Quand Kant – « French » de son prénom – soutînt initialement au bar dans quel bourbier il s'était enlisé, c’est évidemment avec la plus franche désinvolture que son plus fidèle ami lui porta secours.
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Mais t’inquiètes pas, va, Alegsis, spontané et jovial, était en effet toujours de bon conseil dans les périodes de crises. Car quelle que catastrophe dont on l’entretenait, il en avait au moins commis une plus déplorable dans le passé,
fais comme moi. Si t’as un problème, tu laisses Haya… Yayase, il s’était alors ressaisi après avoir presque omis de biscorner son nom, preuve s’il en fallait qu’il le faisait exprès,
tu la laisses se débrouiller avec ton problème, et tout se résout toujours par magie. Après elle crie toujours un peu, mais suffit juste de regarder devant soi en attendant qu’il n’y ait plus de bruit. Sur cet aveu lâché fraîchement dans l’outrecuidance la plus involontaire, il interpella le barman qui les toisa d’un regard hostile.
Pour moi, ce sera un rhum blanc s’il vous pla…On s’était alors soudain saisi de lui à la gorge, joignant ainsi les deux mains à l’ouvrage. À en juger par la taille des petits doigts qui lui écrasaient la trachée et la douceur des paumes venues lui serrer le cou, Alegs, perspicace, devina qu’Hayase avait comme des remontrances à lui adresser.
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JE LE SAVAIS QUE TU FAISAIS EXPRÈS DE ME METTRE DANS LA PANADE ! JE LE SAVAIS !Au strangulé, on lui servit son verre sans trop y regarder à deux fois quant à l’effusion affective venue l’empêcher de respirer. Nonchalant bien qu’à l’article de la mort, rendu rouge par la pression nouée autour de son cou, le chasseur de primes s’était emparé de son godet, l’avait levé et, de cette même main avec laquelle il tenait son pinceau de combat, pointa sa voisine du pouce.
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KkKKkKrRR..Cc’est Elle.. GgNnNnnR… YayaseeEEeeEh…KRrrRIl décédait ainsi avec grâce, poussant en plus le vice jusqu’à essayer de se rincer le gosier tandis qu’on lui serra si fort le cou.
Après que Grimmjack, s’étant alors imposé comme le chef d’expédition ainsi que la tête pensante de ce corps malade aux quatre membres tordus, lui sauva la vie et exposa son plan, chacun accepta les ordres sans coup férir. Kant avait été subjugué par le charme de la Galopine, Alegsis n’avait naturellement rien écouté à filouter avec son meilleur ami et Hayase, quant à elle, eut la naïveté de croire travailler avec un professionnel. Un professionnel qui, bien qu’engagé dans une carrière de chasseur de primes, n’avait alors jamais seulement reniflé l’ombre d’un berry au terme d’une seule de ses péripéties. C’était donc cette fine équipe qui, le dernier verre de Kant à peine écumé, quitta le rade pour s’en aller éponger Logue Town de ses purulences criminogènes.
Trouvé là en queue de peloton, resté en retrait le temps de refaire ses lacets d’abord puis, de remarquer que ses chaussures n’avaient finalement pas de lacets, Alegsis se redressa, disposé à compléter le quartet qu'il avait abandonné si bêtement. Toutefois, stoppé net dans son élan, on l’apostropha de par derrière.
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Dites donc. Vous faites un bien drôle d’oiseau, vous.Il y avait toujours de ces vieux, à la ville, pour flemmarder sur un banc, cherchant parfois à attirer l’attention par tout moyen afin qu’on leur adressa la parole. Celui-ci, le crâne enfilé sous un bob venu lui faire ombrage sur toute la partie supérieure du visage, avait appréhendé l’imbécile par une mise en bouche un tantinet familière.
Alegsis s’était alors arrêté afin de se tourner vers lui et lui adresser un regard perdu, quelque part partagé entre l’hébétude et la circonspection manifeste.
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Je parlais des oiseaux que vous avez sur la tête.D’un piaf venu postérieurement lui chiper ses chips, il s’était depuis trouvé trois autres moineaux sur le bord du chapeau d’Alegsis pour en faire un perchoir de fortune. Bien que le phénomène était incongru – en tout cas inhabituel – il sembla que l’Épavien ne trouva pas prétexte à s’en formaliser, celui-ci se complaisant ainsi dans une indolence qui lui était propre.
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Oh. Ça. Ouais. Quand j’étais petit, on disait souvent que j’avais un cervelle de moineau. Ça devait sûrement vouloir dire que j'étais doué pour m’entendre avec les oiseaux. Pensa-t-il ainsi justifier rationnellement qu’il était devenu pour l’heure un homme-volière
Resté plus interdit en ce qui le concerne, avec une goutte de sueur qui sembla même lui couler le long de son couvre-chef, le barbon, sur son banc, hasarda une réponse.
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…. Sûr… sûrement, oui. Puis, comme si l’évocation des piafs n’avait finalement été qu’un prétexte à entamer une conversation autrement moins impersonnelle qu’il y paraissait, son instigateur reprit le crachoir, soudain rendu plus intrusif.
Je me suis laissé dire que votre meilleur copain s’était entiché de votre bonne amie.Bien que le banc sur lequel il fut affalé se trouva à bien deux-cents mètres de l’établissement que les quatre loustics avaient quittés, ce bonhomme-ci sembla bien au courant de ce qui avait pu s'y dire.
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Mais comment vous sav…-
Disons qu’un petit oiseau me l’a dit, cuhi-cuhi-cuhi.La tête toujours légèrement penchée en avant, ses bras étalés le long du dossier de ce banc dont il était le maître incontesté, ce petit vieux, d’un début de soixantaine à peine, avait alors exposé un rire bien singulier. Cela, en plus d’une propension à écouter les conversations qui ne le regardaient pas.
De sous la visière de son bob, il avait discrètement analysé le spécimen d’abruti qu’il avait sous les yeux. Sa gestuelle, sa tenue, ce pinceau géant qu’il avait dans la main et surtout, ce regard vide logé sur une tête aussi niaiseuse, lui apportèrent alors quelques faisceaux d’indices concluants pour déterminer ce qu’était foncièrement son interlocuteur.
Il ne fallait cependant pas être grand clerc ou analyste émérite pour, en un coup d’œil seulement, remarquer qu’Alegsis était parfaitement abruti.
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Vous savez… je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, le petit vieux jura cela bien qu’il sembla pourtant s’adonner à cet exercice sans vergogne aucune,
mais il y a une réelle connexion entre cette jeune fille et vous.-
Je veux, ouais ! Répliqua jobard un chasseur de primes qui, décidément, ne doutait de rien.
C’est quasiment ma femme. Ajouta-t-il le plus sérieusement du monde en le clamant bien haut.
De cette réplique qui lui parvint, son aîné en fut décontenancé ; presque terrassé. À l’entendre assurer pareille ineptie alors qu’Hayase l’avait martyrisé par trois fois depuis qu’ils s’étaient retrouvés, le grison s’en voulut d’avoir si mal jaugé la crétinerie pure dont il se faisait le présent interlocuteur.
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Je… justement, jeune béjaune. se rattrapa-t-il alors, à la fois gêné et rendu nerveux d’avoir été si facilement dérouté. Cela, tout en brandissant un index encore tremblant tant il se contenait pour ne pas baffer Alegs d’être aussi coquard.
Il semblerait que ce « meilleur ami », il avait alors soigné son articulation afin de mieux souligner à quel point il fut dubitatif quant à leur amitié,
ait des vues sur elle et… qu’elle n’y soit pas insensible.Cet innocent petit vieux semblait bien au courant des choses du monde ; du leur en tout cas, pour ne les avoir entendu que par inadvertance. Alegsis n’eut cependant d’oreille que pour ce que sous-entendait l’énergumène.
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Mais enfin… ils me feraient jamais ça. Cherchait-il à se rassurer sans parvenir à se convaincre de ses propres dires.
L’homme du banc retînt un sourire, mais bien mal.
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Vous l’avez entendue comme moi, il ne précisa cependant pas comment il avait pu avoir vent de leur conversation d’aussi loin,
elle aime les hommes courageux et ce brave Kant semble avoir trouvé grâce à ses yeux.Il connaissait jusqu’au nom dudit meilleur ami et ce, bien que chacun s’était pourtant obstiné à l’appeler « Tank » depuis qu’ils s’étaient trouvés à Logue Town.
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Je pense… et cet avis n’engage que moi, assurait-il tandis qu’il cherchait clairement à imposer ses vues,
que si vous ne voulez pas être le dindon de la farce, il va vous falloir faire preuve de courage.Les moineaux, résolument immobiles sur le rebord du chapeau du chasseur de primes, étaient restés bien sage le temps que la discussion s’orchestra. Alegsis, sous les volatiles, la bouche entrouverte alors qu’il commençait à peine à lire entre les lignes, restait pendu aux lèvres de ce mystérieux bonhomme à présent affairé jeter du pain aux oiseaux.
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C… comment que je peux faire, ô vieillard qui sait les choses ?Pour le moins influençable, sans qu’il ne fut besoin d’être un mentaliste de génie pour trouver ses accès dans sa cervelle moite et amorphe, Alegs, de peur qu’il ne perdit en ce jour un amour et un ami, tomba ainsi sous l’emprise du premier vieux venu. À la mode de Wano, il s’était, à même la rue pavée de cette chaussée qu’ils arpentaient, installé à genoux les fesses contre les talons, le dos droit et ses mains posées sur ses cuisses, son pinceau étalé devant lui. Il avait trouvé son maître et il fallait croire que le premier pue-la-pisse venu faisait amplement l’affaire.
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La meilleure manière de faire une démonstration de courage, jeune béjaune, c’est de se battre. Les enjeux de la discussion, de là, gagnèrent subitement quelques strates en terme d'incidence.
Il faudra vaincre cet ami en combat singulier. Et je suis pas un vieillard espèce de petit con.Les yeux rendus écarquillés, sa bouche plus grande ouverte encore, Alegsis fut présenté à un argument qui, s’il ne fut pas en mesure de contredire, l’indisposait pour le moins. C’était de Kant dont on l'entretenait après tout. À ses yeux, il n’était pas un ami, il était l’ami ; le seul et véritable.
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Enfin maître, il était vraiment très influençable,
je peux pas… c’est… c’est de Tank dont on parle… c’est mon ami de toujours, de tout le temps. On s’entend sur tout, c’est le beurre de mes tartines, la toile de ma gouache, le...-
Hayase vous récompensera de son corps.On put alors jurer que la masse musculaire d’Alegsis, subitement, doubla de volume musculaire et que ses pupilles diminuèrent pour ne plus laisser dans leur giron que deux petits points cruels dans le blanc de ses yeux. Le chasseur d'hommes fit ainsi craquer ses phalanges et s’exclama calmement, bien que d’une voix qui parut appartenir à un autre :
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L’amitié ? C’est pour les faibles.Les moineaux, sur son chapeau, s’agitèrent après avoir été comme chatouillés par la soudaine aura meurtrière qui émana de l’artiste-pitre. Il y tenait à son copain, Alegsis… mais la chair, quand on savait la solliciter judicieusement, savait prendre le pas sur l’esprit. D’autant que d’esprit, ce benêt n’en avait pas des masses dans la caboche.
Fermement décidé à clôturer violemment une amitié qu’on aurait cru pourtant à l’épreuve d’un Buster Call, Alegsis se redressa lentement, rendu auguste et menaçant par une résolution dont on pouvait dire qu’elle était romantique afin de ne pas soutenir qu’elle était libidineuse.
Sentant que sa créature lui échappait, l’innocent vieillard, bégayant alors qu’il sous-estima à quel point son emprise était totale sur cet esprit faible, tenta une fois de plus de rattraper le coup.
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A...attendez. Vous ne pouvez pas l’attaquer comme ça.C’était pourtant ce qu’Alegsis s’apprêtait à faire après s’être emparé de son pinceau de combat, les manches déjà retroussées. Alors, avec un petit air ingénu, presque mignon s’il n’avait pas eu une bouille aussi grotesque, le naïf tourna la tête derrière lui, très franchement nigaud.
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Ah non ?-
Non, surtout pas. Insista l’homme au bob en agitant les mains devant lui pour appuyer la négation.
Sinon, ce sera perçu comme une agression gratuite et elle pourrait vous en vouloir. Elle lui en voulait de tout de toute manière.
Le mieux, c’est d’attendre une occasion. Imaginez par exemple… son index sur le menton, le barbon fit ainsi semblant de réfléchir une seconde,
disons… que par le plus grand des hasards, votre ami ait appartenu à une organisation criminelle, mais l’ait trahie pour vous rejoindre. À tout hasard, hein ! C’était une sacrée hypothèse que la sienne.
Disons que vous vous retrouvez aux prises avec les membres de cette même organisation. Vous pourrez par exemple vous en prendre à Kant à ce moment précis en disant qu’il allait vous trahir ; ce qui ferait de vous un sauveur et un héros.Il avait mis dans le mille cet homme-là, mais il ne l’avait certainement pas fait par chance. Alegs acquiesça, remercia le vieillard et, une main au sommet de ce chapeau où quatre moineaux persistaient à s’y loger, son pinceau de combat dans l'autre pogne, détala pour retrouver ses alliés.
Resté quant à lui sur son banc, ce sage des temps modernes cessa de nourrir les oiseaux pour extraire un escargophone de sa veste. Sa voix, alors, apparut plus calme ; plus pernicieuse aussi.
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Balkani ? C’est moi. Il poursuivit alors sans même attendre de son interlocuteur qu’il lui répondit.
Je confirme, le petit groupe qui a accosté récemment en a après nous. Sûrement encore des chiures de Baroque Works, ils n’apprendront décidément jamais. Ils viennent pour te voler dans les plumes de ce que m’ont dit mes moineaux. Sois prêt à les recevoir et à t’amuser ; j’ai réussi à semer la zizanie dans leur camp cuhi-cuhi-cuhi-cuhi-cuhi !Du combiné, avant que l’appel trouva son conclusion, il n'en émana qu’une réplique.
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Reçu, tonton ! On va encore bien se marrer Ha-hé-hi-ho-hu-hu-hu-hu ! *gacha*Son escargophone à nouveau rangé de là où il l'avait sorti, le jeune vieillard leva la tête de sous son bob afin que son visage retrouva les reflets du soleil, ceux-ci venus faire rayonner les carreaux de ses lunettes. Un sourire en coin, il sembla lui aussi jubiler par avance avance du piège réservé à leurs poursuivants.
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Ces idiots mettent décidément beaucoup de bonne volonté à venir se faire pigeonner.Don Régio
Parrain de la famille Columbia
Lorsqu’Alegsis retrouva ses compagnons – ceux-ci n’ayant alors pas été foncièrement mécontents de le laisser sur le carreau durant cinq et reposantes minutes – il découvrit qu’il n’avait manqué à personne. Pas à Grimmjack déjà, mais Grimmjack était un « naze », aussi la chose n'eut rien détonnant. Kant en revanche, le temps que son ami s’était absenté, avait employé chaque seconde à vouloir se faire remarquer d’Hayase, multipliant les gaucheries diverses de sorte à ce qu’elle n’eut d’yeux que pour lui.
Afin d’affirmer et surtout, de confirmer l’amour – pourtant inexistant – qu’il pensa que l’agente gouvernementale lui vouait, Alegsis chercha à lui tenir la main. Entreprise fort hasardeuse qui se conclût logiquement par une généreuse baffe dans la trogne.
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Arrête tes âneries, Alegs, t’es pénible !Tandis qu’il se frotta la joue sous les discrets quolibets de son associé à bandelettes, le chasseur de primes, un visage à la fois peiné et outré, se monta soudain le bourrichon sur cette seule réaction dont il avait essuyé le juste et légitime revers. Il crut qu’Hayase avait cédé aux avances de son meilleur ami et ce, bien que chacun de ses prétendants exaspéra la jeune fille.
Bien que la méprise fut grossière, l’opinion d’Alegsis fut cependant fondée en considération de cette dernière : au nom de l’amour et de la saine gaudriole, il le savait à présent : il lui faudrait tuer Kant à la première occasion donnée.