Quelques jours seulement s'étaient écoulés depuis l'incident. L'incident, drôle de nom pour désigner des attentats en chaîne qui avaient causés la mort d'une centaine de personne en quelques heures. Kikai no Shima avait été le témoin de l'affrontement final sanglant entre les forces de la Marine et le Chinamire Kitsune. Si la puissante mafia était ressortie perdante, elle avait causé de terribles dommages. Parmi les militaires, l'on comptait quatre vingt trois morts au combat et pas moins de deux cent blessés. Bien pire, les civils avaient également payé un lourd tribut, portant les chiffres à cent soixante dix victimes. Le bilan humain était effroyable. En tant que colonelle de Kikai no Shima, Ambrosias s'estimait responsable de ce drame. Coupable, elle ne cessait de refaire le film des derniers événements dans sa tête. Elle cherchait à savoir ce qu'elle aurait pu faire pour éviter ce triste ce jour, sans toutefois y parvenir. King Bradley l'avait pris au dépourvu. Jamais elle n'aurait pu imaginer un tel coup d'éclat. Le dernier baroud d'honneur du chef mafieux avait été à l'opposé de ses méthodes habituelles, rendant le tout indétectable. En utilisant son immense fortune, le défunt avait été en mesure de rassembler de très importantes forces pour lancer l'assaut et son chimiste fou l'avait également bien aidé avec ses explosifs.
Pourtant, l'État-Major ne semblait pas lui en tenir rigueur. Le passé révolutionnaire de Bradley ayant été depuis longtemps dévoilé par la commodore de Saint Just, les huiles trouvaient que sa mort valait bien ce petit sacrifice. Qu'étaient après tout moins de deux cent quidams aux yeux de l'immense gouvernement mondial ? Bien sûr, certains locaux en voulaient à la Marine et à la colonelle, mais l'écrasante majorité avaient largement retourné sa veste, tournant définitivement le dos à la mafia. En attaquant la population pour faire diversion, le Chinamire Kitsune s'était aliéné la population. Pour les supérieurs d'Ambrosias, c'était donc bien une victoire, une belle et grande victoire. Toujours pire, on allait la décorer pour cela. La militaire allait recevoir des médailles pour ses actes, en dépit des nombreux morts qui étaient à déplorer. Pour elle, c'était un non-sens absolu. Telle était pourtant la Marine.
Les blessures de la colonelle n'étant pas très grave, bien que nombreuses et douloureuses, elle ne passa qu'une journée à l’hôpital. Dès sa sortie, elle redoubla d'efforts pour reprendre la situation en main, demandant toujours plus d'efforts de la part de ses soldats. Il fallait éteindre les derniers incendies, arrêter les criminels toujours en fuite, s'occuper des nombreux prisonniers et gérer les blessés. L'ensemble était exténuant pour elle, mais elle tenait bon tant bien que mal. Passant des heures entières derrière son bureau, elle en oubliait de dormir. Ambrosias passait des coups d'escargophone, remplissait sa paperasse, donnait ses ordres, le tout jusqu'à tomber de fatigue.
Jour après jour, la situation commença à se calmer, et la militaire commença à respirer. Son corps tout entier la faisant souffrir horriblement, elle avalait des anti-douleurs sans grande modération. Les traits tirés et affichant d'immenses cernes noires, la jeune femme faisait peine à voir avec son visage tuméfié et sa paupière droite fermée par un cocard. Se sentant plus en forme malgré tout, elle voulut s'entretenir avec deux personnes pour qui elle se montrait reconnaissante. Tout d'abord, le lieutenant-colonel Wayne Macallan, venu en renfort avec ses soldats pour aider les forces locales, mais aussi un jeune caporal dénommé Diez qu'elle ne connaissait pas personnellement. Ensemble, les deux hommes lui étaient venus en aide face à King Bradley. C'était grâce à eux qu'elle avait pu prendre finalement le dessus sur son adversaire. Sans leur aide providentielle, elle aurait certainement perdu le combat. Souhaitant les recevoir en privé, elle demanda à la commandante Zhang de les faire mander pour l'heure du thé.
Une fois le moment venu, les deux militaires firent irruption dans le bureau de la colonelle. Pour les recevoir, la jeune femme se trouvait au centre de la pièce, sur un fauteuil qui faisait face à un canapé de velours rouge. Sur la petite table basse séparant les deux meubles, une théière fumante, quelques tasses et des sucreries étaient préparées. Sans se lever, à cause du piètre état dans lequel elle se trouvait, l'officière leur fit signe d'approcher.
« Messieurs, je tenais à vous remercier personnellement pour votre aide face à Bradley. J'ai fais part à l'État-Major de vos actes et recommandé que vous soyez décorés pour l'exemple. Sachez que je suis à présent votre débitrice et que je paye toujours mes dettes. Si à l'avenir vous veniez à avoir besoin de moi, je répondrai toujours à l'appel. Une tasse de thé ? »
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