Alors qu'il se prélassait dans son salon, Kant observait avec émerveillement la bibliothèque de son enfance. De nombreuses étagères, ornées de reliures usées par les années, s'étendaient le long des murs. C'était grâce à ces innombrables pages, qui trônaient dans ce vénérable meuble rongé par le temps, qu'il avait jadis nourri son esprit et découvert les vastes horizons du monde auquel il appartenait. Plus qu’un refuge, cette bibliothèque fut pour lui un portail vers d’autres temps, d’autres réalités, au sein desquelles son esprit fit ses premiers voyages. Dans cette contemplation, Kant fut saisi par un sentiment de reconnaissance. Il ressentait une sorte de gratitude sincère à l’égard de ces ouvrages qui, l’un après l’autre, constituèrent les premières marches de l’escalier vers l’érudition.
« Dis m’man, lança-t-il sans quitter les reliures du regard. Il manque beaucoup de livres, tu m’as dit les avoirs donnés ; mais à qui, au juste ? »
Pan, qui s’affairait dans la pièce voisine, sortit la tête par l’entrebâillure de la porte pour répondre.
« Eh bien, à d’autres gosses ! dit-elle. T’imagines pas le nombre d’enfants qui passent l’essentiel de leurs journées à contempler les moutons… Comme tu n’étais plus là, je me suis dit que tous ces bouquins pourraient peut-être les aider à devenir des p’tits malins, comme toi ! »
Kant sourit.
« Figures toi qu’il y avait deux ou trois bouquins d’une grande valeur… renchérit Pan. Ceux-là, je les ai vendus ! »
« Vendus ?! répondit Kant, surpris. Mais à qui ? »
« À ton avis ? répondit Pan. Qui est-ce qui a assez de pognon à allonger pour des vieux livres poussiéreux ? Althias, le nobliau ! »
Kant grimaça. Ses souvenirs d’Althias de Mistoltin, le petit seigneur local, n’étaient pas des meilleurs. Quelques années séparaient les deux jeunes hommes et lorsqu’il était enfant, Kant était la cible des railleries incessantes d’Althias, qui prenait un malin plaisir à tourner ses dires en ridicule.
« Il n'a jamais quitté l'île, celui-là ? dit Kant sur un ton hautain. Il doit être encore plus naze qu’avant ! »
Pan ne répondit rien, mais elle lança à son fils le regard réprobateur d’une mère qui ne souhaite pas entendre de grossièretés dans la bouche de son enfant.
Le lendemain matin, après un déjeuner tardif, Kant emprunta les chemins le menant au port pour saluer les jeunes gens qui s’attelaient à la construction de l’ébénisterie. Les travaux progressaient rapidement, car chaque brique posée ravivait l'enthousiasme des artisans impatients d'inaugurer la boutique où ils exerceraient leur métier. Puis, sans attendre, Kant remonta le cours de la rivière Jouenne et prit de nombreux sentiers jusqu’à l’imposante demeure d’Athlias. Le vent frais qui s'engouffrait entre les arbres brassait les feuilles et les pensées tourmentées de Kant. Son cœur était empli d’une certaine appréhension à l’idée de revoir Athlias et il se demandait comment ce dernier le recevrait. Daignerait-il seulement le recevoir … ?
Tandis qu'il ruminait debout derrière la haie qui entourait la demeure, Kant entendit le bruit grinçant d'une charnière. Quelqu'un sortait de la maison. Se glissant furtivement comme une ombre dans la nuit, une élégante jeune femme au style vestimentaire singulier traversa la cour et franchit le portail. Un coup d'œil rapide lui permit d'apercevoir Kant, qui resta muet, pris de court. Elle le toisa d'un air effronté et s’en alla, s’évanouissant si rapidement derrière les arbres que le jeune homme crut pendant un instant l’avoir rêvée.
« Eh bien, ne serait-ce pas le fauteur de troubles ? Que viens-tu faire ici, Tanuki ? »
Ces mots surprirent Kant, qui n’avait ni vu ni entendu Athlias s’approcher. Il était vêtu d’un ensemble riche et élégant, paré de gants de cuir et ses cheveux soigneusement peignés reflétaient la lumière du soleil, l’élevant au pinacle de l’esthétisme. À côté, Kant ressemblait à un vulgaire vagabond. En d’autres circonstances, il n’aurait pas été impressionné par cet accoutrement seigneurial, mais la relation entre les deux hommes était telle que Kant ne pouvait cacher son émerveillement. Ni sa jalousie, d’ailleurs.
« Je… balbutia-t-il. Je viens chercher les livres de ma mère. »
« Dis m’man, lança-t-il sans quitter les reliures du regard. Il manque beaucoup de livres, tu m’as dit les avoirs donnés ; mais à qui, au juste ? »
Pan, qui s’affairait dans la pièce voisine, sortit la tête par l’entrebâillure de la porte pour répondre.
« Eh bien, à d’autres gosses ! dit-elle. T’imagines pas le nombre d’enfants qui passent l’essentiel de leurs journées à contempler les moutons… Comme tu n’étais plus là, je me suis dit que tous ces bouquins pourraient peut-être les aider à devenir des p’tits malins, comme toi ! »
Kant sourit.
« Figures toi qu’il y avait deux ou trois bouquins d’une grande valeur… renchérit Pan. Ceux-là, je les ai vendus ! »
« Vendus ?! répondit Kant, surpris. Mais à qui ? »
« À ton avis ? répondit Pan. Qui est-ce qui a assez de pognon à allonger pour des vieux livres poussiéreux ? Althias, le nobliau ! »
Kant grimaça. Ses souvenirs d’Althias de Mistoltin, le petit seigneur local, n’étaient pas des meilleurs. Quelques années séparaient les deux jeunes hommes et lorsqu’il était enfant, Kant était la cible des railleries incessantes d’Althias, qui prenait un malin plaisir à tourner ses dires en ridicule.
« Il n'a jamais quitté l'île, celui-là ? dit Kant sur un ton hautain. Il doit être encore plus naze qu’avant ! »
Pan ne répondit rien, mais elle lança à son fils le regard réprobateur d’une mère qui ne souhaite pas entendre de grossièretés dans la bouche de son enfant.
Le lendemain matin, après un déjeuner tardif, Kant emprunta les chemins le menant au port pour saluer les jeunes gens qui s’attelaient à la construction de l’ébénisterie. Les travaux progressaient rapidement, car chaque brique posée ravivait l'enthousiasme des artisans impatients d'inaugurer la boutique où ils exerceraient leur métier. Puis, sans attendre, Kant remonta le cours de la rivière Jouenne et prit de nombreux sentiers jusqu’à l’imposante demeure d’Athlias. Le vent frais qui s'engouffrait entre les arbres brassait les feuilles et les pensées tourmentées de Kant. Son cœur était empli d’une certaine appréhension à l’idée de revoir Athlias et il se demandait comment ce dernier le recevrait. Daignerait-il seulement le recevoir … ?
Tandis qu'il ruminait debout derrière la haie qui entourait la demeure, Kant entendit le bruit grinçant d'une charnière. Quelqu'un sortait de la maison. Se glissant furtivement comme une ombre dans la nuit, une élégante jeune femme au style vestimentaire singulier traversa la cour et franchit le portail. Un coup d'œil rapide lui permit d'apercevoir Kant, qui resta muet, pris de court. Elle le toisa d'un air effronté et s’en alla, s’évanouissant si rapidement derrière les arbres que le jeune homme crut pendant un instant l’avoir rêvée.
« Eh bien, ne serait-ce pas le fauteur de troubles ? Que viens-tu faire ici, Tanuki ? »
Ces mots surprirent Kant, qui n’avait ni vu ni entendu Athlias s’approcher. Il était vêtu d’un ensemble riche et élégant, paré de gants de cuir et ses cheveux soigneusement peignés reflétaient la lumière du soleil, l’élevant au pinacle de l’esthétisme. À côté, Kant ressemblait à un vulgaire vagabond. En d’autres circonstances, il n’aurait pas été impressionné par cet accoutrement seigneurial, mais la relation entre les deux hommes était telle que Kant ne pouvait cacher son émerveillement. Ni sa jalousie, d’ailleurs.
« Je… balbutia-t-il. Je viens chercher les livres de ma mère. »