Pacte avec le Diable.

La voix avait jaillit de l'ombre comme sonnerai le glas. Froide et imprégnée de menace, chaque mot se détachait des autres et raisonnait dans les ténèbres comme autant de dalle de plomb heurtant le sol. Impossible de savoir qui venait de prononcer ces ordres, mais il était très clair qu'à l'entendre, l'homme n'avait pas eu besoin de mettre de point d'interrogation. Ce n'en était même plus une question, on était bien au-delà de ça.
Seul sur sa chaise, le faisceau d'une puissante lampe braqué sur son visage, l'homme à qui l'on venait de s'adresser n'en menait pas large. Voilà maintenant plus d'une heure que l'interrogatoire avait commencé, heure durant laquelle il avait répondu maintes et maintes fois aux mêmes questions... Cependant, la voix avait cette fois-ci changé, passant de la froideur martiale au feu glacé des abysses. Bien qu'il commençait à s'habituer dans une certaine mesure à son traitement, l'homme venait de sentir que l'ambiance venait encore de descendre d'un cran. Ce n'était plus le moment de jouer... sans savoir pourquoi, il devina que sa vie était probablement en jeu. Il déglutit donc difficilement avant de répondre, son bégaiement reprenant de plus belle sous le stress.

« S.s.s.si.iméon Crank de la Hure, Doct*... »
« Ex-Docteur pour être exact. » le coupa brutalement la voix, faisant alors porter tout le poids de son regard invisible sur le pauvre docteur. « Vous n'êtes plus docteur depuis plus de cinq ans. Mais cela vous avez tendance à l'oubliez n'est-ce pas ? Répondez. »

« I.i.i.il est vrai que je ne fais p.p.plus partie de l'ordre mais*... »
« Pas de mais ! Vous devinez pourquoi vous êtes là mon très cher Crank ? Ouiiii... j'imagine que vous n'êtes pas du genre à être assez bête pour ignorer la portée de vos actes. Je me trompe ? »



Par tous les saints ! Mais que lui voulait donc son tortionnaire ?! Bien entendu que le Professeur Crank savait ce qu'on pouvait lui reprocher, il était parfaitement conscient que certaines de ses œuvres allaient à l'encontre de certaines valeurs de ses confrères... Mais la question était : desquels était au courant son interlocuteur ? Ses recherches avaient été faites en toute discrétion, quitte à devoir payer pour qu'un client mécontent ne puisse s'enfuir dans la nuit. Que voulez-vous, il faut parfois sacrifier une partie de son âme pour faire avancer la cause de l'humanité, tous les grands artistes et génies vous le diront ! Crank en avait pour sa part sacrifié peut être un peu plus que les autres...

« J.j.j.je.je ne vois pas monsieur... »

« Ahahah vous ne voyez pas ? Laissez-moi vous remettre en mémoire l'ensemble des charges qui pourraient vous être portées. »


Il s'ensuivit alors le fin bruissement d'un dossier qu'on feuilletait, avant que ne succède la longue litanie des pseudo-crimes que la loi semblait lui reprocher. Le Docteur Crank pu alors voir avec effrois que non seulement l'homme connaissait l'ensemble de ses œuvres, mais qu'en plus il en connaissait des détails qui avait échappé à Crank lui-même. Comment diable pouvait-il savoir tout cela ?! Depuis combien de temps son tortionnaire le faisait-il surveiller, mais aussi pourquoi donc ne l'avait-il pas arrêté avant ? Bouche béa et le corps dégoulinant de sueurs froides, Crank écouta donc médusé la longue liste des preuves l'inculpant. Exercice illégal de la médecine, trafic de drogues diverses, mise en danger d'autrui, non respect de l'éthique et des valeurs humaines, usage de faux, séquestration et pour finir... actes de barbaries ! Le pauvre homme était terrorisé. Non seulement on venait presque de le condamner à mort, mais en plus, tous les progrès que la médecine venait de faire grâce à lui allaient être souillés par cet horrible mot : « actes de barbarie ». Un peu de vivisection et d'essais pharmaceutiques ne pouvaient pas être considérés comme tel lorsque cela était fait pour l'avenir de l'humanité. Si ?

« Pour l'ensemble de ses crimes professeurs, vous allez facilement pouvoir pouvoir être condamné à la terrible prison d'Imple Down. Nul doute que vos talents sauront faire la joie de vos petits camarades huhuhu. »



Manquant à tout moment de défaillir, le Docteur Crank se voyait déjà au mains des pires canailles, subissant mille tortures sous les rires des geôliers. Seul le fait qu'il soit attaché à sa chaise l'empêchait alors de s'effondrer sous la chaleur du projecteur. Sa tête commençait à tourner, ses pensées devinrent confuses... il était un homme mort.

« Cependant Docteur,vous apprendrez que je suis l'une des rares personnes en ce monde à savoir faire la différence entre les actes de barbarie gratuits, et les utiles. Cela fait bien souvent la différence lorsqu'un dossier se trouve entre l'ombre et la lumière.»

Tout au fond du gouffre où il se trouvait, les pensées de Crank virent alors dans le feu de la lampe comme une sorte de lumière au fond du tunnel. Un minuscule étincelle d'espoir dans les méandres de sa condamnation. Le regard apeuré comme celui d'un enfant brisé, l'homme fixa les ténèbres d'où venaient les paroles, avant de demander d'une voix craintive :

« Q.q.q.que.que faut-il que je fasse ? »

Un silence pesant fut d'abord la seule réponse qu'il obtint. Silence terrible et oppressant qui lui sembla durer une éternité. Finalement, alors que le stress et la peur irradiaient dans le dos du pauvre homme comme autant d'aiguilles chauffées à blanc, une énorme main jaune-marbrée sortit des ténèbres, faisant alors glisser un formulaire et un plume sous son nez. Toujours dans le silence, Crank parcouru aussi vite qu'il le pouvait le document, avant de se rendre compte de quoi il retournait.

« V.v.v.v.vous voulez que je m'engage dans la marine ?! P.p.p.pourquoi d.d.dans cet équipage là en particulier ? »

« Signez et la plupart de vos égarements scientifiques resteront dans l'ombre. C'est une fleur que je vous fais personnellement, à l'égard de votre talent et de votre curiosité. Deux choses que j'apprécie chez un homme. Vous êtes au bord du gouffre Docteur, à vous de voir si vous voulez plonger ou non. »

Après une rapide réflexion, il apparu au professeur Crank que le choix n'en était pas vraiment un... Cet homme -ou plutôt ce démon, vu l'horrible main- semblait tenir sa vie dans le creux de sa paume... Il n'avait ainsi d'autre choix que celui d'accepter. D'une main tremblante, il saisit donc la plume, avant de gribouiller sa signature en bas de la page. Étrangement, lui qui avait consciemment mis de côté son humanité pour ses recherches, se voyait saisir par la terrifiante sensation d'avoir signer un pacte avec le diable. C'était peut-être son âme qu'il venait de vendre sans vraiment le savoir ?

Tandis qu'il repoussait les documents complétés, une imposante silhouette sombre se découpa du noir, semblant se rapprocher du pauvre scientifique encore sous le choc. Éclatant comme une pleine lune au sein de la nuit, Crank vit alors lentement se dessiner le plus effroyable sourire qu'il lui fut donner de contempler dans sa vie. Il venait d'échapper à un enfer pour un autre, et le diable était là pour lui souhaiter la bienvenue.