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L'Enfant laine

    Étendu dans la cabine d’un navire marchand, Kant jouissait de n’avoir rien à faire pendant le voyage. C’est dire s’il s’était rapidement embourgeoisé : sitôt plein aux As, le jeune sculpteur préférait payer comptant sa traversée pour se la couler douce, plutôt que d’œuvrer à bord avec les marins. En vérité, il n’était pas capable de se rendre utile car quelque chose le tracassait. Ce « quelque chose », c’était sa destination même : Tanuki. Au lendemain de ses dix ans, l’enfance de Kant fut dérobée par son père, qui l’enleva pour l’amener sur l’île de Zaun. Près de treize années s’étaient écoulées depuis ce jour traumatisant. Âgé de vingt-trois ans et fort de ses diverses aventures en solitaires sur les Blues, le jeune Tanukien s’était résolu à rentrer chez lui, résolu à revoir sa maman.

    Lorsque la terre fut en vue, tout l’équipage sortit sur le pont. Le vent frais de North Blue rappelait déjà de nombreux souvenirs à Kant, si bien qu’il en frémit. L’idée même de ne revoir ne serait-ce que les pâturages verts émeraude de l’île le pétrifiait. Ce sentiment qui était à deux doigts de le faire tressaillir n’était nul autre que la culpabilité ; la culpabilité d’avoir quitté cette île brusquement, de n’être jamais revenu et surtout, de n’avoir jamais dit au revoir à Pan, sa mère. Il se demandait si elle serait heureuse de le revoir ; quelles pourraient être ses réactions et surtout, si elle était toujours en vie – tout cela en un éclair de pensée qu’il chassa brusquement de son esprit. L’infinité des éventuelles réponses à ces questions le terrifiait. Bientôt, le navire accosta.

« Va falloir y aller, jeune homme… » lança un membre d’équipage à l’adresse de Kant, qui se tenait immobile sur le pont.

« Je… je peux rester ici jusqu’à ce que vous leviez l’ancre ? Je vous paierai bien sûr. » répondit-il d’une voix affligée.

Le marin répondit d’un haussement de sourcils. Si ce navire marchand avait mis les voiles en direction de Tanuki, c’était dans l’unique but de récupérer des cargaisons de la précieuse laine des moutons de l’île. Kant était le seul touriste à bord. Face aux plaines verdoyantes qui s’étendaient jusqu’aux pieds des montagnes, il demeura figé, debout sur le pont. Il n’osait pas regarder aux alentours de peur de croiser le regard de Pan, qui lorsqu’il était enfant, passait ses journées au port. Puis soudain, il aperçut au loin une sorte de statue de pierre qu’il n’avait jamais vu auparavant. Peut-être avait-elle été toujours là sans qu’il ne s’en aperçoive ? Après tout, étant enfant, on ne fait pas attention aux monuments de la même manière qu’à l’âge adulte. Faute de courage, Kant profita de ce soubresaut de curiosité pour quitter le navire. En posant le pied sur l’île, il inspira un grand coup pour se galvaniser.

« Aux victimes de la barbarie »
1623

    Au-dessus de cette inscription ornant le monument s’élevait la statue d’une femme meurtrie et d’un mouton étendu à ses pieds. Kant comprit que ce bel ouvrage en pierre était un monument aux morts qui ne datait que de quelques années. Mais quels morts ? Que s’était-il donc passé en 1623 ? Un frisson parcourut son échine. Kant espérait de tout son cœur que ce monument ne rendait pas hommage à sa mère. Arpentant avec empressement les ruelles qui le conduisaient à la bâtisse qui avait vu son enfance, il luttait contre le vent glacé qui soufflait sur son visage, observant les maisons décrépies qu'il dépassait et les ombres qui se dessinaient sur sa route. Enfin, il arriva. Le temps avait laissé ses marques sur la façade, mais il n'y prêta guère attention. Il n’avait en tête qu’une seule et unique idée : retrouver Pan. D'un pas décidé, il s'avança vers la porte d'entrée, qui grinça sous l'effet de son ouverture. Les souvenirs affluèrent aussitôt et il fut saisi par une indicible émotion.

    Assise à table, la clope au bec, Pan n’en crut pas ses yeux : son petit Tanuki était revenu. « Tanuki », c’est le nom qu’elle avait donné à Kant lorsqu’elle en reçut la charge dès ses premiers mois. Bondissant de sa chaise, elle s’élança vers lui et le prit dans ses bras.

«Tanuuuuu ! s’exclama-t-elle d’une voix à faire trembler les murs. Mon petit ! Mon petit à moi ! Tu es vivant ! Tu es si grand ! J’étais sûre, sûre et certaine ! Je savais au fond de moi que tu finirais par rentrer à la bergerie ! Tu es si grand ! Tu es vivant ! »

Enlacé par sa mère, Kant fut submergé par l’émotion et se mit à pleurer comme il ne l’avait encore jamais fait. Alors qu'il la contemplait, il fut frappé par la grâce qui émanait d'elle, bien que le temps ait laissé de discrètes marques sur son visage. Pan était une femme aux traits fins et à la beauté naturelle, exempte de tous les artifices dont usaient traditionnellement les dames de son âge. Kant sentit son cœur se serrer et ses larmes coulèrent en flots ininterrompus. Il s’effondra devant l'amour maternel qu'il retrouvait après treize ans d'absence, un amour qui transcendait l’espace et le temps.

    Dans cette bâtisse où il vivait jadis, rien ne semblait avoir changé. La maison tout entière paraissait telle qu'il l'avait laissée : le mobilier croulait sous le poids du temps et les rideaux piteusement rapiécés n’égaillaient guère le tableau. Sur l'un des murs, une grande bibliothèque en bois foncé s'élevait jusqu'au plafond. Les étagères étaient remplies des livres de son enfance, dont émanait une odeur douce, poudreuse et familière. Kant s'approcha de la bibliothèque et passant sa main sur les reliures, il se souvint des après-midi passés à bouquiner seul dans cette pièce.

« Tous ces livres… soupira Pan, attablée dans le salon.J’ai arrêté de garnir la bibliothèque après ton départ. Tu remarqueras, d’ailleurs, qu’il manque de nombreux ouvrages. Je les ai donnés… » Puis, sa voix se fit plus taquine. «Et les amourettes, alors ? Dis-moi tout ! À ton âge, tu ne tombes plus amoureux de toutes les filles que tu croises, j’espère ?!  C’est fou ce que tu pleurais, chaque semaine naissait un drame nouveau ! »

Kant sourit. Il se rendit compte que le temps avait fait son office, que les années s'étaient écoulées sans lui et que la relation qu'il avait jadis avec sa mère ne pourrait plus jamais être la même. D’un coup d’un seul, il aurait aimé lui raconter tout ce qu'il avait vécu, lui parler de toutes ses années sur Zaun, de ses récentes péripéties, de son père… : mais rien de tout cela ne semblait compter. Ils ne pouvaient espérer rattraper le temps perdu ensemble qu’en échangeant sur le fond d’eux-mêmes afin de redonner vie à leur complicité. Malgré cela, une question brûlait les lèvres de Kant. Dès lors qu’il posait les yeux sur Pan, il était envahi par un sentiment de tristesse et de confusion. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment sa mère avait perdu son bras. Il n'osait tout simplement pas lui poser la question, de peur de réveiller de douloureux souvenirs. Sur un ton guilleret, il répondit :

« Non ! Plus d’amourettes. D’ailleurs, je ne pleure presque plus du tout. »


Dernière édition par Kant le Mer 3 Mai 2023 - 15:47, édité 1 fois
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    Tandis que l’aube dévorait le ciel de Tanuki dévoilant ses contrées verdoyantes parsemées de bergeries où s’épanouissaient les célèbres troupeaux de l’île, Kant se réveillait avec une sévère gueule de bois. La veille, il avait invité sa mère à dîner dans l’un des restaurants les plus cher de l’île, situé à deux pas du QG de la Marine. Dans cet environnement éclatant aux antipodes des conditions de vie qu’ils connaissaient jadis, ils célébrèrent et arrosèrent leurs retrouvailles sans modération. Cependant, le lendemain, tandis que l’aube dévorait le ciel de Tanuki et cætera, une étreinte fantomale oppressait la boîte crânienne du jeune Kant.

    Malgré sa veisalgie lancinante, il était rempli d’enthousiasme. En ce jour nouveau, il rendait visite à son ancien maître, Hojimo Kanemitsu, l’homme qui lui avait tout appris sur son métier de sculpteur. Habité tout de même par une certaine appréhension, il quitta sa demeure et se mit en route, parcourant les sentiers escarpés qui menaient à la vieille maison de pierre du célèbre artisan. Lorsqu'il arriva enfin devant l’atelier dans lequel il avait passé de nombreuses heures de son enfance, le premier sentiment qui lui vint fut la surprise : cette bâtisse, avait-elle toujours été si étroite ? Puis, il retint son souffle, priant pour que l’implacable ennemi universel qu’est le temps n’ait pas eu raison d’Hojimo. Comme il en avait jadis l’habitude, il frappa rapidement à la porte et l’ouvrit. Le vieil homme était là, toujours au travail, assis devant son imposant établi.

    Dans un premier temps, Hojimo ne reconnut pas le jeune homme entrant dans son atelier, mais il ne s’en étonna guère : entre les enfants, les apprentis et les soldats de la Marine, nombreux étaient ceux qui venaient quérir ses services à l’improviste. Pour raviver les souvenirs de son maître, Kant lui montra les ciseaux à bois qu’il avait lui-même façonné. À cet instant, comme si l’intégralité du temps qu’il avait consacré à l’instruction de Kant défilait sous ses yeux, une lueur étincelait dans son regard.

« Le tranchant des planches sont émoussés, asséna-t-il sèchement, comme pour chasser l’émotion qui l’envahissait. Je ne sais pas ce que tu t’es permis de faire avec ces outils, mais ce sont des outils, Tanuki, pas des armes. Donne-les-moi, et occupe-toi de ça. »

À ces mots, Hojimo tendit à Kant une crosse en bois. Sans hésiter, le jeune homme se mit au travail sans mot dire, discret et reconnaissant, comme s’il avait toujours dix ans. Une fois de plus, de chaudes larmes coulaient sur ses joues tant il se réjouissait de vivre ce moment, car parfois, de simples gestes valent plus que des belles paroles.


    La journée vieillissait et de nombreuses personnes défilèrent en nombre dans l’atelier de l’artisan. Au fil des années, Hojimo s’était employé à léguer son génie à de nombreux habitants de l’île. Il s’entourait ainsi d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes pour assurer sa succession, mettant un point d’honneur à ce que son savoir-faire demeure sur Tanuki après sa mort. Après des heures de travail bercées par le chant des outils, tandis que le Soleil terminait sa course journalière, Kant et Hojimo discutèrent enfin.

«Ils sont tous aussi brillants que tu ne l’étais quand tu travaillais ici, lança-t-il à propos de ses nombreux disciples. Mais j’ai peur que cet art que je leur lègue ne serve à rien sur cette île. Mis à part les clôtures des bergeries et les quelques commandes de la Marine, j’ignore à quoi et à qui ils pourront rendre service… »

« Ne dites pas ça, Hoji-senpai, répondit Kant. C’est plus qu’un simple savoir-faire que vous nous transmettez, c’est de l’art ! La passion du travail rigoureusement accompli et…  Le sens de l’esthétique ! Qu’est nécessaire pour transformer du bois brut en chef-d'œuvre. C’est grâce à tout c'que vous m’avez appris que j’ai réussi à survivre par-delà les mers. Sans ça, je s'rais mort de faim plus d’une fois. »

« Par-delà les mers… » murmura Hojimo, songeur.

Kant ne répondit rien. L’île de Tanuki était certes accueillante et paisible, mais son activité économique se réduisait presque exclusivement à l’exportation de la laine de mouton. De ce fait, les jeunes autochtones étaient de plus en plus nombreux à émigrer à la recherche d’un avenir moins morose. Bien sûr, certains d’entre eux restaient pour se consacrer à l’entretien des nombreuses bergeries, tandis que d’autres s’accomplissaient en travaillant au port, comme Pan. Soudain, Kant fut tiré de ces réflexions par l’image du monument qu’il avait aperçu en arrivant.

« Dites-moi, Hoji-senpai, cette statue érigée devant les quais… à quel événement elle fait référence ? »

« Ah, le monument… répondit Hojimo l’air grave. Nous l’avons construit en hommage aux victimes des pirates qui ont débarqué sur Tanuki il y a six ans. Sutero… un pirate dont on n’entends plus parler. Il a débarqué avec son équipage et à massacré de nombreuses personnes, sans épargner qui que ce soit. »

Kant retint son souffle. Il sentit à nouveau le poids de la culpabilité peser sur ses épaules : comment avait-il pu passer à côté de ces informations, lui qui était si proche à l’époque ? Sur Zaun, bien que l’île n’ait jamais été affiliée au Gouvernement Mondial, Kant se tenait au courant des nouvelles du monde. Comment ces événements, si décisifs, avaient-ils pu lui passer sous le nez ?

« Et la Marine ? » dit Kant d’une voix tremblante.

« La Marine nous a sauvés, dit Hojimo. Mais tu connais les soldats d’ici, et encore, la division a été renforcée depuis… Les soldats d’ici, ils sont comme nous, habitués à la paix et à la quiétude. Ils ont très vite été dépassés. Le colonel de l’époque, tu t’en souviens ? Colonel Epic. Il est mort en affrontant le capitaine pirate. »

À mesure qu’il déroulait son récit, Hojimo perçut l’émotion qui envahissait son ancien disciple. Il comprit alors l’attachement que ce dernier avait pour l’île et ses habitants, ainsi que l’inquiétude qu’il devait éprouver, notamment pour sa mère. D’une voix forte et teintée d’un optimisme feint, il poursuivit.

«Mais aujourd’hui, nous sommes toujours là ! Et ta mère aussi, elle qui a vaillamment combattu. Je m’étonne qu’elle ne t’ait pas conté ses exploits, car elle s’est révélée être un atout de poids pour repousser les forbans ! Même blessée grièvement, elle n’a jamais cessé de lutter. »

À ces mots, Kant esquissa un sourire forcé. Ses yeux embrumés et sa voix tremblotante ne laissaient guère planer le doute sur les bouleversements que causaient en lui ces nouvelles. Il comprit pourquoi Pan avait perdu son bras et s’en voulut d’autant plus de ne pas avoir été là, quoi qu’il eût pu faire.


    Après avoir remercié et salué chaleureusement son ancien maître, Kant quitta l’atelier et se dirigea vers le port. Sur le chemin, il observait les moutons broutant paisiblement à travers les immenses prairies, songeant à ce qu’il aurait pu advenir si la Marine n’avait pas été à la hauteur, en ce terrible jour de 1623. Il se demandait si ce dénommé Citizen Felix, nouveau commandant de la 412ème division, brièvement mentionné par Hojimo, était un homme réellement capable de défendre son île, de défendre sa mère.  Il rumina longuement ses pensées avant de finalement échouer au comptoir d’un bar. Là, il s'enivra comme à l’accoutumée, laissant ses pensées s'envoler à chaque gorgée d'alcool.
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    La nuit était claire. Perchée dans le ciel étoilé, la lune pleine permettait d’y voir distinctement malgré l’heure tardive. Minuit était passé de quelques heures et Kant était passé par quelques litres. À cause de son ébriété manifeste, le gérant de la taverne du port n’eut d’autres choix que de le mettre à la porte, et ce quelques minutes avant de tirer le rideau. Plein, bien trop plein, le jeune sculpteur s’était fendu de paroles provocantes et blasphématoires à l’endroit de la Marine et du colonel Citizen Felix. Le tavernier comme ses clients n’étaient que peu habitués à tant de chahut et la décision de le foutre dehors fut unanime. Titubant dans les rues, Kant prit alors une très mauvaise décision. Quelques minutes plus tard, dans la nuit silencieuse, un cri perçant
retentit devant les grandes portes du QG de la Marine.

« FELIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIX ! *burp* MONTRE-TOI ! »

La base était impressionnante par sa taille, mais Kant savait pertinemment que les soldats qui l’habitaient n’étaient pas des plus dégourdis. Au cours de la soirée, il en était même venu à les haïr pour leur supposée incompétence et s’était auto-persuadé qu’ils méritaient tous une bonne leçon. Malgré cela, seul le capitaine Felix l’intéressait.

« FELIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIX ! SORS D’ICI, C’EST LES *buurp* PIRATES QUI TE PARLENT ! »

Lorsqu’il entendit du bruit en provenance du bâtiment, Kant se précipita vers les arbres qui longeaient les murs encerclant la bâtisse. Grimpant avec aisance malgré son état, il se percha dans la fourche d’un grand frêne dont les énormes branches s’écartaient ensemble du tronc, lui offrant une bonne cachette. Il observa attentivement les portes et lorsque celles-ci s’ouvrirent, une dizaine de soldats en armes en sortirent. Tous semblaient surpris et, comme attendu, peu dégourdis. Ils observèrent les alentours de la caserne pour repérer le fauteur de troubles, sans succès. La colère, la déception et la lassitude envahirent l’esprit alcoolisé de Kant. Pour leur venir en aide, il se mit à siffler. Alertés, les soldats se réunirent dans un premier temps et suivant l’un d’eux, ils se dirigèrent enfin vers les arbres où se cachait le tapageur. Kant sifflait de moins en moins fort. Quand ils furent tous regroupés sous la ramure du frêne d’où semblait provenir le bruit, aucun d’entre eux ne songea à lever la tête. Sans pitié aucune, Kant se saisit de trois fioles de Nemuri et les lança sur la dizaine de soldats incompétents. En atteignant leurs cibles, les fioles en verre se brisèrent libérant une poudre soporifique qui plongea les pauvres marines dans un sommeil de plomb. Et c’est eux qui protègent mon île ? se disait Kant, toujours perché dans son arbre, plus accablé que jamais. Après quelques minutes, il descendit de son perchoir et s’empara de la casquette et de la cape d’un des soldats endormis, tous deux décorés du symbole de l’institution. Rien de particulier ne l’incitait à agir de la sorte, hormis son état d’ivresse, qui lui suggérait d’accueillir le colonel ainsi déguisé pour mieux le moquer.

« FELIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIX ! LES PIRATES T’ATTENDENT ! TU VAS FINIR PAR LE POINTER LE BOUT DE TON NEZ ? »


À sa grande déception, c’est une nouvelle floppée de soldat qui se montra aux grandes portes du quartier général. Kant était très agacé et sortit son arc. Qui sait l’irréparable faute qu’il aurait alors pu commettre si la voix du colonel n’avait pas retenti. D’un ton ferme, le responsable de la garnison exigea qu’on le laisse passer. Se frayant un chemin à travers la nuée de soldat, Felix Citizen fut stupéfait de constater que l’attaque nocturne dont sa base était victime était le fait d’un seul homme, éméché de surcroît. Militaire aguerri, il ne baissa pas sa garde pour autant, suspectant la présence d’éventuels complices embusqués. De plus, il s’inquiéta de voir le « pirate » arborer un uniforme, devinant qu’il s’agissait de celui d’un de ses hommes. D’une voix forte et menaçante, il s’adressa à Kant.

« Qui es-tu ? Et de quel droit viens-tu troubler la quiétude de cette île ? »

« Je suis *buuurp* Kant ! Le seul… Le grand, et le réel protecteur de Tanuki ! Je suis venu te montrer que les pirates ne me font pas peur et que toi et ta clique de GROS NAZES n’êtes pas prêts de faire… Enfin vous n’êtes pas prêts ! »

Tandis qu’il terminait sa phrase, Kant encocha une flèche et banda son arc en direction des soldats. Les militaires le mirent en joue en guise de riposte. Serein, Felix leva le bras pour signifier à ses subordonnés d’abaisser leurs armes. Il n’avait pas compris l’intégralité de la réponse de son interlocuteur, mais il était à présent certain que ce dernier agissait seul et qu’il ne constituait pas une réelle menace. Du moins, pas pour lui.

« Retrouvez la première unité et apportez-leur des soins si nécessaire, ordonna le colonel à ses hommes. Puis regagnez tous vos postes, je me charge de lui. »

Sans broncher, les soldats s’exécutèrent et s’affairèrent autour de la base à la recherche de leurs compagnons disparus. Le colonel Felix semblait jouir d’une réelle autorité et d’un charisme naturel auprès de ses soldats, accentuant l’aura de confiance qu’il dégageait.

« Kant, tu es en état d’arrestation, dit Felix. Ton sort est désormais entre les mains de 412ème division. »

« Tu parles, Felix ! répondit Kant avec insolence. C’est cette soupe que tu vas lui sortir à Sutero ?! »

Sur ces mots, Kant décocha sa flèche qui fendit l’obscurité telle une comète dans la nuit. L’astre lunaire dispensait de généreux rayons qui illuminaient la nuit d’une lueur argentée. Cette clarté favorisait grandement la visée de l’archer qui, même ivre, tira avec une redoutable précision. D’un mouvement fluide et précis, Felix esquiva le projectile. Coup de chance, pensa Kant, qui saisit de nombreuses flèches dans son carquois et fit chanter son arc à nouveau. Aucune ne parvint à atteindre le colonel.

« Mais… ? » murmura Kant, déconfit.

D’un bond, Felix s’élança à une vitesse déconcertante vers son adversaire en tendant son bras droit. Surgissant de sa manche, une corde tressée s’enroula presque instantanément autour de la cheville de Kant, puis tirant d’un grand coup sec, il le fit tomber. Poursuivant sa course, il se trouva bientôt au-dessus de Kant, qui n’avait jamais connu d’attaque si fulgurante. Il sortit alors son ciseaux à bois pour couper la corde qui étreignait sa jambe, mais une nouvelle corde jaillit de la manche gauche du colonel et s’enroula autour de son poignet. Immobilisé, il se sentit tiré avec force contre Felix qui lui asséna un violent coup de tête, l’envoyant valser dans les airs pour s’écraser quelques mètres plus loin. Les cordes qui l’étreignaient quelques secondes auparavant semblèrent se dénouer d’elle-même.

    Ébahi et étourdi, le pauvre Kant commençait à réaliser l’écart de puissance entre son adversaire et lui ; son ivresse et sa confiance s’étiolaient et laissaient place à l’appréhension. La tête lui tournait, mais l’amertume prit le pas sur le désespoir. Bondissant en arrière, il se saisit d’un de ses pièges et en écarta les mâchoires pour y placer la tige et le tendre. Puis, agrippant fermement la chaîne par son extrémité, il fit tournoyer son arme au-dessus de sa tête, à la manière d’un fléau. Felix esquissa un sourire. Kant s’élança avec tout son courage ridicule et insolent et envoya son piège droit sur son adversaire. À une allure vertigineuse, le colonel bondit dans les airs, esquivant sans mal l’attaque. D’épaisses cordes surgirent en nombres de ses manches tandis qu’il était en l’air. Cinq d’entre-elles, nouées à l’extrémité, heurtèrent violemment Kant en de multiples endroits. La dernière se noua instantanément et solidement autour de son poignet. À nouveau, Kant se sentit tiré vers le colonel qui lui asséna un coup de pied dans le ventre, puis, sans pouvoir répliquer d’aucune manière, il se sentit projeté dans les airs et se mit à tournoyer. Par goût d’une ironie douteuse, Citizen Felix fit tournoyer Kant dans les airs comme ce dernier le fit avec son piège à mâchoires, avant de l’envoyer s’écraser au sol.

    À présent, Kant se trouvait étendu au sol ensanglanté, à deux doigts de défaillir. Ses sens brouillés l’empêchaient d’entendre distinctement ce qui disait le colonel qui semblait s’adresser à ses subordonnés. La rage du désespoir lui prêta un dernier instant de lucidité et il s’empara de la seule fiole à sa ceinture qui n’avait pas explosé lors de l’assaut féroce qu’il venait de subir. Dans un ultime sursaut d’endurance, il retira le bouchon et lança désespérément sa fiole sur le colonel. Contre toute attente, celle-ci atteint sa cible. Le colonel se retourna, surpris par la témérité de son adversaire et interloqué par la poudre qui l’enveloppait tel un nuage. Il éternua simplement. Lasse, il brandit sa main en l’air, préparant l’ultime attaque qui viendrait clore l’affrontement, mais finalement, il s’abstenu. Le tapageur nocturne venait de sombrer dans l’inconscience.
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« Allez debout, le tapageur. »

Kant ouvrit les yeux. Familiarisé à la douleur du lendemain de cuite qui lui fracassait le crâne, il l’était cependant beaucoup moins à celles bien plus vives qui résultaient de son affrontement avec le colonel. Il se réveilla dans la froideur inhospitalière de la prison du quartier général de la Marine. Les murs de sa cellule étaient faits de béton gris, ternes et dénués de tout ornement. Une odeur de renfermé régnait dans l'air, mélange d'humidité et de moisi. Les draps rêches et usés du lit en fer lui collaient à la peau, contrastant avec la douceur de son lit qu’il venait tout juste de redécouvrir dans la maison de Pan. À travers les barreaux rouillés, il aperçut Citizen Felix, venu le réveiller en personne. Derrière lui, quelques soldats lui jetaient des regards médisants.

« Allez, dépêche-toi avant que je ne change d’avis, lança le colonel en tournant la clé dans la serrure de sa geôle. Il est déjà midi, j’ai un repas à prendre et tu nous a tous fait perdre assez de temps. »

Honteux et confus, Kant se leva et sortit de sa cellule. Il ne dit rien. Dans son état de malaise, il regrettait déjà son comportement irréfléchi de la nuit passée et un flot d'émotions complexes et contradictoires surgit en lui. Il se sentit à la fois coupable et indigné, accablé par le poids de sa propre faiblesse et le mépris de l'autorité qui le dominait. Suivant le colonel Felix sans dire un mot, il baissa les yeux, incapable d’assumer les regards des soldats qui le toisaient. Bientôt, ils arrivèrent aux grandes portes du mur d’enceinte du quartier général.

« Tiens, prends ceci, dit le colonel en tendant un sac en toile de jute. Ce sont tes effets personnels et ton armement. J’ai beaucoup hésité à te les remettre, mais j’ai obtenu certaines garanties. Tiens, prends ceci également. »

À ces mots, Felix tendit à Kant ses inestimables ciseaux à bois.

« Ce sont des outils de bonne facture que tu détiens, dit le colonel. J’ai tout de suite deviné d’où ils provenaient. D’ailleurs, j’espère que tu ne manqueras pas de remercier ce brave Kanemitsu de m’avoir convaincu de te rendre ta liberté. »

Bouleversé par les paroles du colonel, Kant s’effondra, accablé de honte et de remords. Cette fois, il ne pleura pas. Il s’assit simplement et baissa la tête.

« Je vous présente mes excuses, colonel, dit-il d’une voix affligée. Je… »

« C’est bon, l’interrompit Felix. Tu ne me dois qu’une nuit de sommeil, et tu n’as blessé personne, après tout. J’ai discuté avec Hojimo Kanemitsu, il m’a raconté que tu étais un gamin d’ici. Partis depuis longtemps, certes, mais je vois que ce qui te lie à Tanuki est juste et sincère. »

« C’est ça, répondit Kant en relevant ses yeux embrumés. Ma mère vit ici, et Hoji-senpai ! Ici… c’est chez moi ! Ce que les pirates ont fait, c’est … je ne sais pas quelle folie m’a laissé croire que vous seriez incapables de protéger l’île et tous ses habitants, s’ils devaient revenir. »

Citizen Felix demeura silencieux un moment, puis il soupira.

« Cette inquiétude… Ça me rappelle quelqu’un, dit-il. Comme je l’ai déjà dit par le passé, lors de l’attaque de 1623, je n’étais pas là. Rien n’est arrivé depuis mon affection sur Tanuki et je veille désormais à la sécurité de l’île. En ce qui te concerne, il serait bien plus judicieux de mettre tes atouts à son service, plutôt que de commettre des actes délictueux à l’encontre de la Marine. Si tu ne souhaites pas travailler aux côtés de Kanemitsu, tu peux t’engager parmi nous. Une fois tes classes terminées, je pourrais peut-être faire en sorte que tu rejoignes la 412ème division.... Ainsi, tu veilleras sur l’île et ses habitants par toi-même. »

Kant considéra les paroles du colonel avec beaucoup de sérieux et de considération. Les qualités diplomatiques et relationnelles du militaire ne faisaient aucun doute, son seul discours suffit à redorer l’image de la Marine, tout en exhibant son sens de l’honneur, de la justice et des responsabilités.

« Cette personne dont vous parlez… dit Kant tout en songeant au discours de Felix. Cette personne, elle fait partie de la Marine, elle ? »

« Oui, répondit Felix. Et c’est un élément remarquable. Elle est née ici, comme toi. Rends-toi aux cliniques vétérinaires de Bonchamps et constate par toi-même comment elle a su œuvrer au développement de Tanuki. »

Sur ces mots, Kant se releva. Le sentiment de honte qui l’habitait depuis son réveil s’était quelque peu estompé grâce à la mansuétude et aux paroles du colonel Felix, qui lui ouvraient de nouvelles perspectives. Le jeune homme s’inclina profondément pour remercier le militaire et se dirigea vers sa demeure, boitillant sous la douleur.  
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    Lorsqu’il ouvrit la porte, Kant pria pour que sa mère soit absente afin qu’il puisse prendre le temps de se laver et de camoufler les traces laissées par son affrontement contre le colonel. Il se surprit à cet instant, car il n’avait pas ressenti cette crainte de décevoir ni de se faire rouspéter par quelqu’un depuis très, très longtemps. En pénétrant chez lui, il aperçut Pan, toujours attablée dans le salon devant un cendrier débordant.

« Te voilà enfin ! cria Pan. Hojimo Kanemitsu vient de partir ! Tu lui dois de plates excuses ! S’il n’était pas intervenu en ta faveur auprès du colonel, je ne sais pas quand est-ce que tu aurais revu la lumière du jour ! Tu es complètement inconscient ou quoi ? C’est une chance qu’il traite avec le quartier général… Oh, tu me réponds ? »

Malgré la colère de sa mère, Kant ne pouvait s'empêcher de sourire en silence. C’était l’une des toute première fois que Pan s’adressait à lui sur ce ton, elle qui ne s’était pas tellement occupée de son éducation pendant son enfance. En dépit des reproches qui lui étaient adressés, il était heureux d'être enfin de retour chez lui. Au fond, c'était précisément ce dont il avait besoin.

« Et depuis quand te bats-tu ?! demanda Pan. C’est Don, hein ? C’est sur Zaun que tu as appris à te conduire comme un pirate ? »

À l’évocation de ce nom, Kant cessa de sourire. Don, son père biologique, était le frère de Pan, elle-même sa mère adoptive. Secoué et trimballé au cœur de cet imbroglio familial depuis ses premiers jours, Kant n’avait jamais réellement cherché à dénouer le nœud du mystère entourant sa filiation. Il considérait Don comme son supérieur hiérarchique sur Zaun et Pan comme sa mère, point final. Cependant, l’évocation de ce nom fit resurgir des souvenirs de son passé et il se sentit une nouvelle fois submergé par une multitude d’émotions contradictoires. Il comprit alors que le moment était venu de crever cet abcès.

« Au fait, c’est qui ma mère ? »

À ces mots, le visage de Pan se figea. Kant voulu ravaler ses mots aussi vite qu’ils étaient sortis et se mit à trembler à l’idée de la blesser et la décevoir. Un silence pesant s’installa.

« Une pirate… répondit Pan, affligée. Mais je n’en sais pas plus, navrée. Ton père a débarqué ici quelques mois après ta naissance pour me confier ta garde. Et je maudis le jour où il est revenu pour t’enlever… »

Pan se plongea alors dans un long récit. Elle et son frère étaient des habitants de Zaun, l’île où la mentalité implacable des habitants érigent la compétition et la concurrence entre individus comme valeurs fondamentales. Sur cette île, seuls les « premiers » possèdent des droits et tous ceux qui ne sont pas en mesure de prouver qu’ils sont indispensables sont condamnés à vivre dans les souterrains lugubres de l’île. Ces souterrains, répondants au doux nom de « Nar Shaada », Kant les avait fréquenté quelques années plus tôt. C’est pour éviter de finir sa vie dans ces conditions que Pan s’était enfuie très tôt sur l’île de Tanuki. Son frère, quant à lui, resta sur Zaun. Afin d’empêcher que lui et ses proches ne soient condamnés à vivre dans l’enfer souterrain, Don érigea de ses mains une organisation complexe du nom de l’Affaire ; celle-là même où Kant œuvra durant plus de dix ans. Maîtres de la contrebande, les membres de l’Affaire survivaient, et prospéraient même, sur l’île de Zaun, en toute autonomie.

« Je savais qu’il viendrait te chercher un jour ou l’autre pour rejoindre sa bande de fous, dit Pan pour parachever son récit. Que tu aies réussi à t’en échapper me remplit de joie, Tanuki, mais ici, nul besoin de voler, nul besoin de te battre, tu n’as… »

Kant interrompit sa mère. Il se sentait profondément reconnaissant d’avoir pu éclaircir ces mystères ombrageant son histoire personnelle. De nouveau bercé par une quiétude certaine, il rassura Pan en lui expliquant qu’il n’avait aucunement l’intention de perpétrer quelques exactions que ce soit. Il s’excusa pour sa conduite, puis ils passèrent à autre chose, sans jamais évoquer les événements de 1623.
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    Les journées suivantes furent douces et agréables. Kant médita longuement sur les paroles du colonel Felix et il envisageait sérieusement d’accepter sa proposition. Rejoindre les rangs de la Marine ne l’enchantait guère, mais il considérait que c’était là la seule et unique manière de défendre son île et ses habitants, si chers à ses yeux. Il semblait que l’aura dégagée par le colonel altérait son jugement, d’une façon ou d’une autre. Un soir, tandis qu’il en discutait avec Pan, cette dernière s’offusqua et tenta de le dissuader à tout prix. Elle ne semblait pas porter le gouvernement mondial et ses institutions dans son cœur.

« Je ne t’ai pas élevé pour que tu obéisses aveuglément, dit Pan sur un ton ferme. Un Marine ne pense pas, il obéit. Il n’y en a que deux sortes, ceux qui décident, et ceux qui exécutent. Les premiers usent de la force pour que subsiste l’ordre, qu’ils chérissent puisqu’il les sert. Les autres nient leur dignité même au profit d’une vague gloire qu’ils rêvent d’atteindre, quittes à bousculer aveuglément les innocents sur leur passage. Aucun d’eux ne sert ce qui est juste. Je te préfère en voyou libre qu’en voyou en uniforme… »

Ils n’échangèrent pas plus, car Kant n’avait aucun argument à lui opposer. Comme Felix lui avait alors conseillé, le jeune sculpteur se rendit à Bonchamps. Sur place, il fit la connaissance d’une jeune femme nommée Marie Lagniel. Depuis l’ouverture des cliniques vétérinaires sur l’île, elle était chargée d’en assurer la protection. Les deux jeunes adultes s’entretinrent longuement au sujet de la désormais célèbre colonelle Ambrosias qui, une année plus tôt, était revenue sur Tanuki afin d’y ouvrir ses cliniques. Kant saisit alors la portée des propos énoncés par le colonel Felix et conçut subitement une inspiration. Il en vint à trouver l’aboutissement de ses opérations douteuses sur South Blue, ainsi qu’une utilité à tout l’argent qu’il avait amassé. Après avoir remercié l’agréable jeune Marie, il regagna ses pénates.

*

    Kant débarqua en trombes dans l’atelier d’Hojimo Kanemitsu et trouva son maître afféré à enseigner son art à de jeunes gens. Exalté par sa nouvelle idée, il interrompit leur travail. S’en suivi un long discours au cours duquel Kant exposa son projet de créer une ébénisterie et sa boutique attenante, destinées à l’exportation des diverses créations réalisées par les sculpteurs de Tanuki. En diffusant leur art au-delà des frontières de leur atelier, les disciples d'Hojimo auraient ainsi la possibilité de subsister grâce à leur labeur tout en étendant leur renommée à travers les contrées de North Blue. Quelque peu perplexes quant à la faisabilité d’un tel projet, les disciples présents dans l’atelier demeurèrent silencieux. Seul Hojimo sembla considérer sérieusement l’idée de son ancien disciple. Le vieux maître considérait l’opportunité de se retirer dignement de son activité commerciale tout en conservant son activité préférée, celle de transmettre son savoir-faire. Une lueur brillait dans les yeux de Kant, fier d’œuvrer au rayonnement de Tanuki et à la perpétuation certaine de son art.

    Les jours suivants, une dizaine de jeunes adultes furent triés sur le volet par Hojimo Kanemitsu lui-même et se virent offrir une promesse d’embauche dans la boutique à venir. Minutieusement, ils établirent une sélection d’ouvrages destinés à être produits et commercialisés. Puis, avec l'aval et l'onction du colonel Felix, ils se virent octroyer une portion de l'espace portuaire où ils érigèrent la construction qui deviendrait prochainement l'ébénisterie de Tanuki. Les travaux avancèrent rapidement et Kant comprit que le temps était venu de s’atteler à la tâche la plus difficile de toute cette entreprise : convaincre Pan de tenir la boutique.

« C’est hors-de-question, asséna-t-elle sitôt qu’il lui eut demandé. J’y connais rien en sculpturie, moi, je vois pas pourquoi tu veux me foutre à la tête de ton machin ! »

Bien que ces paroles cinglantes cachassent en réalité la fierté d’une mère face aux accomplissements de son fils, Pan ne tenait guère à gérer l’ébénisterie. Depuis l’attaque de Sutero et la perte de son bras dans la bataille, elle avait quitté son emploi au port et s’était réfugiée dans l’oisiveté. De supplications en supplications, Kant finit par la faire céder : c’est elle qui assurerait la gestion et la direction de l’ébénisterie. Soulagé et fier, il s’assurait ainsi de la prospérité et de la pérennité de ce commerce à venir, qui modestement mais sûrement, participerait au développement de son île.

    Une fois le modeste bâtiment sur pied, Kant parcouru l’île de long en large, de villages en villages, afin de convier le maximum de personnes possible pour l’inauguration de sa toute première boutique. En réalité, il ne dit mot concernant l’origine du fond d’investissement et attribua tous les mérites et les honneurs à sa mère autant qu’il le put. Ainsi, c’est Pan qui hérita des éloges faites par les habitants de l’île lorsque l’on prononça pour la toute première fois l’ouverture de l’ébénisterie de Tanuki. Le colonel Citizen Felix de passage au port se rendit sur place pour l’occasion, tendit sa main à Pan qui l’accepta. Kant pleurait.

*

    Quelques jours s’écoulèrent et le temps fut venu pour Kant de quitter pour la seconde fois l’île qui l’avait vu grandir. Il ne savait guère où il allait, mais il sentait que l’océan l’appelait. D’ailleurs, Pan l’avait aussi senti : elle avait elle-même préparé les affaires de son fils pour son départ. En plus de quelques ouvrages, elle lui offrit un cadeau plus personnel.

« Tiens Kant, puisque tu veux qu’on t’appelle par ce nom désormais, lança-t-elle en tendant à son fils une nouvelle chemise en laine de mouton. Essaye de pas la tâcher de vin, celle-ci. Et, surtout, n’hésite pas à repasser nous voir, hein… »

Kant pleurait encore.
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