On l’appelait l’Anguille ; ou du moins se faisait-il passer pour tel. Il n’y avait pourtant rien de foncièrement d’électrisant chez lui. Relativement petit, un brin enveloppé, il avait la peau grasse, la tignasse collante et l’œil morne. Plutôt léthargique même, toujours à traîner des pieds ; il était lent, Guy.
Guy Lantier ; c’était son nom. Le vrai cette fois. Car si on lui avait collé comme sobriquet un surnom pareil, c’était jadis pour se gausser de son nom puis, plus tard, car on le tînt pour insaisissable. C’était à croire, à chaque coup de filet qui s’approcha de lui, qu’il glissa sans cesse des mains qui cherchèrent à s’en saisir. De tous les équipages pirates auxquels il avait pu appartenir, il avait réchappé de la moindre intervention de la Marine. Et quand bien même l’apercevait-on en solitaire, à badiner à l’air libre, qu’il faussa toujours compagnie à la volée de Mouettes avant même qu’on eut le temps de trop hasarder le regard sur lui.
L’Anguille, bien que réputée poisseuse, eut cependant la poisse de se faire poisser par un chasseur de primes de passage. Lui ne pêchait pas la gueusaille au filet, mais au pinceau. Technique déroutante s’il en fut.
Ledit pinceau, long de près d’un mètre cinquante, fut ainsi mis à juste contribution afin de le piéger comme il se devait. Resta à Alegsis – son acquéreur – de s’en aller rafler les cinq millions que l’Anguille traîna sur sa trogne.
Aux préposés qu’il trouva à la garnison de Shell Town, Alegs leur jeta presque le bougre sur le comptoir après qu’il l’eut traîné jusqu’ici, non sans peine.
- Cinq-cent millions ! Exigeait-il en préambule, braillant bien haut à peine eut-il balancé sa prise dans « l’aquarium ». Pour le mal que j’ai eu à le tirer jusqu’ici, je veux cinq-cent millions.
Chaque garnison des Blues avait la hantise de voir un jour débarquer Alegsis Jubtion. Expansif, bavard et surtout, arriéré au dernier degré, subir ses outrances s’acceptait chaque fois comme une torture indicible.
- Les primes sont non-négociables. Souffla laconiquement le matelot à l’accueil tandis qu’il effeuilla le registre des primes afin de déterminer ce qu’on lui avait bazardé au pied du comptoir. Nous y voilà…, soupirait-il, apparemment blasé qu’on le dérangea dans son travail pour une bête affaire de prime, Guy Lantier dit L’Anguille, cinq millions de berries. Je vous prépare ça
- Non, non. Insista candidement Alegsis alors qu’il reposa son avant bras sur le comptoir, se grattant sous son chapeau avec l’envers de son pinceau de combat. Vous avez forcément oublié un ou deux zéros. Moi je dis, il disait beaucoup de choses cet homme-là, jamais des qui vaillent la peine d’être entendues, il en vaut cinq-cent millions. Le capturer, encore, ça allait… mais le mal que j’ai eu à le traîner jusqu’ici, je vous dis pas.
- Ne nous dites pas dans ce cas.
Mais à moins qu’on l’attaqua à la mâchoire, malaisée fut la tâche consistant à le faire taire.
- Il a la peau et les cheveux poisseux, vous avez pas idée. J’avais les mains qui glissaient rien que pour l’attraper au poignet ; j’ai jamais vu ça. Et puis... y'a le reste... tenez, par exemple...
- Hum, hum. Commenta occasionnellement un interlocuteur qui, le plus manifestement du monde, tandis qu’il remplissait la paperasserie inhérente au transfert de prisonnier, se désintéressait de ce qui put bien lui parvenir à l’oreille en cet instant.
Là fut cependant sa plus regrettable erreur. Car si Alegsis parlait à tort et à travers, il arrivait parfois, au beau milieu de la jacasserie, que quelques informations intéressantes y volèrent par inadvertance. C’était cependant une épreuve insoutenable que de devoir lui tenir le crachoir. D’autant qu’il persista à bavarder dans le vide, occasionnant un monologue perdu dans les airs sans qu’un seul des tympans aux alentours ne s’y risqua.
Du long de son incessant verbiage, on avait eu le temps de passer les menottes à l’Anguille pour s’en aller la faire mariner à l’ombre. Quand, enfin, après qu’il eut régularisé la capture du criminel par un chasseur de primes, le matelot préposé à l’accueil tendit la somme due à Alegsis, un collègue fit subitement irruption.
- Le type que l’autre buse vient d’amener ! Je… je sais pas comment, il a réussi à glisser entre les barreaux pendant qu’on regardait pas.
Tous ses collègues, aux alentours, affairés qu’ils étaient à des tâches bassement administratives pour la plupart, levèrent le nez de leur plan de travail. Qu’on s’évada à l’intérieur même d’une garnison, à eux tous, put leur être préjudiciable dès lors où ils en seraient solidairement tenus pour responsables.
- Ah ça. Ricana presque Alegsis tant il ne fut pas étonné de la nouvelle. Je vous avais prévenus qu’il étai…. attends, c’est qui « l’autre buse » ?!
Finalement trop dissipé qu’il fut par la besace remplie de liasses qu’on lui adressa, le giboyeur itinérant ne s’attarda finalement pas sur l’anathème. Cependant, le fruit de son labeur lui fut aussitôt soutiré par celui-là même qui lui avait remis un instant plus tôt.
- Mais.. qu…
- Tant qu’il n’est pas en geôle, il n’est pas officiellement capturé. Ou vous le retrouvez, ou vous repartez.
Bien que ce première classe ne l’admettrait jamais, contrarier ainsi Alegsis en lui ôtant le pain de la bouche lui procura un infini sentiment de jouissance. Qu’il était bon, en effet, de se venger si mesquinement de toutes les indélicatesses de l’énergumène.
- Fariboles ! Tempêta un chasseur de primes courroucé au point d'abattre son poing sur le comptoir.
- Doucement, ça vient d’être rénové.
- Oups, pardon, je savais pas. S’excusa platement l’imbécile avant qu’il se revînt à la charge en une éruption de colère infantile. Mais qu’est-ce que je raconte moi… j’en ai rien à faire de votre comptoir ! Même s’il est très joli, je dois bien l’admettre, mes compliments à l’artisan. Je vous ai ramené le gugusse, vous me donnez mes sous. C’est… c’est la loi. Oui voilà, c’est ça, c’est la loi. Se crut-il malin de conclure.
Le plus calmement du monde, tandis qu’en arrière-plan, ses confrères s’agitaient afin que l’Anguille ne se fit pas la belle, le matelot sortit un recueil de loi pour le poser délicatement sous le nez du chasseur de primes.
- Quel article je vous prie ?
Et Alegsis, sans qu’il ne fut besoin d’en rajouter, blêmit après avoir essuyé un léger mouvement de recul. De lourdes gouttelettes de sueur qui perlèrent bien vite de tous les pores du visage et sa bouche se tordit avant qu’il n’essuya une copieuse déglutition. Cela était de notoriété publique – en tout cas au sein de la Marine d’East Blue – Alegsis Jubtion était analphabète au point de ne pas même savoir écrire son nom.
- Je… que… c’est-à-dire… je sais lire, hein, mais…, il tremblait presque ainsi qu’on eut présenté un crucifix à un vampire puis, galvanisé pour cinq millions, se ressaisît le temps de s’écrier, appelez-moi un de vos supérieurs ! Nom de nom, je vais me laisser enfler de cinq millions.
Tandis qu’on s’écharpa pour des broutilles chiffrées en berries, les effectifs mariniers de Shell Town, partout autour, se mirent en branle afin de retrouver Lantier. Qu’une telle évasion advint sous leur garde put en effet leur valoir à tous quelques sévères réprimandes gouvernementales. Ce n’était alors pas tant pour la Justice qu’on employa le moindre effort pour le retrouver, mais afin que leur carrière n’en pâtit pas.
Y avait-il un Marine consciencieux à bord ?
Guy Lantier ; c’était son nom. Le vrai cette fois. Car si on lui avait collé comme sobriquet un surnom pareil, c’était jadis pour se gausser de son nom puis, plus tard, car on le tînt pour insaisissable. C’était à croire, à chaque coup de filet qui s’approcha de lui, qu’il glissa sans cesse des mains qui cherchèrent à s’en saisir. De tous les équipages pirates auxquels il avait pu appartenir, il avait réchappé de la moindre intervention de la Marine. Et quand bien même l’apercevait-on en solitaire, à badiner à l’air libre, qu’il faussa toujours compagnie à la volée de Mouettes avant même qu’on eut le temps de trop hasarder le regard sur lui.
L’Anguille, bien que réputée poisseuse, eut cependant la poisse de se faire poisser par un chasseur de primes de passage. Lui ne pêchait pas la gueusaille au filet, mais au pinceau. Technique déroutante s’il en fut.
Ledit pinceau, long de près d’un mètre cinquante, fut ainsi mis à juste contribution afin de le piéger comme il se devait. Resta à Alegsis – son acquéreur – de s’en aller rafler les cinq millions que l’Anguille traîna sur sa trogne.
Aux préposés qu’il trouva à la garnison de Shell Town, Alegs leur jeta presque le bougre sur le comptoir après qu’il l’eut traîné jusqu’ici, non sans peine.
- Cinq-cent millions ! Exigeait-il en préambule, braillant bien haut à peine eut-il balancé sa prise dans « l’aquarium ». Pour le mal que j’ai eu à le tirer jusqu’ici, je veux cinq-cent millions.
Chaque garnison des Blues avait la hantise de voir un jour débarquer Alegsis Jubtion. Expansif, bavard et surtout, arriéré au dernier degré, subir ses outrances s’acceptait chaque fois comme une torture indicible.
- Les primes sont non-négociables. Souffla laconiquement le matelot à l’accueil tandis qu’il effeuilla le registre des primes afin de déterminer ce qu’on lui avait bazardé au pied du comptoir. Nous y voilà…, soupirait-il, apparemment blasé qu’on le dérangea dans son travail pour une bête affaire de prime, Guy Lantier dit L’Anguille, cinq millions de berries. Je vous prépare ça
- Non, non. Insista candidement Alegsis alors qu’il reposa son avant bras sur le comptoir, se grattant sous son chapeau avec l’envers de son pinceau de combat. Vous avez forcément oublié un ou deux zéros. Moi je dis, il disait beaucoup de choses cet homme-là, jamais des qui vaillent la peine d’être entendues, il en vaut cinq-cent millions. Le capturer, encore, ça allait… mais le mal que j’ai eu à le traîner jusqu’ici, je vous dis pas.
- Ne nous dites pas dans ce cas.
Mais à moins qu’on l’attaqua à la mâchoire, malaisée fut la tâche consistant à le faire taire.
- Il a la peau et les cheveux poisseux, vous avez pas idée. J’avais les mains qui glissaient rien que pour l’attraper au poignet ; j’ai jamais vu ça. Et puis... y'a le reste... tenez, par exemple...
- Hum, hum. Commenta occasionnellement un interlocuteur qui, le plus manifestement du monde, tandis qu’il remplissait la paperasserie inhérente au transfert de prisonnier, se désintéressait de ce qui put bien lui parvenir à l’oreille en cet instant.
Là fut cependant sa plus regrettable erreur. Car si Alegsis parlait à tort et à travers, il arrivait parfois, au beau milieu de la jacasserie, que quelques informations intéressantes y volèrent par inadvertance. C’était cependant une épreuve insoutenable que de devoir lui tenir le crachoir. D’autant qu’il persista à bavarder dans le vide, occasionnant un monologue perdu dans les airs sans qu’un seul des tympans aux alentours ne s’y risqua.
Du long de son incessant verbiage, on avait eu le temps de passer les menottes à l’Anguille pour s’en aller la faire mariner à l’ombre. Quand, enfin, après qu’il eut régularisé la capture du criminel par un chasseur de primes, le matelot préposé à l’accueil tendit la somme due à Alegsis, un collègue fit subitement irruption.
- Le type que l’autre buse vient d’amener ! Je… je sais pas comment, il a réussi à glisser entre les barreaux pendant qu’on regardait pas.
Tous ses collègues, aux alentours, affairés qu’ils étaient à des tâches bassement administratives pour la plupart, levèrent le nez de leur plan de travail. Qu’on s’évada à l’intérieur même d’une garnison, à eux tous, put leur être préjudiciable dès lors où ils en seraient solidairement tenus pour responsables.
- Ah ça. Ricana presque Alegsis tant il ne fut pas étonné de la nouvelle. Je vous avais prévenus qu’il étai…. attends, c’est qui « l’autre buse » ?!
Finalement trop dissipé qu’il fut par la besace remplie de liasses qu’on lui adressa, le giboyeur itinérant ne s’attarda finalement pas sur l’anathème. Cependant, le fruit de son labeur lui fut aussitôt soutiré par celui-là même qui lui avait remis un instant plus tôt.
- Mais.. qu…
- Tant qu’il n’est pas en geôle, il n’est pas officiellement capturé. Ou vous le retrouvez, ou vous repartez.
Bien que ce première classe ne l’admettrait jamais, contrarier ainsi Alegsis en lui ôtant le pain de la bouche lui procura un infini sentiment de jouissance. Qu’il était bon, en effet, de se venger si mesquinement de toutes les indélicatesses de l’énergumène.
- Fariboles ! Tempêta un chasseur de primes courroucé au point d'abattre son poing sur le comptoir.
- Doucement, ça vient d’être rénové.
- Oups, pardon, je savais pas. S’excusa platement l’imbécile avant qu’il se revînt à la charge en une éruption de colère infantile. Mais qu’est-ce que je raconte moi… j’en ai rien à faire de votre comptoir ! Même s’il est très joli, je dois bien l’admettre, mes compliments à l’artisan. Je vous ai ramené le gugusse, vous me donnez mes sous. C’est… c’est la loi. Oui voilà, c’est ça, c’est la loi. Se crut-il malin de conclure.
Le plus calmement du monde, tandis qu’en arrière-plan, ses confrères s’agitaient afin que l’Anguille ne se fit pas la belle, le matelot sortit un recueil de loi pour le poser délicatement sous le nez du chasseur de primes.
- Quel article je vous prie ?
Et Alegsis, sans qu’il ne fut besoin d’en rajouter, blêmit après avoir essuyé un léger mouvement de recul. De lourdes gouttelettes de sueur qui perlèrent bien vite de tous les pores du visage et sa bouche se tordit avant qu’il n’essuya une copieuse déglutition. Cela était de notoriété publique – en tout cas au sein de la Marine d’East Blue – Alegsis Jubtion était analphabète au point de ne pas même savoir écrire son nom.
- Je… que… c’est-à-dire… je sais lire, hein, mais…, il tremblait presque ainsi qu’on eut présenté un crucifix à un vampire puis, galvanisé pour cinq millions, se ressaisît le temps de s’écrier, appelez-moi un de vos supérieurs ! Nom de nom, je vais me laisser enfler de cinq millions.
Tandis qu’on s’écharpa pour des broutilles chiffrées en berries, les effectifs mariniers de Shell Town, partout autour, se mirent en branle afin de retrouver Lantier. Qu’une telle évasion advint sous leur garde put en effet leur valoir à tous quelques sévères réprimandes gouvernementales. Ce n’était alors pas tant pour la Justice qu’on employa le moindre effort pour le retrouver, mais afin que leur carrière n’en pâtit pas.
Y avait-il un Marine consciencieux à bord ?
Dernière édition par Alegsis Jubtion le Lun 26 Juin 2023 - 21:22, édité 1 fois