À vouloir aller de l’avant dès lors où il était question de plongée sous-marine, on tombait dans le bateau. Du moins, s’il était question de ces combinaisons de plongée comptant parmi les plus récentes qui furent ; les plus sophistiquées, celles des belles huiles du Gouvernement Mondial, celles dont on disait qu’elles étaient confectionnées « à la mode de South Blue ». Combinaisons dont on ne les gratifia évidemment pas pour l’occasion. Car toute noblesse qui fut derrière ce projet n’y allait apparemment que d’un mécénat aux émoluments très pondérés.
Confectionnés en barriques et autres tuyaux dont on ne pouvait qu’espérer qu’ils ne furent pas percés, les scaphandres, passablement artisanaux, avaient des airs de tombeaux qui ne demandaient qu’à être ensevelis profondément sous les eaux. C’est donc tout naturellement qu’Alegsis eut les yeux pétillants à les découvrir
pour ce qu’ils étaient.
- «
Vous allez, messieurs, avoir le privilège de plonger dans mon tout nouveau modèle de scaphandrier. Se vantait son créateur, le visage presque tordu par la forfanterie.
Je l’ai appelé le….. euh... leeeeee... »
Ne restait qu’à attendre qu’il dévoile enfin l’intitulé de ces cercueils lestés. Les secondes passèrent puis, tombant à genoux, le souffle coupé, sa gueule à moitié ouverte là d’où ne sortait aucun son, le chargé de projet enlaça les tonnelets faisant office de jambe pour l'une de ses créations avant de se laisser aller aux larmes.
- «
Je leur ai pas trouvé de nom… je… je suis vraiment un ingénieur déplorable. »
De cet homme-là, la vie de deux chasseurs de primes en dépendrait prochainement, perdus qu’ils seraient au milieu d’une mer impitoyable.
- «
T’as vu Grimmjack ? Riait d’un rire bienheureux l’homme dont ce même Grimmjack avait bandé kiki et cucul, celui-ci amusé qu’il était devant cette scène pathétique,
le monsieur il déprime sans que je le marque de mon Coup de Blues, jeri-hi-hi. Puis, rembruni comme si soudain les ténèbres lui étaient tombés dans la caboche il le regarda en biais, ses vilaines dents serrées.
Tu te souviens de mon Coup de Blues, hein ? Celui au milieu duquel tu m’avais piégé…. »
- «
Tu t’étais pas piégé tout seul ? » Se souvint très pertinemment son rival d’alors.
Grimmjack, pour l’heure, allait partager son sort entre celui d’un abruti rancunier et d’un scientifique dont on devinait aisément pourquoi ses financiers étaient disposés à lui ôter ses crédits. Simulant l’entente cordiale, Alegsis, avec cette condescendance cullotée qu’on supportait d’autant plus mal lorsqu’elle venait de crétins de son engeance, tapota le dos de son partenaire.
- «
Allez, va, déclara-t-il en ayant très ostensiblement fait la sourde oreille à la dernière remarque de l’embaumé,
je t’en veux plus. C’est du passé. »
Il n’en finissait pas de tapoter le dos de son camarade, frappant chaque fois un peu plus fort comme le flagelle de la queue d’un chien enjoué. Mais ce corniaud si, c’était de rancune qu’il persistait dans ses assauts « amicaux ».
- «
Arrête. »
- «
Pardon. » Se soumettait-il aussitôt avant de lui asséner un petit regard assassin que personne n’eut pu prendre au sérieux tant ses yeux n’exprimaient que la bouffonnerie dont il était fait.
Débonnaire – et surtout pressé de rafler sa prime – Alegs posa ensuite une main compatissante sur l’épaule du biologiste resté effondré.
- «
Vous inquiétez pas monsieur le plorateur… » initia l’analphabète avant d’être aussitôt corrigé.
- «
« Ex »plorateur. »
- «
Non, non. Assura alors l’imbécile très sûr de lui.
Il est toujours plorateur. »
Il fallut un certain temps avant que Grimmjack – encore peu initié à l’insondable idiotie de son associé – comprenne que son comparse estimait que le « ex » dans « explorateur » tenait à un préfixe. La bêtise, parfois, pouvait provoquer des vertiges plus vifs encore que de devoir regarder les abysses droit dans ses tréfonds.
- «
Je disais donc… ah oui. Vous inquiétez pas monsieur le PLO-RA-TEUR, articula-t-il distinctement en adressant un regard de sous son chapeau à Grimmjack,
moi je vais vous leur trouver un nom à vos cendriers. »
- «
Scaphandriers, Alegs. Ça s’appelle des scaphandriers. » Prêchait alors son acolyte au beau milieu du désert.
- «
On va appeler ça, persistait Alegsis, manifestement au-delà de toute règle incombant à la grammaire,
des Tonneaux-sous-l’eau. »
Cessant de hoqueter, le « plorateur » leva la tête vers son sauveur avant de lui demander timidement :
- «
C’est pas un peau long ? »
- «
Pas si on le prononce vite ! » Répliqua Alegsis de son insolente pétulance une fois que celui-ci eut fait usage d’une infinie sagesse qui le caractérisait si bien.
- «
Va pour les Tonslo alors ! »
Fiers d’eux, scientifique et chasseur de primes se frappèrent dans les mains après les avoir dressées chacun au-dessus de leur tête. Ils avaient baptisé ce qui ne nécessitait pas de l’être et n’avaient pris que dix minutes pour ce faire. Dix minutes de vie que Grimmjack ne retrouverait jamais et dont il avait probablement souffert à chaque seconde, irradié qu’il fut par la connerie pure émanant de ses associés.
Le feu vert accordé, Alegsis s’était rué sur l’une des combinaisons dont il se faisait par avance un plaisir de la revêtir. C’était, après tout, le rêve de tout gosse de porter un jour une armure. Quand bien même celle-ci ne fut principalement faite que de tonnelets.
Les chasseurs de primes, ainsi affairés l’un et l’autre à s’engouffrer dans ces boîtes curieuses, furent pendant ce temps gratifiés des fanfaronnades de leur créateur.
- «
Les Tonslo sont équipés d’une lanterne dont le verre est étanche pour y voir même dans les profondeurs les plus abyssales. Qui plus est – et ça j’en suis drôlement fier – il possède un réservoir d’oxygène de deux heures pour que vous soyez parfaitement autonomes. »
Grimmjack n’eut que peu de mal à se laisser garnir une fois engouffré dans la boîte. Alegsis quant à lui, fut fidèle à ce qu’on pouvait attendre d’un si fabuleux crétin.
- «
Il est bien votre cendrier, prof, je dis pas. Mais j’ai l’impression qu’on voit rien à travers. »
- «
C’est parce que tu l’as enfilé à l’envers. » Accusa dépité son confrère qui, à travers le hublot d’Alegsis, ne vit qu’une nuque recouverte par un chapeau.
Soucieux de corriger l’impair, ne serait-ce que pour mieux y voir à travers sa combinaison, le niaiseux se contorsionna dans son scaphandrier afin de s’installer en bon ordre. Sollicitant son partenaire afin de savoir si le tort avait été corrigé, ce dernier vit cette fois apparaître une paire de fesses de derrière la lucarne.
- «
Et là, c’est bon ? » Demanda sincèrement le nigaud avant que Grimmjack ne secoua violemment sa combinaison jusqu’à ce que son imbécile de binôme eut cette fois les yeux en face des trous et non plus l’inverse.
Fin prêts à l’aventure, quoi qu’un peu sonné pour Alegsis, le professeur les saisit à la main pour les traîner jusqu’à son embarcation, qu’enfin démonstration fut faite que ses prototypes furent efficients. Car il avait des doutes sur la question ce bon monsieur. Néanmoins, il jugea bon de ne pas en avertir ses cobayes. Il fallait bien que la science avance après tout. Deux chasseurs de primes, au fond, c’était peu cher payé pour attester de malfaçons dans la combinaison.
- «
Pourquoi t’as emporté ton pinceau ? » S’interrogea raisonnablement Grimmjack tandis que tous ramaient en rythme.
Alegsis avait en effet emporté avec lui son arme de prédilection ; ce pinceau haut d’un mètre-cinquante avec lequel il avait donné jadis à Alegsis tant de fil à retordre.
- «
La peinture va se diluer toute seule sous l’eau, ça te sert à rien. »
- «
Maiiiiiiiiis non, ricanait presque avec suffisance le principal intéressé, apparemment persuadé qu'il était du contraire,
tu connais rien à l’art. »
Ce n’était pas tant une question d’art que de principes physiques élémentaires. Du même genre de ceux qu’un nouveau-né pouvait appréhender bien assez tôt, mais qu’Alegsis n’avait manifestement pas encore intériorisé.
À trois, ils avaient finalement ramé suffisamment loin des côtes de Fushia pour se laisser aller à quelques explorations sous-marines que tous, à terme, espéraient lucratives.
- «
J’ai pris soin d’équiper un escargophone dans chaque combinaison, les avertit enfin leur chef d’expédition,
ce sont des vieux modèles, alors ne vous éloignez pas trop l’un de l’autre si vous souhaitez continuer à communiquer. »
- «
Bonnard. Se réjouit Alegs tout excité de sa première incursion en eaux profondes.
Et du coup, comment est-ce qu’on fait pour plong… »
La réponse, à Alegsis comme à Grimmjack, leur parvint l'un à l'autre avant que la question fut posée. Le professeur, en effet, les avait bousculés d’un coup de pied chacun afin de les faire passer par-dessus bord. Savait-on jamais, des fois que ses plongeurs eurent un soudain cas de conscience, il avait préféré leur épargner l’indécision. Un homme scrupuleux que celui-ci.
Pour le moins surpris de la procédure, les plongeurs, après en être littéralement tombés à la renverse, s’adonnèrent malgré eux à quelques acrobaties sous-marines avant de se retrouver finalement dans le bon sens. Chose relativement malaisée sous l’eau, là où les repaires sensoriels étaient pour le moins chamboulés.
- «
Tu vois quelque chose ? » Demanda le bandelé à son compère, maintenant que l’investigation sous-marine allait commencer pour de bon.
- «
Y’a de l’eau partout, Grimmjack ! Même au fond de la mer ! » S’ébaudissait son binôme occupé à tourner dans tous les sens.
Hélas pour Grimmjack, celui-ci ne pouvait pas couper les communications.
Les courants marins au milieu desquels ils se trouvaient y étaient houleux. Il fallait sans cesse battre des bras et des jambes afin de s’extraire à la volonté farouche de les perdre. Et pourtant, aucune intempérie n’était à déplorer à la surface. À bien y regarder, on eut cru le siphon laissé par un mouvement brusque dans l’eau. Un mouvement récent ; un mouvement proche.
Perdu qu’il était dans ses cabrioles sous-marines, Alegsis n’avait pas vu venir la masse qui s’était discrètement approchée d’eux. De ses écailles sombre dont la nature l’avait doté afin de se camoufler dans l’eau, le monstre, à la gueule longue et étendue sur bien quinze mètres, flottait délicatement, comme se laissant mouvoir par un très lent courant ascendant, jusqu’à se retrouver à barboter devant ces petits messieurs qui, comparativement à lui, étaient gros comme des asticots.
Dérangé qu’il fut par les ondes de ces vieux modèles escargophoniques utilisés pour communiquer sous l’eau, le poisson-chat de la légende, non loin des eaux tumultueuses dont il avait été le responsable, n’avait pas tardé à poindre dans le silence le plus oppressant qui soit.
- «
Ah te voilà toi, n’avait trouvé qu’à réagir un certain débile flottant la tête à l’envers. Faisant mine de se remonter les manches bien que sa combinaison en fut dépourvue, Alegs se sentit prêt à en découdre quand tout, en réalité, aurait dû l’intimer à plus révérencieuse humilité qui soit.
Bon, adressait-il cette fois à l’intention de Grimmjack,
voilà mon plan ; moi je lui casse le nez et toi, tu le frappes aux genoux. On fait comme ça ? »
On ne ferait pas comme ça. Ni autrement d’ailleurs. Car il suffît à la bête qu’elle ouvrit sa large gueule dépourvue de dents pour qu’un appel d’air y engouffre la flotte environnante ; celle-là même où y barbotaient deux chasseurs de primes qui, sans coup férir, ne tardèrent pas à être happés dans le large estomac de la bête, là où des galions mités et couverts de bernacles y étaient, pour certains, restés logés depuis des siècles.
La déglutition accomplie, l’eau s’écoula afin que ne demeurent dans la panse que les amuse-bouche, ceux-ci finalement laissés au sec bien que toujours immergés sous les eaux.
S’étant échoués lamentablement dans le gosier du poisson-chat, affalés de tout leur long sur une paroi organiques où les débris y étaient pléthoriques, Grimmjack et Alegsis avaient fait florès par-delà leurs espérances. Il y avait prétexte à s’alarmer, du moins à s’inquiéter de son sort, quand les squelettes éparses, à portée de là où éclairait leur lanterne à chacun, y grouillaient par dizaines.
Leur esprit à nouveau en place, un brin chamboulés de tous ces rouleaux aquatiques dans lesquels ils s’étaient laissés gober piteusement, Alegsis – hélas pour la santé mentale de son partenaire – fut ainsi le premier à prendre la parole.
- «
T’as vu ? Demandait-il ingénu, comme si rien de franchement spectaculaire venait de leur arriver.
Y’a de la lumière là-bas. Eh oh ! »
- «
Arrête de dire n’im… eh mais t'a raison. »
Dans l’antre de la bête, à vue de lanterne, on ne pouvait apercevoir les alentours qu’à cinq mètres à la ronde. Aussi, qu’une lueur remarquablement perceptible fut si aisée à voir au loin intima les deux compères à s’y rendre. Les incongruités n’en finissaient apparemment pas de se succéder.