celle-ci l'indisposait - mais sans aucune colère apparente sur le visage, Alegsis se souvînt au dernier instant que ses geôliers avaient menacé de le castrer après qu'il eut, une semaine auparavant, agi dans les mêmes termes. Aussi posa t-il son caillou, car il escomptait que sa progéniture fut nombreuse.

- « Fais le cri de l’hip... »

- « ZOINK ! » Répliqua-t-il très à propos, surprenant aussi bien la jeune fille que leur témoin jusque là navré de constater à quel point l'esclave consentant était prêt à s'avilir.

Il y eut un silence. Un de ceux qui s'imposaient quand la gêne et l'effarement virevoltaient ensemble dans un ballet langoureux qui n'en appelait qu'à une contemplation médusée. La jeune fille, néanmoins, fut la première à déflorer le voile du mutisme consterné qui s'était imposé à eux en cet instant malaisé.

- « C'est pas le cri de l'hippopotame, ça. » Assurait-elle avec conviction et colère.

Malheureusement pour elle, les idiots avaient réponse à tout car ils ne savaient rien et avaient appris à combler leurs lacunes béantes en brodant. C'était chez eux un mécanisme de survie inscrit dans leur chair comme un réflexe de tous les instants.

- « T’as déjà entendu le cri d’un hippopotame avant ? » La questionna-t-il fort avisé de lui demander cela.

- « Non. » Répondit-elle quelque peu honteuse.

Personne, en effet, n’avait jamais entendu le cri de l’hippopotame. C’est sur cette incrédulité qu’Alegsis put ainsi gagner – en trichant – un débat houleux qui l’avait opposé à une gamine de quatre ans. On avait les combats que l’on méritait.

- « Bah il te reste plus qu’à me croire sur parole. »

Mauvaise perdante, la petite demoiselle lui jeta à la figure une cacahuète qui, après avoir rebondi contre le chapeau de la bête – car il était aussi chapeauté que culotté – passa à travers les barreaux pour atterrir en dehors de la cage.

- « T’es nul ! » Conclut-elle judicieusement avant de s’enfuir en courant de ses petits pas empotés.

Ainsi piqué au vif, soucieux d’avoir le dernier mot comme tous les crétins qui s’obstinaient souvent dans des arguties stériles et sans fin, Alegsis se rua tout contre les barreaux pour les serrer à pleines poignes, cherchant à lui répliquer désespérément :

- « Peut-être, mais mais au moins je…. Euh… Rah, elle est déjà loin »

Reprenant aussitôt sa contenance habituelle, c’est-à-dire à se tenir debout, hébété, sans prestance ni dignité, comme si rien ou presque ne venait de se passer, Alegsis conclut finalement son plaidoyer à l’intention de celui qui s’était voulu son complice dans une évasion en devenir et cela, tout en usant de la clé afin d’ouvrir la porte de sa cage dans l’unique intention de ramasser la cacahuète qui s’était trouvée au dehors. Le plus naturellement du monde, alors qu’il déverrouillait la serrure avant de s’extraire de son enclos comme si de rien n’était, l'animal bavard poursuivait l’énumération des raisons pour lesquelles il ne pouvait pas partir d’ici.

- « Tu vois, les enfants peuvent pas vivre sans moi. Ce serait franchement cruel de m’enlever à eux. »

Et c’était à ce moment-ci, où, accroupi en dehors des pénates qu’on lui avait imposées comme à une bête sauvage, alors qu’il se saisissait enfin de la cacahuète sur laquelle il avait jeté son dévolu, que le gardien du zoo en quête de ses clés arriva à toute blinde, sidéré par ce qu’il constatait alors.

- « I...il s’est enfui ! Hurlait-il comme si un cataclysme s’était abattu sur Shell Town. L’hippopotame rachitique bavard, il est sorti de sa cage ! Prévenez tout le personnel, dites-leur de venir armés et d’être préparés au pire. »

Préparés, ces gens-là, ils l’étaient. À sans cesse devoir pelleter la moindre déjection d’animaux ingrats, tous ne furent que trop ravi à la perspective de pouvoir en plomber au moins un dans le zoo pour exercer une vengeance mesquine.

- « Ah mais non, c’est pas moi… c’est lui. Enfin… cacahuète. » Tenta de se défendre bien piètrement Alegsis qui, aussi stupide qu’il était présentement confus, ne sut trop comment articuler convenablement sa pensée afin de justifier qu’on ne lui tira pas dessus. Mais déjà, cinq hommes, le fusil à la main, le braquaient comme s’il eut été la plus sordide créature qu’avait un jour peuplé la faune de ce monde.

- « Faites très attention, ordonna le gardien en pointant la bête du doigt, ces animaux-là sont réputés pour être aussi féroces qu’ils sont débiles. »

- « À ce point ?! » S’offusquèrent de concert les tireurs qui, en trois semaines de temps, n’avaient que trop souvent été les témoins de l’idiotie qui caractérisait si bien la bête.

Un poil vexé, car il lui arrivait parfois, par mégarde, de saisir de quoi on parlait, d'un air vaguement froissé et d’un petit geste de la main venu traduire à quel point il ne fallait pas exagérer non plus, Alegs s’essaya à maugréer quelques modestes complaintes quant à ce qu’il venait d’entendre le concernant.

- « Eh, oh. Ça va un peu. »

Que n’avait-il alors pas fait.

- « C’est malin ! Hurla le gardien qui, s’excitant tout seul d’une panique injustifiée, ajouta ce qu’il fallait d’huile pour que la flammèche parte en incendie. Vous l’avez rendu rendu furieux ! Maintenant, c’est  une affaire légitime défense. »

À se bourrer le mou d’une légende noire dont ils avaient affublés Alegsis depuis qu’il comptait parmi le bestiaire local, tout ce petit monde, à trop jouer à se faire peur, tremblait dorénavant de trouille et ne put alors œuvrer que dans l’inconséquence la plus déplorable. Déjà, les premiers coups de feu, lâchés autant par peur que par maladresse, appelèrent une salve que l’ensemble des employés laissèrent cracher du fait de la surprise. Heureusement peu formés aux armes, les balles ne firent que raser de près un hippopotame qui, s’il avait eu la corpulence du pachyderme qu’il affectait d’être, aurait été truffé de plomb.
Dans l’affolement que lui suggéra un peloton d’exécution si mal improvisé, Alegsis laissa échapper la clé d’entre ses mains, celle-ci allant se loger droit le caniveau. L’affaire, en ces termes, se présentait admirablement mal.

Plongeant puis rampant jusqu’à dernière son sauveteur qui, par incidence, avait manqué d’être son bourreau par proxy, Alegsis n’eut aucun scrupule à s’en faire un rempart entre lui et le ramassis de pétaudières qui crachaient la poudre sans halte afin de mieux le gratifier d'une légitime défense forcenée.

- « Ça serait pas arrivé si tu m’avais laissé tranquille ! Assume, maintenant ! » Enjoignait-il alors presque son bienfaiteur à prendre les balles à sa place.

Un esclave désormais émancipé de son aliénation faisait maintenant payer le tribut de sa liberté à son sauveur. L’ingratitude, jamais, n’aurait pu être mieux illustrée que par le présent spectacle. C’était à dégoûter de venir en aide aux plus déshérités. Toujours est-il qu’en associant sa fuite malencontreuse au sort du bretteur, ce dernier, par ricochet, fut lui aussi en proie à une chasse qui, maintenant que les premiers coups de feu avaient été tirés, n’avait pas manqué d’alerter la garnison de Marine située aux abords. Les malheurs du monde, quand on cherchait à les guérir, vous contaminaient parfois à vous en approcher de trop près.
Tout homme censé, nonobstant ses convictions humanistes, devait en tout lieu et en toute occasion se détourner d’Alegsis Jubtion. C’était un mesure de bon sens ; une mesure de survie. Ne pas se résoudre à cette prudence élémentaire valait immanquablement des ennuis. Des ennuis qui, pour l’instant, ne faisaient que commencer.


Dernière édition par Alegsis Jubtion le Lun 24 Avr 2023 - 12:01, édité 1 fois
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Voilà ce qu’il en coûtait d’accorder une once de confiance au plus bête des hommes. Face aux balles qui sifflaient près de lui et aux regards à la fois furieux et apeurés, Ned regrettait soudainement d’avoir un peu trop laissé son instinct le guider. Effectivement, il n’avait pas vraiment songé à toute cette situation ; c’était son intuition, sans doute le résultat de son passé tumultueux, qui lui avait ordonné d’agir. Voir cet énergumène se complaire médiocrement derrière un enclos l’avait poussé à agir immédiatement , sans qu’il ne prenne le moindre recul sur sa propre situation de pirate naufragé, ni sur celle du faux hippopotame, au point de sous-estimer grandement la stupidité de celui-ci. Car oui, il n’était pas juste stupide, il était LE stupide, l’élu d’entre tous, celui qui réunissait dans son ciboulot le moins de matière grise possible.

Et en plus d’être bête, il était atrocement lâche, au point de se recroqueviller derrière celui qui lui avait simplement tendu la main.

Mais soit, l’heure n’était plus aux remords, ni même aux considérations sur la couardise et l’ingratitude, il y avait d’abord des balles à esquiver et toute une équipe d’employés du zoo à gérer. Heureusement pour Ned, qui servait de bouclier humain, les premiers coups de feu en sa direction ne furent pas bien précis, lui laissant le temps d’analyser d’un coup d’oeil la position des tireurs, mais surtout de dégainer de justesse ses lames. Le plomb érafla  tout de même son épaule, ce qui eut le don de lui faire réaliser que oui, ici dans un zoo, il jouait bel et bien sa vie.

Sa dextérité hors norme lui sauva miraculeusement la vie en lui permettant de trancher en un éclair la salve suivante. Les tireurs restèrent cois, abasourdis en découvrant qu’il était humainement possible de couper une pluie de balles, d’autant plus qu’ils ne s’attendaient pas le moins du monde à expérimenter ça maintenant. Quelques fusils se baissèrent par instinct de survie, car certains comprirent que si le jeune bretteur face à eux était en mesure de repousser aisément leurs tirs, alors il était tout aussi capable de les envoyer dans l’autre monde en un tour de main. D’autres, galvanisés par la surprise et la peur, restèrent accrochés à leurs fusils et continuèrent de faire déferler le feu sur les deux hors-la-loi.

Cette fois-ci, Ned esquiva, car aussi rapide fut-il, s’amuser à trancher des balles demeurait un risque inconsidéré et il était voué à finir fusillé s’il restait sur place. Alors, il fit un pas de côté, vif, de manière à surprendre les tireurs. Dans son élan, il empoigna une nouvelle fois le col de l’hippopotame rachitique bavard, cette fois-ci pour le traîner avec lui. C’était plus fort que lui et sans doute insensé, mais il ne pouvait se résoudre à abandonner ce nigaud au milieu des coups de feu. Après tout, les problèmes venaient déjà de lui tomber sur la tête, alors autant continuer et finir ce qu’il avait entreprit.

Derrière lui, tiré comme une poubelle trop lourde qu’on s’efforçait de ramener à la benne à ordures, l’hippopotame stupide tendait le bras avec regret vers sa cacahuète, comme pour rattraper désespérément ce qui était perdu. La cacahuète lui sembla terriblement lointaine et finalement, il agita sa main frêle pour lui faire ses adieux les plus solennels.

Ned répéta ses esquives maintes et maintes fois, toujours en agrippant son fardeau derrière lui. Au milieu du chaos naissant, il cherchait une porte de sortie, celle qui pouvait définitivement le tirer du pétrin dans lequel il s’était fourré. Prendre ses jambes à son cou aurait été un réflexe primitif, mais il se défendait d’être aussi bête que le couillon dans son dos. Il lui fallait une autre solution, plus rusée, plus imprévisible. Et il la fallait vite.

L’imprévisibilité ne pouvait venir que d’ailleurs, par définition, de là où on ne l’attendait pas. Alors, le sabreur fit subitement volte-face en direction de l’enclos et en trancha les barreaux dans un geste éclair. La grande cage se sépara en deux et la chute de l’acier provoqua un grondement en plus de secouer la terre sous les bottes.

Première idée accomplie, Ned se mit ensuite à zigzaguer sur plusieurs mètres tout en virevoltant. Il traîna ainsi sa poubelle humaine par le col lui faisant faire de grands cercles sur le sol, bien évidemment sans lui demander son consentement. En plus de causer le tournis à l’andouille, les mouvements circulaires eurent pour effet de soulever un épais voile de poussière. Dissimulé derrière la nuée de sable, Ned en profita pour s’extirper rapidement de la scène en portant sous son bras le «  libéré malgré lui » .

- Kof ! Kof ! Kof ! Où sont-ils passés ?! Ne les laissez pas s’échapper, p-prévenez la…la marine tout de suite, ces individus sont dangereux ! S’exclama péniblement le gardien, qui manqua de s’étouffer à plusieurs reprises à cause de la poussière ambiante.

Mais tout à coup, une ombre immense se mit à grossir derrière le voile de sable. Une ombre de plus en plus perceptible, de plus en plus impressionnante. Une gueule gigantesque s’ouvrit et fit disparaître le brouillard après l’avoir traversé. Et cette fois-ci, tous les employés du zoo firent face à l’hippopotame. Le vrai. Non plus, rachitique, mais colossal, et dont le cri n’était pas pure invention idiote, mais bien un grognement assourdissant et significatif. Les moins confiants se firent littéralement dessus, tandis que les plus téméraires usèrent de leurs dernières balles pour percer la peau épaisse de l’animal. Cet évènement fut par la suite connu sous le nom « l’incident de l’hippopotame rachitique bavard » et on raconte qu’une centaine de cartouches auraient été nécessaires pour venir à bout du gigantesque mammifère incontrôlable.

Tandis que de pauvres employés de zoo finissaient en plateaux repas, loin du tumulte et des enclos, Ned et l’imbécile étaient parvenus à se mettre à l’abri.
Le sabreur s’était adossé contre un arbre et reprenait lentement son souffle. A ses côtés, l’imbécile délivré était allongé dans l’herbe et avait les yeux qui répétaient inlassablement des tours de manège.

- Alors, lança paisiblement Ned, c’est agréable l’air frais non ? Loin des barreaux et des enclos…
- Griselda… Cacahuète…
- Griselda ? C’est comme ça qu’elle s’appelait ? Navré mon pauvre, mais je crois que c’était la dernière fois que tu la voyais. Elle aurait fini par te bouffer de toute façon…
- Cacahuète…
- Euh oui…bon. Il faut qu’on parte d’ici. Mine de rien on est dans un sacré merdier là, alors j’espère que t’es en mesure d’utiliser ta cervelle, parce qu’il va falloir qu’on s’entraide pour échapper aux soldats. Alors lève-toi, on se met en route. Ah, et je m’appelle Ned, au fait, termina t-il en lui tendant sa main.
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Alegsis en était rendu au plan « B ». « B » comme « Bah il me reste plus qu'à devenir chasseur de primes pour de bon » après que sa carrière lui fut ravie à peine qu'il eut outrepassé le littoral de Cimetière d'Épaves. Seulement, traquer le vilain, ça ne se faisait pas les mains vides, pas à moins que l'on aima recevoir le plomb avec les dents. Car c'était un homme d'arme, Alegsis. Un homme curieux doté d'une arme qui l'était plus encore. Aussi, sorti de son mutisme contemplatif, ayant finalement acté le deuil de sa cacahuète, il recroquevilla ses jambes jusqu'à ce que ses genoux ne frôlèrent sa poitrine avant de les élancer pour se relever brusquement.

- Ned ? C'est trop long comme nom, se prononçait-il alors sur un patronyme d'une seule syllabe, je t'appellerai... ses yeux fixes, juchés par-dessus une bouche sans lèvres à demi ouverte, témoignaient alors chez lui d'un effort de réflexion qu'on eut pu cependant confondre avec une crise de léthargie soudaine, je t'appellerai pas en fait. Ça ira encore plus vite. Concluait-il à l'issue d'une argumentation ayant eu cours en son for intérieur, là où personne n'aurait jamais voulu se risquer à la moindre incursion.

Puis il lui adressa un coup de pied dans le tibia, à son rédempteur, s'esquintant finalement davantage les orteils qu'il ne le blessa. De ses nasaux écrasés, il souffla pour mieux traduire qu'il fut contrarié. Contemplant au loin ce qu'il avait cru être sa demeure à jamais, une larme au coin de l'œil. Ned avait suggéré l'idée de l'entraide, mais Alegs avait en tête sa propre idée sur la question. Parce que cette arme qu'on lui avait saisi au jour de sa capture, on l'avait entreposée comme un trophée dans la salle des gardiens du zoo. De ce même zoo à présent truffé de Marines avertis par le chambardement. Qu'un animal dangereux fut en fuite justifia qu'on alloua quelques effectifs afin de prévenir tout incident ; qu'un individu, d'un coup de sabre seulement, fendit l'acier le temps de l'évasion, constitua un motif en or serti qui plus est de diamants à ce qu'on fit prendre l'air au dixième de la garnison.
C'eut été du suicide que d'y retourner.

- Faut qu'on y retourne.

Ned avait d'autres plans. De ces plans qui, à terme, ne se concluaient pas par une mort stupide. Aussi l'injonction précédemment émise par son compère de cavale accusa lettre morte. Morte, brûlée, puis enterrée et enfin oblitérée par un Buster Call.

- Mais siiii ! Insistait Alegsis en quête d'une arme - et quelle arme - à récupérer afin que sa nouvelle carrière puisse s'accomplir sous les meilleures auspices. Je t'explique, car il était pédagogue en plus d'être débile, on se déguise pour infiltrer, on récupère mon pinceau, c'était son arme, et on repart.

Tout paraissait si simple quand un abruti s'attelait à la narration de son histoire. Son plan - qui dans les termes tenait du fantasme absolu - il l'avait asséné sûr de lui, se figurant que c'eut été une entreprise aisée que de berner la Marine en se jetant dans la gueule du loup. Il est vrai que ce loup, par pure sidération, aurait pu effectivement céder à une mort par stupéfaction de voir que les fuyards lui revinrent si facilement après avoir fui.
Ned n'était pas convaincu, aussi son demeuré de binôme argumenta afin de mieux plaider contre sa cause.

- Je sais ce que je dis, assura l'homme le plus inconséquent de ce monde, on t'attachera les cheveux et on t'appellera mademoiselle Neddinton, il lui trouva un nom finalement, tu seras une riche héritière des manufactures du Royaume de Bliss. Vu que tu dois te marier à un snob richissime, tu décideras de passer tes derniers jours de femme libre en allant visiter le Zoo de Shell Town. Parce que tu vois, c'est là où tu avais connu ton premier amour : Andréa Sacquebon, oui, tu seras une lesbienne, grandis un peu. Tu arpenteras les allées, déambulant dans la foule comme une âme errante sans jamais retrouver les sentiments qui t'avaient animée alors. Et là, devant la fosse aux lions, penchée que tu seras sur le bastingage, tu te diras « au fond, en me donnant à marier comme il le fait, mon père ne fait que me jeter dans la fosse aux lions lui aussi » et, désespérée, tu écraseras une larme, résignée que tu seras à ne pas obéir à ton père, puis tu sauteras. Parfaitement, tu préféreras choisir de connaître un destin tragique que de n'être qu'un instrument entre les mains de ce riche industriel n'ayant aucune considération pour sa propre fille.
Et moi, ajoutait-il en brandissant le pouce, manifestement fier de lui, je serai Alegsis Jubtion venu récupérer son pinceau.

Sans trop pouvoir interpréter exactement que que Ned chercha à véhiculer dans son regard, l'ex-pachyderme eut suffisamment de jugeote toutefois pour y deviner une pointe de confusion mêlée à un début d'hostilité. Il était agaçant, ce bon garçon. Suffisamment en tout cas pour que l'on comprenne la nécessité de le laisser en cage. Mais il était trop tard.

- Làààà, laissez-moi vous mettre un ruban dans les cheveux mademoiselle Neddint.... aïe, sa tentative de faire belle son pirate de compagnie échoua alors que ce dernier se rebiffa quelque peu. Je te préviens, si tu me tapes, je crie.

Devant cette obstination de Ned à vouloir fuir des poursuivants armés, Alegs n'en démordait pas, il lui fallait son pinceau. C'était ainsi et pas autrement. Aussi Ned eut été bien mieux inspiré de l'abandonner à son sort afin d'en faire un appât le temps de sa fuite... mais il avait des scrupules. Les scrupules, à en avoir quand il ne fallait pas, on en mourrait parfois.

- De toute façon il est amarré où ton bateau ?

La question fut pertinente. Il y avait de quoi s'en étonner considérant qui l'avait formulée. Car si fuite il se devait d'y avoir, ce devait être par-delà les rivages de Shell Town dont l'île, minuscule, eut été leur tombeau à l'un et l'autre s'ils y étaient restés cloîtrés. Les effectifs de Marine, déjà, se dispersaient pour organiser une battue.

- Je... je ne sais pas.

Le pirate débonnaire, en effet, était tombé à l'eau et n'avait été convoyé jusqu'à cette île que par un chalutier brinquebalant. Il voulait s'enfuir, mais ne s'était fixé aucune destination viable. Et puis, il restait encore ses camarades à retrouver. Tout s'était passé si vite que son plan, en définitive, ne valait finalement pas mieux que celui du parfait idiot qu'il se coltinait alors.

- Ah le débile ! Jeri-hi-hi ! Se permit tout de même celui qui, des deux, tenait du maître étalon en matière d'idiotie manifeste. Moi, un bateau, j'en ai un, et ils l'ont amené avec eux quand ils m'ont convié. Le bateau en question était un pédalo à deux places dont il fallait fréquemment écopé le surplus d'eau. Ça restait cependant un bateau au regard des critères retenus par le dictionnaire. Alors si tu veux qu'on s'enfuie, faut que tu m'aides.

Ned ne l'avait pourtant que trop aidé jusqu'à présent, et à regret d'ailleurs. Mais il lui fallait retrouver ses compagnons et, à défaut d'issue clairement offerte à un exil loin de Shell Town, il lui fallait faire au mieux, et donc au pire, puisque sa seule option s'appelait Alegsis Jubtion. C'était dire dans quel pétrin il était fourré.

- Allez, en avant mademoiselle Neddinton ! Clamait exalté un homme qui, jamais, ne mesurait la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait.

Il fallait, pour mener à bien ses lubies, retourner au local des gardiens du zoo, avec tout le danger que cela supposait. Et lui, il trottinait déjà gaiement en cette direction, comme si rien sur son chemin ne fut vraiment susceptible d'entraver sa route.
Il n'était pourtant pas à l'épreuve des balles, Alegsis, mais il était à l'épreuve de la logique et du bon sens. Ainsi, sans un plan défini, ils allaient au front comme on allait à la mort, et tout ça pour récupérer un pinceau grand comme un balai afin qu'Alegsis puisse perpétuer ses quelques esquisses douteuses. Ce n'était pas rendre service à un abruti que de chercher à lui venir en aide, c'était l'encourager à persévérer dans ses errements, quitte à être entraîné soi-même dans un tourbillon d'inepties dont on ne sortait que rarement indemnes.
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À présent, il regrettait tout. Il regrettait de s’être arrêté devant l’enclos, de lui avoir tendu la main et surtout, de s’être engouffré dans un pétrin en se la jouant sauveur des opprimés. Habituellement, ce n’était pas sa manière de fonctionner, mais après être passé tout proche de la mort lors de son naufrage, il avait comme renoué avec l’idée que la vie valait absolument la peine d’être vécue. Et ainsi, il avait aidé celui qui passait à côté de la sienne à cause des barreaux qui le retenaient. Malheureusement, lorsqu’on tente d’agir pour ce que l’on croit être le bien, les conséquences ne sont pas toujours aussi bonnes qu’on l’espère. Et c’était d’autant plus frustrant pour lui de réaliser, qu’assurément, il avait tendu la main à quelqu’un qui n’en valait pas la peine, ou plutôt qui était trop stupide pour comprendre la valeur de son geste.

Désormais, Ned était pris au piège, prisonnier à son tour, non pas des barreaux d’une cage ou de menottes d’acier, mais prisonnier des agissements absurdes de son partenaire de fortune. Son égo l’empêchait de se l’avouer entièrement, mais ce fameux Alegsis Jubtion représentait sans l’ombre d’un doute sa seule échappatoire. Il aurait pu tenter de quémander un bateau à d’autres habitants, mais son statut de sabreur ayant fait du boucan au zoo ne jouait pas en sa faveur pour qu’on lui adresse une quelconque forme de générosité. Tant pis pour son amour-propre, il se devait de suivre l’imbécile heureux, car quitter cette île et retrouver ses compagnons valaient bien plus que sa fierté.

Mais tout de même, revenir sur leurs pas, là où ils avaient entraîné malheur et fracas, était on ne peut plus suicidaire. Ou peut-être était-ce tellement grotesque et impensable qu’ils pourraient bénéficier d’un effet de surprise insoupçonné. En tout cas, c’était avec cette réflexion en tête que Ned tentait tant bien que mal de se rassurer, tandis qu’il emboîtait le pas d’Alegsis, qui lui, avançait le coeur léger, comme s’il ne s’était rien passé quelques minutes plus tôt. Encore une fois, c’était à se demander si le benêt aux yeux ronds comme des billes saisissait l’ampleur de la situation. À ce stade, sa stupidité relevait du génie incompris.

Les deux compères retournèrent au zoo, exactement par là où ils l’avaient quitté il y a quelques minutes seulement. Au loin, une petite escouade de marines s’était regroupée près du lieu de l’incident. Les soldats effectuaient leur boulot de gardien de la paix, à savoir : interroger les passants au sujet d’un dangereux sabreur coupeur de balles et d’un hippopotame rachitique bavard en liberté. Tandis que certains gribouillaient sur des carnets le peu d’informations qu’on était en mesure de leur procurer, d’autres faisaient des rondes, fusil en main et casquette visée sur le crâne, non sans cacher une certaine désinvolture liée à leur ennuyante intervention. Eux qui rêvaient de champs de bataille et de captures de pirates légendaires, voilà qu’ils s’encroûtaient sur Shell Town et qu’en plus on les obligeait à faire la chasse à l’hippopotame dans un zoo.

Alegsis déambulait comme si de rien autour des enclos et autres attractions, les bras croisés derrière son crâne vide. Il hésita même à s’acheter une barbe à papa à un croisement, mais se résigna finalement, non pas par pour demeurer discret, mais bien parce que ses poches étaient vides de toute monnaie. Il tira une mine apitoyée et mit un pied devant l’autre, comme si ne pas pouvoir s’acheter sa friandise était d’une gravité sans bornes, bien plus que de se balader sans pression là où il avait été la cause d’une fusillade quelques minutes plus tôt. Fort heureusement, son compère n’hésita pas une seule seconde à lui remettre les idées en place en le tractant une énième fois, cette fois-ci pour l’attirer derrière un buisson, à l’abri des regards malveillants.

- Bordel, mais tu le fais exprès c’est pas possible ? Tu veux qu’on se fasse tuer en fait, hein ? Oh, y a quelqu’un là-dedans ou pas ? Maugréa le jeune pirate en cognant sur un côté du crâne de l’imbécile, de la même manière qu’on toquerait désespérément à une porte en espérant que quelqu’un se manifeste de l'autre côté.

Mais ce qui démontra que le faux hippopotame n’avait rien dans le ciboulot ne fut pas tant que son crâne résonna creux, mais que face aux avertissements véhéments de Ned, Alegsis répondit simplement en plantant son auriculaire dans son trou de nez, avant de le plier légèrement pour passer un coup de balai à l’intérieur.

À cet instant, Ned songea aux pires atrocités qu’un humain pouvait commettre à autrui. Il pensa le noyer dans la mare des crocodiles juste derrière, lui planter minutieusement dans les yeux chaque épine des ronciers dans lesquels ils étaient fourrés, ou encore l’étrangler jusqu’à ce que sa tête triple de volume et qu’enfin, au moins, on puisse croire qu’il avait quelque chose dans le crâne. Mais il ne fit rien de tout ça en pensant à ses camarades et à la porte de sortie, fragile certes, que représentait Alegsis. Alors, il se contenta de serrer les mains et de soupirer pour évacuer la colère.

- Bon, au lieu d’avancer tout droit comme un demeuré et de risquer de te faire repérer, tâche de m’écouter attentivement. Est-ce qu’agir discrètement est dans tes cordes ? Ne serait-ce qu’un minimum ? Parce qu’on va en avoir besoin, de discrétion. Ton foutu pinceau est entreposé quelque part dans le bâtiment des employés c’est bien ça ? On peut s’y faufiler par la porte arrière, mais à l’intérieur, personne ne sait ce qui nous attend. Alors c’est à ce moment là qu’il faudra redoubler de vigilance et avancer prudemment ? Compris ?

Comme d’habitude, et cela n’étonna pas Ned le moins du monde, Alegsis parut ne rien comprendre. Mais à vrai dire, peu importait, le jeune pirate se devait de continuer, la seule chose à acter était que l’intelligence n’était pas un atout de l’équipe et que c’était même la tare essentielle à prendre en compte lors de leurs actions futures. Ned avait beau faire grimper le score « QI » du duo, Alegsis faisait dégringoler la courbe jusqu’aux enfers.

Le pirate quitta discrètement son buisson et prit la direction du bâtiment des gardiens. Le benêt lui emboîta le pas avec nonchalance, ce qui sonna comme une victoire pour Ned, ayant pour la première fois réussi à lui faire comprendre quelque chose. Mais ce n’était pas tant qu’Alegsis avait décidé de le suivre, mais plutôt qu'il tenait simplement à récupérer son pinceau, alors même si le bon sens et lui formaient un oxymore, il fallait malgré tout qu’il se dirige là où son arme était censée être gardée.

Les deux hommes esquivèrent tant bien que mal les quelques sentinelles qu’ils croisèrent sur leur route, surtout grâce à Ned, qui attira à chaque fois in extrémis son compagnon de fortune vers une cachette. Et après quelques minutes d’infiltration approximative, ils atteignirent finalement leur objectif.
Comme la première fois où le jeune pirate l’avait arpenté, l’arrière du bâtiment était désert ; s’y immiscer était donc un jeu d’enfant. En tout cas jusqu’ici.

L’intérieur était silencieux et seules leurs bottes rompirent le calme du couloir où ils pénétrèrent. Sans perdre de temps, les deux hommes se mirent à arpenter les différentes pièces à la recherche du mystérieux pinceau. Fort heureusement pour eux, le bâtiment semblait désert, l’incident précédent ayant sans doute attiré les gardiens vers d’autres occupations.

Ils atteignirent finalement les cantines, vides elles-aussi. Cependant, quelque chose retint l’attention de cet idiot d’Alegsis. Quelque chose au fond d’une casserole, derrière le comptoir de service. Il s’y rapprocha à tâtons, comme s’il s’apprêtait à mettre la main sur le plus rare des trésors. Il saisit la louche à l’intérieur, gratta au fond du pot et brandit son trophée dans les airs en affichant un large sourire qui dévoila sa dentition bonne à faire frémir n’importe quel dentiste.

- Mate ça Neddinton ! Des pâtes bolo ! Se réjouit l’ahuri en agitant sa louche pleine de spaghettis dégoulinant de sauce tomate.
- Mais putain repose ça tout de suite !

Son ordre n’eut que peu d’effet, pour ne pas dire aucun. Alegsis avait déjà englouti la louche, en plus de s’être couvert le contour de la gueule de parmesan et de viande hachée. Il lâcha un rot net, traduisant le plaisir immense qu’il avait ressenti. Ces pâtes bolognaise étaient un pur régal, alors, Alegsis attrapa cette fois la casserole toute entière et s’apprêta à prolonger son repas. Mais Ned s’interposa avant qu’il ne gobe le reste et une lutte acharnée se joua tout à coup dans les cantines du bâtiment. Chacun tira de toutes ses forces pour s’accaparer l’objet, jusqu’à ce que finalement, les forces opposées s’annulent, provoquant la chute de la casserole dans un fracas cinglant.

- Qu’est-ce que c’est que ce boucan ? Interpella une voix rauque depuis un couloir adjacent.

Deux hommes firent irruption dans la pièce, vêtus respectivement d’un uniforme immaculé et d’une casquette où était inscrit en lettres capitales « MARINE ».

Un silence, lourd de malaise et de confusion, emplit la salle durant de longues secondes. Les deux militaires se jetèrent un coup d’oeil comme pour se confirmer du regard que ce qu’ils voyaient n’était pas le fruit d’une hallucination, avant de dégainer leurs fusils au quart de tour.

- Halte-là, vous êtes les deux individus recherchés n’est-ce pas ?! L’animal et le sabreur ! Vous correspondez parfaitement aux portraits robots ! Levez les mains en l’air immédiatement !
- Eh merde… ça recommence, soupira Ned, qui en vint à se demander s’il n’aurait pas mieux valu qu’il finisse noyé au fond des océans plutôt que d’avoir à subir cette journée.
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- Pas le choix, réagit aussitôt le blondin en tirant déjà un sabre du fourreau, fermement résolu à ne pas se rendre sans combattre, il va falloir se frayer un chemin à travers eux ; t’as intérêt à assur….

Quand il tourna la tête afin de déterminer si « oui » ou « non » son demeuré de compère était au moins sur la même longueur d’ondes, le remarquable bretteur ne put que découvrir – sans trop toutefois s’en étonner – qu’il ne se trouva derrière lui qu’une fenêtre grande ouverte et un camarade s’étant hardiment débiné dans la seconde même.

- Oh le fils de....

- Putrissure ! On ne te laissera pas t’en sortir ! Ouvrez le feu !

Dans son sillage déjà lointain, Alegsis, alors qu’il trottinait gaiement hors du guêpier d’où il s’était vaillamment extriqué, pouvait à présent ouïr l’immense et sordide vacarme qui se fit presque aussitôt entendre de là d’où il était parti. Le son des fusils d’abord, puis les cris d’agonie ensuite, rythmaient un ballet houleux dans dorénavant souillées de sang et de bolognaise. De tout ce raffut, le chasseur de primes, ne s’en soucia guère, indifférent qu’il était à tout ce qui ne le concernait pas. La Marine ? À Ned, ce serait son problème et le sien seulement. Un de ces problèmes qu’Alegsis lui avait si gracieusement accordé. Et puis, c’était aussi sa faute, à ce blondinet, si les pâtes avaient été renversées ; peut-être après tout méritait-il son sort.

Son sauveur aillant pour l’heure maille à partir avec tous les effectifs armés venus se jeter sur lui pour la peine, Alegsis profita allègrement que la focale fut placée sur autrui pour longer le local des employés jusqu’à ce qu’à travers une des fenêtres, il crut enfin apercevoir son Graal. Les carreaux, dès lors, sautèrent bien vite et l’animal, à nouveau, fit son entrée dans ce qui apparaissait cette fois comme le local d’entretien. Son pinceau, ses ravisseurs, en béotiens confirmés des choses de la peinture, ils l’avaient entreposé dans le seau où y étaient aussi engouffrés les autres balais.

- Eh bah voilà une bonne chose de faite. Déclara paisiblement le simplet en dépit de l’ostensible gravité de la situation.

Sans un remord en tête ou même un semblant de scrupule pour venir lui titiller le cervelet, Alegsis repartait par là où il était venu, abandonnant Mademoiselle Neddinton à son triste sort. De son sauveteur intrépide, il en avait de toute manière déjà fait le deuil sans pour autant verser la moindre larme.
Afin de retrouver la sortie du zoo, il lui restait alors à longer quelques enclos devant lesquels il se permit quelques haltes. S’estimant plus en villégiature qu’en cavale, Alegs, dans toute son indolence crasse, se permettait en plus de flâner. Le zoo était à présent désert dès lors qu’on en évacua les visiteurs et que le personnel s’en allait servir de supplétif à la Marine. Aussi Alegsis piocha dans la caisse du petit stand de pop-corn afin qu’il partit du bon pied hors de Shell Town.

Tout ce qui portait une arme dans les environs, néanmoins, ne s’en était pas pour autant allé croiser le fer du côté de chez Ned. La cuisine y était en effet tellement jonchée de corps qu’il fut alors malaisé de s’y masser pour occire le forban. Un peloton de Marines en vadrouille avait alors inspecté les environs de sorte à trouver quelques complices à ce bretteur retors. Leur découverte fut plus spectaculaire encore.

- L’hippopotame ! Il est là !

- Salut, leur fit signe Alegsis qui ne doutait  vraiment de rien, vous savez où je pourrais trouver du caramel, parce que le maïs soufflé nature je trouve ça un peu se…

De derrière lui, un collègue de ceux-là qui s’étaient prudemment avancés vers lui s'était permis de lui asséner un puissant coup de crosse.

- C’est bon caporal, je lui ai administré un calmant !

Accroupi à se tenir la tête après qu’il eut accusé le choc, Alegsis jaillit soudain comme un diable hors de sa boîte en agitant devant son agresseur le même poing duquel était tombé son sachet de pop-corn.

- Aïe ! Nom de… Ouch !.. Sombre crétin, vitupéra l’imbécile, mais c’est pas un calmant ça !

Surpris d’abord du mouvement brusque, l'assaillant leva le menton, brandit ensuite l’index et, professoral, fit savoir à l’animal :

- Tout ce qui calme, par définition, est un calmant.

La thèse méritait réflexion, aussi Alegsis croisa les bras et pencha-t-il la tête en avant d’ici à ce qu’il ne se laissa convaincre par la pertinence de la dialectique qui lui fut adressée. Avec franchise, il valida cette définition et acquiesça après avoir considéré la sagacité du raisonnement.

- C’est très juste en effet. Vous pouvez reprendre.

- En vous remerciant, s’inclina courtoisement le  matelot avant de s’en retourner à un intense matraquage conduit depuis l’envers de son fusil, JE VAIS TE CALMER, MOI, PACHYDERME !

La bête humaine – quoi que bien modestement à en juger par sa trogne – se résigna à rompre la bienséance et, au milieu des coups des crosse qu'on lui adressait, se saisît de son adversaire afin de le jeter sur le peloton qui s’avançait vers lui. Alegsis avait en effet goûté à la liberté et aux pop-corn, aussi ne pouvait-il plus souffrir d’être jeté à nouveau en captivité. Il s’en était fallu de peu de choses pour qu’il renonça finalement à être traité comme un animal de foire dans sa cage. Sa liberté nouvellement retrouvée, il aspirait alors à se comporter comme l’animal de foire qu’il était, mais cette fois, sans qu’aucune borne ne lui fut attribuée. Ned, dans toute sa bénévolence, avait relâché un fléau de Shell Town ; tous ceux qui en feraient un jour les frais le devraient alors à ce bretteur au cœur d’or.

La petite assemblée venue courser l'hippopotame ne fut retenue que bien peu de temps par l’envol de leur confrère. Aussi détermina-t-on qu’une bête aussi furieuse valait mieux d’être abattue que laissée plus longtemps dans la nature où elle n’y sèmerait que la désolation. L’ordre de tir fut ainsi ordonné par le caporal.

- Bah voyons, souffla Alegsis qui, à présent qu’il était équipé de son pinceau de guerre, put se permettre de se comporter encore plus nonchalamment qu’il l’avait fait jusqu’à présent. Ce qui, déjà, tenait de la gageure. Brush Crush : La Vue Rouge !

Peignant aussi rapidement sur le sol un Colors Trap rouge que ses bourreaux en devenir dressèrent leur fusil vers lui, son salut fut garanti dans la seconde. Aussi Alegsis partait-il les mains croisées derrière le crâne en sifflant.

- Nous sous estime pas, putrissure ! C’était paraît-il une injure qui avait la cotte dans le coin. Feu à volonté !

Et on y alla de bon cœur, à appuyer sur la gâchette encore et encore d’ici à ce que les munitions manquèrent. Pas une balle toutefois n’avait ne serait-ce qu’éraflé la cible. Du moins, pas celle qu’il s’étaient initialement désignée. Tous, sans trop savoir comment ou pourquoi, s’étaient en effet obstinés à tirer au beau milieu de ce sceau rouge graffité en toute hâte sur le sol. La Vue Rouge, du fait de l’hypnose induite par le Colors Trap, captait sur elle tous les élans d’hostilité de qui l’avait dans l’œil.
En dépit de la foirade – et flagrante celle-ci – le caporal ne se laissa pas aller pour autant.

- Au corps-à-corps, messieurs ! Il est vulnérable aux coups de crosse !

La quinzaine de matelots, enivrés ou presque par les cris qu’ils poussèrent afin de s’encourager dans leur tâche, se ruèrent tous ensemble… autour du Colors Trap pour le combler de généreux coups de crosse.

- Caporal, pourquoi est-ce qu’on attaque le sol au juste ?

- Aucune idée soldat, mais quand la marine se désigne un ennemi, elle ne se rend pas avant d’en avoir triomphé ! Frappez messieurs ! Et ne faiblissez pas.

Les sous-officiers, de quelque corps armé que ce fut, étaient plus notoirement réputés pour leur caractère débonnaire que pour leur intellect. Aussi la belle équipe frappa sans relâche un sol de pierre jusqu’à ce que le bois du fusil fut brisé par leurs élans intrépides. Quand la marque fut en partie effacée au terme de leur acharnement caractérisé, leur arme de service, à tous, se trouva réduite en charpie. Quant à l’hippopotame, celui-ci leur avait faussé compagnie depuis long.

Non loin de la sortie vers laquelle il s’était dirigé indolemment, Alegsis n’en crut pas ses yeux de faire de telles retrouvailles.

- Ça alors, s’exclamait-il soudain dans une allégresse aussi ingénue qu’elle fut sincère, Neddinton, si je m'attendais ! Ah bah en voilà un qui tombe bien, car il était littéralement tombé de là où il s’était jeté, qu’est-ce que tu deviens ?

Il avait une petite mine, « Neddinton ». Sans doute que batailler au milieu de dizaines de marines armés et opiniâtres avant contribué à entamer son moral et sa santé. Du bourbier dans lequel Alegsis l’avait si généreusement planté, il en était ressorti à terme en brisant les murs environnant de ses lames, galopant désespérément vers la sortie. Loin ; le plus loin possible de cette chienlit dans laquelle il s’était enfoncé du fait d’une compassion malvenue. Et l’amorce de tous ses emmerdes du jour, il le retrouvait par mégarde, en pleine forme, se dirigeant lui aussi vers la sortie comme s’il concluait ses vacances. À celui-ci, il y avait des comptes à lui faire rendre.

- C’était une chouette petite excursion, rajoutait l’artiste-pitre en fouillant dans sa poche pour en sortir quelques billets entre autres piécettes, regarde ce que j’ai trouvé dans une caisse tout à l’heure. Y’en a pour quatroze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries j’ai compté, avec ça, on va pouvoir se refaire.

Avec ça, il aurait pu se faire servir un repas pour deux dans une goguette.
Ce ne fut toutefois pas l’outrecuidance qui terrassa le mieux Ned en cet instant, mais ce chiffre ; ces quatroze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries qu’il reçut sur l’âme comme un violent coup du sort. Un qui fut particulièrement mesquin de surcroît.

- Bah, pourquoi t’es tout blême comme ça ? Remarqua Alegsis en fronçant des sourcils un poil circonspect. C’est raisonnable quatorze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries. Qu’est-ce qui te gêne avec les quatroze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries ? Pour  quatorze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries on peut avoir des tas de trucs bien. On peut s’acheter euh… je sais pas moi… un fusil, déduisait-il après avoir porté ses yeux sur l’arme qu’un rescapé des cuisines pointa dans le dos de Ned. Un qui vaut quatorze-mille-cinq-cent-cinquante-six berries en tout cas.

Ned, une enfance durant, avait occupé son calvaire les chaînes au pied ; la cadence de son supplice rythmé par les claquements de fouet. Et sa vie d’esclave, il l’avait vécue avec, sur son nom, le matricule « 14556 » affiché comme le macabre résidu chiffré d’un temps qu’il souhaitait révolu. Les bourdes d’Alegsis, parce qu’elles étaient involontaires pour la plupart, tenaient d’un registre légendaire dans ce qui se rapportait à leur exécution.
Ainsi provoqué par le sort qui, de ce chasseur de primes débile, en avait apparemment fait son porte-voix, peut-être Ned, après tout, n’hésiterait plus à présent à tuer celui-là même qu’il avait cherché à sauver plus tôt en ce jour. Ce serait cependant pour plus tard. Après qu’il eut occis le bleu-bite qui, tout tremblant derrière lui, lui avait tiré dans l’omoplate.

Plus jamais Ned n’irait au zoo.

Ses blessures, le bretteur flamboyant ne les comptait plus ; ses victimes encore moins. Le jeune garçon qui eut le tort de lui tirer dans le dos contribua en tout cas à alourdir son bilan homicidaire pour ce jour. Et quand il se retourna après avoir corrigé son agresseur, Ned trouva un nouveau prétexte à se décomposer. Il lui semblait que les malheurs, tombés en cascade sur lui depuis la matinée, n’en finissaient pas.

- Tiens, regarde, déclarait Alegsis qui ne s’inquiéta pas un seul instant de la balle que venait de recevoir l’infortuné « Neddinton », moi aussi je sauve des animaux, t’as vu ! En grand gamin qu’il était, car il ne souhait céder en rien à son rédempteur, Alegs, sous ses yeux, ouvrit la cage des tigres non sans s’être préalablement privé d'en subtiliser la clé dans le local d’entretien. Allez, zou les ouistitis, allez-y donc la vivre votre vie.

Non-content d’avoir commis une nouvelle bourde magistrale en croyant bien faire, Alegsis se paya même le culot d’adresser un petit regard crâneur au blondin, d’un air de lui faire savoir qu’il n’avait rien à lui envier.
À ce stade, la thèse de la connerie clinique était engagée.

- Tu t’arrêtes jamais, toi, hein ?

Des tigres hauts comme des bisons glissaient contre la porte qui leur fut si généreusement offerte. Au sud, quelques renforts armés approchaient au pas de course et, plus loin devant, après avoir mis le feu partout autour de lui, l’hippopotame rachitique bavard, qui avait pris les devants le temps que Ned fut sidéré de sa dernière connerie en date, quittait l’enceinte du zoo en adressant de la main un sympathique « coucou » qui tombait mal-à-propos.

- Neddinton, on fait la course ? Le premier à la plage nord a gagné ! Jeri-hi-hi-hi-hi.

Il n’était plus à une gaminerie près après qu’il eut fait débouler dans son sillon les calamités par centaine. Alors qu’Alegsis courait vers la plage, il abandonnait une fois de plus Ned à un triste sort dont il fut le maladroit maître-artisan une fois encore. Si le sabreur, de ce cataclysme sans fin, en réchappait une fois de plus, ce ne serait alors pas avec les meilleures intentions du monde qu’il retrouverait ce stupide animal à la plage.


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Cette scène, pour ce qu’elle avait d’extraordinaire, aurait pu être immortalisée dans une célèbre peinture, vendue aux enchères à prix d’or : « Dans les rues paisibles de Shell Town, le pirate Ned Mayhem, poursuivi par une demi-douzaine de tigres et un contingent de soldats armés jusqu’aux dents. »

Comment une simple balade au zoo avait pu engendrer telle situation ? Comment, lui qui ne cherchait qu’un moment de tranquillité, avait désormais à ses trousses les plus terribles prédateurs ? A tout ceci, il n’y avait qu’une seule explication, et elle s’appelait Alegsis Jubtion.

Tandis qu’il dévalait une rue à toute vitesse, les enseignements de la Voie du Sabre lui traversèrent l’esprit. Sérénité, Respect, Pardon… Des valeurs qui là, à cet instant, étaient aux antipodes des idées cruelles qui lui martelaient le cerveau. Tout ceci était la faute de cet ahuri, de ce benêt, de cet imbécile, de ce con, de cet idiot d’Alegsis Jubtion. Qui en plus de ça, avait, malgré lui, ravivé de terribles souvenirs. « 14556 »... à chaque fois qu'il l'entendait c'était comme recevoir des coups de couteaux en pleine poitrine.

En pleine course effrénée, Ned prit une grande inspiration, et puis…

- Ooooooooh… J’VAIS M’LE FAIRE !!!!!!!

Voilà qui était clair.

Il avait perdu toute once de sang-froid ; la sérénité avait quitté son corps, le respect était mort depuis belle lurette, et le pardon…plutôt crever.

À bien y réfléchir, c’était plutôt cocasse. Lui, l’archéologue émérite, jeune érudit et savant proclamé, s’était fait tourné en bourrique durant toute une journée par l’obscurantisme incarné, la bêtise sur pattes, l’homme aux trous de nez dilatés et aux dents mal agencées. Finalement, c’était peut-être son égo blessé qui le rendait si nerveux. Quoi qu’il en soit, il n’était pour l’heure pas en mesure de prendre du recul sur sa situation, car c’était tête la première qu’il fonçait vers la plage nord pour mettre la main sur le responsable de cette journée catastrophique.

Alegsis, bien que rachitique, était doté de capacités physiques dont on n’aurait su le soupçonner. Ned s’était ainsi fait largement devancé, alors même qu’il fusait comme un éclair à travers les quartiers de Shell Town.
De temps en temps, un coup d’oeil derrière l’épaule lui rappelait qu’il n’était pas plongé dans un cauchemar, et que les « graou graou » dans son dos étaient bien réels. Les tigres étaient tout aussi rapides que lui, l’obligeant alors à user de son environnement pour ne pas finir en purée. Il renversa les étals d’un marché sur son passage pour les attirer vers la nourriture, leur balança l’échelle d’un pauvre maçon en train de réparer une façade, aspergea les pavés avec la peinture d’un artiste de rue pour ralentir leur course, mais rien à faire, les tigres le poursuivirent coûte que coûte. Il était condamné à être leur gibier, et ce même s’il parvenait à atteindre les enfers. La seule chose qu’il gagna à renverser tout sur son passage, c’était la colère des habitants, qui bizarrement, se rangèrent  du côté des tigres. C’était comme si l’univers tout entier avait décidé de lui casser les couilles.

On lui jeta des tomates à la figure comme on l’aurait fait au plus piètre des comédiens, on l’insulta de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables, et on le hua à des kilomètres à la ronde. Un môme alla même jusqu’à tenter de lui barrer la route en lui exhibant son majeur tendu et sa langue pendue. Il était devenu l’ennemi numéro 1 de Shell Town en l’espace de quelques minutes, alors qu’il tentait très justement de sauver sa vie.

Mais la fatigue commençait à se faire ressentir, ses jambes brûlaient et son souffle se faisait de plus en plus court. La fuite sembla une échappatoire vaine, alors tant pis pour les quartiers propres de Shell Town, mais il comptait désormais en découdre, car c’était bien là la seule chose qu’il lui restait à faire. Il s’arrêta brusquement à un croisement et tira ses lames. A l’arrivée des tigres, il les décroisa d’un geste éclair, provoquant deux lames d’air qui s’entortillèrent en engendrant une bourrasque sur leur passage. La tornade d’acier emporta les tigres et les bâtiments derrière eux, les faisant disparaître du paysage.

Son attaque ayant réussie, Ned s’autorisa un instant de répit. Il chancela en haletant bruyamment, mais se retint en posant ses mains sur ses genoux pour retrouver son équilibre. Mais désormais, alors qu’il se pensait débarrassé de ses opposants, ce furent des coups de feu soudains qui le rappelèrent à l’ordre. Les balles sifflèrent à ses oreilles, quelques-unes éraflèrent ses bras et une se logea dans son ventre. La douleur et l’adrénaline lui firent retrouver sa lucidité presque instantanément. La colère serra son visage et crispa chaque parcelle de son corps, comme s’il s’apprêtait à imploser de l’intérieur.

Les soldats avaient, de toute évidence, trouvé un moyen de le contourner. La rangée de marines face à lui, fusils levés, aurait pu être sa dernière vision si l’instinct de survie n’avait pas reprit le dessus aux portes de la mort.

- Mais vous allez d-é-g-a-g-e-r oui ?!!

Un spectacle macabre s’ensuivit. Des bonds éclairs, des passes d’armes, des tintements métalliques, et des giclées de sang. Il avait perdu le contrôle, et n’était de toute façon plus à quelques cadavres de plus sur son sillage. Les renforts ne tardèrent pas à porter assistance à la malheureuse escouade, mais le sabreur avait mystérieusement disparu.
En réalité, il s’était échappé par les toits, et bondissait de bâtiment en bâtiment vers son objectif ultime : la plage nord. Nul mot n’aurait été approprié pour décrire le sentiment de fureur qui le traversait alors. Et plus il ressassait  sa journée, plus il s’en voulait d’avoir été l’imbécile de l’histoire. Car finalement, oui, l’idiot, c’était lui. C’était lui qui avait délivré Alegsis, lui qui l’avait protégé, lui qui lui avait fait confiance malgré ses bévues à répétition. La réalité était dure, mais après autant de mésaventures, il ne pouvait qu’y faire face : il avait été ô combien stupide.

Après de longues minutes, il quitta les toits, le bruit des sentinelles étant désormais bien loin derrière lui. La plage nord n’était plus qu’à quelques pâtés de maisons et là-bas, enfin, il pourrait déverser sa haine.

Malheureusement, lorsque le mauvais sort a jeté son dévolu sur vous, il vous écrase de tout son poids et ce, jusqu’à tant que l’envie lui passe.
Un tigre se jeta brusquement dans son dos, et planta ses griffes dans sa nuque, avant de l’emporter de toute sa masse. Ils roulèrent sur plusieurs mètres et Ned n’eut même pas le temps de digérer la surprise que le prédateur bondit de nouveau sur lui, tendu comme un piquet. Il parvint à retenir miraculeusement les crocs de l’animal à l’aide de ses mains, mais ses griffes déchiquetèrent son manteau et lacérèrent sa peau. Il repoussa la bête avant qu’elle ne l’éventre et chargea à son tour, sabres dressés. Une glissade trompa le prédateur, et ses lames se plantèrent sous sa gueule, jusqu’à traverser le sommet de son crâne.

Torse nu, exténué, couvert de sang, en proie à des sentiments indéchiffrables, Ned atteignit finalement la plage nord en portant sur ses épaules la carcasse fraîche du tigre. Semblable à un homme préhistorique ou à un fou ayant fui l’asile, le pirate s’avança piteusement sur le sable chaud, manquant de chuter à chaque pas maladroit.

Au loin, près d’un parasol et d’une serviette de plage sur laquelle étaient dessinés des têtes de singe, un homme frêle en maillot de bain, lunettes de soleil rondes plantés au bout du pif, s’amusait à construire un château de sable à l’aide d’une pelle pour enfant. L'homme attrapa la paille de son jus de fruit en remuant la bouche comme un cheval et sirota son verre, presque vide, provoquant des aspirations insupportables. Il posa ensuite une boule de sable sur le sommet de son château, ce qui marqua la fin de sa construction hideuse et mal proportionnée.

- TADAM ! S’écria-t-il en levant les bras au ciel comme s’il venait de remporter une bataille.

Mais le château se désintégra après le passage d’une vague, laissant pantois son créateur, qui afficha une mine peinée en faisant tomber ses épaules en avant.

Ned et le tigre sur son dos assistèrent à la scène bouche bée. Bouche bée car le tigre était mort, mais surtout parce que Ned n’en revenait pas. Il n’en revenait pas de…

- ALEEEEEEEEEGSIIIIIIIIIIIIIIISSSSSS !!!

C’en était trop.

- Oh, tiens, Neddinton ! T’en as mis du temps, jeri-hi-hi-hi !

Ned empoigna la carcasse du prédateur et la fit tournoyer à toute vitesse, avant de la balancer sur ce satané Alegsis Jubtion. La colère l’aveuglait, et désormais, il était bien décidé à ne pas laisser la bêtise prendre le dessus. A tel point qu’il n’aperçut même pas à l’horizon la petite embarcation au drapeau noir se rapprocher lentement…
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Écorché vif, le forban fourbu et fort bien amoché de ses précédentes péripéties, en avait finalement réchappé, de ces calamités incessantes. Tout ça pour finalement se jeter dans la gueule du loup ; auprès de l’épicentre même du séisme à emmerdes dont il n’avait pas fini d’essuyer les secousses.

- Tu vas rire, c’était peu probable, en fait mon pédalo il était amarré plage sud. Je confonds toujours jeri-hi-hi.

Tirant la langue d’entre ses chicots, les yeux fermé à se gratter l’arrière du chapeau afin de mieux accentuer l’aspect drôlatique de son « oups », Alegsis ne vit pas venir le coup de poing cinglant parti le faire valdinguer trois mètres plus loin.
Un couvercle de marmite, même bien enfoncé sur une mixture portée à ébullition, ne pouvait indéfiniment contenir un trop plein.

- Qu’est-ce qui te prend ?! S’échauffa avec verve Alegsis alors qu’il se relevait agité en brandissant un ridicule poing vengeur. Tu veux te battre ?!

Quand la lueur d’un sabre commença à scintiller au soleil après que son manieur en eut essuyé le sang, le chasseur de primes eut alors sa réponse.

- Mince, paniquait-il alors, il veut se battre.

C’était cependant une erreur de jugement pour moins grossière que commit alors le chasseur de primes. Car, en tout état de cause, Ned ne souhaitait pas se battre. Lle massacrer, l’oblitérer, le réduire en charpie et annihiler jusqu’au dernier atome ayant seulement pu prouver son passage en ce bas monde, cela, il y fut disposé. De bataille, en revanche, il n’en fut apparemment pas question.
Alegsis recula de quelques pas tandis que son bourreau en devenir, un poil contrarié par les affres d’une journée harassante, approchait un peu plus de lui, implacable comme la mort qui venait. Combat il se devait d’y avoir, à moins qu’Alegs ne consentit à s’embrocher sur une lame afin de bien avoir la décence de s’y laisser mourir. La manœuvre, cependant, ne fut pas au programme.

Ned Mayhem, c’était un gros morceau. Qu’il ressortit sur ses deux jambes – bien que chancelant – d’une si monstrueuse désolation, indiquait en soit qu’il n’était pas homme à qui il faisait bon chercher querelle. Des marines, des tigres, tout lui était passé par le fil de l’épée sans qu’il ne se laissa abattre. De cette confrontation qui venait, Alegsis partait ainsi bon perdant. Et cela, il eut au moins la présence d’esprit d’en attester.
Toutefois, ce dernier misa sur une roublardise de bas étage de sorte à pouvoir écourter une passe d’arme qui lui serait que défavorable. Apposer le Colors Trap sur un tel gaillard serait sa seule échappatoire, quoi que l’entreprise fut malaisée et même suicidaire dans ce qu'elle supposait. D’ici à ce que la pointe de son pinceau géant n’effleura le torse ensanglanté du bretteur, un sabre sinon deux lui auraient en effet fendu le crâne. Afin de vaincre et, que les chances tournèrent en sa faveur, à Alegs, il lui fallut une distraction pour que, de son pinceau, il réduisit son sauveur à l’impuissance à l'aide d’un Coup de Blues bien senti.

- Brush Crush ! Énonça-t-il les dents serrées, finalement disposé à prendre l'offensive. Petit Sablé !

Situé à trois bon mètres de distance de son adversaire – car il fallait au moins ça pour que les sabres ne trouvèrent pas en lui un fourreau bien opportun – le glorieux chasseur de primes asséna un violent coup de pied dans le sable afin d’aveugler le blondin qui venait à lui.
Il s’en serait fallu d’une seconde ou deux d’ici à ce que ce dernier ne se remit de sa cécité partielle ; un temps amplement suffisant pour que l’artiste ne vienne le parapher de son sceau. La technique, bien que classique, eut été d’un prodigieux secours à Alegsis si celui-ci, dans toute ingéniosité, n’avait pas malencontreusement fait abstraction du vent qui lui soufflait en plein visage.

- KyAaAAaa ! Gémissait-il piteusement, déjà à se rouler par terre alors qu’il essuyait le sable qu’il s’était lui même jeté dans le yeux. T’as pas le droit ! Se plaignait-il en plus et ce, bien qu’il fut celui-là même à administrer le coup bas.

Qu’un pareil individu ait pu lui être si nocif eut de quoi vexer l’impérieux bretteur. Le bougre, la fatigue et l'exaspération nerveuse aidant, ne désirait plus à présent qu’en finir une fois pour toute. Un sabre brandi au-dessus du vermisseau qui, à quatre pattes, se traînait à l’aveuglette jusqu’aux abords marins afin de se laver les prunelles, l’issue était à présent inévitable.

- ZOOOOOOIIIIIINK !!!! Avait-on soudain scandé de derrière les dunes avant que, dans un déluge de poussière, un immense hippopotame ne dévala les butes de sable pour mieux charger Ned.

Personne, jamais, ne s’attendait au pachyderme providentiel.

D’autant que celui-ci – ou plutôt celle-ci – perforées de balles après qu’on eut cherché à l’occire, fut pourtant tenue pour morte. Ned eut alors à peine le temps de parer l’immense paire de mâchoires ouvertes en grand qui étaient alors venues avec l'idée définie de lui délivrer le coup de grâce. La faune, à cet homme-là, n’en finissait pas de lui causer des misères. Non, décidément plus jamais il n'irait au zoo.
Insouciant des incidents qui l’entouraient pour l'heure, Alegsis, toujours mains et genoux posés sur le sable, trempa la tête dans l’eau afin qu’il retrouva la vue.

Plus loin, mais bien assez près pour qu’ils furent spectateurs du désastre qui advenait sur la plage, l’équipage excité d’une embarcation de fortune persistait à approcher du rivage.

- Neeeeed ! Criait-on alors, partagé entre la satisfaction de le retrouver et l’angoisse de le perdre. On est lààààà !

C’en était fini des errances de mademoiselle Neddinton ; sa cour, enfin, venait alors se la réapproprier avant qu’une vacherie de pachyderme n’en fasse qu’une bouchée.

Technique évoquée:
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L’univers tout entier ne lui cassait pas simplement les couilles, mais s’était également rangé derrière la bêtise incarnée par Alegsis Jubtion. Tout semblait se retourner contre Ned, comme si aujourd’hui, les forces de la nature ou divines s’étaient alliées pour lui pourrir sa journée. La seule bonne nouvelle à tout ça était que deux voix familières provenant de l’horizon venaient frapper ses oreilles.

Après avoir repoussé l’immense pachyderme amoché, le jeune homme tourna la tête en direction du rivage et y aperçut au loin sa modeste embarcation ainsi que les bras de Lenny en train de s’agiter pour former de grands signes. Il était sauvé, enfin. Le cauchemar allait prendre fin, et à l’instant où il poserait le pied sur sa coque de noix, ce qu’il avait vécu aujourd’hui à Shell Town serait automatiquement enfoui au plus profond de son être, momifié et placé dans un sarcophage, afin que plus jamais il ne se souvienne des malheurs que lui avait causé l’hippopotame rachitique bavard.

Il était parvenu jusqu’ici pour affronter en duel ce satané fuyard d’Alegsis, mais tout portait à croire que ce vaurien n’était même pas capable de se battre. Quel demeuré fallait-il être pour s’asperger soi-même du sable qu’on avait tenté d’envoyer à son adversaire ? Cela n’eut pour effet que d’exaspérer encore un peu plus le jeune pirate, qui décidément, voyait sa fierté se faire aplatir à chaque nouvelle débilité de l’homme au chapeau. La scène était d’un ridicule tel que d’y être associé faisait frissonner de malaise le malheureux Ned. Lui qui avait survécu à plusieurs batailles, affronté en duel de féroces guerriers, il en était aujourd’hui réduit à courir derrière un énergumène incapable de tout, et qu’en plus de ça, il n’arrivait même pas à lui faire payer ses actes correctement. Et heureusement, ou peut-être malheureusement, il n’était pas aussi lâche que son désormais ennemi pour lui planter son épée dans le dos, alors que celui-ci était à quatre pattes en train de se frotter les yeux pour enlever le surplus de sable.

- Relève-toi Alegsis ! ordonna le sabreur, dont le visage était tellement contracté que ses veines étaient prêtes à rompre sous la pression. Je te préviens, hors de question que tu te défiles encore !

Alegsis se retourna, non pas pour obéir au commandement de son adversaire, mais pour vérifier s’il n’avait pas purement et simplement perdu la vue, en essayant tant bien que mal de discerner la ville de Shell Town. Le visage trempé et les yeux globuleux teintés de rouge, Alegsis, sans aucune honte, accusa de nouveau le sabreur de sa couardise avant de se remettre d’aplomb en grognant des mots incompréhensibles.

- Grablblglugraaaaah… Ç-ça brûle !!! pouvait-on déchiffrer finalement.

Impatient comme il l’avait rarement été, Ned jugea finalement que son adversaire, s’étant mis debout, était désormais « apte » au duel. En réalité (il en avait bien conscience au fond), il voulait juste en finir et était prêt à trouver n’importe quelle pseudo-justification pour éradiquer toute trace du passage d’Alegsis Jubtion sur terre.
Alors, il s’élança vers lui, lames pointées et prêtes à faire couler le sang du stupide. Mais, avant qu’il ne puisse frapper l’énergumène aveugle, un coup de gueule de l’hippopotame en rogne l’envoya valdinguer à deux ou trois mètres de là et il termina son vol plané tête la première dans le sable.

Tête enfouie, cul pointé vers le ciel, humilié, Ned songea un instant à se faire harakiri sur le champ afin d’éviter d’avoir à supporter une seconde de plus cette journée maudite. Finalement il se résigna à croire que peut-être, face à la bêtise, il s’y prenait très mal. Trop mal.

Il s’extirpa finalement de son trou en recrachant péniblement le sable qui s’était logé dans ses poumons et resta là, vautré dans le sable chaud, lessivé de toutes ses tentatives ratées. Tenter quelque chose de plus, c’était prendre le risque d’être humilié de nouveau, et son égo avait assez souffert aujourd’hui. Il observa Alegsis avec un goût de défaite dans la bouche, comme s’il venait de perdre le duel le plus important de sa vie.

L’hippopotame rachitique bavard, quant à lui, n’avait pas bougé d’un poil face à l’assaut du jeune homme, car à vrai dire, il ne l’avait pas vu venir. Après un frottement incessant des yeux et des clignements à répétition, le bonhomme retrouva la vue et vit face à lui, l’hippopotame, le vrai, la gueule ouverte, prêt à le gober entièrement. Comme il en avait eu l’habitude durant sa vie à l’enclos, il retint les mâchoires du pachyderme avec une facilité déconcertante et se réjouit de retrouver sa promise, abîmée certes, mais bien vivante.

- Griselda ! s’écria-t-il en fermant à moitié un œil qui le démangeait encore. Ça alors, t’es en vie !

Alegsis grimpa sur le dos du pachyderme comme on monterait un cheval et s’en alla, guidé par sa bien-aimée qui se secouait le derrière pour dégager l’invité indésirable. Au loin, on entendit finalement un « jeri-hi-hi-hi » significatif, qui sonna comme une conclusion à cette aventure sordide. De là où il était, le sabreur aurait pu projeter une lame d’air et probablement anéantir les deux tourtereaux, mais il n’en avait mentalement plus la force, ni même l’envie. Il préféra accepter son sort et sa fierté réduite à néant.

Pour Ned, cela avait été une journée infernale, pour Alegsis, un jour comme les autres.

Peut-être que finalement, le jeune pirate n’aurait pas tant souffert en abordant les choses différemment. Car c’était peut-être sa fierté déplacée qui avait suscité autant de mésaventures.

Tandis qu’il se réjouissait du son de la barque fendant les flots, allongé comme une étoile de mer en regardant le ciel, il trouva finalement une conclusion à tous ces malheurs, et en vint à éclater de rire. Car oui, malgré tout, s’il y avait une chose à retenir, c’était qu’on lui avait aujourd’hui enseigné une belle leçon d’humilité, à coup de grandes claques de stupidité dans la figure.
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