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Poisseux-pilote (PV Garrett)


L’époque : 1629, date charnière dans l’ère de la piraterie. Le lieu : un Quartier Général de Marine ; celui d’East Blue très exactement. Ici y grouillent pléthores de matelots entraînés – mais apparemment pas surentraînés si l’on considère leur prouesse au tir – et y règne un cadre disciplinaire plus strict que dans aucune autre garnison. L’exemplarité d’un si haut-lieu, du fait qu’il soit chapeauté par l’état-major, va évidemment de soi. Aussi y furent convoqués huit loustics qui, éparpillés le long d’East Blue, s’étaient égarés quant à leur rôle. Ceux-là, ces âmes insignifiantes avaient, disait-on, contribué à ternir l’éclat du Gouvernement Mondial. Un éclat dont la radiance ne brillait que mieux à l’heure du Buster Call. Ces diables d’hommes, bien qu’ils ne payaient pas de mine, avaient fauté au point où l’amirauté s’en était inquiété. Ils avaient, en dépit de la noblesse de leur charge, défendu l’ordre en s’émancipant quelque peu des carcans de la loi.
Dans le cadre d’une sanction disciplinaire dont l’état-major œuvra de sorte à ce que celle-ci ne fut néanmoins pas trop contraignante, on les avait alors convoqués, ces Marines indisciplinés et autres chasseurs de primes zélés. Les uns avaient terni l’uniforme quand les autres, en s’arrogeant des attributions qui ne furent pas les leurs, avaient trompé la confiance gouvernementale qui leur fut cédée avec leur licence.

Sans surprise pour qui le connaissait, de ce cheptel de mauvais bougres, la trogne d’Alegsis y apparut au milieu de l’assemblée comme une évidence.
Pour illettré qu’il fut, sa convocation, il se l’était alors faite conter par un révolutionnaire à qui il venait de rompre les os pour finalement se rendre au lieu indiqué à la date convenue. Il fut en effet question de lui soustraire sa licence de chasseur de primes s’il manquait à son devoir : celui que lui intimait le Gouvernement Mondial.

Bon dernier sans être toutefois retardataire, il avait finalement retrouvé un vaste amphithéâtre qui, au Q.G d’East Blue, leur fut alloué, à tous ces mauvais éléments, ainsi qu’à leur instructeur, celui-ci chargé de les remettre dans le droit chemin.

Ils allaient assister à un séminaire ces braves gens ; un stage « d’ajournement disciplinaire ». Les huit, éparses dans les gradins, firent alors face à un lieutenant qui, en contrebas et, raide comme la Justice, avait patienté sur sa tribune d’ici à ce que toute sa bergerie fut réunie au grand complet.

- Messieurs, scanda-t-il sèchement alors qu’enfin, il abordait son auditoire, puisque vous êtes tous enfin présents, je vais vous dire à quel sauce vous serez mangés en ce jour. Ils étaient légions, ces officiers à vouloir jouer les durs pour intimider leurs hommes. Le procédé fut ici plus idoine qu’en aucune autre circonstance alors qu’il s’adressait à des éléments réputés pour leur indocilité. Je suis le lieutenant Quint, j’ai été mobilisé pour vous remettre un peu de plomb dans la cervelle après que vous ayez déconné. Considérez-moi comme un crochet planté dans votre col qui, si vous vous agitez de trop, vous vaudra de chuter dans le vide. Votre dernière chance de conserver vos privilèges gouvernementaux – car c’est un privilège de servir le Gouvernement Mondial, sachez-le – ça passera par moi.

Les enjeux étaient alors posés. Tous, autant qu’ils étaient assis à le toiser du haut des gradins, dansaient en réalité dans la paume d’une main de fer qui, sur un caprice seulement, aurait pu les écraser. À lui, du « Oui chef », il faudrait sans doute en dispenser à foison.

- Ce stage dont j’ai la charge, il aimait à insister pour rappeler qu’il était celui en charge d’administrer la session, messieurs consistera en quelques rappels légaux d’usage et à des mises en situation afin que jamais, vous ne réitériez vos incuries. Mais avant qu’on aborde le vif du sujet, j’aimerais que vous vous présentiez. À commencer par le dernier arrivant.

C’était se faire remarquer que d’être le moins ponctuel de la bande. Alegsis, sur cette injonction, quitta son siège d'un bond ou presque, descendit les escaliers pour rejoindre son instructeur et se présenta depuis le pupitre assigné à la salle. Pupitre duquel s’était par ailleurs détourné le lieutenant tout du long de son introduction.

Non mais, je voulais dire, vous présenter depuis votre siège – enfin c’est pas grave, mais magnez-vous. Se ravisa le chef des opérations en grinçant des dents.

- Bonjour tout le monde ! Entonna jovialement un chasseur de primes qui, bien que la situation ne se prêta point à l’allégresse, abordait son introduction tout sourire. Je m’appelle Alegsis, je suis chasseur de primes et je viens du Cimetière d’Épaves. Rien de bon, jamais, ne sortait du cimetière d’épaves. Si je suis ici, c’est parce que j’ai été très inventif pour capturer un pirate !

Resté en retrait les bras croisés, l’officier cligna une dizaine de fois des yeux le temps de réaliser ce qu’il venait d’entendre, faisant aussitôt irruption pour interrompre le discours qu’un crétin entamait avec une insolente bonhomie.

- Je… euh… non, monsieur Jubtion. Le corrigea-t-il prestement, encore ébranlé de ce qu’il venait d’entendre.. Pas… pas exactement. Pas du tout, même. Si vous êtes là, c’est parce que vous avez kidnappé une vieille dame en assurant à la Marine que cela était permis par vos attributions de chasseur de primes.

- Ouais ! S’emballait très joyeusement l’imbécile en s’adressant tout fier à ses petits camarades afin de leur narrer les hauts-faits qui lui avaient valu d’être ici. Vu que j’arrivais pas à le trouver l’autre forban, et que j’avais franchement autre chose à faire que de me balader en mer pour le retrouver… bah j’ai enlevé sa mère. Il avait admit cela le plus tranquillement du monde, manifestement ravi de son coup. Après ça, il est venu se jeter tout cuit dans mes filets. Vous auriez vu ça. Mais la Marine a pas voulu payer ma prime… ajouta-t-il alors qu’il était soudain assombri pour se confondre dans une petite moue tristounette, une histoire comme quoi sa mère aurait porté plainte. Mais moi, vous savez, les histoires de droit, tout ça, je suis pas versé là-dedans, ça me concerne pas tellement. Enfin ! Reprenait-il avec un regain de bonhomie soudain cela, après avoir étalé l’outrecuidance de ses actes en s’imaginait qu’il put en tirer motif à s’en vanter. Tout ça pour dire que je suis très content d’être ici pour recevoir la médaille de la discipline je pensais qu’il y aurait un peu plus de monde, mais bon.

À en jurer le nouvel élan de sidération qui venait d’étreindre l’officier, rarement quiproquo avait fourvoyé si loin qui que ce soit.

- Monsieur Jubtion, reprit le lieutenant Quint en s’efforçant de se tenir droit et inflexible, je pense qu’il y a un malentendu. Un gros, même. C’est un séminaire de réhabilitation disciplinaire ; je suis chargé d’évaluer si vous êtes apte ou non à conserver votre licence de chasseur de primes et si, les autres Marines réunis ici, pourront continuer d’exercer après leurs récents écarts.

Alegsis, la mâchoire légèrement entrouverte, le regarda alors plus hébété que jamais, arborant sur son visage les traits ce qui apparaissait comme la gueule d’un poisson mort.

- …. j’ai quand même une médaille à la fin, non ?  Gémissait-il presque.

- Non.

- ... mais c’est nul votre histoire.

- Oui. Exhala subitement le lieutenant comme s’il avait instillé la grâce dans la cervelle tourmenté de ce jeune homme. Exactement. Vous avez mis dans le mille. Insistait-il, trop heureux de lui avoir enfin fait entendre raison. Maintenant, retournez vous asseoir. Son ordre ainsi notifié, il ne tarda cependant pas à claquer de la langue avant de prendre une courte inspiration irritée. Non, pas sur mon siège ! Vous asseoir dans l’amphithéâtre, là où vous étiez assis avant de venir ici.

C’était un curieux personnage que celui qui s’était invité à la tribune et ce ne fut pas à regret que l’instructeur se sépara temporairement de lui. Désignant un deuxième intervenant pour que celui-ci prit la parole et fit connaître son parcours à ses camarades, ce dernier ne tarda pas à faire savoir qu’il avait trouvé sa place ici pour un comportement inapproprié à l’égard d’un collègue féminin. Rien qui ne fut dommageable en soi, mais il s’en fallait d’une plainte pour qu’on fit d’une anecdote une tragédie en trois actes.

- Maîtresse ! Hucha Alegsis qui, son siège retrouvé, avait levé la main tout en s’agitant. Ce garçon-ci n’avait jamais été à l’école et, à la voir agir ainsi, on put déterminer qu’il rattrapait apparemment le temps perdu. Maîtresse ! Persistait-il d’ici à ce qu’on lui accorda la parole qu’il mendiait avec insistance.

- Quoi ?! S’énerva franchement l’officier. Et c’est lieutenant pour vous, je vous ferais remarquer ! Abruti.

Par cette dernière invective glissée entre ses dents, on sut que le lieutenant Quint avait finalement situé quel exact spécimen il comptait parmi ses « étudiants ».

- Pourquoi y’a des femmes dans la Marine ? Avait alors questionné l’Épavien avec une innocence pour le moins déroutante.

Terrassé comme si une ère glaciaire toute entière venait de le statufier dans le givre, le lieutenant ne trouva pas les mots pour corriger ce qu’il venait d’entendre ; resté presque balayé par l’outrance dont il venait de subir les secousses. Le cataclysme, alors, n’en finissait pas.

- Je veux dire… reprit Alegsis dans une ces démonstrations politique dignes de lui, elles savent pas se battre. Je le sais, je me suis déjà bagarré avec l’une d’elles. Et puis en plus, elles saignent même quand on leur tire pas dessus. Alors bon.

Parmi les gaillards tirés jusqu’ici par l’oreille pour leur inconduite, il s’en trouva une solide majorité pour rire de ses prédications. Le pitre, bien qu’il fit la quasi-unanimité quant à ses bouffonneries, ne comprit cependant pas ce qu’il avait pu dire de drôle ; s’étant alors exprimé depuis le fond de son cœur qui, compte tenu de la nature des propos, côtoyait de près le fond de son cul.
On préféra ne pas lui répondre afin de ne pas l’encourager à se comporter comme un guignol. Cependant, ce n’était pas pour rechercher le plébiscite ou la polémique qu’Alegsis se comportait en imbécile, mais parce qu’il en était un. Et un sacré spécimen de surcroît.  
Quand un deuxième Marine se présenta, celui-ci eut tout juste le temps de formuler son nom que le chasseur de primes, fidèle à lui-même, s’engagea à nouveau sur le sentier de l’ineptie tapageuse. Sa main levée une fois de plus, Alegsis la soutînt de son autre bras.

- Maîtresse Lieutenaaaaaant ~, vociféra-t-il à nouveau, y’a un homme-poisson déguisé en Marine qui s’est infiltré dans la salle. Vous voulez que je l’assomme ?

Sur cette assertion, il avait ensuite pointé du doigt ce curieux énergumène qui, plus en périphérie de l’amphithéâtre, se distinguait de par quelques excentricités capillaires, un regard torve et des manches arrachées.

- Veuillez tempérer vos préjudices raciaux je vous prie monsieur Jubtion ! S’agaçait un instructeur qui, à chaque facette qu’il découvrait d’Alegsis, trouvait un prétexte de plus pour le haïr. Je sais bien que vous autres du Cimetière d’Épaves n’êtes pas réputés pour être très franchement cosmopolites, il leva alors le menton avec suffisance, ses mains dans le dos, fier de faire honneur à la tolérance qui prévalait supposément dans les rangs de la Marine, mais la Marine s’enorgueillit de compter en son sein des individus de toutes les races. Des hommes d’exception que vous ne pourrez jamais surpasser ou même rêver d’égaler.

Son couplet anti-raciste achevé, l’officier se figura qu’il avait ainsi fait taire ce prodigieux abruti à qui il s’en était allé faire la leçon.
C’était cependant mal le connaître. Car presque ainsi encouragé à récidiver dans l’outrance, loin d’être intimidé par l’exposition d’un pareil plaidoyer, le chasseur de primes revînt aussitôt à la charge.

- S’il est aussi exceptionnel que ça votre poiscaille, les gorges se nouèrent dans l’assistance alors qu’Alegsis jetait nonchalamment les épithètes comme un singe l’aurait fait avec un bâton de dynamite allumé, comment ça se fait que lui aussi il lui faut un rappel disciplinaire ?

Le plus insupportable, à devoir supporter les cancres, ne consistait pas à les rappeler constamment à l’ordre, mais à ne pas trouver les arguments quand ceux-ci, se laissant parfois aller à quelques remarques pertinentes, finissaient par prendre le dessus malgré leur inqualifiable insolence. Le lieutenant fut en effet soufflé de s’être si joliment fait mettre à genoux par la seule réplique d’un demeuré notoire.

- Ce… eh bien… taisez-vous monsieur Jubtion ! Et vous ! Engueulait-il alors presque cet homme-poisson qu’il s’était pourtant employé à défendre de par son discours pontifiant, présentez-vous aux autres. C’est votre tour.

Tandis qu’il fut ainsi invectivé, le « poiscaille », patibulaire et léthargique jusqu’à la dernière écaille, croisa le regard grotesque du chasseur de primes qui, en le toisant avec tant d’insistance et de ridicule, cherchait à lui faire entendre qu’il l’avait à l’œil.

Si le lieutenant Quint s’était alors porté volontaire pour administrer les séminaires disciplinaires, c’était encore pour mieux se faire voir de la hiérarchie. Toute initiative, à commencer par la plus servile qui soit, présentait admirablement bien dans un dossier transmis auprès de l’État-Major. Toutefois, en dépit de son carriérisme forcené, peut-être pour une fois regretta-t-il de s’être engagé dans une telle galère.

Il n’en avait alors pas fini de ramer.
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L’homme-requin s’était dressé de toute sa prestance, bien maigre pour quelqu’un de son espèce, et avait avalé les marches d’escalier jusqu’au pupitre. En le voyant débouler de la sorte, le lieutenant Quint ne répondit que par un soupir, comprenant qu’il lui fallait désormais gérer un énième abruti.

- Yo, moi c’est Garrett ! Se présenta tout feu tout flamme la « poiscaille » en dévoilant les rasoirs aiguisés qui lui servaient de dents.
- Garrett…Garrett… D’après le rapport que j’ai sous les yeux, bredouilla le lieutenant en réajustant sur son nez des lunettes tirées de sa poche, dont il pensait à tort qu’elles lui conféraient un air d’intellectuel, c’est apparemment la…D-O-U-Z-I-È-M-E fois que vous venez ici ?!
- Treizième fois m’sieur, précisa fièrement le troufion.
- Ah oui…effectivement. Il est noté en bas de page que votre première convocation a été annulée à la suite d’une altercation avec le sergent instructeur Barnes, celui-ci vous aurait expressément dit, je cite : « Rentre chez toi sale poisson » … Ahem… Oui, bref… Si même les instructeurs s’y mettent…


Un poil décontenancé, réalisant par la même occasion que son discours bien-pensant venait de tomber à l’eau, le lieutenant Quint, déjà épuisé par cette entame de journée, intima à l’homme-poisson de se présenter, avec un peu plus de détails et surtout, en faisant preuve d’un peu plus de sérieux. Après tout, c’était son rôle, de montrer à ces rebuts ce que signifiait le mot « discipline ».

- Seconde classe Garrett ! Je vous prierai de bien vouloir cesser de faire des doigts d’honneur à monsieur Jubtion ! Un peu de tenue bon sang, vous portez l’insigne de la Marine !

Mais s’il y avait bien un mot que le malheureux lieutenant Quint s’apprêtait en ce jour à apprendre, c’était bien le « désespoir ». Avant même que les activités ludiques et autres exercices pratiques qu’il avait passé la nuit à préparer ne débutent, le lieutenant Quint était déjà en train de retenir par les bras deux énergumènes au QI frôlant le négatif, afin de les empêcher d’en venir aux mains.

- Bon, reprenons, soupira l’officier en s’ébrouant. Alors, Seconde classe Garrett, pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ?
- Parce que j’ai fait un formidable feu d’artifice ! s’enorgueillit le jeune requin en jetant ses mains autour de ses hanches. Vous auriez dû voir ça, y avait plein de couleurs et ça a fait un grand boum, personne ne s’y attendait !
- Ça pour le coup, je vous le confirme… ironisa amèrement le lieutenant avant de replonger dans son rapport. Mais ce n’était pas aussi « formidable » que vous le prétendez matelot ! Alors que vous étiez de corvée, vous avez manqué à vos tâches de nettoyage et en avez profité pour fabriquer une bombe artisanale dans les toilettes du Quartier Général. Bombe que vous avez malencontreusement armée et faite exploser, anéantissant ainsi les toilettes et répandant de la matière fécale jusque dans les couloirs !
- Bah je vous ai dit que y avait plein de couleurs.
-
-
-
- … Hm ?
- Retournez-vous asseoir soldat, dépêchez-vous !

Le lieutenant Quint préféra enterrer cette interaction, faisant mine qu’elle n’avait jamais existée. Il aurait aussi préféré chasser de ses souvenirs l’existence même du jeune homme-requin, mais malheureusement, il allait devoir faire avec lui, et ce durant toute une journée.

Garrett était un habitué de ces stages de réhabilitation, c’était d’ailleurs son treizième, comme son nouvel (et sûrement pas dernier) instructeur l’avait précisément mentionné. Mais il n’y avait rien à faire ; fougueux et insensible à l’autorité, Garrett n’arrivait toujours pas à rentrer dans les carcans disciplinaires de la Marine. Il se conformait certes un minimum, tant qu’on ne lui cassait pas trop les pieds ; mais lorsqu’on lui laissait un peu trop de liberté, voilà qu’il se mettait à en jouir avec la plus grande folie qui soit, en faisant preuve d’une totale irresponsabilité quant aux devoirs qui l’incombaient.

Après que tout le monde eut terminé sa petite présentation trop souvent maladroite, le lieutenant Quint prit un air solennel, mains jointes dans le dos. Quelque peu épuisé par la débilité effarante de son assistance, Quinn n’en démordait pas moins et affichait fièrement le rôle qui était le sien. Lui qui n’avait aucun talent militaire, qui aurait sans doute mieux fait de poursuivre une carrière de comptable ou de notaire, mais qui avait démontré très tôt une adoration peu raisonnée pour l’armée et ses principes bien ancrés, voilà que son supérieur lui avait refilé cette maudite besogne que chaque officier fuyait comme la peste. Mais Quint n’était pas n’importe quel officier, il était le fayot par excellence, essayant tant bien que mal de briller en acceptant tout ce qu’on lui refilait à faire. Alors, la veille, accompagné d’une tisane et de son fidèle chat, bien loin du charisme pompeux qu’il essayait aujourd’hui d’afficher, il avait préparé maints exercices disciplinaires pour remettre ces parias dans le droit chemin. Et voilà que le premier s’agitait au bout de sa langue, alors qu’il toisait la foule, prêt à la haranguer de sa plus stricte verve.

- Bien, messieurs-dames, nous allons commencer ce séminaire de réhabilitation disciplinaire par un exercice, ma foi, tout à fait simple. Ou plutôt, devrais-je dire, tout à fait logique. Cet exercice manuel me permettra d’évaluer dans un premier temps votre manière d’agencer vos idées et votre capacité à raisonner, pour ainsi déterminer de manière catégorique si vous êtes apte ou non à assurer vos fonctions. Ce n’est qu’une première étape, qui n’est là que pour servir d’introduction et vous préparer à la suite. Je vous assure qu’il faudrait être le dernier des imbéciles pour échouer à cet exercice. Je vais disposer face à vous une caisse remplie de morceaux de bois de différentes tailles. L’objectif sera d’utiliser ces bouts de bois pour construire une tour solide dépassant le mètre de hauteur. Compris ? Bon, je pense que la consigne est assez claire, en plus d’être simple, alors nous pouvons débuter.

Comme il venait de l’annoncer dans toute sa grandiloquence, le lieutenant Quint fit le tour de l’auditoire et déposa à chaque table une caisse pleine, ne manquant pas au passage de jeter un regard dédaigneux à Alegsis le sans-cervelle et à Garrett le troufion.

Ainsi, l’homme-poisson se retrouva avec un tas de bois. Tas de bois qu’il observa avec de grands yeux ignares, qui roulèrent à droite et à gauche comme pour tenter de percer un secret inexistant. Il renifla même les morceaux, les tâta du bout de ses doigts palmés, jusqu’à finir par jongler avec en faisant un boucan monstre.

- Seconde classe Garrett, prière de vous concentrer ! Ce n’est pas une salle de jeux ici !

Bien que ses ordres et élans de colère furent justifiés, il n’en manquait pas moins que la suffisance de l’instructeur l’aveuglait, l’empêchant ainsi de saisir ce qui se passait. Car non, Garrett n’était pas à proprement parler en train de jongler avec les morceaux de bois ; à vrai dire, il les empilait à une telle vitesse que cela donnait l’illusion qu’il s’amusait comme un enfant. Certes, batifolage il y avait, mais le jeune troufion était bel et bien en train de réaliser l’exercice. Manifestant son avancée par des « hop, hop » répétitifs, Garrett édifia en un clin d’œil une tour aussi haute que Red Line, sous les regards désemparés des autres rebuts qui lui servaient aujourd’hui de camarades de classe.

- TADAAAAAAM ! Conclut le troufion en écartant les bras, fier de son œuvre d’art.

Sur sa table, un assemblement maladroit et drôlement courbé de morceaux de bois formait une gigantesque cathédrale dont l’extrémité imitait la gueule d’un requin. Bien qu’il eût réussi l’exercice, Garrett avait un peu trop abusé de l’extravagance, qui d’ailleurs fut soulignée par le regard terrifié de l’instructeur, se demandant à cet instant si une évaluation logique était appropriée pour l’homme-poisson ; sans doute qu’un examen psychologique aurait été plus pertinent.

- Qu’est-ce que c’est que cette m… ravala l’instructeur, les yeux écarquillés.
- C’est la Tour de Pisse ! présenta fièrement le troufion.
- De Pise, vous voulez dire… C’est une ville d’East-Blue, matelot… Pise !
- Ah oui, Pise ! J’ai aussi pensé à l’appeler la « Sharkédrale ». Shark…Cathédrale…T’as compris ?
- Oui j’ai compris bon sang de dieu ! Désassemblez-moi tout de suite cette horreur avant qu’elle ne chute sur quelqu’un !

Blessé en plein cœur, comme si une balle avait traversé sa poitrine, Garrett afficha une mine dépressive et se mit à retirer ses bouts de bois avec une triste lenteur.

Mais le lieutenant Quint se détourna rapidement de sa catastrophique création. L’officier fut tellement sidéré par ce qui se déroulait une table plus loin que son âme sembla subitement vouloir le quitter.

Car oui, s’il y avait bien une chose certaine dans cet amphithéâtre, c’était que Garrett n’était pas le seul à exceller dans la stupidité.
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Plus artiste en ce qui le concernait, davantage disposé à faire montre d’une créativité aussi débordante qu’un ras de marée, Alegsis fit fi¹ des conventions, incapable qu’il fut de cheminer dans les sentiers battus. Il était un être à part et cela, chacun qui fut amené à le connaître ne tardait trop à le savoir.

Précurseur peut-être, assurément stupide en tout cas, le lieutenant Quint l’avait trouvé à jeter ses morceaux de bois sur le lustre haut perché de l’amphithéâtre. De quoi ainsi jucher sa tour à plus d'un mètre tel que requis.
Il lui avait effectivement semblé à cet officier que, le temps de son précédent sermon, un bruit de fond bien peu commode lui avait égratigné les nerfs. Un cliquetis d’abord, celui du bois qui tombait sur le plancher faute d’avoir atteint sa cible, et celui des bavardages. Surtout, celui des bavardages.
Lui aurait-on cousu les lèvres, à ce bougre d’Épavien azimuté, que jamais il n’aurait cessé de babeler. Ses confabulations, ainsi jactées sans borne et sans point final, atterrissaient toujours dans une oreille malheureuse de s’être trouvée à portée. Lorsque le lieutenant égara finalement ses tympans dans le flot d’inepties qui se tramait à grand bruit derrière lui, ce ne fut alors que pour se faire le témoin de l’imbécilité révélée à l’état pur et inaltéré.

- En fait, expliquait Alegsis à ses petits camarades trouvés aux environs tandis, qu’avec la langue entre ses mâchoires, il s’affaira à jeter un morceau de bois afin de le percher sur le lustre, l’exercice, c’est pas un exercice… c’est une métaphore. Lorsqu’Alegsis Jubtion laissait place à l’interprétation en quelle que circonstance que ce fut, des bribes de cataclysme s’annonçaient alors à mots couverts. Faut savoir lire entre les lignes.

Prévisible dans ses imprévisions toutefois, à sa cible de prédilection si haute perchée, là où il y jetait ses bâtonnets, il lui en substitua subitement une autre. D’un geste vif et sec, précis et méthodique, un de ses morceaux de bois, partis comme une balle d’entre ses mains, frôla la joue du coordinateur disciplinaire afin de pulvériser enfin la Sharkédrale s’était trouvée non loin derrière.
Son forfait fièrement accompli, Alegsis sourît et, doctement, afin d’instruire la plèbe environnante qui, du mieux qu’elle put, chercha à ignorer ses babillages incessants, leur partagea sa science.

- En fait, la leçon à en tirer, c’est que… Puis, resté figé un index brandit en l’air afin qu’il parut plus professoral, les yeux fermés le temps qu’il pérorait, sa trombine se ravisa d’un air soudain hébété, le regard perdu devant lui et ses lèvres entrouvertes, je sais pas en fait. Admit-il finalement avec une fraîcheur désarmante. Mais y’en a une. Je crois.

Alegs était personnage à la fois si stupide et indolent qu’il n’échafaudait ses délires qu’à moitié. L’essentiel pour lui ayant tenu à ce qu’il contraria un homme-poisson dont il chercha à faire savoir par tout moyen qu’il le tenait pour intrus. Le message, alors, fut reçu comme il se devait.
Naturellement courroucé – et il avait la nature mauvaise – l’écaillé se dressa de sur son siège, retroussa ses manches bien qu’il n’en avait aucune et, à en juger le sourire crispé logé sous ses yeux de fous, se montra apparemment réceptif à la déclaration de guerre à laquelle il fut si aimablement convié. Un officier, toutefois, s’interposa. Qu’on se massacra à l’occasion d’un stage disciplinaire, il est vrai, eut été malvenu voire dommageable pour la carrière de son organisateur si cela vînt à se savoir. Aussi le lieutenant tempéra-t-il la bête aquatique qui, déjà engagée sur le sentier de la guerre, était en partance pour son quatorzième forfait.

- Contenez-vous, matelot ! L’intima-t-il à se ressaisir comme s’ils se furent présentement trouvés en prise à la piraterie, le scalp sous la mitraille. Être assujetti au Gouvernement Mondial, c’est un privilège vous ai-je dit à tous. Et pour lui faire honneur, vous devez faire preuve de discipline et de retenue ; c’est précisément tout l’enjeu de cette journée.

Un bon officier, du moins, un qui fut bien vu de ses supérieurs, devait, à défaut de savoir mener ses hommes, exceller dans l’art de paraître. Parler haut, parler bien, être éloquent ce qu’il fallait pour rayonner d’un éclat artificiel ; tout ça faisait les qualités d’un chef de guerre en temps de paix.
À l’entendre ainsi discourir pompeusement, Alegsis, de derrière l’orateur tandis que ce dernier fut affairé à redresser un amphibien tordu, déversa ses postillons nitriques alors qu’il ouvrit à nouveau en grand son claquoir.

- Ah, je savais bien qu’il y avait une métaphore quelque part. S’enorgueillissait ainsi le fossoyeur de la Sharkédrale à quelques bancs de là.

Électrisé des pieds à la tête, à moins que ce ne fut l’inverse, quelques spasmes fugaces mais ostensibles déformèrent l’impeccable minois de leur instructeur. Quand celui-ci se retourna vers le chasseur de primes, il le fit lentement, d’abord car il soignait ses effets, mais aussi parce que l’exaspération lui raidissait ses articulations.

- Quant à vouuuuus… Grogna-t-il d’entre ses dents serrées dans un prologue dont on ne pouvait que redouter la suite.

Alegsis, ingénu, s’était préparé à ce qu’on le félicita pour avoir si bien filé la métaphore qui n’en était pas une. Il croisa les mains sur son pupitre, bon élève, un sourire nigaud dessiné sur ce visage improbable qu’était le sien, n'attendant plus que les louanges.

- ...vous êtes la honte du Gouvernement Mondial, une déjection qui vient maculer la noble bannière de la seule civilisation qui soit. Jamais je ne trouverai les mots pour définir ce que vous êtes et, si jamais ils me venaient à l’esprit, je me refuserais de les prononcer pour ne pas me salir les lèvres.

Accablé qu’il fut ainsi par son instructeur, il sembla pourtant que pas un muscle d’Alegs ne vacilla. Pire encore, à bien y regarder, on crut même apercevoir que son sourire s’était fait plus jovial au terme de ce qui s’était voulu comme un retentissant camouflet.
À le voir campé ainsi, apparemment pas ébranlé le moins du monde qu’on le remit si rudement à sa place, l’officier, qui s’attendait au moins à une réaction contrariée de sa part, resta figé d’ici à ce que l’admonestation prodigua un quelconque effet sur celui qui en fut la malheureuse victime. Mais pareil à un cabot stupide qu’on engueulerait, Alegsis, invariablement hermétique à toute semonce intellectuelle, demeura tout sourire.
Après qu’un court silence – bien que trop long pour qui l’avait provoqué – trouva ses accès dans le vaste amphithéâtre, le chasseur de primes, comprenant finalement qu’on attendait une réaction de sa part, se hasarda à demander, en usant de cette insolente bonhommie qu’était la sienne :

- Ça veut dire que j’ai gagné ?

Décontenancé comme on pouvait l’être dans ces circonstances, il sembla au lieutenant Quint qu’après s’être jeté dans un élan de récriminations, celui-ci s’était heurté contre un mur d’hébétude. Le genre inébranlable.

- Qu.. quoi ? Ne trouva-t-il alors qu’à réagir, comme gémissant.

Alegsis positionna aussitôt ses mains en porte-voix afin de reprendre :

- EST-CE QUE ÇA VEUT DIRE QUE J’AI GA…

Il sembla que son imbécillité n’en finissait jamais.

- JE VOUS AVAIS ENTENDU LA PREMIÈRE FOIS, JUBTION ! Gagné quoi au juste ?!

Tremblant de rage, le carriériste, pourtant chargé de leur discipline à tous, manquait à présent de prestance.

- Je sais pas, moi, c’est vous qui faites les règles, avec vos métaphores et tout le reste. Non, parce que, n’en finissant déjà pas de bavasser, Alegsis se montra affable et grossier, comme un enfant inconscient du nombre de normes sociale qu’il pulvérisait à agir comme il le faisait, moi je capture des pirates pour de vrai et, même si vos histoires de petits bouts de bois c’est chouette, bah… faut quand même que je travaille. Parce que, désinvolte, il en rajouta une couche en se complaisant dans une soudaine allégresse des plus déplacé, c’est pas la Marine qui va le faire à ma place, on est bien d’accord Jeri-hi-hi-hi.

C’est sans trait d’esprit – il en eut d’ailleurs été bien incapable – qu’Alegsis avait ainsi piétiné la réputation de la Marine devant un lieutenant de la régulière. Son irréfragable franchise pouvait, à certains égards, se confondre avec une insolence outrecuidante.
Sollicité par quelques instincts salutaires, notamment ceux qui lui commandèrent de massacrer un débile, le lieutenant Quint fut contraint de se mordre la lèvre inférieure jusqu’au sang afin de réfréner des envies de meurtre irrésistibles. C’eut été passer pour un jean-foutre que de céder à une légitime colère cela, après avoir intimé un subalterne à la retenue.

- Très bien, grincha l’officier tandis que, dans un volte-face qu’il voulut auguste, celui-ci alla retrouver sa tribune d’un pas résolu, vous avez tous de quoi écrire à votre disposition, aussi... cas pratique pour tout le monde. Comment faites-vous pour débusquer un pirate qui se cache à Rokade ? Vous avez dix minutes pour m’écrire un rapport avant de le présenter sur l’estrade. Et si vous savez pas où est Rokade, croyez-moi que ça s’en ressentira sur le bilan de cette session disciplinaire.

On contînt ici et là des soupirs de dépit alors que la discipline, pour l’heure, se fit académique. Le temps que leur officier de tutelle retrouva son perchoir, Garrett, figurant au rang des mécontents, gratifia Alegsis d’un majeur qui, s’il était palmé, n’en fut pas moins résolument brandi. Son destinataire, bon camarade comme il savait l’être, lui rendit à son tour la pareille. Ni l’un ni l’autre n’avait été à l’école – cela se devinait sans peine – aussi sembla-t-il alors que tout deux rattrapaient présentement le temps perdu.
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¹ . Brindacier
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Le lieutenant Quint n’en finissait pas de désespérer. Imbécilité sur imbécilité, les situations s’enchaînaient avec un tel fracas que la raison en venait à lentement s’effilocher, même chez un homme comme Quint. Il s’efforçait tant bien que mal de conserver la droiture qu’il avait passé toute une carrière à développer, et ce malgré les bouffonneries à répétition des quelques rebuts qui lui faisaient face. Mais voilà qu’il perdait lentement la face, son manque de confiance se dévoilant peu à peu derrière le drap des apparences. Ce nouvel exercice lui offrait l’occasion de reposer un peu ses méninges, au moins pour dix minutes. Mais c’était sans compter sur une nouvelle altercation des deux plus grands cancres de l’histoire, qui fermèrent la porte à tout instant de répit qu’il aurait pu s’octroyer.

Après les doigts d’honneur à répétition, voilà que les deux énergumènes étaient passés à la bataille de boulettes de papier et de stylos, provoquant ainsi un chahut qu’on entendit jusque dans les couloirs du Quartier Général. Pour s’armer, Garrett usa de tout ce qui lui passa sous la main, piquant allégrement les copies de ses malheureux camarades qui s’efforçaient de respecter les consignes. Il transforma les rapports en boulets de canon, toutes proportions gardées, et les balança sur la face écrasée du chasseur de primes. Celui-ci répliqua sévèrement, grâce à un armement bien plus lourd : des trousses.

- Eh ! C’est d’la triche ça ‘foiré ! grogna l’homme-requin après s’en être pris une dans l’œil.

Abrité derrière une table renversée, Garrett songea à ses représailles. Il lui fallait une puissance de feu bien plus importante pour remporter cette bataille. Les trousses étaient effectivement un moyen efficace de prendre l’ascendant, mais elles étaient limitées en nombre. Non, il lui fallait quelque chose de plus solide, de plus durable. Il lui fallait une armée !

- Aux armes camarades ! Sus à l’ennemi ! s’écria-t-il le poing levé en s’adressant à la rangée de rebuts derrière lui.

Il y eut un silence aussi long qu’une traversée de Grand Line, puis des regards confus. Les indisciplinés, délestés de leurs copies, ne purent finalement que se prêter au jeu ; et puis de toute façon, il fallait bien l’avouer : ça avait l’air sacrément rigolo.

Ainsi, le duel entre Alegsis et Garrett se changea en bataille générale dans l’amphithéâtre, où lancers de chaises et de tables allèrent de bon train. Face à cette cacophonie tonitruante qui s’éternisa durant de longues minutes, le lieutenant Quint resta coi derrière son pupitre. On aurait pu penser, à tort, que le spectacle était si grandiose qu’il en resta bouche bée, mais non, il était simplement désemparé. Si les idées haineuses qui lui traversèrent l’esprit à cet instant avaient été couchées sur papier, sa carrière aurait sans doute pris fin l’instant d’après.

Tremblant de tout son long tandis que son auditoire se mettait sur la gueule, le lieutenant Quint, les yeux révulsés et les bras légèrement écartés, leva la tête au plafond, comme s’il s’apprêtait à être transcendé par un pouvoir divin.

- SILEEEEEENCE !!!! hurla-t-il presque à s’en rompre les cordes vocales. Regagnez vos chaises immédiatement !

L’assemblée se stoppa brusquement après que retentit le coup de tonnerre de l’officier. Alegsis et Garrett, s’étreignant par le col sur une table, somptueux comme deux généraux d’armée, firent rouler leurs yeux vides de sens vers le pupitre où se tenait l’instructeur en furie et présentèrent une moue confuse ; comme si c’était la réaction du lieutenant qui semblait disproportionnée et non la bataille sordide qu’ils avaient engendrée.

- Au prochain écart, quel qu’il soit, vous finissez tous en cour martiale ! Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?!

La menace eut l’effet escompté chez la quasi-totalité de l’assistance. « Quasi » car pour Garrett et Alegsis, l’information était rentrée dans une oreille avant de ressortir par l’autre. Le chasseur de primes semblait ne pas saisir la gravité de l’avertissement, quant à Garrett, son envie se résumait à assommer l’imbécile qui lui faisait face après que celui-ci s’était permis (il se permettait beaucoup de choses) de tenir une remarque hautement raciste sur son odeur corporelle. Indéniable était le fait, qu’effectivement, il puait, mais cela n’avait rien à voir avec son espèce. Non, c’était jusque que sa dernière douche remontait à une semaine, ou peut-être deux, il ne savait pas trop.

- Bêêêêêêh, il pue le poooooisson ! réitéra le chasseur de primes en se bouchant les trous de nez. Geste humiliant, dont il appuya le côté abusif par un revers de la main sur le front et un chancèlement, comme si l’odeur pestilentielle dégagée par le requin le faisait tomber dans les pommes.
- Eh j’te permets pas débilos ! D’abord je pue pas le poisson, je pue la crasse et le cambouis ! C’est très différent figure-toi ! souligna le requin-citron en faisant preuve d’une étonnante sincérité.

D’un pas vif, le lieutenant Quint escalada les marches et fit face aux deux énergumènes. Les poings machinalement serrés, la mâchoire qui claque, le poil hérissé, il les dévisagea en silence et dégagea pour la première fois depuis le début de la séance (sans doute de sa vie, aussi) une aura autoritaire. Malheureusement, elle ne fit pas broncher d’un iota les deux gus chez qui on n’aurait su déceler le plus infime trait d’intelligence.

- Vous compter parmi les gardiens de la paix et les défenseurs de l’ordre est une honte pour toutes les institutions gouvernementales. Vous avez intérêt à vous tenir à carreau messieurs, ou c’est la porte définitive qui vous attend ! Vous particulièrement ! s’adressa-t-il à Garrett en le pointant du doigt. Vous ternissez l’emblème de la marine par vos actions puériles, vous avez intérêt à vous racheter d’ici la fin de ce séminaire ! Tenez, puisque vous avez balancé toutes les copies, vous allez passer dans les rangs et distribuer de nouvelles feuilles. Et tâchez d’en prendre soin cette fois-ci.

Il tendit le bloc de papier au requin, qui répondit par un claquement de langue et un « Tsss » agacé. Malgré tout, Garrett s’exécuta, songeant au Commodore Gastrôpwalpwal, homme qu’il admirait et qui l’avait pris sous son aile, pour le meilleur et pour le pire. S’il venait à se faire radier de la marine, cela revenait à le décevoir. Bien qu’incapable de discerner l’estime qu’il avait pour lui, les sentiments étaient bien là et l’empêchèrent donc de faire trop de vagues.

En tout cas pour un moment.

Ainsi donc, les rebuts, les indisciplinés, les parias, les sans-cervelle, se mirent au travail.
Garrett, tête en l’air devant sa feuille, assis sur une chaise dont le dossier s’était fracturé pendant la bataille, faisait tournoyer son stylo autour de ses doigts palmés. Dieu qu’il détestait écrire… Ou plutôt, il savait à peine utiliser un stylo ; alors gribouiller des lettres et des mots, ça l’ennuyait mortellement. Il essaya de tricher allègrement en jetant sa tête sur le voisin d’à côté mais ce traître lui obstrua la vue en glissant sa trousse devant sa copie.

Garrett se gratta la tête, réalisant avec dépit que pour une fois, il était bien obligé de faire tourner ses méninges. Il essaya d’écrire quelques mots, mais son cerveau monta rapidement en température. Rédiger un rapport pendant dix minutes, cela relevait franchement de l’impossible pour lui, il n’avait jamais fait ça de sa vie. De plus, ne sachant pas où se trouvait Rokade, il préféra omettre totalement cette partie de la consigne, en plus de se servir de ce manquement pour justifier à lui-même sa page blanche.

Quelques brèves idées traversèrent pourtant son esprit peu aiguisé, mais il ne sut les coucher sur papier. Tant pis, il se résigna à penser qu’il n’était pas fait pour ça et se dit qu’il profiterait de sa prise de parole devant la classe pour exposer ses idées. Toutefois, il avait bien compris qu’il ne pouvait se permettre de rendre une copie blanche à l’examinateur, alors il gribouilla quelque chose sur sa feuille. Et finalement, au terme de son entreprise, il souleva sa copie devenue torchon pour la regarder à sa hauteur et afficha un grand sourire carnassier qui trahissait sa fierté ressentie.

- Eh m’sieur ! M’sieur ! M’sieur !
- Je vous entends Seconde classe… inutile de crier, souffla l’instructeur.
- J’peux passer m’sieur s’vouplaît ?
- C’est « Lieutenant » pour vous je vous rappelle. Et non, vous et monsieur Jubtion passerez en derniers, ça vous permettra de vous calmer d’ici là.

La discussion fut close avant même qu’elle ne débute réellement et il en fut ainsi, selon les indications données par l’instructeur. Les élèves défilèrent à tour de rôle, tandis que Garrett attendait son tour, manifestant son impatience et son énergie débordante en sautillant sur sa chaise à répétition. Finalement, il passa en avant-dernier, juste avant Alegsis le chasseur de primes. Excité, il se jeta jusqu’au pupitre en agitant sa copie froissée au bout de ses doigts. L’instructeur le regarda avec un regard mi-désespéré, mi-apaisé, comme s’il s’était habitué aux excès de l’homme-poisson.

- Bon, matelot, c’est à vous. Vous avez cinq minutes pour nous exposer votre travail.
- Eh m’sieur !
- Lieutenant.
- M’sieur !
- … Quoi ?
- Je peux afficher mon rapport au tableau ?
- Quel intérêt d’afficher votre rédaction ? On ne va pas s’amuser à la lire.
- S’vouplaît, c’est pour illustrer mes idées !
- Bon, si vous y tenez tant… acquiesça finalement Quint, surprit que le troufion illettré connût le mot « illustrer ».

On fit porter un escarméra-projecteur sous lequel Garrett glissa sa « rédaction ». La lumière se refléta sur le grand tableau de l’amphithéâtre et tous découvrirent le fameux rapport de l’homme-poisson.

Rapport du Matelot de Seconde Classe Garrett:

- Qu’est-ce que…
- Yo ! salua avec enthousiasme le requin pour introduire sa présentation. J’viens vous exposer mon exposé ! Alors, en fait, je vais expliquer par une mise en scène. Imaginez, nous sommes sur Rokade, quelque part…euh…quelque part dans le monde. Ma mission c’est : m’occuper du méchant pirate. Eh bah c’est très simple. J’vous explique. Alors. En fait. Le méchant pirate a capturé une famille parce qu’il a besoin d’argent et donc il veut une rançon. Il a pris d’assaut la maison de la pauvre famille que vous pouvez voir juste ici sur l’image, désigna-t-il du doigt en direction de l’immondice affichée au tableau. Y a un papa, une maman et une petite fille. Le méchant est armé, donc, en fait, c’est dangereux pour la famille. Bon, moi, faut qu’j’m’occupe du pirate. La première idée est hyper efficace ! Idée numéro 1 : je creuse plusieurs trous sous la maison et je glisse dedans des bâtons de dynamite que je relie à une longue mèche loin de la maison. J’allume la mèche et boum ! Plus de pirate ! L’est parti en fumée l’abruti ! Sinon… si j’ai pas de bâtons de dynamite, parce qu’on me les confisque souvent, y a une autre alternative. Mais pour ça, il faut que les murs soient pas très solides, donc il faut étudier le terrain avant tout, c’est très important figurez-vous ! Donc. Idée numéro 2 : je me suis rendu compte que les murs sont pas très solides, je m’équipe de ma fidèle carabine. Je m’approche discrètement sur la pointe des pieds… et… RATATATATATATATATATA ! J’tire dans l’tas ! Ça fait des trous partout dans les murs, forcément, parce que j’ai étudié le terrain avant…eh oui je vous ai dit il faut être malin. En utilisant une centaine de cartouches, on peut être quasiment sûr que le pirate s’ra crevé. Conclusion : mission réussie. Alors ? Ça en jette, hein ?

On ne recensa pas plus long silence dans toute l’histoire de l’humanité. Les regards indéchiffrables accablèrent le jeune troufion qui n’en ressentit pas la pression pour autant. Le lieutenant Quint tomba sur sa chaise, littéralement. La tête cloitrée entre ses mains, il hurla, mais sa voix fut étouffée par ses paumes. Vraisemblablement, il passa quelques secondes à pleurer, recroquevillé, le visage caché. Puis, il se remit d’aplomb lentement en affichant une mine tout à fait sereine, comme si ce qui venait de se passer n’avait jamais existé.

- Hum… Oui. Alors. Plusieurs choses ne vont pas dans votre…euh…rapport. D’abord, vous ne savez de toute évidence pas où se trouve Rokade. Mais soit, passons. Deuxièmement, vous n’avez pas bien compris la consigne. Par « débusquer un pirate qui se cache à Rokade », j’entendais par-là proposer une mission de renseignement, d’investigation, et de traque, pas simplement…ça. Mais soit, analysons tout de même ce que vous avez proposé. CAR C’EST LÀ QUE ÇA NE VA PAS DU TOUT MATELOT ! Réfléchissez bon sang de dieu ! Si vous faites exploser la maison ou si vous tirez à travers, vous tuez par la même occasion la famille retenue en otage !
- Bah c’est vous qu’avez dit qu’il fallait débusquer le pirate. On m’dit de débusquer, je débusque.
- Certes ! Mais notre rôle est avant tout de protéger les populations, pas de massacrer des forbans à tout va ! La survie des otages est la priorité dans ce genre de situations, vous devez d’abord trouver un moyen de mettre les otages en sécurité avant de vous préoccuper du pirate en lui-même.
- Aaaaaaah ! D’accord ! Je vois, je vois, s’écria Garrett, les yeux illuminés, soudainement frappé par un éclair d’intelligence.
- Bon sang… désespéra le lieutenant Quint. Bon, retournez à votre place matelot et réfléchissez bien à ce que je viens de vous dire.

Garrett s’en alla comme une fusée, un sourire planté dans sa gueule, ô combien satisfait de sa prestation.

- Avant de passer au dernier exposé, laissez-moi vous expliquer le prochain exercice, tâchez de bien ouvrir vos oreilles, s’exclama le lieutenant Quint. Vous formerez des duos et préparerez une mise en scène sous la forme d’un jeu de rôle. L’idée sera de montrer quelle est la bonne attitude à adopter en tant que représentant de la loi. Vous pourrez par exemple simuler une conversation entre vous et un citoyen, ou votre supérieur. Vous devrez ainsi faire preuve de respect, de droiture et surtout, de courtoisie ! J’espère que c’est clair. Bon… poursuivit-il en affichant une mine triste, redoutant d’avance ce qu’il s’apprêtait à dire. Monsieur Jubtion, c’est à vous.
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La parole était à Alegsis Jubtion. On la lui accorda en effet et ce, bien qu’il ne s’était pourtant pas privé de s’en saisir à pleine gueule depuis que la session disciplinaire fut de rigueur. Pour la peine, afin qu’il soigna son entrée comme il se devait après qu’on l’eut sollicité – quoi qu’à contrecœur –, il descendit un à un les escaliers de l’amphithéâtre, pompeux et insupportable déjà, bien qu’aucun mot encore ne s’était échappé d’entre ses mâchoires sans lèvres.
Qu’il fut si silencieux, outre le bruit de ses pas qui résonnèrent dans l'atrium, inquiéta son auditoire mieux qu’il ne l’enchanta. Pareil à un air lourd et électrique sous des nuages chargés et ombrageux, cette quiétude présageait un déluge.

Ainsi qu’il fit languir l’amphi plus longtemps, faussement professoral du fait qu’il ne fut érudit de rien et stupide en tout, le chasseur de primes, devant son pupitre, s’éclaircît la gorge par trois fois peut-être, alors qu’il consulta attentivement sa copie. Un instant s’écoula, peut-être même deux et, sur son nez écrasé, d’un geste précis de l’index, l’orateur muet replaça ses lunettes avant de se souvenir qu’il n’en avait pas.

- Tout d’abord, formulait-il comme une ébauche à calamité qui venait, en premier lieu, pour commencer, en introduction... ça me dirait bien de revenir sur ce qu’a dit le poiscaille.

- Jubtion ! S’alarma son instructeur resté sur le qui-vive. Surtout abstenez-vous de comm..[b] Il eut beau être vif, cet officier-ci, pour tenter d’endiguer le malheur ; ce dernier aboutît cependant sans coup férir.

D’un mouvement du bras qu’on eut pu raisonnablement tenir pour théâtral, Alegsis avait, d’un geste brusque, pointé le dessin de son compère, celui-ci étant resté accroché au tableau.
Les yeux ronds aux arcades froncées du chasseur de primes, de là, portèrent ses billes noires en direction de cet homme-poisson qui venait de retrouver sa place. C’était ainsi, les yeux dans les yeux, qu’il le houspilla fougueusement.

- [b]Eh bah c’était nul ! NUL !
Les termes avaient alors été posés sans ambages tandis qu’Alegsisvitupéra avec une telle immaturité qu’il passa pour un garnement en colère. Ça crève les yeux que c’est rien qu’une famille de révos tes petits bons hommes !

- Oh nom de... S’effondra le lieutenant Quint alors que son exercice se retourna contre lui une fois encore.

- Y’a qu’eux, soutenait Alegsis, pour être aussi mal coiffés. Et toi aussi. Un discret échange de doigts d’honneur, quasi-protocolaire à ce stade de leur relation, se profila d’ici à ce que la suite des admonestations finit de s’écouler en cascade. Alors, si tu cherches à les sauver ces gens-là, c’est que t’es des leurs.

Ainsi Alegsis concluait-il une démonstration aussi leste que saisissante, non sans toutefois la ponctuer d’un :

- Ce sera tout votre honneur.

- « Lieutenant », soupira son tuteur disciplinaire finalement plus blasé qu’en colère à force de vaines itérations, moi c’est... « lieutenant »

Sur cet entrefaite dont il s’imagina qu’il en ressortit aussi grandi que glorieux, Alegsis déchira le dessin de Garrett et le piétina ensuite avant qu’il n’afficha à son tour son exposé écrit.
En indécrottable analphabète qu’il s’obstinait à être, on n’eut pu que difficilement espérer de lui que sa prose fut saisissante. Le dessin brandi, toutefois, fut éloquent quant à son propos, bien qu’il resta insaisissable quant à ce qu’il signifiait.

L'exposé :

- Non mais... y’a un moment où ça s’arrête ? Gemit leur victime et instructeur disciplinaire qui, pour ce jour, avait sans doute fait le deuil de tout ce qui put se rapporter de près ou de loin à la notion d’ordre.

Alegsis, embarqué qu’il fut d’un un élan d’impétuosité soufflé depuis ses bronches, poursuivit sa démonstration alors qu’il abattit la paume de sa main sur le pupitre.

- Étape numéro une ! Cadença-t-il ainsi son exposé. Toujours savoir s’il a une prime.

Aucun Marine en présence n’avait à prendre en compte pareil paramètre du fait que tous furent chargés d’intervenir, nonobstant la gratification gouvernementale. Leur salaire les prévenait en principe de toute indemnité supplémentaire. Mais pour s’être trouvé comme le seul chasseur de primes dans un essaim de Mouettes, Alegs ne parla que de ce qu’il connaissait. À voix haute qui plus est, car l’inanité du bruit n’était que plus pertinente lorsqu’on l’énonçait jusqu’à franchir le mur du son.

- Étape deux, poursuivait le chasseur d'hommes toujours aussi déferlant, s’il a pas de prime, on le cherche pas. Ça sert à rien. Par les propos qu'il tînt alors, Alegsis fit ainsi montre de l’étendue de sa probité. Aucune charge, après tout, ne l’astreignait à faire respecter la loi ; aussi jamais ne fit-il ne moindre excès de zèle en ce sens. Et s’il la une prime, compléta-t-il tout de même par acquis de conscience, on kidnappe sa mam… ah bah non puisque c’est pour ça que je suis ici Jeri-hi-hi. Sinon ma technique, il se rattrapait si vite et si bien aux branches qu’il était parfois difficile à suivre au milieu du flot tumultueux de ses discours décousus, c’est que je propose dix pourcents de la prime à celui qui sait où je peux le trouver. Par cette méthode, Alegsis avait en effet tissé tout un réseau de donneuses répandu comme un filet troué sur les mers bleues. Généralement, c’est des complices du primé qui m'appellent. Ils aiment bien régler leurs comptes comme ça quand y’a bisbille. Alors après que j’ai attrapé leur copain et que je leur ai filé les sous, j’appelle la Marine deux jours plus tard pour qu’elle leur tombe dessus. Là, vous intervenez, et moi, après, je fouille sa planque et je récupère mes dix pourcents.

Il sembla en effet à certains de ces rebuts disciplinaires qui l’écoutaient la bouche ouverte, qu’à plusieurs reprises pour certains, ceux-ci étaient effectivement intervenus afin de boucler un forban de basse extraction suite à un appel anonyme. Découvrir comment travaillait un chasseur de primes fut pour eux aussi instructif qu’atterrant. Leur érudition pour ce jour, en tout cas, ne renforça que mieux leurs convictions tenant au mépris qu’ils éprouvaient à l’endroit de cette caste si prompte à la très basse besogne.

- Ah oui ! Ça lui reprenait, car des méthodes de pistage, Alegs en comptait peut-être un demi-million dans sa besace ; toutes étant alors plus équivoques les unes que les autres. Aussi, y’a « La chasse à la taupe ». C’est subtil, attention. Il faut rentrer dans un rade où les révos se rendent souvent, on crie bien fort « Vive la révolution », tous ceux qu’ont l’air d’accord, on les assomme et on les embarque. J’en ai déjà chopé deux primés à un million la tête de pipe en faisant ça. Après, ça marche une fois sur deux-cents environ, et faut pas toujours faire le coup au même endroit, mais ça porte ses fruits.

Pourris étaient alors les fruits de ses enseignements. Bien qu’il pensa en avoir terminé, le giboyeur survolté claqua des doigts, un avant bras posé sur le pupitre, apparemment bien décidé à prendre racine.

- Oh et puis, je vous ai pas parlé de la technique du « Pirate malgré lui », elle est excellente, alors, en fait…

- Je crois…, l’interrompit l’officier après qu’il se fut longuement massé les tempes, je crois que ça suffira monsieur Jubtion.

- Vous êtes sûr ? Parce que j’en ai des tas d’aut…

- Sans façon. La coupure de parole, cette fois, s’avéra plus sèche encore que la précédente. Nous avons été, je crois, suffisamment instruits pour ce jour et même pour ce siècle. Veuillez regagner votre place. Avant que vous tue.

N’ayant en réalité aucun pouvoir véritable, les séances disciplinaires qui s’orchestraient alors sous sa férule tenaient davantage du formalisme que de la mesure punitive concrète. Le lieutenant, dans les faits, n’avait aucun moyen à sa disposition pour sévir comme il se devait. Toutefois, du mieux qu’il put, afin que sa carrière conserva un éclat immaculé à force qu’il ne la fit si bien reluire, il fallut à celui-ci trouver en lui la force de ne pas tuer ses élèves.

- Des…, à ce pauvre bougre, ayant graduellement perdu de sa superbe à chaque ânerie qui lui passa à proximité, il lui fallut apparemment du temps pour se remettre, des groupes de deux. Vous allez me faire des groupes de deux pour le jeu de rôle dont je vous ai parlé.

Le temps de prendre une interminable inspiration, l’instructeur reporta son regard sur l’assemblée jusqu’à ce qu’il fut contraint de se rendre à l’évidence ; une à laquelle il s’était attendu comme si le Mantra lui était tombé tout cuit dans l’esprit.

- Je le savais…

Et pourtant, bien qu’il l’eut deviné, de cet état de fait, il ne s’en réjouît pas.
Car à force de se montrer chacun répulsif dans un registre qui leur était propre, Alegsis et Garrett furent les seuls qu’on trouva sans binôme. Il allait alors falloir falloir faire converger les catastrophes le temps que l’affaire s’orchestra rondement.
Après qu’il eut instruit les autres afin qu’ils s’affairèrent sans lui, ceux-là étant en effet disposés à la discipline malgré des errements induits par leurs petits camarades, monsieur Quint agrippa Alegsis par l’arrière du col, le traînant de force sur le sol jusqu’à l’amener à la poiscaille.

- Je jure, entendez-moi bien, JE JURE, que si vous refusez de collaborer, je demanderai à ce qu’on me fasse une fleur pour tous les services que j’ai rendu au Q.G histoire faire virer l’un et sucrer la licence de l’autre.

Ne lui resta, à sa disposition, qu’un ultimatum indexé sur le bluff afin qu’il se fit obéir des deux chiens fous lors de sa séance disciplinaire.

- Jubtion, reprit-il alors qu’il se trouva à nouveau impérieux, vous camperez le rôle du pirate et Garrett sera le Marine.

Ce fut sans compter sur l’imbécillité en présence.

- Vu que c’est un homme-poisson, pensa le corriger Alegsis, ce serait pas plus logique que ce soit lui le pirate ?

Les stéréotypes, d’entre ses lèvres, cheminaient alors bon train et sans bride. Avant que Garrett n'en vînt aux mains, celui-ci fut pris de cours par son supérieur.

- Pourtant, de vous deux, c’est lui qui porte un uniforme de Marine. Crispé comme on n'aurait su l'être davantage, les dents serrées, le lieutenant Quint tenta de raisonner pacifiquement le débile.

- Mais il a même pas de manches son uniforme ! Se scandalisa alors juvénilement l’Épavien sur qui la raison, jamais, ne pouvait y exercer la moindre emprise. Vous êtes vraiment sûr-sûr que c’est pas un révolutionnaire ? Il en a l’odeur vous savez.[/url]

- VOUS SEREZ LE PIRATE ! UN POINT C’EST TOUT.

Alegsis, de stupeur autant de trouille, avait sauté dans les bras de Garrett, tous les deux grisés par la soudaine gueulante qui manqua de leur faire sauter les tympans à l’un et à l’autre. Leur instructeur, qui devait refaire le point à chaque phrase qui lui parvenait à présent, reprit lentement sa respiration, une main en appui sur le bureau à sa portée pour ne pas chanceler après avoir crié si fort.

- Vous… vous échangerez vos rôles après de toute manière.

À contrecœur, quoi que persuadés sous les cris et la menace, le duo infernal, debout le temps de l’exercice, laissa libre cours à une imagination décidément trop fertile pour qui devait en faire les frais.

- Yo-oh moussaillon, s’essaya Alegsis alors qu’il joua bien mal sa partition, donnez-moi un trésor s’il vous plaît. Merci.

La première réplique fut à peine énoncée que, déjà, le metteur en scène se sentit d'administrer les reproches d’usage.

Mais qu’est-ce qu…, s’étrangla-t-il presque, ça agit pas comme ça un pirate enfin.

- Ce que j’en sais, moi, répliqua ainsi l’interprète avec une indolence crasse, les pirates, moi je les attrape qu’après qu’ils aient fait leurs bêtises, pas pendant. Sinon ils ont pas le temps d’avoir une prime sur leur tête. [size=7]Faut réfléchir un peu.

Et ce fut là, à cet instant précis ; à cet exact moment, que le lieutenant Quint perdit à jamais sa foi pourtant réputée inébranlable dans le Gouvernement Mondial. Car quel intérêt pouvait-il décemment y avoir à combattre pour que de telles chiures puissent prospérer ? Une courte excursion, quand elle était entreprise en si mauvaise compagnie, faisait en effet naître en chacun des vocations révolutionnaires à qui contemplait les allégeances en présence. Car à quelque obédience que répondirent Alegsis et Garrett, tout esprit sain ne pouvait dès lors qu’instinctivement désirer rejoindre le camp qui fut adverse au leur.
À défaut de les avoir morts, ces deux-là, on ne pouvait que préférer les avoirs comme ennemis plutôt qu'à ses côtés.
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Faire équipe avec ce vaurien d’Alegsis Jubtion était bien la pire chose qui pouvait lui arriver. Mais les remontrances du lieutenant Quint avaient été formelles : les deux énergumènes devaient former un duo. Un duo de malheur, que tout le reste de la classe préféra fuir, s’écartant de l’autre côté de l’amphithéâtre pour mener à bien ses jeux de rôle. Tous savaient qu’en fréquentant les deux parias qu’étaient Alegsis et Garrett, on pouvait se laisser facilement embarquer dans leurs infinies et stupides conneries et ainsi risquer sa place au sein du Gouvernement Mondial. Alors on préféra les esquiver, et comme toujours, les cancres furent délaissés au fond de la classe, ne recevant plus que l’attention du professeur qui s’efforçait de respecter « l’égalité des chances », même si les bévues des crétins lui filaient de l’urticaire.

Ainsi, le lieutenant Quint, malgré son envie irrépressible de les enfoncer respectivement dans le sol ou de les encastrer dans le mur le plus proche, fut contraint de se prêter lui-aussi à un jeu de rôle : faire le travail d’un officier-instructeur de la marine ; car c’était bien là un rôle en lequel il avait entièrement perdu foi.
Laisser les deux gus seuls revenait à devenir responsable d’un cataclysme qui aurait pu être évité, d’autant plus que même en la présence d’un soi-disant garant de l’ordre, ils ne se privaient pour déchaîner toute leur folie niaise.

- Réfléchis bougre d’âne, lança Garrett à son camarade de fortune en prenant un air de savant qui ne lui seyait pas le moins du monde, un pirate c’est plus vulgaire qu’ça ! Il va pas t’dire merci ! Il va t’dire « donne-moi ton trésor, fils de pute ! », c’est plus approprié.
- Seconde classe… votre langage… désespéra le Lieutenant, ne sachant plus trop ce qu’il se devait de réprimander tellement tout semblait à refaire dans l’attitude du duo.
- Y a qu’un révo pour parler comme ça, vous êtes vraiment sûr que vous voulez pas que je l’attrape ?
- B-O-N ! Reprenons si vous le voulez bien, et tâchez de vous appliquer cette fois. Même si c’est sûrement trop vous demander… Écartez-vous, prenez un peu plus d’espace, leur intima le Lieutenant en faisant des gestes pour les placer. Matelot, imaginez qu’un beau jour vous surveillez un quartier en y faisant des rondes, quand tout à coup, vous tombez sur le pirate Jubtion, armé d’un sabre et d’un pistolet. Quel est le bon comportement à adopter face à cette situation ?

Il y eut un silence inquiétant, le lieutenant Quint observa l’homme-poisson avec des yeux confus, attendant naturellement une réponse de sa part. Mais Garret se mit à souffler et fit claquer sa langue pour démontrer toute l’étendue de son agacement puéril.

- J’aime pas faire des rondes, c’est chiant à crever. Je fais pas de rondes, question de prancip ! s’exclama fièrement Garrett en inventant malgré lui un mot qui en disait long sur ses fameux « principes ».
- Non mais c’est une mise en scène fictive matelot, il faut que vous jouiez un rôle. Essayez de vous imaginer en train de faire une ronde, vous ne la faites pas réellement. Et puis c’est censé être votre boulot à la base alors je ne vois pas comment vous pouvez refuser ça…
- En plus ça s’tient pas votre truc, vous dites qu’il a un sabre et un pistolet mais il a qu’un gros pinceau dans l’dos. Mais d’ailleurs pourquoi tu trimballes avec un pinceau toi là t’es complètement fêlé ?
- Il n’a pas vraiment de sabre ni de pistolet puisque c’est un jeu de rôle matelot ! gueula le Lieutenant Quint dont les veines entre les sourcils semblaient vouloir sortir. Faites marcher votre imagination merde !

Les deux benêts se regardèrent tous deux avec de gros yeux, sidérés d’entendre que l’instructeur venait de prononcer une grossièreté. Comme s’ils étaient les plus adroits socialement et les plus déférents à son égard, ils jetèrent en chœur leurs mains à leurs hanches, affichèrent une moue amusée en sortant les lèvres comme l’aurait fait un père à l’égard de son enfant et prononcèrent un « Eh bah alors Lieutenant ».

- Vous êtes sûr que ça va m’sieur ? se permit de rajouter Garrett. Vous avez pas l’air dans votre assiette.
- Je pense qu’il lui faut un peu d’air.
- Oui, il faut le rafraîchir un peu.

Ainsi, les deux imbéciles se munirent de documents et feuilles de papier pour les agiter chacun d’un côté devant la face du Lieutenant Quint en affichant un grand sourire d’ahuri.

- Non mais vous allez arrêter oui ?! fulmina l’officier qui sentit des larmes lui monter tant il était dépassé par la situation. Retournez à vos places immédiatement et tâchez de ne pas vous disperser ! conclut-il en sachant pertinemment que ses réprimandes étaient vaines.

Les deux hommes s’exécutèrent finalement après la gueulante de l’instructeur et répétèrent leur spectacle avec une conviction bien maladroite. Cette fois-ci, Quint, en prenant en compte les « prancip » du matelot, préféra donner de nouveau la parole à Alegsis en lui demandant d’imaginer la réaction d’un pirate qui, au détour d’une rue, tomberait nez à nez avec un soldat de la marine. Et par sa délicate considération d’autrui, le chasseur de primes ne manqua pas de briller une nouvelle fois.

- Aaaaah, regardez un requin s’est échappé de son aquarium ! Vite, je prends mes jambes à mon cou ! s’écria le pirate en faisant des grands gestes de bras dans le vide pour mimer une course.
-
- Eh mais l’est complètement stupide lui, j’peux pas vivre dans un aquarium c’est beaucoup trop p’tit.

S’il y avait bien une chose – parmi de nombreuses autres, il est vrai – dont Garrett ne saisissait pas toute la portée, c’étaient bien les remarques racistes sur son espèce. Étant stupide à souhait et n’ayant jamais fréquenté ses congénères, les propos hautement déplacés qu’on pouvait lui faire tombaient rapidement à l’eau. Pour lui, les attaques étaient des insultes envers sa personne au même titre que d’autres vulgarités, sans qu’elles n’aient aucune dimension discriminante et humiliante. Ainsi, Garrett, toujours malgré lui, combattait le racisme par l’ignorance et l’indifférence, usant sans s’en rendre compte des meilleures armes contre celui-ci.

- Je…crois qu’on va laisser tomber pour cette mise en scène. Essayons une dernière fois en échangeant les rôles avant de passer au prochain exercice. Monsieur Jubtion vous jouerez votre rôle de chasseur de primes, tandis que le matelot Garrett sera le pirate.
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Aussi vif qu’il se montra brusque, alors qu’il s’en fallut d’un battement de paupière à peine, Alegsis, autrement mieux dégourdi avec ses mains qu’il ne l’était avec ses neurones, s’était emparé de son pinceau de plus d’un mètre afin que celui-ci s’abattît brutalement contre le crâne de son binôme.
Une réponse succincte fut ainsi apportée à la question « Que fais-tu avec un pinceau dans le dos ». Il avait pris son rôle d’autant plus à cœur, celui-ci, qu’il l’avait maintes fois répété auparavant au cours de son illustre carrière. Sa démonstration de violence, dès lors, n’aurait pu être tenue comme incartade, mais un modeste réflexe professionnel.
La prestation théâtrale – car c’en était une en dépit de ce que pouvait laisser suggérer le sang perlant à présent sur le front de la victime – se poursuivit alors dans la disgrâce. Avec une afféterie qui convenait si mal à un rustre de son espèce, aussi innocent pouvait-il être, Alegsis, une main sur le cœur et, son arme dressée en direction de leur instructeur, s’exclama avec, dans la voix, un fond de fausse déférence châtiée.

- Je souhaiterais que vous aboulissiez ma prime, s’il vous plaît, plus vite que ça, mê~rci.

Il avait le souci de bien paraître.
Là s'exhiba le summum de courtoisie dont il fut à même de faire preuve. Estomaqué par la performance, sans toutefois se confondre en une série d’applaudissements, le lieutenant ne put que se maudire d’avoir ouvert cette deuxième boîte de Pandore d’où il ne jaillissaient que des conneries en continu. Chaque homme en présence – amphibiens inclus – était en effet sous sa responsabilité. Qu’on manqua de fracturer le crâne de l’un d’eux, même s’il avait la tête dure, pouvait, à terme, lui valoir quelques sanctions venues lui pleuvoir de plus en amont. Sa prise d’initiative, inscrite pourtant dans une démarche des plus obséquieuses, manquait alors de se retourner contre lui. Il s’en était fallu de deux cataclysmes ambulants, ceux-ci échaudés l’un à l’autre, pour que sa carrière fut ainsi menacée.
Présenté durant trop longtemps au mutisme alarmé de son instructeur, Alegsis, décidément fâché avec la notion de silence, fit à nouveau entendre son insupportable voix. Ce n’était alors plus le personnage qui s’exprimait, mais l’acteur ; l’interprète.

- Pour que ça soit crédible, faudrait que vous me donniez une prime. De toute façon il vaut quoi l’animal ? Persistait-il en pointant les poils de son pinceau contre les narines de celui-là qui fut occupé à se tenir son crâne endolori. Cent berries ? Franchement, celui qui l’achètera comme esclave ensuite, il se fait arnaquer, Jeri-hi-hi.

Conscient de sa boulette – pas celle consistant à avoir frappé un matelot de la Marine devant un lieutenant – l’inqualifiable Épavien se rattrapait aussitôt après avoir grimacé de stupeur.

- Enfin… non pas que le Gouvernement Mondial trempe dans l’esclavage, hein, bien entendu. Ponctua-t-il ensuite de lourds clin d’œil adressé à son officier de tutelle, celui-ci resté invariablement tétanisé.

Homme de peu de passion pour les choses de la subtilité, Alegsis comprenait sans comprendre que le Gouvernement Mondial, sans admettre l’esclavagisme, le permettait néanmoins. Une situation qui, si elle ne tenait pas nécessairement du paradoxe, frayait en tout cas drôlement avec l’hypocrisie. Alegs, parce qu’il ne comprenait pas ce qui dans les faits était une posture incompréhensible, s’emmêlait ainsi ses quelques boyaux crâniens, à admettre l’esclavage sans qu’il ne fut admissible.
Le Gouvernement Mondial, c’était compliqué. Aussi le chasseur de primes se contentait-il d’acquiescer à tout ce qu’il faisait afin de s’épargner des efforts de réflexion dont il était de toute manière bien incapable.

Quand bien même se serait-il essayé dans l’heure à ne serait-ce qu’un soupçon d’introspection qu’il aurait été interrompu dans ce qui était pour lui un si périlleux exercice. Un brin rancunier peut-être, mal embouché en tout cas – car sans doute étranger aux aléas du théâtre vivant – Garrett avait rendu le gnon, et salement. Alegsis, de là, fut propulsé à travers la moitié de l’amphi, terminant son parcours dans une série de roulades arrière avant qu’il ne percuta enfin un mur. Ça cognait dur la poiscaille, surtout quand ça voulait rendre la monnaie de sa pièce à qui de droit. Il fut alors si dispendieux dans sa rétribution, Garrett, qu’il laissa un trop plein de cette monnaie au chasseur de primes. Ce dernier, aussi bien élevé que pouvait l’être un casseur de pirates pondu sur les planches pourries du Cimetière d’Épaves, se sentit dans l’obligation morale de rendre le trop versé.

- Brush Crush, grogna-t-il alors d’entre ses vilaines dents tandis que, de ses deux mains, il fit tourner son pinceau au-dessus de son couvre-chef, La Vue Rouge !

Cette fois excédé, il peinturlura son Colors Trap rouge sur le siège d’une chaise dont il avait arraché le dossier de ses mains. Qu’il plia ensuite les pattes pour les recroqueviller en-dessous, se saisissant dans la foulée de son œuvre de sa main gauche afin de s’en faire un bouclier, sembla indiquer qu’un début de conflit s’ourdissait dans la rancœur.
Et le lieutenant Quint, encore, demeura immobile, la mâchoire restée ouverte, n’étant toujours pas revenu du premier coup de pinceau venu rayer ses avancements carriéristes.

Garrett et Alegsis, en stratèges avisés, ceux-ci ayant en plus pour mérite d’être des puissances intellectuelles supérieures… se jetèrent dessus en fonçant l’un vers l’autre. Pareil à un paladin son pinceau pointé comme une lance, son bouclier peint dans l’autre main, le chasseur d’hommes partait  guerroyer contre la malséante poiscaille. Ce présent état de fait était resté latent depuis leur rencontre jusqu’à ce que l’abcès fut enfin percé. Garrett avait lui aussi adopté une posture pour le moins martiale à en juger sa course folle et ses poings serrés.

- Ta chiure de pinceau, je vais te la faire bouffer ; et pas par la gorge, crois-moi bien !

Le coup qu’il chercha à adresser cependant, plutôt que d’atterrir au beau milieu des naseaux de l’artiste comme il l'avait escompté, s’écrasa contre la chaise où s’était trouvé le sceau rouge précédemment graffité. Se retrouvant ainsi désemparé, sa garde grande ouverte, c’est d’une vive estoc, quoi qu’accomplie du bout du pinceau seulement, qu’Alegs, en cinq brefs mouvements, bava son Colors Trap à même le buste du vilain.

- Brush Crush. Avait-il annoncé en préambule de sa sentence. Le Rire Jaune !

La marque, prévue pour provoquer l’hilarité de ce qui se trouva à son contact, ne manqua pas de dérider les zygomatiques de son adversaire. Ses dents tranchantes et ostensiblement dévoilées, celui-ci riait maintenant avec force à s’en vider les poumons. Chose ironique pour une « Poiscaille » censée en principe en être dépourvue.

- Tiens, la preuve que t’es un sale poisson… ne put s'empêcher son assaillant, tu te marres comme une baleine.

Tel fut alors le bon mot qu’Alegsis qui, en l'assénant si fièrement, crut idoine de le formuler en ces termes pour mieux consacrer sa victoire.

- Les baleines ne sont pas des poissons mais des mammifères. Le corrigea néanmoins un malotru dans les rangs situés plus en amont.

Alegs n’eut toutefois pas le temps de se sentir bête. D’abord car il ne doutait jamais de son intelligence, preuve s’il en était qu’il était d’une insondable débilité, mais car un énième protagoniste vint à s’investir dans la conversation.

- Et alors ? Gueula-t-on plus à l’ouest. Y’a bien des hommes-poissons qui ont des attributs de baleine ou de céphalopodes que je sache.

La querelle, de là, dériva dangereusement sur le terrain de la controverse scientique. Vexé qu’on le recadra quant à quelques broutilles tenant aux évidences du fait biologique, le premier intervenant se dressa de son siège, se saisissant aussitôt de ce dernier afin de le jeter en direction de son correcteur. Le projectile, cependant, heurta un troisième larron.
En moins de temps qu’il en fallut pour crier « Baston d'érudits ! », tous les indisciplinés se mirent à leur tour sur la gueule.

Tout en aval de l’amphithéâtre cependant, la flammèche qui mit le feu au poudre n’en avait pas fini de se consumer. Garrett avait été rendu hilare de par une hypnose chromatique ? Qu’à cela ne tenait, il ferait s’écraser ses poings contre la gueule du raciste… mais en riant. Sa hargne avait été telle que Le Rire Jaune ne l’avait incapacité en rien ; là où, chez le commun des mortels, l’effet de ce Colors Trap-ci entamait le souffle et la concentration de qui s’y éprouvait, au point même de les limiter dans ses attributions belliqueuses. On s’échangea alors les coups dans l’allégresse où parfois, au fond de la mêlée, on put entendre même crier :

- Céphalopode toi même !

Peut-être que le remue-ménage qui s’orchestra alors contribua pour beaucoup à ce que Quint émergea de sa catatonie. Quand il échappa de son état d'inconscience, il ne trouva plus devant et derrière lui que capharnaüm et désolation ; le tout rythmé par le battement des poings rageurs.
Homme de principe et carriériste en diable, il se vit alors bien mal expliquer à ses supérieurs en quelles circonstances exactes la situation avait pu si mal lui échapper d’entre les mains. Aussi se débarrassa-t-il de son manteau avant de s’échauffer.

La discipline, en effet, ne s’insufflait pas que par le verbe. Cela serait sans doute la dernière leçon qu'il enseignerait pour ce jour.

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- HAHAHAHAHAHAHA !

Ainsi Garrett fondait une nouvelle fois sur son adversaire, qui n’était encore qu’un camarade de théâtre il y a quelques minutes. Si le rire n’en finissait pas, sa hargne aussi. Bien que l’on aurait pu aisément le qualifier de monstre en se basant uniquement sur son physique, là, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il en était un. Car qui, si ce n’est un monstre, pouvait courir après vous la gueule ouverte, prêt à vous trucider en riant à gorge déployée.

- J’vais t’atomiser ! HAHAHAHAHA ! se permit-il de rajouter afin que l’on en sache plus sur ses intentions déjà explicites.

Mais le chasseur de primes raciste n’en démordait pas pour autant malgré les menaces de mort du requin. S’il y avait bien une chose que cet imbécile à la tronche d’hippopotame comptait faire payer à Garrett, c’était d’avoir eu l’audace d’être né homme-poiscaille.

Garrett s’élança alors d’un bond pour laver l’affront qu’on lui avait fait. Parce que oui, il ne s’était clairement pas attendu à recevoir un grand coup de pinceau sur le crâne – qui était encore affreusement douloureux – ni à se faire humilier de la sorte à cause d’un dessin sur son bide. Jeté dans les airs à la manière d’un monstre ailé, le sourire plein et le rire constant, il joignit ses poings et retomba sur Alegsis à toute vitesse.

- Punk Smash ! cria-t-il difficilement à cause des rires qui prenaient toute la place dans sa gorge.

À la manière d’un marteau, les poings liés de l’homme-poisson s’écrasèrent en direction du raciste. Mais alors qu’il pensa que sa technique spéciale – dont il était hautement fier – avait atteint sa cible, il constata avec désarroi que le chasseur de primes avait paré l’assaut rageur en tenant fermement son long pinceau. Alegsis était sans doute le plus maladroit intellectuellement parlant, mais il était bien plus dégourdi au combat qu’il n’y paraissait à première vue.

Le benêt repoussa l’homme-poisson à l’aide de son pinceau, mais le hargneux s’agrippa à ce dernier comme si sa vie en dépendait. Ainsi, tournoyant sur lui-même, le pinceau brandi à l’horizontale, Alegsis fit faire à sa victime aux crocs acérés un petit tour de tourniquet. Mais l’homme-poisson était tenace et sacrément lourd, si bien que le chasseur de primes fut emporté par le poids de la bête et le manège dériva jusqu’aux rangs de l’amphithéâtre.

Virevoltant dans les airs comme un aigle – la grâce en moins –, Garrett balaya malencontreusement ses autres camarades de classe, toujours en riant jusqu’à s’en faire exploser les poumons. L’attraction, si tant est qu’on pût la qualifier de la sorte, ne fit qu’envenimer la situation déjà bien catastrophique. Pour se protéger des coups malchanceux du matelot, les rebuts s’équipèrent de boucliers faits de chaises et de tables. Et finalement, après lui aussi avoir attrapé le tournis, Alegsis balança la poiscaille dans un geste ferme, comme si l’on remettait à la mer un poisson pêché pour s’en débarrasser.

Malheureusement, la poisse et les deux parias formaient une osmose à la fois sublime et dangereuse. Ce n’était pas seulement leur manque d’intellect qui jouait en leur défaveur, mais le sort semblait lui aussi s’acharner sur eux, comme si la nature elle-même essayait de se débarrasser de ses engeances ratées en les obligeant à surmonter des situations désastreuses. Mais la malchance et le mauvais sort, Alegsis et Garrett en faisaient des boulettes de papier pour jongler avec.

Ainsi, le matelot de Seconde Classe Garrett s’écrasa tête la première sur le malheureux lieutenant Quint qui était en train d’avaler les marches de l’amphithéâtre les manches retroussées, alors désireux de faire passer un sale quart d’heure aux vauriens qui lui servaient d’élèves.

Le choc fut brutal et résonna comme un gong. Garrett, au sol, se tenait désormais le front où germait une énorme bosse venue s’agrémenter à celle qui avait déjà poussé sur son crâne. Mais son fou rire persistait, de quoi agacer l’officier en proie à des sentiments meurtriers. Il y eut un instant de silence dans l’assemblée où tous retinrent leur souffle. Le lieutenant Quint s’était figé, le nez tuméfié. Son front se resserra et y scintilla plusieurs veines trahissant sa fureur, presque palpable tant elle était grande.

L’officier avait beau avoir passé la majeure partie de sa carrière derrière un bureau, il comptait bien montrer à ces rebuts que pour gravir les échelons jusqu’au grade de Lieutenant, certaines compétences guerrières étaient nécessaires. Il empoigna l’homme-poisson recroquevillé par l’arrière du col et le traîna comme une poubelle trop lourde dans les rangs de l’amphithéâtre. Il le mena ainsi, presque en l’étranglant, jusqu’au chasseur de primes chancelant, dont les pupilles s’enroulaient comme des bonbons à la réglisse.

Quint souleva l’homme-poisson rieur à la manière d’un linge qu’on s’apprêtait à étendre sur un cintre et attrapa de son autre main Alegsis par l’arrière de son crâne rond. Il les jeta l’un sur l’autre et les deux hommes se cognèrent. Dans leur heurt leurs faces disgracieuses s’emboîtèrent violemment, tellement que leurs lèvres s’effleurèrent l’espace d’une seconde. Le choc avait remis les idées d’Alegsis en place, il se roulait désormais au sol en crachant tous ses poumons, écœuré d’avoir malencontreusement embrassé un poisson. Garrett, quant à lui, avait quasiment perdu connaissance et à l’instar d’une étoile de mer, il était étendu de tout son long sur le sol. Si quelques soubresauts persistaient encore, son corps, lui, n’avait plus la force de rire. Le chasseur de primes, plus résistant qu’il n’y paraissait, se remit d’aplomb péniblement après avoir râpé sa langue du bout des doigts pour la nettoyer des impuretés pestilentielles qui s’y étaient accumulées.

- Aaaaah ! C’est dégueula…Bleuargh !

Alegsis avait tenté de faire part de son mécontentement, mais ce fut sans compter sur la mandale dévastatrice du lieutenant qui s’écrasa en plein sur sa tronche mal décorée et qui le fit décoller sur plusieurs rangées. Le chasseur de primes termina piteusement son vol plané en s’écrasant tête la première sur une table. Il traversa littéralement cette dernière et se retrouva à l’envers, planté comme un piquet, bloqué au centre de la table et retenu dans le trou qu’il avait lui-même formé.

Les regards inquiets se tournèrent vers le lieutenant Quint, enragé comme il ne l’avait jamais été. Les bastonnades cessèrent face à l’aura destructrice de l’officier qui n’avait plus rien d’un instructeur, mais qui, dans son allure mortelle, ressemblait plus à un inquisiteur. Un bourreau envoyé depuis les cieux et chargé d’une mission divine : faire taire l’obscurantisme par la force, ou, pour le dire plus simplement, défoncer les débiles qui lui tapaient sur les nerfs à grands coups de poing dans la gueule.

L’officier Quint s’ancra lourdement dans le sol et balança toute sa frustration dans une attaque puissante, mais surtout, excessive au possible.

- Rankyaku !

Il y eut une fraction de seconde d’incompréhension dans l’assistance et une pensée commune et confuse traversa les esprits un instant : « Non…il a pas fait ça quand même ? ».

La lame d’air projetée par l’officier ramena tout le monde à la réalité et les rebuts s’abritèrent in extrémis sous leur table dans un geste apeuré. L’attaque, indéniablement abusive par rapport à la situation, ne fit que souffler un vent de terreur dans l’amphithéâtre et s’écrasa dans le mur à l’entrée.

Le Lieutenant Quint, homme de raison et d’ordre, était brutalement devenu le méchant de l’histoire. Désormais, tout laissait croire que cette dernière ne pouvait que mal se terminer.

Mais, après tout… Comment pouvait-on en vouloir à ce malheureux ? Lui qui avait vu ses principes être réduits à néant par la stupidité effarante de deux énergumènes.
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Une première paupière se souleva, suivie péniblement par une deuxième encore scellée à moitié sur sa rétine. Au lever, quelle que fut l’heure, on trouva habituellement Alegsis pimpant et survolté ; pas cette fois-ci cependant. Qu’il fut si lourdement plâtré en divers endroits, chapeau y compris, constitua une preuve, sinon un faisceau d’indice concluant de l’échec de la session disciplinaire à laquelle il fut convié un fusil dans le dos.
Le lieutenant Quint, à en juger ses œuvres, s’était laissé aller à d’autres élans pédagogiques. Plus virils ceux-ci.

- Monsieur Jubtion. Monsieur Jubtion ?

Il lui trouva une voix bien grave à son infirmière, sans compter ses mains rugueuses dont il effleura l’une des paumes quand celle-ci, de plein fouet, vînt heurter sa joue. Les vertus thérapeutique d’un soufflet le firent ainsi émerger subitement.

- Monsieur Jubtion, je suis le sergent Faure assigné au lieutenant Quint. Est-ce que vous êtes réveillé ?

- Je suis pas réveillé, je suis Alegsis.

La réponse était à la mesure de ce personnage dont on avait fait au sergent un portrait parlait. Pas un qui fut franchement reluisant cependant.

- … Je vais prendre ça pour un « oui ». Monsieur Jubtion, vous souvenez-vous de ce qui vous a conduit à l’hôpital ?

Cela, Alegsis s’en souvenait d’un souvenir grisant. À présent que les idées lui étaient revenues en place, du fait qu’on le gifla si bien à son réveil, le sang lui avait circulé partout dans le ciboulot. De quoi ainsi irriguer une mémoire dont les aléas récents ne lui évoquèrent que de bien malheureux souvenirs. Douloureux de surcroît. Son instructeur, rendu aux abois par leurs débordements à tous, avait en effet manqué de devenir leur bourreau. Le Rokushiki, bien qu’approximatif et rudimentaire du fait que son auteur ne fut que lieutenant, avait cependant amplement suffi à rétamer la plèbe incivique. Une telle démonstration de force justifia que le présent chasseur de primes, bien qu’échaudé aux péripéties martiales, se trouva finalement rivé à un lit d’hôpital.
La petite moue contrariée et vaguement hargneuse qui lui tordit la bouille, alors exprimée si ostensiblement, fut à nouveau interprété par son visiteur comme un « oui » cinglant.

- Il est possible, monsieur Jubtion, le sous-officier marchait alors sur des œufs tandis qu’il renfonça ses lunettes sur son nez, que votre mémoire vous ait possiblement joué des tours. Que ce qui vous apparut comme une évidence tînt en réalité de la plus stricte illusion.

À l’entendre et le voir gesticuler, tout portait à croire que celui-ci était venu laver la réputation de son supérieur. Du bout des lèvres, sans trop se compromettre, il cherchait insidieusement à requalifier des faits pour le moins incriminants.

- Aussi… tenant compte que vous êtes un homme passablement occupé, notamment à recouvrer d’une agression de Marine sur un lit d’hôpital, le bureau administratif a considéré que nous pouvions écrire votre déposition à votre place. La générosité, bien souvent, n’était guère que le cache-sexe de l’intéressement. Il ne vous reste qu’à la signer afin que vous ne soyez pas tenu pour responsable des quelques… imbroglios, il qualifia cela ainsi, sans même rougir, qui se sont occasionnés durant cet exercice disciplinaire de haute volée.

La volée fut en effet portée si haute qu’elle fit même décoller un homme-poisson. À mots couverts, lâchement – administrativement même – le sergent Faure laissa à supposer qu’Alegsis put potentiellement être tenu pour responsable de l’incurie. Perfidie que celle-ci alors que, dans les faits, tout incriminait le chargé d’instruction après que celui-ci perdit patience.

- Je peux pas signer ça.

Surpris et manifestement pris au dépourvu, le sous-officier s’offusqua que l’imbécile ne tomba pas aussitôt dans le panneau. À Alegsis comme aux autres, il lui faudrait lui arracher la signature tant convoitée afin qu’on disculpa un honnête officier de ses menus écarts de conduite. Tous, sinon Alegsis, avaient signé ; le devoir d’un matelot était en effet de souscrire à tout ce qui lui commanda la hiérarchie. Cet olibrius-ci, cependant, ne rendait de compte à quiconque.

- Monsieur Jubtion, chercha à l’intimider le binoclard, n’en faites pas une question de principe, vous auriez bien tort de vous désigner le lieutenant Quint comme un ennemi.

La menace se faisait alors autrement moins allusive, quoi que suffisamment voilée pour ne pas être exactement désignée comme telle. Avec aplomb, vaillant comme à l'accoutumée, Alegsis campa toutefois sur ses positions.

- Comment vous voulez que je signe ? J’ai les bras dans le plâtre.

Son refus tenait d’un ordre matériel et non éthique.

- Ah. Réagit Faure alors qu’il se sentit plus abruti encore que celui qui lui faisait face. Oui. C’est vrai. Tenez.

Ainsi colla-t-il un stylo dans la bouche du blessé sans trop franchement lui demander son avis. Ce dernier, dans une posture rendue fâcheuse du fait qu’aucun de ses membres ne put lui être du moindre secours, présenta alors une tête plus ahurie que nécessaire.

- Che peux pas chigner cha ! Reprit-il à la plus grande consternation du sergent.

- N’allez pas vous raviser monsieur Jubtion, s’impatienta-t-il alors, vous le regretteriez !

- Mais je chais pas écrire. Geigna alors Alegsis tout penaud.

La raison avancée, bien qu’inepte dans ce qu’elle supposait, s’avéra cependant justifiée.

- Ah. Récidiva Faure tandis qu’il le toisa avec un mélange de colère glacée et de mépris souverain. Vous êtes décidément plein de surprises. Pas étonnant que le lieutenant vous ait si généreusement corrigé.

- Il m’a cachtagné alors ?

La boulette fut magistrale alors que l’affidé du lieutenant Quint valida la thèse même qu’il chercha à infirmer.

- Hein ? Ah ! Euh… non. Non enfin ! Bien sûr que non. Vos blessures, comme celles de vos camarades, sont le fruit d’un regrettable accident perpétré de concert. Tenez, reprit-il afin que se solda enfin son supplice, si vous ne savez pas écrire, faites un X à cet endroit.

- Un quoi ? S’interrogea sincèrement Alegs chez qui l’illettrisme avait été érigé au rang d’art majeur.

- Une croix, monsieur Jubtion, cria presque le Marine dans une chambre d’hôpital, dessinez une croix !

Ainsi convié à œuvrer, le chasseur de primes, son stylo entre les dents, tenta malhabilement de souscrire à la requête qu’on lui adressa. Il était en effet malaisé de dessiner quoi que ce fut sans que ses bras ne furent mis à contribution. Quand bien même ne fut-il question que d’une crois.
Quand enfin, au terme de sa rouerie procédurière, le sergent Faure porta à son regard le dernier des rapports qu’on lui commanda de rapporter, il se retrouva subitement en proie à la plus vive pétrification qui fut.

Le rapport signé:

- Est.. est-ce que vous venez de dessiner Marie-Joie avec la bouche ?

Ça, Alegsis l’avait fait. Et accidentellement de surcroît.

- Ouais, bah j’aimerais vous y voir vous, répliqua le principal intéressé comme s’il eut réagi à des reproches, c’est pas évident de dessiner une croix sans les mains.

Encore éberlué un instant, peut-être même deux, le sergent chercha néanmoins à se reprendre suite à cette énième excentricité.

- Peu… peu importe – quoi que c’est tout de même foutrement impressionnant – rendez-moi mon stylo.

La réponse qui lui parvint tînt de l’évidence même pour qui connaissait l’énergumène.

- Je… je l’ai mangé.

-

-

- Moi qui jugeais le lieutenant sévèrement pour ses actes, je me rends compte à présent qu’il avait la patience d’un sage.

Sur cette remarque annoncée d’un ton franchement dépité, bien content de ne pas être coincé plus longtemps en la compagnie d’un tel demeuré, le sous-officier tourna les talons, disposé à faire étalage du résultat triomphal de sa mission. Avec autant de rapports pour le disculper, la carrière du lieutenant Quint demeurerait immaculée.

- Eh attendez. Éructa le grand blessé sur son lit. Elle est devenue quoi la poiscaille qui était avec moi ? Pas que je m’en soucie mais, hein, voilà.

Le binoclard stoppa sa marche sèchement, tournant à peine la tête sur sa droite afin de lui répondre.

- Le poisson n’a jamais existé monsieur Jubtion. Ni cette journée que vous avez vécue ensemble. Alors faites-moi le plaisir de bien vouloir vous la sortir de la mémoire.

Circonspect, soudain rendu incertain du vrai et du faux alors qu’il s’en fallut d’une réplique à peine pour ébranler ses conviction en toute chose, Alegsis hasarda :

- Mais moi..., j’existe ?

Un silence d’abord, un soupir ensuite – celui du sous-off – tout fut ainsi prélude à une réponse mordante.

- J’aimerais vous répondre « non », monsieur Jubtion. Sincèrement... j’aimerais.

Et ce fut sur ces mots que l’avoué du lieutenant Quint prit congé du plus récalcitrant de indisciplinés de la veille. Abandonné à sa chambre, sans même un index à sa disposition pour se gratter les nasaux, Alegsis, sur sa droite, ouït un grognement soufflé laborieusement.

- Elle t’emmerde la poiscaille…

Lorsqu’il tourna la tête – avec bien du mal considérant qu’il eut le cou coincé dans une minerve – Alegsis ne put alors que découvrir qu’on l’avait jeté là, dans la même tanière que son camarade d’inconduite. Ravi en son for intérieur, car l’amitié lui venait rapidement au cœur, le chasseur de primes, pour célébrer les retrouvailles, trouva naturellement une réplique bien à propos afin de marquer l’événement.

- Ah, c’était toi l’odeur ?

La légende prétend que le personnel soignant, bien que réputé débonnaire, fut si considérablement éprouvé par leurs incessantes querelles, que la thèse de l’euthanasie au marteau chemina bon train dans les esprits. Leur calvaire à eux durerait une semaine ; une longue semaine au terme de laquelle on jeta presque les convalescents dehors.[/b]
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  • https://www.onepiece-requiem.net/t25723-alegsis-jubtion