Une brume de larmes et de fatigue voilait les yeux de Kant, tandis qu’il écoutait l’interminable discours du premier lieutenant de la célèbre famille Audifreddi. Ce dernier pérorait à propos du nouvel accord que l’organisation mafieuse venait de conclure avec le commandant de la Marine locale. Pour se fondre dans la masse et coller au troupeau, Kant levait les bras et acclamait bêtement l’orateur maladroit à chaque fin de phrase. Le pauvre était profondément excédé par cette mission d’infiltration, qui durait déjà depuis plus de trois semaines. D’ordinaire, les missions qu’il effectuait s’étendaient sur quelques jours, tout au plus, et n’impliquaient pas de jouer la comédie si longtemps. Or, cette fois, l’objectif qu’il poursuivait nécessitait d’intégrer la famille Audifreddi et de gagner la confiance de l’ensemble des familles mafieuses de Manshon : léchage de bottes, courbettes, services rendus… tout cela commençait à sérieusement l’agacer.
« Le nouveau, tu prends la tête de l’équipe ! » s’écria soudain le lieutenant.
Kant, s’éveillant tout à coup par quelque instinct de vigilance, remarqua que l’on s’adressait à lui. Surpris, il se leva d’une traite et acquiesça respectueusement. Il n’avait rien écouté. Il vit alors deux hommes d’un impressionnant gabarit s’approcher de lui, tandis que la foule commençait à se disperser.
« Ne perdons pas de temps ! s’exclama l’un d’eux, partons chercher ces esclaves ! »
« Ces esclaves ? » répondit Kant, désabusé.
Jusqu’alors, les activités économiques de la famille s’étaient concentrées sur le trafic d’influence, d’armes et de denrées rares. Depuis le début de sa mission, Kant n’avait jamais ouï-dire que la mafia baignait dans l’esclavagisme. Pourtant, c’était bien le cas : au Nid de Vaches, la petite île située à quelques kilomètres de Manshon, six esclaves venaient d’être livrés à la famille Audifreddi. Trois femmes, ainsi que leur enfant. Ces civils, réduits à l’état de marchandises, étaient d’une très grande valeur en raison de leur sexe et de leur âge, mais la famille mafieuse venait de conclure un très bon accord avec les responsables de la Marine locale corrompue. En l’occurrence, ces six individus seraient cédés contre une quinzaine d’hommes, tous hors la loi et détenus au quartier général de Manshon. La mission de Kant, accompagné de ses deux sbires, consistait à se rendre au dit quartier général pour récupérer la marchandise et, dans un second temps, livrer les six esclaves échange.
Les heures passèrent. Depuis leur départ du Nid de Vaches, Kant n’avait pas ouvert la bouche. Un dilemme moral s’en prenait à ses nerfs et l’allure de celui censé être « la tête de l’équipe » était plus que misérable. Maladroit, hésitant et silencieux, le jeune homme peinait à diriger quoi que ce soit, aussi, il laissa à un autre le soin de donner des directives à la mauvaise troupe. S’il n’avait aucun scrupule à voler, à corrompre, à trahir parfois, Kant n’était aucunement un adepte de la violence gratuite, du meurtre ou de l’esclavagisme. Ces trois méfaits siégeaient par-delà sa frontière morale et qu’importe combien ses méninges pouvaient être triturées, il ne pouvait se résoudre à accepter de telles atrocités. Tout le long du trajet en barque jusqu’à Manshon, puis durant la longue marche jusqu’au quartier général de la Marine, Kant ruminait. Au fond de lui, il en était certain : sa mission d’infiltration touchait à sa fin. Puisqu’il ne pouvait se résoudre à commettre de telles infamies, il ne lui restait plus qu’à déserter dès que possible -ce qui, en soit, n’était pas une mince affaire-. Seulement, son petit cœur tendre l’incitant à se soucier d’autrui, il ne pouvait se résoudre à abandonner ces esclaves à leur sort. Aussi réfléchissait-il à un plan pour sauver ces derniers sans risquer bêtement sa vie. Bientôt, les trois hommes atteignirent le quartier général. Ils étaient attendus.
« Vous êtes en avance, messieurs, soupira le commandant. Mais vous n’irez pas plus loin, vous ne devriez pas être vus si près du QG. Rebroussez chemin, patientez à l’orée du bosquet. Votre marchandise vous sera remise comme prévu. »
Sans plus de politesse, la mauvaise troupe repartit sur ses pas. Kant ne voyait que trop clairement combien il serait difficile d’échapper à cette situation tortueuse et de réussir à sauver tout le monde. Luttant contre sa bienveillance, il se résolut alors : il livrerait les hommes au Nid des Vaches et, lors de l’échange retour, il délivrerait les femmes et leur enfant. C’était, au fond, et ce malgré la culpabilité qui l’assaillait, la seule issue envisageable. Soudain, il pensa à son amoureuse Kaétra, quel paysage sa beauté égayait-elle à cet instant ?
« Oh, le nouveau. Oh ! » cria l’un des mafieux, tirant Kant de sa contemplation.
Ses pensées l’avaient tellement éloigné du réel qu’il ne s’était pas aperçu que tout un tas de gens se tenaient devant lui. Une quinzaine d’hommes en chaînes, l’âme vidée de toute substance, fixaient le sol, silencieux. Autour d’eux, pas moins de six soldats chargés de l’escorte se tenaient droit, fusils en main. L’ombre qui pesait sur l’esprit de Kant s’épaissit alors. La présence de l’escorte militaire rongeait son courage à la racine, lui qui n’avait que très peu eut affaire à la Marine sur l’île de Zaun. Tremblant des genoux, il se releva avec peine.
« Eh bien... dit-il hésitant. Partons. »
Le petit groupe s’élança alors vers la plage où tous embarqueraient vers le Nid des Vaches. Kant marchait en tête et, ruminant de plus belle, lançait des œillades furtives par-dessus son épaule. Les deux mafieux le suivaient de près et derrière, avançait, silencieuse et meurtrie, la quinzaine d’esclaves entourée de soldats.
« Le nouveau, tu prends la tête de l’équipe ! » s’écria soudain le lieutenant.
Kant, s’éveillant tout à coup par quelque instinct de vigilance, remarqua que l’on s’adressait à lui. Surpris, il se leva d’une traite et acquiesça respectueusement. Il n’avait rien écouté. Il vit alors deux hommes d’un impressionnant gabarit s’approcher de lui, tandis que la foule commençait à se disperser.
« Ne perdons pas de temps ! s’exclama l’un d’eux, partons chercher ces esclaves ! »
« Ces esclaves ? » répondit Kant, désabusé.
Jusqu’alors, les activités économiques de la famille s’étaient concentrées sur le trafic d’influence, d’armes et de denrées rares. Depuis le début de sa mission, Kant n’avait jamais ouï-dire que la mafia baignait dans l’esclavagisme. Pourtant, c’était bien le cas : au Nid de Vaches, la petite île située à quelques kilomètres de Manshon, six esclaves venaient d’être livrés à la famille Audifreddi. Trois femmes, ainsi que leur enfant. Ces civils, réduits à l’état de marchandises, étaient d’une très grande valeur en raison de leur sexe et de leur âge, mais la famille mafieuse venait de conclure un très bon accord avec les responsables de la Marine locale corrompue. En l’occurrence, ces six individus seraient cédés contre une quinzaine d’hommes, tous hors la loi et détenus au quartier général de Manshon. La mission de Kant, accompagné de ses deux sbires, consistait à se rendre au dit quartier général pour récupérer la marchandise et, dans un second temps, livrer les six esclaves échange.
Les heures passèrent. Depuis leur départ du Nid de Vaches, Kant n’avait pas ouvert la bouche. Un dilemme moral s’en prenait à ses nerfs et l’allure de celui censé être « la tête de l’équipe » était plus que misérable. Maladroit, hésitant et silencieux, le jeune homme peinait à diriger quoi que ce soit, aussi, il laissa à un autre le soin de donner des directives à la mauvaise troupe. S’il n’avait aucun scrupule à voler, à corrompre, à trahir parfois, Kant n’était aucunement un adepte de la violence gratuite, du meurtre ou de l’esclavagisme. Ces trois méfaits siégeaient par-delà sa frontière morale et qu’importe combien ses méninges pouvaient être triturées, il ne pouvait se résoudre à accepter de telles atrocités. Tout le long du trajet en barque jusqu’à Manshon, puis durant la longue marche jusqu’au quartier général de la Marine, Kant ruminait. Au fond de lui, il en était certain : sa mission d’infiltration touchait à sa fin. Puisqu’il ne pouvait se résoudre à commettre de telles infamies, il ne lui restait plus qu’à déserter dès que possible -ce qui, en soit, n’était pas une mince affaire-. Seulement, son petit cœur tendre l’incitant à se soucier d’autrui, il ne pouvait se résoudre à abandonner ces esclaves à leur sort. Aussi réfléchissait-il à un plan pour sauver ces derniers sans risquer bêtement sa vie. Bientôt, les trois hommes atteignirent le quartier général. Ils étaient attendus.
« Vous êtes en avance, messieurs, soupira le commandant. Mais vous n’irez pas plus loin, vous ne devriez pas être vus si près du QG. Rebroussez chemin, patientez à l’orée du bosquet. Votre marchandise vous sera remise comme prévu. »
Sans plus de politesse, la mauvaise troupe repartit sur ses pas. Kant ne voyait que trop clairement combien il serait difficile d’échapper à cette situation tortueuse et de réussir à sauver tout le monde. Luttant contre sa bienveillance, il se résolut alors : il livrerait les hommes au Nid des Vaches et, lors de l’échange retour, il délivrerait les femmes et leur enfant. C’était, au fond, et ce malgré la culpabilité qui l’assaillait, la seule issue envisageable. Soudain, il pensa à son amoureuse Kaétra, quel paysage sa beauté égayait-elle à cet instant ?
« Oh, le nouveau. Oh ! » cria l’un des mafieux, tirant Kant de sa contemplation.
Ses pensées l’avaient tellement éloigné du réel qu’il ne s’était pas aperçu que tout un tas de gens se tenaient devant lui. Une quinzaine d’hommes en chaînes, l’âme vidée de toute substance, fixaient le sol, silencieux. Autour d’eux, pas moins de six soldats chargés de l’escorte se tenaient droit, fusils en main. L’ombre qui pesait sur l’esprit de Kant s’épaissit alors. La présence de l’escorte militaire rongeait son courage à la racine, lui qui n’avait que très peu eut affaire à la Marine sur l’île de Zaun. Tremblant des genoux, il se releva avec peine.
« Eh bien... dit-il hésitant. Partons. »
Le petit groupe s’élança alors vers la plage où tous embarqueraient vers le Nid des Vaches. Kant marchait en tête et, ruminant de plus belle, lançait des œillades furtives par-dessus son épaule. Les deux mafieux le suivaient de près et derrière, avançait, silencieuse et meurtrie, la quinzaine d’esclaves entourée de soldats.