La loi. Chacun se persuadait qu’elle était d’airain du fait que les autorités – qu’elles furent légitimes ou non – lui accordaient une valeur impérative indexée sur le calibre du fusil. Aussi la respectait-on ; par trouille d'abord, par confort ensuite, tout en se persuadant qu’il en allait de l’ordre social. Les braves gens, dociles tels qu’ils l’étaient – ce qui leur valait d’être bien « braves » au regard des dominants – s’étaient même pris d’affection pour la farce légale. Ils louaient ainsi comme une protection certaine ce qui les oppressait. Cela, jusqu’à ce que l’arbitraire du pouvoir exécutif, celui-ci feignant de partager sa force avec une Justice à sa botte, n’attrapa ses ouailles par le col afin de les jeter dans une geôle pour qu’elles y croupissent.
Il n’y avait eu ni loi ni coutume pour justifier qu’on maintînt ces deux chasseurs de primes derrière les barreaux ; il n’y avait eu rien d’autre que ce fusil sur lequel on y avait gravé, par plaisanterie peut-être, quelques principes de droit. Qu’ils se soient avoinés au beau milieu d’un Quartier Général de la Marine, dans les faits, pouvait effectivement justifier qu’on leur passa les menottes. Qu’ils furent cependant maintenus captifs sans qu’on ne leur accorda une audience quelconque ressemblait cependant à une vengeance. Une qui s’orchestra après qu’ils eurent délestés le Gouvernement Mondial d’une centaine de millions de berries. Légalement de surcroît.
- Oooooooonze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingts-treize ♪ berries sur trogne du forbaaaaaan, onze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingt-treiiiiiiiize ♪, s’il se mooooontre, encore plus méchant ♫, ça fera onze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingt-quatorze ♪ berries sur la trogne du forban.
Oooooooonze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingts-quatorze ♪ berries sur trogne du forbaaaaaan, onze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingts-quatooooorze ♪, s’il se mooooontre, encore plus méchant ♫, ça fera onze-millions-sept-cent-vingt-deux-mille-huit-cents-quatre-vingts-quinze ♪ berries sur la trogne du forban.
Oooooooonze…. ♫
Peut-être, après deux semaines à se régaler d’une si délicieuse compagnie que celle de son associé dans un espace duquel il ne pouvait se soustraire, Grimmjack avait cessé de penser. S’astreindre à un état de mort végétative comme mécanisme de survie avait, pour lui, été la seule manière de survivre à l’abrutissement ambiant auquel il fut soumis. Faute de subsistance, déshydraté et affamé, les forces lui avaient manqué pour occire son partenaire. Cette tâche, il s’en serait sans doute acquitté avec plaisir, quitte à devoir signer les aveux de sa culpabilité en lettre d’or. Mais qui, en ce bas monde, aurait pu lui reprocher d’avoir cédé au massacre s’il en avait trouvé la force ?
Il sembla cependant qu’Alegsis ne faiblissait pas et ce, bien que près de deux semaines s’étaient écoulées. C’était à croire qu’il trouvait de quoi se régénérer dans l’expression outrecuidante de ses propres inepties ; il était une machine à mouvement perpétuel dont le seul carburant était fait de connerie à l’état pur. Connerie dont Grimmjack suffoqua des évocations bruyantes et enjouées. Du moins, jusqu’à ce que les échos de bruits de pas l’arrachèrent de son état catatonique.
Jusqu’à leur cage, deux spécimens humains qui eux, ne chantaient pas, s’arrêtèrent pour les contempler à travers les barreaux. Furent-ils ses libérateurs ou ses bourreaux que Grimmjack les aurait accueillis avec le même entrain, cherchant une issue à son calvaire. Deux semaines à subir la compagnie d’Alegsis Jubtion, sans pouvoir lui échapper ou l’assommer, équivalait à sept siècles de détention en Enfer.
- Regarde ça, Grimmjack ! S’enthousiasmait Alegsis que rien ne semblait atteindre, à commencer par la raison. Les deux gugusses ils ont l'air malin derrière les barreaux.
- Euh… hésita l’interlocuteur, un blondinet à gueule d’ange qui, d’un air gêné, se tourna vers le matelot qui l’avait escorté jusqu’ici, c’est vous qui êtes derrière les barreaux.
Les bras croisés, sa tête légèrement penchée en avant comme pour dissimuler un rire hautain sous le rebord de son chapeau, l’illustre imbécile que constitua Alegs, se fourvoya dans l’erreur avec une confiance si crasse qu'on se serait sali à la toucher..
- Qu’il est bête. Moi je suis en face des barreaux et vous, vous êtes derrière. Doooooooonc, le pédantisme chez les idiots confinait au spectacle burlesque, c’est vous qui êtes derrière les barreaux. Hein que j’ai raison Grimmjack ?
Alegsis aimait à recueillir les conseils de son binôme, mais à condition seulement que ceux-ci abondèrent dans son sens.
- Sauvez-moi… j’en peux plus Gémissait au sol la momie tandis qu’elle s’accrocha fébrilement aux barreaux.
Le blondinet, observant l’envers des barreaux et les drôles de bêtes qu’on y entreposa, se tourna à nouveau vers son accompagnant. Sans prêter davantage d’attention aux deux zigotos, il déclara, presque désinvolte.
- Vous direz à votre supérieur que les deux là ne sont pas de Baroque Works. Vous pouvez en faire ce que vous voulez, ça nous regarde pas.
On l’appelait Tagaki Suzukawa, ce petit bonhomme. Du moins lorsqu’il prenait au moins la peine de se présenter. Recruteur de Baroque Works, on l’avait mandaté afin de déterminer si oui ou non, les deux chasseurs de primes hutins avaient appartenu à sa crémerie. Dès lors qu’il n’en fut rien, celui-ci tourna les talons aussitôt son rapport effectué.
- On peut en être ! Jura désespérément Grimmjack, ses poings crispés autour des barreaux jusqu’à ce que le sang lui dégoulina des paumes.
Dans ses élans acharnés, il avait, inconsciemment, fait jaillir une bandelette qui s’en était allée se nouer autour de la cheville du jeune recruteur. Prouesse s’il en était qui, de ce fait, ne manqua pas d’attirer l’attention de qui en fit les frais. Ainsi agrippé, celui qu’on surnommait « Le chevalier blanc » - titre pompeux s’il en était – daigna accorder un semblant d’importance à ce duo de pisseux embastillés.
- Vous le pourriez si je vous y autorisais. Il les tenait alors au creux de sa main et, sans l’ombre d’une hésitation, tira profit de la situation.
Peut-être avait-il sous la main de quoi expédier ses affaires courantes ; quelques coprophages inespérés bons àécumer le tas de merde que sa hiérarchie lui avait jeté sur ses pieds.
Il se trouvait en effet à Logue Town quelques poches de criminalité persistantes ; celles-ci aussi épaisses que purulentes. La Marine, affairée sur les mers telle qu’elle l’était dans ces contrées, ne pouvait en venir à bout tant elle dispersait ses efforts, notamment aux alentours de Reverse Mountain. Le crime organisé, lorsqu’il se trouvait aussi insidieux que pugnace, s’acceptait comme une tâche de merde redoutable à essuyer. Baroque Works, sollicité à cor et à cri par notables et commerçant, avait certes sa notoriété pour elle, mais pas les effectifs pour surseoir à la requête.
Les mieux en vue de l’organisation avaient en effet déserté les mers bleues pour Grand Line, là où le filon se faisait plus prolifique. Restaient, dans ce vivier de chasseur de primes, les « Bronze » qui, tout au bas de la chaîne alimentaire de Baroque Works, n’avaient pas les crocs suffisamment tranchants pour faire un repas de ce qu’East Blue comptait de plus garni en terme de crime. Tagaki, du mieux qu’il put, mais les mains attachées dans le dos, n’avait trop su résoudre ce qu’on qualifiait pudiquement des « événements de Logue Town ». Aussi se saisissait-il à pleines poignes de toutes les occasions bonnes à dégraisser le cancer d'East Blue.
- Logue Town, ça vous parle ?
À défaut de Mouettes, on recrutait des canards boiteux. Trop de Bronzes avaient péri là-bas en ayant les yeux plus gros que le ventre, deux pions qui se proposaient au sacrifice était toujours bons à prendre.