Un pirate entrait à la garnison d'East Blue. Or, on n'entrait jamais seul en ces lieux après avoir battu pavillon noir. En tout cas, pas à moins d'avoir quelques vœux de suicide bien affirmés. Celui-ci, de forban, dans la garnison, il y entrait la corde au cou et les mains liées. Le gibet n'avait cependant pas été apprêté par avance, mais c'était ainsi qu'Alegsis traînait ses proies.
Tenant son trophée en laisse d'une main, faisant fi de la dignité humaine dont il ne comprenait pas le concept bien qu'on lui eut expliqué cent fois, son autre paluche était quant à elle affairée à tenir fermement le pinceau grand comme un balai dont il faisait un usage martial prononcé. C'est alors en grande pompe et les semelles couvertes de flotte qu'il venait dégueulasser les lieux de sa présence aussi malvenue qu'intempestive. Son existence, en ces lieux où l'ordre était pourtant censé y régner, était tout juste tolérée du fait qu'il se trouva toujours du bon côté de la loi ; mais pour de mauvaises raison. Sa prime ainsi, du moins celle de sa proie tenue en laisse, il venait la rafler dans l'allégresse, faisant commerce de viande humaine pour peu que la loi l'estimait juste.
- Salut la compagnie ~, carillonnait-il sans peine à force qu'il fut devenu un habitué des lieux, ce n'est que moi, ne vous levez pas.
Pour lui ou pour on autre, on ne se serait guère dérangé à moins que le galon fut scintillant. Il y avait tant à faire, et jamais assez d'effectifs pour tout accomplir en une journée. Dans ce contexte de surmenage perpétuel, les chasseurs de primes venus faire irruption étaient finalement plus problématiques que salvateurs alors que chacune de leurs interventions creusaient un peu plus dans les caisses du Gouvernement Mondial. Mais l'ordre, paraît-il, le valait bien.
- Comment il va Gros Chat ? Initiait-il alors la conversation à l'intention cet invariable réceptionniste chargé de verser les primes à qui de droit.
- Il s'appelle Shoga, Alegsis : Sho-ga.
Peut-être était-ce la cent-millionième fois qu'il le reprenait sur la prononciation du nom de ce vice-amiral sous la houlette duquel on administrait le QG tout entier.
- Il est gros, c'est un chat... il pourrait aussi bien s'appeler Gros Chat. Plaida fort pertinemment un chasseur de primes qui, s'il n'avait pas opté pour cette noble vocation que la sienne, aurait sans doute été philosophe. Ou pirate.
- C'est un Minks... soupira le matelot et un Minks renard en plus Un début de crise de nerfs l'assaillait déjà, aussi prit-il une profonde respiration avant de demander avec un calme affecté, Qu'est-ce que tu veux, Alegsis ?
Sans formuler de réponse, Alegis se saisît de son pirate par la crinière après lui avoir dit de s'asseoir à même le sol. Alors seulement présentait-il le visage édenté de la veille de son forban en le hissant jusqu'au niveau du comptoir.
- Et il s'appelle ?
Car il ne suffisait pas de présenter le premier venu en espérant rafler le jackpot. Des règles, en matière de chasse-à-l'homme, il y en avait peu, mais il y en avait tout de même.
- Je sais pas, haussa sincèrement les épaules ce si consciencieux chasseur de primes venu réclamer sa rançon, on s'est pas présentés.
Il avait un don pour irriter son monde ce bon garçon. Un don qu'il exprimait au naturel et sans jamais le vouloir chaque fois où il émettait le moindre son ou commettait le moindre geste.
- Son nom, Alegsis, son nom ! S'agaçait un peu plus le Marine assermenté. Sur l'avis de recherche, c'est marqué quoi ?
L'irritation nerveuse, alors, n'en était qu'à ses balbutiements.
- Prrrt, exhiba Alegs dans un élan de désinvolture déplacé, je sais pas lire, moi. Je fais tout de visu. Un vrai pro. Pas comme certains.
Le plus plus difficile, avec les attardés notoires, était encore de ne pas leur briser la mâchoire quand ceux-ci se permettaient en plus de prendre leurs interlocuteurs de haut en dépit de leur propre bassesse. Pour aider le bougre - et aussi parce qu'il tenait à empocher la prime - Alegsis fouilla dans sa tunique pour en extraire un avis de recherche quelque peu ensanglanté. Le forban y figurait effectivement, mais il fut, à l'époque où la photo de lui fut prise, autrement mieux pourvu pour ce qui tenait à sa dentition. De son pinceau, Alegsis ne s'en était manifestement pas servi que pour peindre.
- Y'en a pour deux-cent mille berries. Déclarait-il alors. Car compter, il savait.
C'est presque les yeux fermés que le responsable des primes du QG pouvait remplir les formulaires. C'en était devenu si machinal qu'il n'avait pas même pris conscience que son crayon s'était déjà mis à écrire sur le formulaire adéquat. Ce faisant, il adressa à Alegs, les yeux toujours rivés sur sa paperasse, quelques menus imbroglios venus rompre la monotonie de ses encaissements habituels.
- Faudra que ça attende de toute manière d'ici à ce que les fonds de ce mois soient transférés au QG. On ne verse aucune liquidité avant demain après-midi, ordre du vice-amiral. Donc tu repasseras s'il te plaît.
Ses indications ainsi notifiées, il remit entre les mains d'Alegsis une reconnaissance de dette à garder pour le lendemain du fait qu'il recevrai sa prime en différé. Ce n'était là qu'un modeste inconvénient qui, par malheur, incomba au plus imbécile des chasseurs de primes de la région.
On sentait, à ce regard fixe et perdu sur ce bout de papier dont il ne pouvait pas décrypter les mots qui y étaient gravés, qu'Alegs s'était perdu en chemin tout en restant invarirablement immobile. Des points d'interrogation lui fumaient presque depuis les oreilles.
- On peut acheter des trucs avec ça ? Pensa-t-il pouvoir comprendre. Ce qui, de sa part, fut présomptueux.
- Oh nom de...Non Alegsis, s'impatientait un matelot ainsi indisposé dans son métier, c'est une reconnaissance de dette, ça veut dire qu'on te doit deux-cent mille berries.
Resté figé un instant de plus alors que le vent s'engouffrait dans son crâne d'une oreille à l'autre, le chasseur s'exhiba comme plus hébété qu'il n'avait l'habitude de l'être. Ce qui était une performance en soi.
- Que dalle, protestait-il déjà tant il n'avait rien saisi à l'affaire, je vous laisse pas mon criminel contre de la fausse monnaie. On reviendra demain. Allez viens fifrelin, déclara-t-il à l'intention du pirate qu'il tenait en laisse avec une cordelette, je vais t'acheter une glace. T'as pas besoin de dents pour manger une glace.
Ainsi croyait-il pouvoir partir le plus paisiblement du monde.
- Nom de... ! Alegsis... Alegsis ! Pris au dépourvu par l'énergumène dont il n'attendait que le pire, le Marine quitta prestement son poste afin de rattraper le fuyard. Tu peux pas partir avec un pirate, ce serait considéré comme de l'évasion.
Borné parce que stupide, Alegsis fronça des sourcils par-dessus ses yeux ronds, tirant sa marchandise par le bras droit tandis que le matelot s'était saisi du gauche.
- À moi, s'écriait-il de toute son idiotie outrancière, on m'arnaque ! Que fait la Marine ?! Rends-le-moi !
Vingt-trois, ce fut le nombre exact de marines à s'être mobilisés pour arracher le prisonnier des bras de son chasseur. La tâche, alors, fut particulièrement ardue tant Alegsis rivalisa d'opiniâtreté pour ne pas se laisser léser. Quand on parvint enfin à le lui extraire des mains, une jeune recrue, après avoir inspecté le pirate malmené, crut bon de demander :
- Vous êtes sûr que c'était un long-bras à la base ?
Il avait, en effet, fallut tirer très fort de part et d'autre afin de ravir le forban à son crétin de geôlier.
Tombé à la renverse dans un roulé-boulé à l'issue duquel il avait atterri sur le charnu, son bien lui ayant été ôté de force, Alegsis n'en finissait plus d'agonir de reproches des Marines en exercice qui avaient quelques autres occupations plus urgentes que de traiter avec un abruti pareil.
- Ah je vois ! Se scandalisait-il bêtement, incapable qu'il fut de comprendre le principe de la reconnaissance de dette. Le corporatisme militaire dans toute sa splendeur. Ah c'est du beau. Ah c'est du propre ! Quand je vais dire ça à Gros Chat, vous allez le sentir passer.
Revenu à la charge en espérant qu'un sursaut d'intelligence - ne serait-ce que par mégarde, - vienne à cheminer dans la boîte crânienne de ce prodigieux crétin, le préposé aux primes daigna encore lui adresser la parole une fois.
- Son nom c'est Sho...! Il renonça finalement au correctif qu'il savait vain à force de s'y être essayé. ALEGSIS ! L'engueulait-il les yeux cerclés de veines épaisses, REVIENS DEMAIN PASSÉ MIDI, ON TE DONNERA TA PRIME !
- D'accord.
Cette fraîcheur avec laquelle il avait accepté l'injonction, dans un calme aussi soudain qu'inespéré, sa bouille résolument amorphe, estomaqua son interlocuteur qui était apparemment parvenu à lui faire entendre raison sans trop s'y être pourtant attendu. Aussi nonchalant qu'il était insupportable, Alegsis quitta la scène en sifflant, agissant alors comme si jamais il n'avait causé de scandale.
Comme à l'accoutumée, on poussa un soupir de soulagement à son départ tant chaque interaction avec lui était une épreuve de force nerveuse dont ne ressortait jamais vraiment indemne. Cependant, de cette porte d'où était sorti un abruti, un chapeau dépassa ensuite, puis une moitié de visage grotesque se dévoilant jusqu'au nez.
- Mais du coup, je fais quoi en attendant ? Revenait-il à la charge en minaudant comme un gosse.
Son trajet jusqu'au QG, il l'avait accompli à la force de ses mollets à convoyer en pédalo comme il le faisait si bien. Aussi se voyait-il mal effectuer un aller et retour jusqu'à l'île la plus proche le temps de prendre son mal en patience.
Vaincu à l'usure, comme pour envoyer chier un ennemi devant lequel il capitulait sans condition parce qu'il avait du travail par-dessus la tête, le Marine assigné à l'accueil, dans un acte de négligence inconsidéré, accorda souverainement l'hospitalité à quelqu'un qu'il faisait pourtant bon ne jamais avoir dans les parages.
- Va à la salle de repos à l'étage, prends-toi un truc à boire, occupe-toi en silence et surtout, dors sur le canapé. Je veux plus te voir avant demain midi !
Ce n'était pas un loup qu'il laissait alors entrer dans la bergerie, mais un cachalot épileptique qui, du seul poids de ses âneries, pouvait manquer de faire crouler un monde sous lui. Et à son corps défendant qui plus est. Car Alegsis Jubtion était d'autant plus dangereux qu'il n'avait jamais conscience de l'être.
Sans surprise, en dépit d'indications, certes lapidaires, mais limpides, Alegsis fut fidèle à ce qui était alors attendu de lui et se perdit aussitôt qu'il fut engouffré plus profondément dans le QG. Il avait de la ressource, néanmoins, cet animal. Aussi, bien qu'il fut incapable de lire un plan car lire, il ne savait pas, c'est avec assurance qu'il pénétra des locaux qui, à vue de nez, devaient sans doute faire office de cafétaria.
C'est ainsi qu'il entra sans accréditation aucune dans les bureaux de la Marine scientifique pour tomber nez à nez avec l'officier de garde, un binoclard manifestement malhabile de ses doigts à en deviner la prothèse qui lui faisant office de substitut à la main gauche.
- Alors pour moi, ça sera un café au rhum. Mais mollo sur la caféine, hein. S'annonçait-il alors en ces termes sans qu'il ne se soit présenté en aucune manière que ce soit.
S'adressant à l'officier comme s'il s'était agi d'un employé de cafétaria, Alegs s'installa sur un siège, posant ses bottes sur le plan de travail le plus proche, ses semelles encore humides des embruns marins qui dégoulinaient par gouttelettes entières sur les divers rapports scientifiques et cartographiques qu'on y trouvait parsemés.
On n'avait pas sonné l'alerte. Par élimination, le responsable des lieux put alors en déduire qu'il ne fut pas présentement victime d'une invasion révolutionnaire. Aussi, parce qu'il avait de bonnes raisons d'être circonspect de cette intrusion soudaine, celui-ci fut-il fondé à se demander ce qu'un si curieux hurluberlu était venu accomplir dans les environs.
Tenant son trophée en laisse d'une main, faisant fi de la dignité humaine dont il ne comprenait pas le concept bien qu'on lui eut expliqué cent fois, son autre paluche était quant à elle affairée à tenir fermement le pinceau grand comme un balai dont il faisait un usage martial prononcé. C'est alors en grande pompe et les semelles couvertes de flotte qu'il venait dégueulasser les lieux de sa présence aussi malvenue qu'intempestive. Son existence, en ces lieux où l'ordre était pourtant censé y régner, était tout juste tolérée du fait qu'il se trouva toujours du bon côté de la loi ; mais pour de mauvaises raison. Sa prime ainsi, du moins celle de sa proie tenue en laisse, il venait la rafler dans l'allégresse, faisant commerce de viande humaine pour peu que la loi l'estimait juste.
- Salut la compagnie ~, carillonnait-il sans peine à force qu'il fut devenu un habitué des lieux, ce n'est que moi, ne vous levez pas.
Pour lui ou pour on autre, on ne se serait guère dérangé à moins que le galon fut scintillant. Il y avait tant à faire, et jamais assez d'effectifs pour tout accomplir en une journée. Dans ce contexte de surmenage perpétuel, les chasseurs de primes venus faire irruption étaient finalement plus problématiques que salvateurs alors que chacune de leurs interventions creusaient un peu plus dans les caisses du Gouvernement Mondial. Mais l'ordre, paraît-il, le valait bien.
- Comment il va Gros Chat ? Initiait-il alors la conversation à l'intention cet invariable réceptionniste chargé de verser les primes à qui de droit.
- Il s'appelle Shoga, Alegsis : Sho-ga.
Peut-être était-ce la cent-millionième fois qu'il le reprenait sur la prononciation du nom de ce vice-amiral sous la houlette duquel on administrait le QG tout entier.
- Il est gros, c'est un chat... il pourrait aussi bien s'appeler Gros Chat. Plaida fort pertinemment un chasseur de primes qui, s'il n'avait pas opté pour cette noble vocation que la sienne, aurait sans doute été philosophe. Ou pirate.
- C'est un Minks... soupira le matelot et un Minks renard en plus Un début de crise de nerfs l'assaillait déjà, aussi prit-il une profonde respiration avant de demander avec un calme affecté, Qu'est-ce que tu veux, Alegsis ?
Sans formuler de réponse, Alegis se saisît de son pirate par la crinière après lui avoir dit de s'asseoir à même le sol. Alors seulement présentait-il le visage édenté de la veille de son forban en le hissant jusqu'au niveau du comptoir.
- Et il s'appelle ?
Car il ne suffisait pas de présenter le premier venu en espérant rafler le jackpot. Des règles, en matière de chasse-à-l'homme, il y en avait peu, mais il y en avait tout de même.
- Je sais pas, haussa sincèrement les épaules ce si consciencieux chasseur de primes venu réclamer sa rançon, on s'est pas présentés.
Il avait un don pour irriter son monde ce bon garçon. Un don qu'il exprimait au naturel et sans jamais le vouloir chaque fois où il émettait le moindre son ou commettait le moindre geste.
- Son nom, Alegsis, son nom ! S'agaçait un peu plus le Marine assermenté. Sur l'avis de recherche, c'est marqué quoi ?
L'irritation nerveuse, alors, n'en était qu'à ses balbutiements.
- Prrrt, exhiba Alegs dans un élan de désinvolture déplacé, je sais pas lire, moi. Je fais tout de visu. Un vrai pro. Pas comme certains.
Le plus plus difficile, avec les attardés notoires, était encore de ne pas leur briser la mâchoire quand ceux-ci se permettaient en plus de prendre leurs interlocuteurs de haut en dépit de leur propre bassesse. Pour aider le bougre - et aussi parce qu'il tenait à empocher la prime - Alegsis fouilla dans sa tunique pour en extraire un avis de recherche quelque peu ensanglanté. Le forban y figurait effectivement, mais il fut, à l'époque où la photo de lui fut prise, autrement mieux pourvu pour ce qui tenait à sa dentition. De son pinceau, Alegsis ne s'en était manifestement pas servi que pour peindre.
- Y'en a pour deux-cent mille berries. Déclarait-il alors. Car compter, il savait.
C'est presque les yeux fermés que le responsable des primes du QG pouvait remplir les formulaires. C'en était devenu si machinal qu'il n'avait pas même pris conscience que son crayon s'était déjà mis à écrire sur le formulaire adéquat. Ce faisant, il adressa à Alegs, les yeux toujours rivés sur sa paperasse, quelques menus imbroglios venus rompre la monotonie de ses encaissements habituels.
- Faudra que ça attende de toute manière d'ici à ce que les fonds de ce mois soient transférés au QG. On ne verse aucune liquidité avant demain après-midi, ordre du vice-amiral. Donc tu repasseras s'il te plaît.
Ses indications ainsi notifiées, il remit entre les mains d'Alegsis une reconnaissance de dette à garder pour le lendemain du fait qu'il recevrai sa prime en différé. Ce n'était là qu'un modeste inconvénient qui, par malheur, incomba au plus imbécile des chasseurs de primes de la région.
On sentait, à ce regard fixe et perdu sur ce bout de papier dont il ne pouvait pas décrypter les mots qui y étaient gravés, qu'Alegs s'était perdu en chemin tout en restant invarirablement immobile. Des points d'interrogation lui fumaient presque depuis les oreilles.
- On peut acheter des trucs avec ça ? Pensa-t-il pouvoir comprendre. Ce qui, de sa part, fut présomptueux.
- Oh nom de...Non Alegsis, s'impatientait un matelot ainsi indisposé dans son métier, c'est une reconnaissance de dette, ça veut dire qu'on te doit deux-cent mille berries.
Resté figé un instant de plus alors que le vent s'engouffrait dans son crâne d'une oreille à l'autre, le chasseur s'exhiba comme plus hébété qu'il n'avait l'habitude de l'être. Ce qui était une performance en soi.
- Que dalle, protestait-il déjà tant il n'avait rien saisi à l'affaire, je vous laisse pas mon criminel contre de la fausse monnaie. On reviendra demain. Allez viens fifrelin, déclara-t-il à l'intention du pirate qu'il tenait en laisse avec une cordelette, je vais t'acheter une glace. T'as pas besoin de dents pour manger une glace.
Ainsi croyait-il pouvoir partir le plus paisiblement du monde.
- Nom de... ! Alegsis... Alegsis ! Pris au dépourvu par l'énergumène dont il n'attendait que le pire, le Marine quitta prestement son poste afin de rattraper le fuyard. Tu peux pas partir avec un pirate, ce serait considéré comme de l'évasion.
Borné parce que stupide, Alegsis fronça des sourcils par-dessus ses yeux ronds, tirant sa marchandise par le bras droit tandis que le matelot s'était saisi du gauche.
- À moi, s'écriait-il de toute son idiotie outrancière, on m'arnaque ! Que fait la Marine ?! Rends-le-moi !
Vingt-trois, ce fut le nombre exact de marines à s'être mobilisés pour arracher le prisonnier des bras de son chasseur. La tâche, alors, fut particulièrement ardue tant Alegsis rivalisa d'opiniâtreté pour ne pas se laisser léser. Quand on parvint enfin à le lui extraire des mains, une jeune recrue, après avoir inspecté le pirate malmené, crut bon de demander :
- Vous êtes sûr que c'était un long-bras à la base ?
Il avait, en effet, fallut tirer très fort de part et d'autre afin de ravir le forban à son crétin de geôlier.
Tombé à la renverse dans un roulé-boulé à l'issue duquel il avait atterri sur le charnu, son bien lui ayant été ôté de force, Alegsis n'en finissait plus d'agonir de reproches des Marines en exercice qui avaient quelques autres occupations plus urgentes que de traiter avec un abruti pareil.
- Ah je vois ! Se scandalisait-il bêtement, incapable qu'il fut de comprendre le principe de la reconnaissance de dette. Le corporatisme militaire dans toute sa splendeur. Ah c'est du beau. Ah c'est du propre ! Quand je vais dire ça à Gros Chat, vous allez le sentir passer.
Revenu à la charge en espérant qu'un sursaut d'intelligence - ne serait-ce que par mégarde, - vienne à cheminer dans la boîte crânienne de ce prodigieux crétin, le préposé aux primes daigna encore lui adresser la parole une fois.
- Son nom c'est Sho...! Il renonça finalement au correctif qu'il savait vain à force de s'y être essayé. ALEGSIS ! L'engueulait-il les yeux cerclés de veines épaisses, REVIENS DEMAIN PASSÉ MIDI, ON TE DONNERA TA PRIME !
- D'accord.
Cette fraîcheur avec laquelle il avait accepté l'injonction, dans un calme aussi soudain qu'inespéré, sa bouille résolument amorphe, estomaqua son interlocuteur qui était apparemment parvenu à lui faire entendre raison sans trop s'y être pourtant attendu. Aussi nonchalant qu'il était insupportable, Alegsis quitta la scène en sifflant, agissant alors comme si jamais il n'avait causé de scandale.
Comme à l'accoutumée, on poussa un soupir de soulagement à son départ tant chaque interaction avec lui était une épreuve de force nerveuse dont ne ressortait jamais vraiment indemne. Cependant, de cette porte d'où était sorti un abruti, un chapeau dépassa ensuite, puis une moitié de visage grotesque se dévoilant jusqu'au nez.
- Mais du coup, je fais quoi en attendant ? Revenait-il à la charge en minaudant comme un gosse.
Son trajet jusqu'au QG, il l'avait accompli à la force de ses mollets à convoyer en pédalo comme il le faisait si bien. Aussi se voyait-il mal effectuer un aller et retour jusqu'à l'île la plus proche le temps de prendre son mal en patience.
Vaincu à l'usure, comme pour envoyer chier un ennemi devant lequel il capitulait sans condition parce qu'il avait du travail par-dessus la tête, le Marine assigné à l'accueil, dans un acte de négligence inconsidéré, accorda souverainement l'hospitalité à quelqu'un qu'il faisait pourtant bon ne jamais avoir dans les parages.
- Va à la salle de repos à l'étage, prends-toi un truc à boire, occupe-toi en silence et surtout, dors sur le canapé. Je veux plus te voir avant demain midi !
Ce n'était pas un loup qu'il laissait alors entrer dans la bergerie, mais un cachalot épileptique qui, du seul poids de ses âneries, pouvait manquer de faire crouler un monde sous lui. Et à son corps défendant qui plus est. Car Alegsis Jubtion était d'autant plus dangereux qu'il n'avait jamais conscience de l'être.
Sans surprise, en dépit d'indications, certes lapidaires, mais limpides, Alegsis fut fidèle à ce qui était alors attendu de lui et se perdit aussitôt qu'il fut engouffré plus profondément dans le QG. Il avait de la ressource, néanmoins, cet animal. Aussi, bien qu'il fut incapable de lire un plan car lire, il ne savait pas, c'est avec assurance qu'il pénétra des locaux qui, à vue de nez, devaient sans doute faire office de cafétaria.
C'est ainsi qu'il entra sans accréditation aucune dans les bureaux de la Marine scientifique pour tomber nez à nez avec l'officier de garde, un binoclard manifestement malhabile de ses doigts à en deviner la prothèse qui lui faisant office de substitut à la main gauche.
- Alors pour moi, ça sera un café au rhum. Mais mollo sur la caféine, hein. S'annonçait-il alors en ces termes sans qu'il ne se soit présenté en aucune manière que ce soit.
S'adressant à l'officier comme s'il s'était agi d'un employé de cafétaria, Alegs s'installa sur un siège, posant ses bottes sur le plan de travail le plus proche, ses semelles encore humides des embruns marins qui dégoulinaient par gouttelettes entières sur les divers rapports scientifiques et cartographiques qu'on y trouvait parsemés.
On n'avait pas sonné l'alerte. Par élimination, le responsable des lieux put alors en déduire qu'il ne fut pas présentement victime d'une invasion révolutionnaire. Aussi, parce qu'il avait de bonnes raisons d'être circonspect de cette intrusion soudaine, celui-ci fut-il fondé à se demander ce qu'un si curieux hurluberlu était venu accomplir dans les environs.
Dernière édition par Alegsis Jubtion le Mar 09 Mai 2023, 12:20, édité 3 fois