Étendu dans la cabine d’un navire marchand, Kant jouissait de n’avoir rien à faire pendant le voyage. C’est dire s’il s’était rapidement embourgeoisé : sitôt plein aux As, le jeune sculpteur préférait payer comptant sa traversée pour se la couler douce, plutôt que d’œuvrer à bord avec les marins. En vérité, il n’était pas capable de se rendre utile car quelque chose le tracassait. Ce « quelque chose », c’était sa destination même : Tanuki. Au lendemain de ses dix ans, l’enfance de Kant fut dérobée par son père, qui l’enleva pour l’amener sur l’île de Zaun. Près de treize années s’étaient écoulées depuis ce jour traumatisant. Âgé de vingt-trois ans et fort de ses diverses aventures en solitaires sur les Blues, le jeune Tanukien s’était résolu à rentrer chez lui, résolu à revoir sa maman.
Lorsque la terre fut en vue, tout l’équipage sortit sur le pont. Le vent frais de North Blue rappelait déjà de nombreux souvenirs à Kant, si bien qu’il en frémit. L’idée même de ne revoir ne serait-ce que les pâturages verts émeraude de l’île le pétrifiait. Ce sentiment qui était à deux doigts de le faire tressaillir n’était nul autre que la culpabilité ; la culpabilité d’avoir quitté cette île brusquement, de n’être jamais revenu et surtout, de n’avoir jamais dit au revoir à Pan, sa mère. Il se demandait si elle serait heureuse de le revoir ; quelles pourraient être ses réactions et surtout, si elle était toujours en vie – tout cela en un éclair de pensée qu’il chassa brusquement de son esprit. L’infinité des éventuelles réponses à ces questions le terrifiait. Bientôt, le navire accosta.
« Va falloir y aller, jeune homme… » lança un membre d’équipage à l’adresse de Kant, qui se tenait immobile sur le pont.
« Je… je peux rester ici jusqu’à ce que vous leviez l’ancre ? Je vous paierai bien sûr. » répondit-il d’une voix affligée.
Le marin répondit d’un haussement de sourcils. Si ce navire marchand avait mis les voiles en direction de Tanuki, c’était dans l’unique but de récupérer des cargaisons de la précieuse laine des moutons de l’île. Kant était le seul touriste à bord. Face aux plaines verdoyantes qui s’étendaient jusqu’aux pieds des montagnes, il demeura figé, debout sur le pont. Il n’osait pas regarder aux alentours de peur de croiser le regard de Pan, qui lorsqu’il était enfant, passait ses journées au port. Puis soudain, il aperçut au loin une sorte de statue de pierre qu’il n’avait jamais vu auparavant. Peut-être avait-elle été toujours là sans qu’il ne s’en aperçoive ? Après tout, étant enfant, on ne fait pas attention aux monuments de la même manière qu’à l’âge adulte. Faute de courage, Kant profita de ce soubresaut de curiosité pour quitter le navire. En posant le pied sur l’île, il inspira un grand coup pour se galvaniser.
Lorsque la terre fut en vue, tout l’équipage sortit sur le pont. Le vent frais de North Blue rappelait déjà de nombreux souvenirs à Kant, si bien qu’il en frémit. L’idée même de ne revoir ne serait-ce que les pâturages verts émeraude de l’île le pétrifiait. Ce sentiment qui était à deux doigts de le faire tressaillir n’était nul autre que la culpabilité ; la culpabilité d’avoir quitté cette île brusquement, de n’être jamais revenu et surtout, de n’avoir jamais dit au revoir à Pan, sa mère. Il se demandait si elle serait heureuse de le revoir ; quelles pourraient être ses réactions et surtout, si elle était toujours en vie – tout cela en un éclair de pensée qu’il chassa brusquement de son esprit. L’infinité des éventuelles réponses à ces questions le terrifiait. Bientôt, le navire accosta.
« Va falloir y aller, jeune homme… » lança un membre d’équipage à l’adresse de Kant, qui se tenait immobile sur le pont.
« Je… je peux rester ici jusqu’à ce que vous leviez l’ancre ? Je vous paierai bien sûr. » répondit-il d’une voix affligée.
Le marin répondit d’un haussement de sourcils. Si ce navire marchand avait mis les voiles en direction de Tanuki, c’était dans l’unique but de récupérer des cargaisons de la précieuse laine des moutons de l’île. Kant était le seul touriste à bord. Face aux plaines verdoyantes qui s’étendaient jusqu’aux pieds des montagnes, il demeura figé, debout sur le pont. Il n’osait pas regarder aux alentours de peur de croiser le regard de Pan, qui lorsqu’il était enfant, passait ses journées au port. Puis soudain, il aperçut au loin une sorte de statue de pierre qu’il n’avait jamais vu auparavant. Peut-être avait-elle été toujours là sans qu’il ne s’en aperçoive ? Après tout, étant enfant, on ne fait pas attention aux monuments de la même manière qu’à l’âge adulte. Faute de courage, Kant profita de ce soubresaut de curiosité pour quitter le navire. En posant le pied sur l’île, il inspira un grand coup pour se galvaniser.
« Aux victimes de la barbarie »
1623
1623
Au-dessus de cette inscription ornant le monument s’élevait la statue d’une femme meurtrie et d’un mouton étendu à ses pieds. Kant comprit que ce bel ouvrage en pierre était un monument aux morts qui ne datait que de quelques années. Mais quels morts ? Que s’était-il donc passé en 1623 ? Un frisson parcourut son échine. Kant espérait de tout son cœur que ce monument ne rendait pas hommage à sa mère. Arpentant avec empressement les ruelles qui le conduisaient à la bâtisse qui avait vu son enfance, il luttait contre le vent glacé qui soufflait sur son visage, observant les maisons décrépies qu'il dépassait et les ombres qui se dessinaient sur sa route. Enfin, il arriva. Le temps avait laissé ses marques sur la façade, mais il n'y prêta guère attention. Il n’avait en tête qu’une seule et unique idée : retrouver Pan. D'un pas décidé, il s'avança vers la porte d'entrée, qui grinça sous l'effet de son ouverture. Les souvenirs affluèrent aussitôt et il fut saisi par une indicible émotion.
Assise à table, la clope au bec, Pan n’en crut pas ses yeux : son petit Tanuki était revenu. « Tanuki », c’est le nom qu’elle avait donné à Kant lorsqu’elle en reçut la charge dès ses premiers mois. Bondissant de sa chaise, elle s’élança vers lui et le prit dans ses bras.
«Tanuuuuu ! s’exclama-t-elle d’une voix à faire trembler les murs. Mon petit ! Mon petit à moi ! Tu es vivant ! Tu es si grand ! J’étais sûre, sûre et certaine ! Je savais au fond de moi que tu finirais par rentrer à la bergerie ! Tu es si grand ! Tu es vivant ! »
Enlacé par sa mère, Kant fut submergé par l’émotion et se mit à pleurer comme il ne l’avait encore jamais fait. Alors qu'il la contemplait, il fut frappé par la grâce qui émanait d'elle, bien que le temps ait laissé de discrètes marques sur son visage. Pan était une femme aux traits fins et à la beauté naturelle, exempte de tous les artifices dont usaient traditionnellement les dames de son âge. Kant sentit son cœur se serrer et ses larmes coulèrent en flots ininterrompus. Il s’effondra devant l'amour maternel qu'il retrouvait après treize ans d'absence, un amour qui transcendait l’espace et le temps.
Dans cette bâtisse où il vivait jadis, rien ne semblait avoir changé. La maison tout entière paraissait telle qu'il l'avait laissée : le mobilier croulait sous le poids du temps et les rideaux piteusement rapiécés n’égaillaient guère le tableau. Sur l'un des murs, une grande bibliothèque en bois foncé s'élevait jusqu'au plafond. Les étagères étaient remplies des livres de son enfance, dont émanait une odeur douce, poudreuse et familière. Kant s'approcha de la bibliothèque et passant sa main sur les reliures, il se souvint des après-midi passés à bouquiner seul dans cette pièce.
« Tous ces livres… soupira Pan, attablée dans le salon.J’ai arrêté de garnir la bibliothèque après ton départ. Tu remarqueras, d’ailleurs, qu’il manque de nombreux ouvrages. Je les ai donnés… » Puis, sa voix se fit plus taquine. «Et les amourettes, alors ? Dis-moi tout ! À ton âge, tu ne tombes plus amoureux de toutes les filles que tu croises, j’espère ?! C’est fou ce que tu pleurais, chaque semaine naissait un drame nouveau ! »
Kant sourit. Il se rendit compte que le temps avait fait son office, que les années s'étaient écoulées sans lui et que la relation qu'il avait jadis avec sa mère ne pourrait plus jamais être la même. D’un coup d’un seul, il aurait aimé lui raconter tout ce qu'il avait vécu, lui parler de toutes ses années sur Zaun, de ses récentes péripéties, de son père… : mais rien de tout cela ne semblait compter. Ils ne pouvaient espérer rattraper le temps perdu ensemble qu’en échangeant sur le fond d’eux-mêmes afin de redonner vie à leur complicité. Malgré cela, une question brûlait les lèvres de Kant. Dès lors qu’il posait les yeux sur Pan, il était envahi par un sentiment de tristesse et de confusion. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment sa mère avait perdu son bras. Il n'osait tout simplement pas lui poser la question, de peur de réveiller de douloureux souvenirs. Sur un ton guilleret, il répondit :
« Non ! Plus d’amourettes. D’ailleurs, je ne pleure presque plus du tout. »
Assise à table, la clope au bec, Pan n’en crut pas ses yeux : son petit Tanuki était revenu. « Tanuki », c’est le nom qu’elle avait donné à Kant lorsqu’elle en reçut la charge dès ses premiers mois. Bondissant de sa chaise, elle s’élança vers lui et le prit dans ses bras.
«Tanuuuuu ! s’exclama-t-elle d’une voix à faire trembler les murs. Mon petit ! Mon petit à moi ! Tu es vivant ! Tu es si grand ! J’étais sûre, sûre et certaine ! Je savais au fond de moi que tu finirais par rentrer à la bergerie ! Tu es si grand ! Tu es vivant ! »
Enlacé par sa mère, Kant fut submergé par l’émotion et se mit à pleurer comme il ne l’avait encore jamais fait. Alors qu'il la contemplait, il fut frappé par la grâce qui émanait d'elle, bien que le temps ait laissé de discrètes marques sur son visage. Pan était une femme aux traits fins et à la beauté naturelle, exempte de tous les artifices dont usaient traditionnellement les dames de son âge. Kant sentit son cœur se serrer et ses larmes coulèrent en flots ininterrompus. Il s’effondra devant l'amour maternel qu'il retrouvait après treize ans d'absence, un amour qui transcendait l’espace et le temps.
Dans cette bâtisse où il vivait jadis, rien ne semblait avoir changé. La maison tout entière paraissait telle qu'il l'avait laissée : le mobilier croulait sous le poids du temps et les rideaux piteusement rapiécés n’égaillaient guère le tableau. Sur l'un des murs, une grande bibliothèque en bois foncé s'élevait jusqu'au plafond. Les étagères étaient remplies des livres de son enfance, dont émanait une odeur douce, poudreuse et familière. Kant s'approcha de la bibliothèque et passant sa main sur les reliures, il se souvint des après-midi passés à bouquiner seul dans cette pièce.
« Tous ces livres… soupira Pan, attablée dans le salon.J’ai arrêté de garnir la bibliothèque après ton départ. Tu remarqueras, d’ailleurs, qu’il manque de nombreux ouvrages. Je les ai donnés… » Puis, sa voix se fit plus taquine. «Et les amourettes, alors ? Dis-moi tout ! À ton âge, tu ne tombes plus amoureux de toutes les filles que tu croises, j’espère ?! C’est fou ce que tu pleurais, chaque semaine naissait un drame nouveau ! »
Kant sourit. Il se rendit compte que le temps avait fait son office, que les années s'étaient écoulées sans lui et que la relation qu'il avait jadis avec sa mère ne pourrait plus jamais être la même. D’un coup d’un seul, il aurait aimé lui raconter tout ce qu'il avait vécu, lui parler de toutes ses années sur Zaun, de ses récentes péripéties, de son père… : mais rien de tout cela ne semblait compter. Ils ne pouvaient espérer rattraper le temps perdu ensemble qu’en échangeant sur le fond d’eux-mêmes afin de redonner vie à leur complicité. Malgré cela, une question brûlait les lèvres de Kant. Dès lors qu’il posait les yeux sur Pan, il était envahi par un sentiment de tristesse et de confusion. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment sa mère avait perdu son bras. Il n'osait tout simplement pas lui poser la question, de peur de réveiller de douloureux souvenirs. Sur un ton guilleret, il répondit :
« Non ! Plus d’amourettes. D’ailleurs, je ne pleure presque plus du tout. »
Dernière édition par Kant le Mer 3 Mai 2023 - 15:47, édité 1 fois