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Le grove 22 n’était qu’un ramassis d’ordures. D’ordures humaines essentiellement, si tant est qu’on puisse qualifier ces gens-là d’humains. Des criminels de bas étage, des voleurs comme des ivrognes, des types à la mine douteuse, dont on préférait fuir le regard. Loin des festivités frivoles de Shabondy, loin des parcs d’attraction et des commerces attrape-touristes, ici, dans la misère la plus totale et la plus banale, grouillaient les pires engeances, prêtes à se jeter sur vous au moindre berry scintillant de votre bourse.
Pour s’aventurer ici, il fallait soit être le dernier des imbéciles, être suicidaire, ou bien être encore bien pire que ceux qui rôdaient à chaque coin de rue.

Autant dire que les deux hommes qu’on surnommait Fear et l’Étranger ne craignaient pas le moins du monde d’y mettre les pieds…

Ned poursuivait sans relâche sa quête de vengeance, sa vendetta. Hinu Town, Karantane, et désormais Shabondy… Il avait flairé le moindre signe, emprunté toutes les pistes, utilisé tous les indices, fait trembler tous ceux qui détenaient des informations, tout ceci dans l’unique espoir de retrouver sa mère, réduite à l’esclavage depuis maintenant trop d’années. Un espoir vacillant, qui s’émiettait en surface, au quotidien, mais qui restait intact au plus profond, là où se terrait l’amour inconditionnel qu’il lui portait.

Il avait cru la retrouver sur Hinu Town d’abord, mais on l’avait transportée le long de Grand Line, jusqu’au pont de Karantane, avant de la déporter une énième fois et de la vendre comme une vulgaire marchandise ici, sur Shabondy. C’étaient en tout cas les dernières informations qu’il avait récoltées et il comptait s’assurer que celles-ci disaient vrai.

Un autre nom s’était ajouté à la liste. Tarish Lo’a.

Il n’en savait pas plus. Tout du moins avant que ses phalanges ne s’écrasent sur la dentition approximative d’un vieux brigand et que celui-ci avoue comme il le put que Tarish Lo’a fricotait avec la bande des Nokrân, des maraudeurs du grove 22.
Il comptait régler cette histoire seul, comme il l’avait toujours fait, mais c’était sans compter sur l’exigence de son capitaine, qui avait fermement décidé de l’accompagner pour régler cette affaire au plus vite. Aze avait tout bonnement refusé d’envoyer un autre de ses lieutenants assister le jeune archéologue, et de sa propre volonté, avait fait le choix de le suivre seul dans son périple.

Nul autre homme de main, nul armement spécifique, ni moyen de locomotion, juste deux camarades déterminés et prêts à retourner des quartiers entiers pour mettre un terme à cette histoire.

Les deux hommes arrivèrent au campement des Nokrân. La description qu’on leur avait faite était loin d’être erronée. Une dizaine de huttes en terre cuite parsemaient un large champ crevassé, jonché de squelettes, ruines de bâtiments et autres marques du temps et du danger. Les Nokrân étaient des sales types, au sens propre du terme. Leur campement en laissait déjà un avant-goût, ici tout suintait la boue, la mort et la malhonnêteté. Mais, leurs corps, à eux, étaient encore plus repoussants. Des crânes chauve et des torses poilus fièrement exhibés où se mêlaient crasse et sang séché. Des couteaux à crochet, des lames ciselées, des haches dentelées et des flingues, tout un tas de flingues. Leur apparence suffisait à déceler leurs mauvaises intentions, comme s’ils s’étaient accaparés physiquement tous les défauts imaginables.

Les deux hommes s’approchèrent sous les regards curieux, qui devinrent rapidement méfiants, voire hostiles.

Malheureux ou fou, celui qui osait se tenir ici, au beau milieu du campement des Nokrân, sans une quelconque invitation.

Les brigands firent tinter l’acier de leurs armes et on entendit la poudre se frotter contre le canon des fusils. Mais ils hésitèrent une seconde, sapés par la crainte. Qui pouvaient être ces deux hommes, prêts à les défier sans une once de doute dans le regard ?

Il n’y eut nul discours épique, nul mot héroïque. Simplement un nom, à travers les lèvres du vengeur.

- Tarish Lo’a.

Les Nokrân se regardèrent dans le blanc des yeux, avant de laisser leur rire gras résonner dans tout le campement.

- Et vous êtes qui d’abord ?

Ce ne fut pas une réponse convaincante.

Ame no Habakiri quitta son fourreau à la vitesse de l’éclair, la lame d’air fusa et traversa la bouche béante du malheureux, avant de scier la hutte derrière lui.

Il lui fallait une réponse.


Dernière édition par Ned Mayhem le Lun 19 Juin 2023 - 0:14, édité 1 fois
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Pas de blague, hein ? À l’instant même où la lame d’air de Ned avait arraché la tête du Nokrân, ses camarades s’empressèrent de riposter. Le capitaine corsaire forma rapidement un mur de sable compact afin d’assurer les arrières de L’étranger. Tirs stoppés net, la masse granuleuse retomba lourdement au sol et le sablonneux contre-attaqua. Pointant ses indexes en direction des gaillards les plus proches, il tira une salve de balles de sable durcit, abattant certains d’entre eux. Les hostilités étaient donc lancées et Ned n’avait pas l’intention d’œuvrer dans la finesse. Le jeune homme cherchait un dénommé Tarish Lo’a et il ne partirait pas avant d’avoir obtenu des infos à son sujet. Les brigands se rassemblèrent alors pour les encercler, bien décidés à montrer ce qu’il arrivait à quiconque pénétrait leur territoire sans y avoir été invité.


On ne cherche pas forcément les ennuis. Dites nous où on peut trouver Tarish Lo’a et on s’en ira.

T’es gonflé d’nous dire ça alors que vous avez frappé les premiers ! hurla l’un d’entre eux.

Buttez moi ces deux enfoirés ! beugla un homme vêtu d’un masque fait de chair humaine.


Armés de machettes, couteaux et autres joyeusetés, les gaillards se jetèrent sur le duo de pirate. Réponse prévisible, malheureusement les Nokrân ne comprenaient que la force, tenter de parlementer avec ces sauvages était vain. Mais qu’à cela ne tienne, Ned semblait déjà tout à fait disposé à leur parler dans leur langage. Projetant de nouvelles lames d’air il décima les plus pressés et le corsaire enchaîna. Projetant d’énormes bourrasques de sable, il balaya ses adversaires par dizaine. Le sauvage au masque surgit alors pour échanger quelques passes d’arme avec Ned mais malgré sa dextérité au hachoir, il fut rapidement désarmé puis vaincu. Et lorsque son corps mutilé toucha le sol, ses troupes perdirent aussitôt toute combativité, allant même jusqu’à reculer. Le sablonneux en profita alors pour saisir l’homme masqué par le col, puis il le plaqua violemment contre le mur d’une des hutte.


Gnnh.. qu’est c’que vous nous.. voulez…

Tarish Lo’a.

L’homme cracha alors au sol et tenta de se dégager mais le sablonneux le frappa au visage pour le calmer.

Écoute, moi je suis le gars sympa.. mais si tu nous dis pas tout ce que tu sais.. je pense que même moi je pourrai pas te protéger de ce type là-bas. chuchota le corsaire en pointant Ned du doigt.

Le masqué tourna alors lentement son regard vers L’étranger. Lui qu’il venait d’affronter, lui qui venait de lui trancher un bras sans trop de difficulté, lui qui serait probablement capable du pire. Et comme s’il entre-apercevait ce qui risquait de lui arriver, il finit par hocher la tête.

Vous.. vous frappez pas à la bonne porte.. Tarish Lo’a.. on l’trouve un peu plus au nord…

Mon camarade veut plus de détails.

Le Hell Dawn. Il est souvent fourré là bas.. j’crois que c’est son fief…


Le sablonneux se tourna alors vers Ned, ce finit par hocher la tête et il relâcha l’homme au masque. Le Hell Dawn ? Ce nom sonnait étrangement familier, probablement un énième boui-boui mal famé du secteur, la prochaine adresse à visiter. Les deux pirates tournèrent les talons et quittèrent le camp sans demander leur reste pour regagner une zone résidentielle et c’est là que le corsaire se rappela. Sur un mur non loin, placardé parmi les avis de recherche jaunis et les annonces des portés disparu, une affiche criarde, d’un concert qui était justement prévu le lendemain au Hell Dawn.


Le Hell Dawn… Ouais je savais que j’avais déjà lu ça quelque part. T’en dis quoi ?

J’en dis que je me ferais bien un concert pas toi ?


Le sablonneux arracha l’affiche avec un sourire en coin et la tendit à son camarade. Ce dernier l’examina un bref instant, le regard noir avant de la plier pour la ranger dans une poche. Cap établi, les deux hommes prirent la direction du navire afin de planifier leur action à venir.
    La nuit avait été rudement longue pour Ned. Il n’avait cessé de ressasser la journée qu’il venait de passer, les mêmes questions refaisaient surface et le happaient inlassablement comme la gueule d’un monstre. Comment pouvait-il être si violent, autant en proie à ses sentiments les plus disgracieux ? Quand il s’agissait de faire face à son passé, c’était un tout autre personnage qui prenait le relais ; plus sombre, plus dangereux, plus impitoyable, mais en même temps galvanisé par la peur et le désespoir. La crainte de la perdre à tout jamais, la crainte d’échouer, la peur de se perdre, de devenir celui qu’il n’a pas envie d’être, un amas de violence et de rancoeur, gorgé du sang de ses vengeances, un homme prisonnier de ses ressentiments et condamné à vivre avec ses propres entraves.

    La nuit avait été longue, mais il l’avait écourté par un peu d’alcool et une compagnie amicale. Fear et l’Etranger avaient préparé leur plan d’assaut pour le lendemain accoudés sur le bastingage de l’Indompté. Ils avaient partagé une bouteille, peut-être même deux ou trois, en discutant de ce qui allait advenir de ce fameux Hell Dawn. La mission était simple, ils se devaient de mettre la main sur Tarish Lo’a, en vue d’un seul et unique but : lui faire payer le prix.

    Les deux hommes avaient passé le reste de la soirée à échanger plus sur tout que sur rien. Depuis qu’ils se connaissaient, les évènements n’avaient cessé de s’enchaîner, ne leur laissant pas maintes occasions de partager un moment, mais cette nuit-là, le calme de l’horizon et la chaleur du whisky les invitèrent à se livrer plus qu’ils n’avaient l’habitude de le faire. Ned confia à son camarade des détails sur son passé qu’il croyait lui-même avoir oubliés. Son naufrage sur Hinu Town lorsqu’il était encore haut comme trois pommes, sa jeunesse de môme des rues, son adoption par le couple Mayhem, son vrai prénom, Edward, sa vie d’esclave et sa libération… Il omit certains fragments, trop enfouis au fond de lui, se voyant d’avance faillir si jamais ils venaient à surgir des profondeurs. Mais il en avait déjà dit beaucoup, peut-être beaucoup trop, mais étonnamment, il sentit une sorte de soulagement lui traverser l’échine. Son capitaine l’avait écouté attentivement, en plus de lui confier la bouteille à chaque entame de récit, comme pour lui donner la force de sortir ce qui semblait coincé dans sa poitrine.

    Rares étaient les chefs à briser la distance avec leurs hommes, mais Aze faisaient confiance aux membres de son équipage. Alors, il s’était livré lui aussi, modestement, mais il avait su échanger avec son ami. Il avait évoqué son enfance à South Blue, ses déboires, son ancienne vie de marine, sa désertion et ses débuts sur les mers, libéré du joug des institutions militaires. Mais le passé n’eut que peu de place dans les mots du corsaire, l’avenir était le coeur de ses pensées et de ses propos. Ce soir-là, Ned saisit pleinement l’ambition qu’était celle de son capitaine et comprit que sa position de commandant et de corsaire à la renommée mondiale n’était pas le fruit de la bonne fortune. Aze était la détermination incarnée, assoiffé de liberté et de grandeur comme l’étaient seulement les quelques-uns au sommet du monde. Sommet dont il se rapprochait inexorablement, avalant les marches à grandes enjambées.

    L’alcool avait finalement fait effet, et les longues discussions s’étaient terminés en rires et échanges dont seuls les saouls avaient le secret.

    Ils s’étaient rendus au grove 33 le lendemain, guidés par l’affiche du concert. Le grove 33 dénotait durement du grove 22, ici la crasse n’avait pas sa place, ou peut-être était-elle recouverte par des attractions et autres joyeusetés. Comme une salle de concert, par exemple.

    Le Hell Dawn semblait pointer le bout de son nez, un large bâtiment apparaissait au loin, mais ce qui leur indiqua qu’ils étaient sur la bonne voie était la foule amassée sur des centaines de mètres jusqu’à l’entrée. Ils se faufilèrent à travers la marée humaine, usant de foulards pour passer inaperçus. Il leur fallait rester discret, au moins jusqu’à l’intérieur de la salle de concert. Attirer l’attention maintenant revenait à risquer de voir Tarish Lo’a leur glisser entre les doigts.
    A mesure qu’ils se rapprochaient, ils entendirent de plus en plus le rythme endiablé des batteries et les lamentations des guitares électriques. Un gigantesque crâne aux orbites enflammées surplombé d’une pancarte clignotante où était inscrit « Hell Dawn » trônaient sur la façade du bâtiment. De toute évidence, au vu de l’allure de l’endroit, de la clameur folle de la foule et des instruments joués, les deux hommes allaient assister à un concert de heavy metal. Un style de musique très populaire sur la route de tous les périls, qui d’ailleurs collait parfaitement avec la dangerosité de Grand Line.

    Les deux pirates profitèrent d’un mouvement de foule pour passer l’entrée en esquivant la sécurité, débordée par autant de spectateurs enthousiastes. L’intérieur était gigantesque, tellement que c’était à se demander comment le bâtiment, certes grand mais pas autant de l’extérieur, pouvait abriter une telle salle. L’endroit était à moitié plongé dans le noir, éclairé par quelques néons et lumières qui faisaient des va-et-vient depuis la scène.
    La musique s’était brusquement stoppée et le silence avait gagné la foule, qui attendait religieusement que quelque chose se produise. Un speaker attrapa un micro sur scène et s’accapara l’attention l’espace d’un instant.

    - Mesdames et messieurs, vous l’avez attendu, vous avez su vous déchaîner jusqu’ici en faisant honneur aux précédents groupes. Mais désormais, voici le clou du spectacle. Certains d’entre vous sont venus de l’autre bout du monde juste pour assister à ça ! Et à vous entendre, vous savez bien mieux que moi ce qui vous attend ! Il est ici, rien que pour vos oreilles et vos coeurs ! Le digne héritier de Soul King, le prodige du rock ! Le plus grand guitariste de cette génération ! L’homme qui, dit-on, pourrait féconder n’importe quelle femme par un simple solo de guitare ! Venu avec son groupe du Nouveau Monde, les Bones and Sorrows ! Mesdames et messieurs, réservez lui un accueil à la hauteur de son jeu ! Voici le seul, l’unique… Soul Prrrrrrrrrrrince !!!!!!

    La clameur fut telle qu’elle provoqua une secousse dans toute l’enceinte du Hell Dawn, comme si un tremblement de terre s’apprêtait soudainement à ravager l’archipel Shabondy. Aze et Ned avaient participé à maintes batailles et affrontements assourdissants au cours de leur existence, mais rien de ce qu’ils avaient entendu jusqu’alors n’égalait la puissance de cette foule à cet instant précis. Les gens sautaient sur place, hurlaient à s’en déchirer les cordes vocales, se bousculaient, tombaient dans les pommes, pleuraient. L’atmosphère était si intense qu’on aurait pu croire que c’était le début d’une apocalypse.

    Le rideau rouge de la scène s’éventra soudainement. On entendit une cymbale tonner, puis un rythme se lancer.

    - Trois, quatre.

    La guitare crissa, cria, chanta de sa voix la plus envoûtante. Et au milieu de la scène, comme le héros venu sauver l’humanité de la fin des temps, l’homme vêtu d’un masque en forme de crâne et d’un long manteau pourpre, avec, au bout des mains, une guitare d’or, la plus belle qui soit : Soul Prince.

    - We are the darkness and the light. We have come to roar our message. Hear us dead souls, let your joy and sorrow scream one last time ! ♫

    Et au milieu de la foule endiablée, deux hommes se tenaient là, prêts à accomplir leur mission.
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    Mettre la main sur Tarish Lo'a était d’une importance capitale pour Ned. Outre l’occasion de partager leurs péripéties respectives, la soirée de la veille avait permit au sablonneux d’en apprendre d’avantage sur le passé de l’homme qui se faisait appeler L’Étranger, mais surtout au sujet de ses objectifs. Sa détermination était impressionnante et au delà d’une logique de « donnant donnant », le corsaire avait la ferme intention de l’aider à retrouver cet être cher perdu depuis déjà trop longtemps. Et c’est cette quête qui aujourd’hui avait menée les deux hommes au Hell Dawn. Gigantesque salle de concert au milieu du Grove 33, cet établissement accueillait ce prodigieux guitariste à la renommée mondiale : Soul Prince. Mais si la foule toute entière entra dans une incroyable frénésie lorsque les premières notes de musiques fusèrent, le duo de pirate resta de marbre. Comme convenu lors de leur planification, les deux hommes se séparèrent à la recherche du dénommé Tarish Lo'a. Truand de la pire espèce, ce marchand d’âme s’était taillé une sacrée réputation dans le commerce d’esclave et quel meilleur endroit que l’Archipel Shabondy, grand carrefour commercial, pour s’établir.

    Se frayant un passage dans la foule jusqu’à l’imposant bar qui faisait face à la scène, le sablonneux chercha du regard toute personne qui pourrait sembler louche. C’est pas ce qui manquait, lui même pouvait bien être considéré comme louche. Sous couvert d’anonymat, visage couvert par un foulard confié par Ned, le jeune pirate avait tout d’un vendeur itinérant, comme ceux que l’on pouvait croiser sur Hinu Town. Et c’était voulu, la cible étant réputée difficile à approcher, se faire passer pour un marchand était un bon moyen. S’installant au comptoir, le jeune homme tendit l’oreille et essaya d’en apprendre un peu plus, mais avec la musique difficile d’obtenir quelques infos que ce soit. Il tenta alors sa chance auprès du barman.


    Une pinte de ta meilleure blonde l’ami.


    L’homme hocha la tête et se retourna vers la tireuse avant de servir une grande chope de bière au sablonneux. Ce dernier s’empressa de la régler et la vida aussi sec avant de la reposer sur le comptoir sous les yeux du barman.


    Sacrée descente.

    Long voyage.

    J’vois. Alabasta ?

    Non, Hinu Town.

    Sacré long voyage en effet !

    Vous allez pt’ être pouvoir m’aider tiens.. je suis ici pour affaire.

    Quel genre d’affaire ?

    Le genre qui porte des haillons et qui bosse pour moins cher que gratuit…

    Le commerce d’êtres humains était monnaie courante sur l’Archipel et il n’était pas rare de voir débarquer un esclavagiste en quête de chaire fraîche. Le sablonneux n’avait à priori jamais eu de grief envers ce genre de personne, il avait même collaboré avec l’un d’entre eux sur l’île aux esclaves. Mais après en avoir longuement discuté avec Ned, les choses étaient sur le point de changer de manière radicale. S’il n’éprouvait jusqu’à présent qu’une simple tolérance pour ce genre de business, cette dernière n’allait pas tarder à s’estomper.

    Parait que Tarish Lo'a est toujours dans le coin ? continua-t-il en vidant une nouvelle pinte.

    Ça s’peut ouais. Tu l’connais d’où ?

    On a déjà bossé ensemble. Il a toujours su dénicher.. la perle rare.

    Ça pour sur ouais. le type hésite un instant avant de poursuivre. Va voir Harvey la bas.. L’rouquin avec les bouclettes, j’sais qu’il roule pour lui.

    Hochant la tête, le capitaine corsaire se leva doucement et s’approcha du fameux Harvey. Un gaillard bien bâti, chevelure flamboyante qui semblait en grande conversation avec d’autres petites frappes. Le colosse se tut aussitôt en voyant le nouvel arrivant, lui lançant un regard méfiant.

    Il veut quoi l’enturbanné ? gromella-t-il.

    Mereen Sidya de West Blue. Je souhaiterais m’entretenir avec Tarish Lo'a pour affaires.

    Et tu lui veux quoi ?

    Je représente la Souther Company Limited.. sur West Blue. Monsieur Souther m’envoie pour inspecter sa commande.

    Souther.. Souther… Ouais je vois.. le gus qui donne dans les combats à mort… Je vois. Viens par là l’étranger.


    Le rouquin se leva alors pour s’éloigner vers un escalier un peu plus loin. Suivi de près par le sablonneux, il grimpa les marchés quatre à quatre et tous deux se retrouvèrent rapidement dans une loge sous étroite surveillance. Une pièce spacieuse, pleine de gros bras, qui comportait une grande partie vitrée par laquelle on pouvait assister au concert. Assit derrière un imposant bureau, un gaillard comptait une liasse de billets. Était-ce Tarish Lo'a ? Cette traque paraissait soudain si simple, beaucoup trop simple au goût du corsaire. Harvey alla chuchoter quelque chose à l’oreille de l’homme qui semblait commander ici pendant qu’un gaillard fouillait le marchand itinérant à la recherche d’une quelconque arme.


    Calvin Souther hein ? lança-t-il sans quitter ses billets des yeux. Et si tu m’disais ce que tu me veux réellement enfoiré ?

    À peine eut il terminé sa phrase que les gros bras dégainèrent leur quincaillerie pour pointer leurs canons sur le sablonneux.

    Tarish Lo'a je présume… J’ai avec moi quelqu’un qui a besoin de réponse. Tu vas m’accompagner.

    L’assemblée se mit à rire, comme si ce pauvre marchand itinérant avait la moindre chance face à tous ces hommes. Comme si l’étranger était en position d’exiger quelque chose. Le maître des lieux leva alors les yeux pour jauger son interlocuteur avec dédain.

    Idiot… Débarrassez moi de ça. siffla Tarish dans sa mâchoire métallique.


    C’est à cet instant précis que les choses dégénérèrent. Un des gorilles empoigna fermement le bras gauche du corsaire, mais ce dernier réagit au quart de tour et lui asséna un puissant coup de tête chargé de fluide offensif. L’homme de main tomba en arrière et deux de ses camarades bondirent pour planter deux lames courtes dans la poitrine du pirate sous couverture. Avant même de réaliser que leurs armes n’avaient pas causé le moindre dégât, il s’en empara, les retira de son corps granuleux et s’élança sur ses assaillant en leur tranchant la gorge. Tarish Lo'a se leva alors d’un bond et tout s’accéléra.


    Buttez moi ce batard !


    Tous les gaillards armés firent feu et une pluie de balle s’abattît sur le sablonneux, le transformant rapidement en passoire. Préservé de ce genre de dégâts grâce aux propriétés de son fruit du démon, le capitaine des Sandstorm Pirates fondit alors sur sa proie, se heurtant rapidement à ses hommes de main. Tranchant dans le vif avec dextérité, il se débarrassa des premiers gaillards mais sa cible parvint à se dérober, se rapprochant de la fenêtre. Saisissant l’imposant bureau de bois bruni, il le projeta avec violence en direction de ce dernier, la grande baie vitrée se brisa et l’homme fut emporté plus bas par le bureau. Se rapprochant du trou béant laissé dans le verre, il aperçut Tarish Lo'a s’enfoncer dans la foule un peu plus bas. Si le public semblait comme envoûté par le concert qui se jouait au point de ne pas remarquer un bureau qui tombe du ciel, la proie de Ned semblait déterminée à disparaître. Pas question de le laisser filer et tant pis pour la manière douce, le sablonneux se changea en une nuée volatile pour regagner le rez-de-chaussée, se fondant dans la foule à la poursuite de l’esclavagiste.
      Le brouhaha assourdissant du concert entravait quelque peu sa recherche d’indices. Ned se faufilait entre les rangées de spectateurs en extase, s’orientant comme il le pouvait dans ce capharnaüm humain. Il avait flairé quelques pistes ici et là, mais rien de concluant. Le nom de Tarish Lo’a restait tu, si bien qu’il se demanda si sa proie se trouvait bien au Hell Dawn.

      Après une première recherche infructueuse, le jeune homme s’approcha finalement du bar, pour espérer y dénicher de plus amples informations et retrouver son capitaine. Mais il fut brutalement bousculé et projeté contre une spectatrice. Un homme à la mâchoire d’or et à la gueule tatouée cherchait à se frayer un chemin au milieu de la foule. L’adrénaline se lisait à travers ses yeux bridés, alors qu’il s’immisçait comme un serpent entre les spectateurs du Hell Dawn.

      Sur scène, Soul Prince faisait le show et délivrait un rythme si intense émotionnellement que l’extase et la folie se joignirent la foule, qui ne forma plus qu’une masse unie et opaque, dans lequel s’engloutit et disparut l’homme à la mâchoire d’or. Après s’être relevé, Ned vit le fuyard s’échapper et son intuition ne laissa aucune autre interprétation prendre le pas sur la première qui lui traversa l’esprit : ce type était Tarish Lo’a en personne, sans l’ombre d’un doute. Il était ce chien sans âme, cet esclavagiste retors dont la seule place se devait d’être six pieds sous terre. Il était l’une des causes de ses malheurs, l’un de ceux qui l’avaient éloigné d’elle.

      Une main se posa sur son épaule et Ned fit volte-face en agrippant la poignée d’Ame no Habakiri, prêt à dégainer. Il la retira finalement lorsqu’il découvrit un visage amical emmitouflé dans une cagoule.

      - Ned, c’est moi, lui hurla presque Aze en essayant de se faire entendre au milieu des guitares et des cris.
      - Ce gars qui vient de passer, à l’instant…
      - Ouais c’était lui, Tarish Lo’a.
      - Je vais nous frayer un chemin jusqu’à lui.

      Le sabreur posa ses mains sur ses lames et s’apprêta à déchaîner les enfers. Le visage serré derrière son foulard, les yeux opaques, il semblait avoir fait totalement abstraction de ce qui l’entourait. Comme si, à cet instant, il n’existait plus que lui : Tarish Lo’a. Et il n’y avait dans son esprit qu’un moyen de l’atteindre, une lame d’air, puissante et foudroyante, qui déblayerait les hautes herbes pour tracer une route claire, où il n’y aurait plus qu’un pas à faire. Mais alors qu’il s’apprêtait à dégainer, la main d’Aze s’agrippa à la sienne et l’empêcha sévèrement de tirer sa lame de son fourreau.

      - Qu’est-ce que tu fous Ned ? Reprends-toi !

      Le regard grave, Aze transperça Ned jusqu’au plus profond de son être pour le tirer des abysses dans lesquels il s’était engouffré. Il le secoua violemment pour le réveiller et surtout, pour le rappeler à l’ordre. Ned retrouva finalement sa lucidité après quelques secondes, et le brouhaha qui s’était estompé lorsque le brouillard avait gagné son esprit reprit de plus belle en faisant d’autant plus vibrer ses tympans. Confus, le jeune archéologue s’ébroua pour tenter de remettre de l’ordre dans son crâne.

      - Écoute-moi, reprit calmement Aze, je sais ce que cette traque représente pour toi. Mais reste lucide, tu peux pas balancer une attaque dévastatrice ici. Transformer des milliers d’innocents en victimes collatérales c’est clairement pas ce que tu veux, je me trompe ? D’autant plus que si on fout le bordel maintenant, on risque de s’attirer les foudres de la marine.
      - T’as raison, je suis désolé, je sais pas ce qui m’a pris…
      - Mettons-nous en route, il faut qu’on retrouve ce type. Il a sûrement alerté ses hommes de main, il risque d’y avoir pas mal d’obstacles sur le chemin.

      Ned acquiesça silencieusement, saisissant par la même occasion toute la portée de l’erreur qu’il avait failli commettre. Aze avait raison, sa soif de vengeance lui embrumait l’esprit et le desservait plus qu’autre chose. Il lui fallait retrouver un peu de lumière dans cette pénombre ambiante, et en aucun cas se détourner de ses principes et de la seule finalité à tout ça : la retrouver saine et sauve. Car c’était ça, et seulement ça, qui importait. Mais la haine avait tendance à lui faire oublier ce pour quoi il combattait. Hinu Town, Karantane et maintenant Shabondy… la vengeance rythmait ses agissements depuis bien trop longtemps.

      L’Étranger parvint finalement à retrouver son calme et à se recentrer. Le souffle de moins en moins saccadé, les muscles relâchés, l’esprit aiguisé, il referma les yeux pour tenter de renouer avec ce sentiment qui l’avait traversé dans la cale du navire des Mangemonde et qui l’avait conduit à délivrer son amie, Sania Al-Jawhara. Ce sentiment si particulier de saisir, d’entendre, avec une puissance telle que ce c’était comme si les âmes qui l’entouraient se donnaient à voir, sans pourtant avoir besoin d’y porter un regard.
      Et à force de tranquillité et de concentration, il sentit une vibration le traverser. Une énergie toute autre, qui s’amplifia et traça des fils invisibles, qui s’étendirent dans toute la salle de concert, à travers tous les souffles, jusqu’à s’arrêter derrière la scène, dans les loges, là où une âme fuyante, apeurée et excitée se présenta à son esprit.

      - Dans les loges. Ce chien s’est enfermé dans les loges.
      - T’en es sûr ? lui demanda Aze, surprit de découvrir que son camarade venait de toute évidence d’user du haki de l’observation.
      - Je sais pas, c’est bizarre… Je sais pas si c’est simplement mon intuition ou quelque chose d’autre… Mais je crois, oui, hésita Ned, le regard baissé.
      - Je te crois, poursuivit Aze en s’élançant entre les spectateurs, allons-y.

      Les deux hommes se dirigèrent vers la scène, là où le bruit des batteries, des cris et des guitares se faisait encore plus impérial. Ils s’écartèrent sur un côté et tombèrent nez à nez avec deux mastodontes devant l’accès vers les coulisses. Dressés comme des montagnes face à eux, un geste de la main en signe d’interdiction pria le duo de s’arrêter. Mais les deux corsaires continuèrent leur chemin comme si les deux hommes n’existaient pas. Une main tendue et vive d’Aze frappa à la nuque du premier, tandis que le poing de Ned s’écrasait dans le plexus du second. Les deux sentinelles en costume s’écroulèrent et les deux camarades les tirèrent dans l’arrière-scène pour les faire disparaître.

      Désormais, les loges se présentaient à eux, et ils avaient la ferme intention d’en ratisser l’entièreté jusqu’à mettre la main sur ce rat de Tarish Lo’a.
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      Gorilles éliminés, le duo de pirate finit par atteindre un long couloir. De nombreuses loges bordaient ce dernier, mais comme s’il était guidé par une force surnaturelle, Ned continuait d’avancer inexorablement sans prêter attention aux nombreuses portes colorées. Sans prêter attention aux deux gros bras qui lui barrèrent la route à mi chemin. Cependant, là encore, il  n’en fit qu’une bouchée et poursuivi sa traque comme si rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Il y avait chez lui cette détermination sans commune mesure, capable de faire des merveilles si utilisée à bon escient. Très vite ils se retrouvèrent au pied d’un escalier et avalèrent les marches quatre à quatre pour déboucher sur une grande pièce sombre remplie d’éléments de décors et accessoires de scène en tous genre. Aucune trace de leur proie, les sablonneux avança calmement en sifflotant.


      Ne complique pas les choses… Montres-toi.


      Un silence de tombeau régnait dans la pièce, cette raclure pouvait se terrer dans n’importe quel recoin, attendant patiemment l’opportunité de bondir et de profiter de l’effet de surprise. Et pourtant, Ned semblait d’ores et déjà avoir détecté Tarish Lo'a. Il dégaina sa lame et projeta une puissante lame d’air en direction d’un amas de caisses. Ces dernières volèrent en éclat et la proie des pirates roula sur le côté. Aussitôt remit sur pied, il tira un revolver de son veston et fit feu à cinq reprises avant de se remettre à courir jusqu’à une issue de secours dans le fond de la pièce. Deux tirs avaient traversé le crâne granuleux du capitaine Corsaire qui poussa un profond soupire.


      Bah deux sur cinq c’est pas si mal… Mais j’en ai mare de courir. Faut le choper avant que ça ne dégénère.


      Créant une large bourrasque de sable, il dégagea le chemin avec fracas et se rua sur la porte, précédé par un Ned toujours plus impatient. Mettre la main sur ce marchand d’âme était d’une importance capitale pour le garçon, ça ne faisait pas un pli. Mais la moindre négligence risquait de valoir au corsaire une note salée, car sous leurs pieds se trouvaient plusieurs centaines d’innocents qui ne demandaient qu’à vibrer au son des guitares de Soul Prince. L’issue de secours donnait sur une échelle qui mena les deux pirates sur le toit de la salle de concert. Un peu plus loin, penché sur le vide, Tarish Lo'a se retrouvait fait comme un rat. Il fit volte face et pointa son revolver en direction de ses poursuivants.


      N’approchez pas putain… Vous m’voulez quoi ?

      Range moi ça.. et discutons… À moins que tu ne préfères énerver mon ami.. auquel cas ce sera la manière forte.


      L’esclavagiste toisa le sablonneux et l’étrangers d’un air dédaigneux. Il n’avait en l’espèce aucun échappatoire et pourtant il ne semblait pas perdre son sang froid. Esquissant un sourire dément, il pointa son revolver sur l’un des vasistas qui donnaient sur la grande pièce précédemment traversée et tira. La vitre se brisa et d’un bond agile il replongea dans le bâtiment. Fatigué de cette course poursuite, le corsaire se changea en une nuage de sable volatile pour s’engouffrer dans l’ouverture fraîchement créé. Il se rematerialisa rapidement entre Tarish Lo'a et la porte de sortie. Rapidement, il saisit une guitare qui trainait là, l’infusa de fluide offensif et frappa le fuyard dans le thorax, le stoppant tout net. Et alors qu’il se relevait, Ned fit irruption dans son dos pour placer sa lame au niveau de la tempe. Poursuite terminée, place à l’interrogatoire.
        Ce chien sans âme de Tarish Lo’a était à genoux, pris au piège. L’Étranger fit jouer sa lame contre sa joue avant d’empoigner fermement sa longue crinière coiffée de côté.

        - Bordel, vous m’voulez quoi à la fin ?!

        Ned s’abaissa à sa hauteur et planta ses yeux tourmentés dans les siens.

        - Il y a quelque temps, tu as rendu visite à un esclavagiste de Karantane, un certain Vorgg. Il t’a livré une cargaison d’esclaves. Une femme en faisait partie. Où est-elle ?
        - Une femme ? coupa Tarish d’un air railleur. Vous voulez que je me souvienne d’une pauvre femme au milieu d’un tas d’esclaves ? Hahaha !

        S’il y avait bien une phrase que jamais il n’aurait fallu prononcer à cet instant précis, c’était bien celle qui venait de sortir de la bouche du patron du Hell Dawn. La main ferme de l’Étranger se plaqua contre sa gueule et l’étrangla jusqu’à briser sa mâchoire d’or.

        - Aaaargh !

        Le sang se répandit le long de la veste de Tarish et perla à ses genoux.

        - Elle a de longs cheveux blancs, aussi immaculés que la neige. Des traits fins aux airs wanokunien, mais un teint halé, que l’on retrouve chez ceux issus de régions désertiques. Une cicatrice en forme de griffe traverse son dos, et ses yeux sévères sont aussi profonds que les abysses. La première fois que tu l’as vue, elle portait sans doute ce collier autour du cou.

        Ned dévoila le pendentif de sa mère qui pendait à son cou en le faisant glisser par-dessus sa tunique.

        - Elle s’appelait Tsukino. Tsukino Mayhem.

        Il y eut un moment de silence, avant que la gueule brisée de Tarish ne dévoile un sourire édenté derrière la poigne du sabreur.

        - Ça y est, je me souviens… Vorgg me l’avait refourguée pour quelques piécettes en m’disant que c’était de la vermine révolutionnaire. Tu as raison, elle avait de magnifiques cheveux blancs, je me souviens de leur douceur… quand je l’ai traînée de force jusqu’au pont de mon navire.

        Le rire de Tarish perça le cœur de Ned. La tristesse et la haine s’emmêlèrent et le firent trembler de tout son long. Il se redressa, le regard aussi sombre que la plus obscure des nuits, et leva son sabre. Ame No Habakiri fondit sur la nuque de monstre, mais la lame se stoppa brusquement avant qu’elle ne sépare sa tête.

        - Ned !!

        La voix d’Azerios fut une lueur dans la pénombre et empêcha l’Étranger de commettre l’irréparable. Ned baissa son arme, le corps serré, en proie à des sentiments indéchiffrables. Mais le rire de Tarish Lo’a ne cessa pas un instant de résonner.

        - C’était une femme de principes, ça je vous l’accorde. Elle ne se laissait jamais faire ! Mais une nuit, mes gars lui ont rendu une petite visite, et après ça elle s’est enfin mise à la fermer, hahaha ! Vous auriez vu son visage le lendemain ! Blanc, comme si la vie l’avait quittée ! Hahaha ! Hahaha !

        Il y eut un rire, épouvantable, infiniment long.

        Puis un silence de mort.

        La tête de Tarish Lo’a roula sur le sol ensanglanté, et son corps sans vie s’effondra dans un bruit lourd.

        Ned resta stoïque, le visage livide, l’arme teintée de rouge. Les larmes vinrent et il ne put les retenir.

        La main de son capitaine effleura son épaule. Happé dans d’indicibles ténèbres, il sursauta, ramené à la froide réalité.

        - J’entends des bruits de pas… Ses hommes sont en route.

        La lucidité fuyante semblait être irrattrapable. Ned tenait désormais en équilibre sur un fil de soie. Un fil si fin que la moindre secousse pouvait le faire chuter, et l’emporter vers la folie.
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        Le corps encore chaud de Tarish Lo’a gisait au sol, délesté de sa tête. La rage de Ned avait prit le dessus et les avait privé d’information. Ce dernier semblait même au bord de l’explosion émotionnelle, ce qui paraissait quand même bien compréhensible. À mesure qu’il avançait dans sa traque, les indices découverts semblaient l’éloigner de son but toujours un peu plus, mais ce n’était pas pour autant le moment flancher. Laissant échapper une faible vague de haki des rois, le sablonneux posa ses mains sur les épaules de son acolyte et le regarda droit dans les yeux.


        On reste concentré Ned.. Tsukino Mayhem est quelque part.. là dehors. Et nous allons la trouver ensemble. D’accord ?


        L’Étranger hocha la tête et les deux hommes se relevèrent aussitôt pour faire face à leurs nouveaux adversaires. Menu fretin éliminé, les deux pirates s’engagèrent dans le couloir mais furent bien vite rattrapés par d’autres gorilles armés. Le sablonneux plaqua alors ses deux mains sur le sol et utilisa ses pouvoirs de maudit afin de se dérober. Le plancher craqua, se fissura puis céda, emportant les adversaires vers l’étage inférieur dans un torrent de gravats et de poussière. Faible répit remporté, le corsaire, accompagné de son acolyte, regagna le rez-de-chaussée sans encombre et se fondit rapidement dans la foule. Il en profita alors pour se diriger vers l’escalier menant aux loges et les emprunta pour retourner dans le bureau où Harvey l’avait mené plus tôt. La fouille commença, et le duo de pirate n’épargna aucune tiroir, aucun rangement. Ils mirent la main sur des dossiers, des échanges courriers mais surtout des livres de compte. De nombreux esclaves en provenance du monde entier passaient par ici et le Hell Dawn servait de couverture pour les affaires louches de Tarish Lo’a. Et même si ce dernier avait rencontré la faucheuse, l’idée de laisser cet établissement debout était insupportable. Ned se figea alors en épluchant l’un des livres de compte sur lequel le nom de Vorgg était mentionné un peu partout.


        Zéphyr. Elle a été envoyé sur Zéphyr.

        Tu en es sur ?

        Tous les esclaves gérés par Vorgg sont envoyés la bas.. auprès des Enfourneurs.

        Alors c’est là qu’on va.

        Vous irez nul part bordel.


        Faisant volte-face, les deux hommes se retrouvèrent nez à nez avec Harvey et quelques gros bras. Sans réfléchir un seul instant, le corsaire pointa ses indexes dans leur direction et tira une salve de balles de sable durcit. Il parvint à abattre plusieurs adversaires avant que ces derniers ne puissent se mettre à l’abris et une fusillade éclata. Ned plongea derrière le bureau pour éviter les nombreux tirs et un projectile enflammé fut lancé dans la loge. Se changeant en un nuage de sable volatil, le capitaine des Sandstorm Pirates passa l’encadrement de la porte et massacra les tireurs l’un après l’autre grâce à ses pouvoirs de maudit pour finir par Harvey. De retour dans la loge, les rideaux du fond étaient en flamme et l’incendie risquait fort de se propager rapidement. S’apprêtant à éteindre les flammes, le sablonneux changea rapidement d’avis.


        On embarque tout ça et on se tire. lança le corsaire en montrant les livres de compte.


        Plus aucune hésitation, que cet endroit parte en fumée et que les compagnons de Tarish Lo’a  soient prevenus. Les deux hommes s’empressèrent de ramasser registres et autres documents, les enroulèrent dans un linge puis quittèrent la loge en proie aux flammes.
          Le feu n’avait pas seulement gagné le cœur de Ned, mais il se propageait désormais dans l’enceinte du Hell Dawn, là où la foule s’affolait, en proie à la terreur. Fear et L’Étranger se trouvaient au beau milieu de la salle, proches du chaos infernal qu’ils avaient eux-mêmes provoqué. Sur la scène, Soul Prince n’avait pas pour autant stoppé son show, les flammes l’entrainaient même et le poussèrent à délivrer une performance électrique, comme s’il ne faisait plus qu’un avec l’incendie. Au sommet de son art, à l’aboutissement de sa musique, le métalleux fit crisser sa guitare, jouant un rythme littéralement enflammé. Le son des instruments se mêla au craquement du bois sous les flammes et aux cris à la fois terrorisés et endiablés de la foule.

          Certains s’agglutinaient vers la sortie, formant une dangereuse marée humaine, tandis que d’autres restèrent au plus près de la scène, prêts à risquer leur vie pour assister au plus grand spectacle qui fut.

          Dissimulés derrière leurs épais foulards afin qu'on ne puisse les reconnaître, Aze et Ned tentaient désespérément de se frayer un chemin jusqu’à la sortie, chargés sous leurs bras des livres de compte et autres documents précieux de feu Tarish Lo’a. Mais les hommes de l’esclavagiste, désireux de venger la mort de leur maître, ne tardèrent pas à retrouver les auteurs du saccage. La foule s’écarta subitement pour laisser place aux affrontements naissants.

          Encombré par les documents qu’il portait, Ned ne put dégainer qu’une lame pour repousser les assauts des mafieux. Rongé par la colère et l’amertume, il s’empressa d’en finir avec les hommes de main de l’ignoble Tarish, appuyé par son capitaine.

          - Hors de ma vue.

          Les yeux rivés vers le plafond, les pieds ancrés dans le sol, Ned déploya une lame d’air qui fusa au sommet du Hell Dawn. Une partie du toit se craquela sous la pression tranchante et une pluie de débris déferla au milieu de la salle. Les chutes s’écrasèrent sur les têtes des assaillants, stoppant net leur avancée. Les plus chanceux, rescapés de l’effondrement, virent leur chance tourner rapidement lorsque Fear en personne les cueillit. Des lames d'air tracèrent leur route jusqu’à eux pour les emporter droit vers la mort. Mais le Corsaire ne s’arrêta pas en si bon chemin et profita de la brèche créée par son camarade pour anéantir le reste du toit. Un poing gigantesque de sable perfora ainsi le plafond et mit définitivement un terme aux affrontements.

          Les derniers spectateurs, aussi extasiés furent-ils, ne purent que prendre leurs jambes à leur cou, guidés cette fois par leur instinct de survie. La musique s’arrêta à son tour, après que le groupe déserta la scène. Seul Soul Prince, prince du métal, resta stoïque au milieu des flammes qui gagnaient ses jambes. Enveloppé dans sa cape, sa guitare d’or entre les mains, il s’empara de son micro une dernière fois et ne fit plus qu’un avec sa musique.

          - Hear me dead souls, I hear your sorrows, I cannot save you from your regrets, only your voice and your heart can make you leave the lost path. ♫

          Résonnant jusqu’aux oreilles des corsaires, le chant funeste entonné par Soul Prince fit s’arrêter le duo masqué. Ned jeta un regard par-dessus son épaule et observa le prince du métal disparaître dans les flammes. Ses mots martelèrent son esprit, mais il tenta de les répudier en faisant volte-face, poursuivant sa route en laissant derrière lui un sombre sillage.

          Le Hell Dawn s’effondrait sur lui-même et avec lui disparaissait le corps sans tête de son propriétaire. Les derniers rejets brûlants du bois marquèrent la fin de leur traque, alors que les deux hommes s’échappaient en se frayant un passage au milieu de la peur des spectateurs.

          L’Étranger avait entre ses mains les informations qu’il cherchait tant. Pourtant, il avait le douloureux sentiment d’avoir perdu quelque chose. Chaque pas en avant allongeait en même temps son chemin et le menait ainsi toujours plus en arrière. Ce sentier escarpé le conduisait-il vers sa mère, l’objet de ses recherches ? Ou bien n’était-il qu’une route sinueuse chargée de ses tourments les plus sombres ? Il n’en savait rien et ne préférait pas le savoir. Meurtri de l’intérieur, le déni lui tendait sans cesse une main douce et charmante. Une main qu’il agrippait fermement, sans se rendre compte qu’en réalité, elle était le poison qui l’anéantissait lentement.




          Le crépuscule avait gagné le ciel.

          Ned était appuyé contre le bastingage du Hanami Joy et contemplait la lune naissante. Dans ses mains se tenait une feuille froissée, qu’il avait lue et relue des heures durant. Il poussa un long soupir avant de s’ébrouer, puis replongea une énième fois dans les lignes déjà parcourues maintes et maintes fois. Il pensait apprendre quelque chose de nouveau, quelque chose qu’il avait raté lors de sa précédente lecture. Mais au fond il savait bien pour quelle raison il restait accroché à ce bout de papier. Hormis le collier qui pendait à son cou, cette feuille était la seule trace physique qu’il avait d’elle. Au milieu de ses peurs, de ses souvenirs regrettés et du manque affligeant, l’espoir renaissait lentement à la manière d’un corps émergeant des profondeurs. Sur le chemin des retrouvailles, il avait laissé de nombreuses plumes, bien trop pour pouvoir les compter. Et s’il avait gagné bien des informations au fil de ses traques, il avait abandonné en chemin quelque chose de bien plus important. Et, si ceci demeurait égaré, sans doute jamais il ne trouverait la paix. Car, la seule chose qu’il avait perdue en route, et qui était désormais bien trop loin pour l’apercevoir d’un regard en arrière, c’était lui-même.

          Quelques minutes plus tard, derrière lui, des pas se firent entendre, puis une voix résonna lentement.

          - Je savais que je te trouverais là.

          Ned resta silencieux, le regard perché dans le ciel. Aze s’avança près de lui, s’accouda au bastingage à son tour et soupira en refermant les yeux.

          - Quelle journée…

          Le silence demeura. Fear décela dans le regard de son acolyte un brouillard épais, un brouillard qui drapait tout discernement, toute lucidité. Sans pour autant partager ce que l’Étranger ressentait, Aze comprenait tout de même ce qui pouvait traverser son camarade. Jugeant que le moment n’était sans doute pas approprié pour le questionner sur ses tourments, le Sablonneux hissa à son tour son regard vers la lune.

          - Ce document. Qu’est-ce qu’il dit ?
          - … Il y a deux noms.
          - Je t’écoute.
          - Ettont Rashmeka, d’abord. De ce que je comprends, c’est lui qui se serait rendu sur Shabondy pour s’occuper des transactions.
          - Un gars de ces fameux Enfourneurs ?
          - A priori.
          - Et le deuxième nom ?
          - Melchior Bourat.
          - Le chef, je suppose.
          - La cargaison d’esclaves récupérée par Rashmeka était à destination de Melchior Bourat.
          - Je vois. On a nos cibles dans ce cas.
          - Hm.
          - Le Nouveau Monde se rapproche à grands pas, tu te sens prêt ?
          - Mes lames n’attendent que ça.
          - Et je n’en attendais pas moins d’elles. Zéphyr sera notre premier cap, on y trouvera ces types, sois-en sûr. Comme Tarish, ces Enfourneurs répondront de leurs actes, et…
          - … ils paieront le prix.
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