La Ligne Mazino ~ Hell’s Kitchen
Flashback 1629
Karantane
Karantane
Une nuit calme, comme cela arrivait rarement sur Karantane. Mais, l’extinction du Culte du Serpent à Plumes, offrait à nouveau paix et tranquillité d’esprit aux habitants du pont. Et, après s’être retroussés les manches pour reconstruire leur quartier, ils s’accordaient enfin une pause bien méritée. Je me dirigeais vers le seul endroit où toute l’animation du quartier s’était regroupée en cette soirée. Le premier endroit que j’avais visité lors de mes premiers pas sur le pont. Le Hell’s Kitchen, la taverne de ces deux déglingués du caisson qu’étaient Hao et Jin. Ces derniers m’avaient fait part de leur intention de se joindre à mes aventures, mais se retrouvaient en fâcheuse posture vis à vis de leur établissement. Malgré l’état déplorable du Hell’s Kitchen, les faits d’arme des propriétaires avaient joués en leur faveur et les intéressés s’étaient bousculés au portillon pour leur faire une offre d’achat. Mais, ce lieu avait une signification sentimentale pour les deux hommes, et la vendre au premier venu était hors de question. C’est ainsi que me vint une idée, et c’était là la raison de ma visite.
- Miya ? miaula alors un chat derrière moi.
Je me retournais pour voir le pauvre animal émacié à l’entrée d’une ruelle, ses yeux brillants dans la nuit. Je m’approchais doucement, mais à chaque pas le chat en faisait deux en arrière. Son poil se hérissa et ses pupilles se rétractèrent alors qu’un grognement se mit à monter de plus en plus fort. Je savais pertinemment qu’un animal aussi affaiblit se sentait en perpétuel danger, méfiant de quiconque. Je m’arrêtais alors à l’entrée de la ruelle, m’installant par terre le dos contre un mur en fouillant dans mes poches. J’en ressortis une pomme que je séparais en deux, plaçant l’une des deux moitié dans ma paume avant de la refermer avec force en la broyant. Ce qui en restait était désormais réduit en bouillie, et je la déposais alors à mi-chemin entre moi et le bel animal au pelage blanc sali qui ne me quittait pas du regard. Je me replaçais contre le mur et croquais dans ma moitié de pomme.
Les minutes passèrent sans que le chat ne bouge, guettant en silence l’amas de purée de pomme. Finalement, il s’avança, me jetant des regards pour vérifier que je n’en profitais pas pour lui bondir dessus. Pour le rassurer, je ferma les yeux et déploya mon mantra pour analyser ce qu’il ressentait. De la détresse, de celle que l’on ose avouer de peur d’être faible ou de le paraître aux yeux des autres. De la méfiance, après tout pourquoi un étranger le nourrirait ? Mais surtout, de la curiosité et de l’envie. Il s’approcha jusqu’à la bouillie, reniflant longuement avant d’oser laper une bouchée. Il marqua une pause, comme s’il vérifiait ainsi que la nourriture qu’il avait avalé n’était pas empoisonnée. Puis, il revint à la charge avec la ferme intention de faire disparaître cette bouillie.
- Tu peux y aller, ces pommes ont une faible teneur en sucre. dis-je alors en rompant le silence, croquant un nouveau morceau de pomme pour accompagner l’animal dans son repas.
Et ce fut vite réglé, le chat finissant sa bouillie jusqu’à la dernière goutte en se pourléchant les babines pour ne rien en laisser. Toutefois, il releva son regard perçant vers moi et retourna aussitôt se cacher derrière une caisse. Je m’en étais douté, rouvrant les yeux pour l’observer en coin. D’un geste lent, loin d’être menaçant, je me remis à fouiller dans une poche pour en sortir un objet métallique qui brilla un instant à la lueur de la lune. Un feulement me répondit alors que je portais la flûte traversière argentée à mes lèvres.
Soufflant doucement, tout en faisant jouer mes doigts tout du long de l’instrument, je me mis à faire danser l’écho au travers des rues de ce quartier de Karantane. Les yeux du chat se firent tout ronds, m’observant à la fois surpris et dans une incompréhension totale, mais son ‘aura’ sembla réagir à la musique dans un sursaut lumineux hakiment observable. Ainsi, les notes continuèrent de s’élever, composées par mes lèvres, mes doigts et mon cœur qui m’entraînèrent dans une litanie aveugle, les yeux fermés, à moi-même me laisser porter par les notes. Le nuage se formait, et l’esprit s’y posait tranquillement, le berçant timidement avant que les ondes sonores ne vibrent de plus en plus fort.
Entre nostalgie, tristesse et joie, mes émotions se baladaient à la mesure des notes que je soufflais. Un esprit en pagaille qui s’organisait sous l’impulsion des vibrations, comme un cœur qui bat à l’unisson. Sans que je m’en rende compte, les volets des bâtiments alentours s’ouvrirent. Mais, contrairement à l’idée reçue du voisin qui cri « fermes ta gueule, connard ! », ils se contentèrent de s’accouder à leurs balcons et fenêtres en suivant le rythme avec leurs têtes qui se balançaient tranquillement. Même le vent se mêlait à la fête, s’engouffrant dans les interstices des toits en sifflant doucement.
Sur les corniches des toits, des battements d’ailes se firent entendre alors que des oiseaux se posaient pour observer et écouter le spectacle. Ainsi, dans les méandres de mon esprit agrandit par le haki, les lueurs augmentaient et se regroupaient autour de moi. Les poivrots sortaient des bars alentours pour se poser lourdement contre les murs et les rambardes. Les habitants sortaient de chez eux en famille, gardant le silence pour ne pas briser l’enchantement de la musique qui faisait battre leurs cœurs à l’unisson, tirant même quelques larmes à certains.
Cependant, le chat, lui, n’était pas rassuré par toutes ces présences. Ce n’était pas volontaire de ma part, mais ma musique avait tendance à avoir cet effet sur les gens, et ce même quand je ne les hypnotisais pas sciemment par ce même biais. J’ouvris finalement les yeux en sentant le chat venir se cacher sous mes jambes. Avec autant de gens autour, il avait fait son choix et avait déterminé que j’étais le moins dangereux du lot. Les dernières notes de la chanson résonnèrent longuement dans les rues jusqu’à se perdre dans la nuit, les badauds reprenant soudainement leurs vies. Ils semblèrent comme sortir d’un rêve, se regardant interloqués avant de retourner à leurs activités. Le chat sortit finalement de sa planque sous mes jambes arquées, se tournant vers moi pour me regarder droit dans les yeux, un léger ronronnement était à peine perceptible.
- Viens là, on va te trouver quelque chose de meilleur à manger. dis-je en présentant mon bras dans lequel il se lova avant que je ne le soulève contre mon torse en croisant mes bras sous lui pour lui faire un nid. Je le regarda un instant dans les yeux. - Ah, ‘elle’, désolé pour la méprise ma p’tite dame.