Depuis deux jours la Lépreuse et le navire de mon chaperon voguent sous une pluie battante et une absence de vent. Seul l'Eternal Pose en ma possession nous assure d'être encore dans la bonne direction. Alors quand l'averse s'arrête enfin, mes hommes et moi-même sont ravis de pouvoir enfin mettre le nez dehors. Cependant, quelle est pas notre frustration de constater que le grain à fait place à un brouillard à couper au couteau. Pas un rayon de soleil, toujours pas de brise pour pousser les navires, juste le clapotis de la mer sur les coques de nos fiers galions dont la réverbération rend la scène encore plus inquiétante. Je n'ai besoin ni de mon nez ni d'empathie pour sentir la peur qui serre le cœur de mes troupes. J'ordonne alors de réunir tout le monde sur le pont.
"Messieurs, comme vous le savez déjà, nous nous dirigeons vers l'Asile. Ce que vous allez y voir va vous faire regretter d'avoir des yeux! Cet endroit, c'est l'antre de la folie, de la perversion et de l'horreur. Ce lieu ne devrait pas exister, et nous sommes là pour rectifier cette erreur! Nous allons affronter des monstres au delà de toute rédemption, alors, soyez sans pitié, et accrochez-vous à vos âmes, les Damnés de l'Asile vous prendront tout le reste!"
Mon court laïus ne les a pas rassurés, bien au contraire. Mais, ce ne sont plus les brebis apeurées de tout à l'heure. A la place, j'ai affaire à des hommes résolus a se battre jusqu'à leur dernier souffle. Et tant mieux! Car ces pauvres hères n'ont aucune idée de l'enfer qui les attend si jamais ils sont pris vivants. Mais moi, je le sais. J'ai passé plusieurs mois ici à … je frissonne rien que d'y penser. Je ne suis plus cette pauvre petite ange aveugle vaincue et sans défense. Et malgré ma défaite contre Frost, je suis forte à présent! Et pourtant, les sévices que j'ai subi en ces lieux ont laissé en moi une marque indélébile, comme une cicatrice de l'esprit. Autant je suis ravie d'avoir l'opportunité d'y exorciser mes vieux démons, autant je sens toujours la froide ombre de la peur me glacer l'échine. Ah… si seulement Red était là… sa simple présence aurait apaisé mon trouble. Il m'avait promis qu'on mettrait à bas cet endroit ensemble, en plus de tant d'autres choses … mais il a d'autres priorités à présent. Je soupire. Le Rossignol appartient à mon passé et mon présent se trouve devant moi. Je n'ai pas le droit de flancher. Je dois penser aux vies qui dépendent du succès de cette opération. Celle de mes hommes, de mes amis, de mon fils… Je dois me montrer à la hauteur de mon nouveau statut.
A l'horizon, le ciel rougeoie. Mais ce n'est ni l'aube, ni le crépuscule, ce sont les lumières de l'Asile. Pour l'instant, ce ne sont que de petits points brillants qui crépitent au loin comme des cendres emportées par le vent. Mais, plus on se rapproche, plus notre vison des lieux se précise. Et si au début, les bâtiments n'étaient qu'une ombre parmi les ténèbres, notre avancée nos permet de distinguer quelques détails, la silhouette massive de ce colisée grotesque est hérissée de tours et de ziggourats comme autant de doigts vengeurs prêts à déchirer le ciel. Des cheminées vomissent en permanence une fumée épaisse et noire dont le suif recouvre les murs et donne à l'architecture alambiquée de ce sanctuaire de l'horreur un côté organique aussi fascinant que dérangeant. Et enfin, des sphincters évacuent les immondices produites par cette bête répugnante qu'une faune indigène se dispute afin de s'en repaître, le tout faisant baigner l'île entière dans une atmosphère nauséabonde.
Nous approchons par le Nord, et, enfin, les contours de l'île se dessinent. La créature est au centre, irriguée par quatre voies de chemin de fer qui lui apportent son lot d'âmes à broyer, le tout relié à quatre gares et autant de ports placés aux quatre points cardinaux. Mais si l'appétit du monstre est immense, il commence à connaître la faim. Le Malvoulant n'étant plus, il n'y a plus personne pour le nourrir. Alors quand les hommes du port septentrional voient la Lépreuse arriver, une lueur d'espoir s'allume dans ce qui leur sert de cœur. Après tout, Teach ne pouvait pas être tombé, sa mort n'était qu'une mauvais blague propagée par les journaux du monde, tous à la solde de ces chiens du Gouvernement Mondial. Les Damnés de l'Asile n'avaient pas perdu la foi, et c'est ce qui aller causer leur perte.
"Branle bas de combat!" hurlé-je sur la Lépreuse. "Artilleurs, mettez-moi ces défenses à bas! Soldats, enfilez vos masques et chargez vos fusils!"
"Oui, madame!" Répondent mes hommes en chœur.
Le son des canons brise les espoirs de la garnison du port Nord de l'Asile. Et la première volée de boulets fracasse leur ligne de défense et emporte une partie de leur artillerie. De mon coté, je continue de faire parler la poudre afin de nettoyer le port et d'ainsi sécuriser notre zone de débarquement. Malheureusement, les explosions ont pulverisé une partie des quais ce qui va ralentir significativement le déploiement de mes unités de combat rapproché. Après une manœuvre d'amarrage rendue laborieuse à cause de la pluie de balles qui s'abat sur nous, on finit par installer des passerelles et mes combattants peuvent enfin poser pied à terre! C'est ce moment qu'ont choisi les indigènes pour sortir de leur tanière et tenter de nous repousser. A la vision des ennemis, même les plus braves hésiteraient. Il y a deux Ames noires qui exhortent une horde de choses difformes et certainement jadis humaines mais qui, maintenant, ne sont juste qu'un mélange anarchique entre de l'humain et de l'animal. Ca hurle, ça grouille, ça crache et ça siffle, et mes gaillards reculent. C'est alors que je comprends que je dois prendre les choses en main. D'un bond je me place en première ligne et j'exhale un épais nuage de poison paralysant. L'effet est immédiat, l'assaut adverse est stoppé net, et il ne reste debout que les deux porteurs de malheur, protégés de mes émanations toxiques grâce à leur masque. Qu'à cela ne tienne, j'ordonne d'une voix neutre.
"Feu."
Les fusils claquent et une des deux Ames Noires tombe au sol, mais la seconde, mue par une volonté de vivre prend ses jambes à son cou tandis que mes soldats rechargent leur armes. Quand, soudain, une détonation se fait entendre et le fuyard s'effondre à son tour. Je lève la tête vers le mat de la Lépreuse du haut duquel je distingue la silhouette de Wolfgang, mon sniper, son arme de précision encore fumante. Je lui adresse un grand sourire et il me répond d'un pouce levé. Cette victoire est mineure, et pourtant, dans le cœur de tous, l'impression d'avoir fait une bonne action se diffuse comme un baume régénérant.
"Soldats, sécurisez le périmètre. On va installer un camp de base ici." ordonné-je.
C'est ainsi qu'avec une rigueur quasi-militaire, mes larbins massacrent méthodiquement les monstruosités paralysées. Une fois la zone dégagée, ils déchargent tente et matériel. La priorité est d'établir un hôpital de campagne où Gaston va pouvoir traiter les blessés. Et même si on peut considérer que la première partie de l'opération est un franc succès, il a déjà pas mal de travail. Cependant, je reste sur le qui-vive, tout se passe trop bien. Je ne devrais pas m'en plaindre, cependant, je ne suis pas naïve au point de penser que tout va se dérouler comme prévu. Je suis anxieuse et mon amie Héfy le voit bien.
"Un souci?" me demande-t-elle.
"Oui, c'est trop facile. Ca sent le piège." rétorqué-je fort à propos.
"Pour ça, je fais confiance à ton nez." me répond-t-elle, un sourire complice aux lèvres. "Mais ce n'est pas comme si on pouvait faire machine arrière, n'est-ce pas?"
"On verra donc le piège quand on sera tombé dedans. Ca risque de nous coûter de nombreuses vies." soupiré-je.
"C'est donc ça qui te tracasse?" Je hoche la tête pour confirmer. "Tu es une grande enfant Jes' si tu crois qu'on peut partir en guerre et ne pas perdre d'hommes."
"Je sais mais..."
"La suite sera encore plus sanglante." coupe la noble. "Si tu n'es pas prête pour tout ça, autant te soumettre à Frost. Personne ne te suivra avec une demi-détermination."
Héfy ne me dit pas la vérité que je veux entendre, mais elle me présente celle que je dois affronter. Et si ses mots sont durs, ils sont vrais. Et en ça, elle se comporte comme une véritable amie. Je la regarde droit dans les yeux, et elle y voit une détermination retrouvée, alors, rassurée, elle s'en retourne auprès des troupes pour les briefer sur la suite des évènements. Quant à moi, je m'en vais vérifier l'avancement du débarquement. Satisfaite de la progression de ce chantier, j'en profite pour faire un tour de la zone.
Les crabes cliquètent et filent devant moi alors que je m'aventure dans les rue en ruines. L'endroit est étrange. En effet, ce port est juste un endroit de transit et on voit bien qu'hormis les quelques maisons près de la jetée, et le chemin vers la gare, le reste est inhabité depuis longtemps. Combien de temps, je ne saurais dire, mais une chose me paraît certaine à ce stade, ce village côtier est bien antérieur à l'arrivée de Teach en ces lieux. Je me mets à imaginer qu'avant la construction de l'Asile, la vie devait être douce ici. De la pêche, quelques cultures dans la plaine, un brin de commerce. Dire que les habitants de cet endroit ont très certainement été les premières victimes du règne de folie de l'Empereur… ça me désole. Combien de temps avant que cette île retrouve son lustre d'antan? Hum… c'est tout moi ça, je mets la charrue avant les bœufs! J'imagine déjà le futur de l'Asile alors que je ne m'en suis pas encore occupée au présent. Mue par un besoin irrépressible de prendre de la hauteur, je bondis au sommet d'un clocher. L'endroit est délabré, couvert de lierre et de suif, et je le sens craquer sous mon poids. Je me tourne vers la mer et je vois le navire du satané garde chiourmes que Frost m'a collé dans les basques mouiller pas loin, à quelques encablures de l'île, puis mon regard balaie l'horizon et se pose à nouveau sur la bête endormie qui rougeoie au loin et dont les fumées plongent l'île entière dans une nuit éternelle. Ici, même la lumière semble avoir abandonné tout espoir à tel point que ma robe blanche parait grise et même ma peau si claire semble terne et sans vie. Enfin, je distingue la ligne de chemin de fer qui, telle une cicatrice, déchire la terre en ligne droite de la gare du village jusqu'à la maison de l'horreur.
C'est alors que je la vois, cette petite chenille de fer qui fume le long de la voie. Un train arrive! Des renforts, j'en mettrais ma main à couper! Immédiatement, je descend de mon perchoir et je file avertir les autres. La nouvelle n'est pas bonne mais grâce au sang froid d'Hefy, les gars n'ont pas le temps de tergiverser. Très vite on dresse des barricades de fortune et on poste des hommes autour de la gare, dès que ces abominations sortiront des wagons, ils recevront une douche de poison et de plomb. L'attente rend les hommes nerveux, beaucoup sont encore choqués par l'apparence des choses qu'on a affronté il y a quelques heures seulement sur le port. Quant à moi, je gamberge un peu. Certes on a pu prendre le port très facilement, notamment grâce à l'effet de surprise, mais là, c'est évident que cet que nous envoie l'Asile c'est du costaud, de la troupe d'élite pour récupérer le port vite fait bien fait. Puis, en y réfléchissant, c'est assez évident que nous ne sommes pas les premiers à tenter de faire tomber l'endroit. La garnison que nous avons balayée ne doit être composée que de menu fretin qui assure l'intendance des lieux. Maintenant que nous sommes traités en envahisseurs, je m'attends à une réponse immunitaire musclée.
Alors quand les freins du monstre de fer crissent et font jaillir des étincelles, tout le monde retient son souffle. Le grincement sinistre des portes métalliques déchire le silence et ce qui en sort est à glacer le sang. C'est toujours des créatures mi-homme mi-bête, mais cette fois le mélange semble plus ordonné. Ou même pire, fait à dessin dans le but d'optimiser les capacités de la personne d'origine. Peau d'écailles, membre hypertrophiés, voire carrément supplémentaires pour certains, et des armes de première qualité complètent l'arsenal de ces monstres. Je sens le stress de mes sbires monter en flèche, mais le plan est de les laisser tous descendre avant d'attaquer, sinon, ils vont se replier à l'intérieur du train et ça risque de compliquer dramatiquement notre affaire!
Une fois tous débarqués, on peut voir qu'on est grillés. Certains d'entre eux ont une truffe de chien quand ce n'est pas la gueule complète de l'animal, et c'est certain qu'ils nous ont senti. Et puis, tout d'un coup, le wagon de queue s'ouvre en deux et laisse sortir un colosse de chair et de tubes et de métal. Six mètres d'horreur abjecte couverte de furoncles et de plaies purulentes et pourtant, ce n'est pas ce qui m'effraie le plus. C'est son bras droit qui a été remplacé par une mitrailleuse au gabarit de cet être hors normes. Et un frisson glacé me parcours l'échine lorsque je réalise que ce golgoth maitrise le haki de l'armement … et qu'il s'apprête à faire feu!
L'arme pousse un rugissement de fin du monde, et les projectiles qu'elle crache à haut débit déchirent les barricades, les murs et les hommes comme s'ils étaient en papier! En moins de temps qu'il ne faut pour dire Alabasta, j'ai déjà ordonné la retraite. Et c'est dans un désordre le plus complet que mes gars se replient, alors que je couvre leur fuite grâce à un épais nuage noir de poison paralysant. Cependant, ça n'arrête pas le monstre et, malgré le vrombissement assourdissant de cette faiseuse de veuves, on entend sans mal le rire gras du colosse qui résonne. J'essaie de garder mon calme et de ne pas me jeter tête la première dans la bataille. A la place, je file rejoindre les autres au camp, quelques centaines de mètres plus loin, et je me prépare à affronter les remontrances de ma stratège en chef. Alors, je la devance.
"Oui, je sais, j'ai merdé…" M'excusé-je avec amertume.
"Tu as agi dans le feu de l'action, avec la volonté de protéger nos hommes." Pondère mon amie. "Ton intention est louable, naïve, mais louable." Elle voit à la tête que je tire que je me sens un peu rabaissée par ses propos, alors elle continue. "Hé, ton action a quand même sauvé de nombreuses vies!" Je sais qu'elle dit ça pour soigner mon moral, et je ça m'énerve un peu qu'elle arrive à calmer mon désarroi aussi facilement. La bougresse me connaît bien, mine de rien! "Le plan est simple, tu t'occupes du gros et nous on gère les monstres."
J'aime les plans simples. Et je me demande si Héfy ne m'a justement pas confié une mission basique justement parce que je n'ai pas le bagage intellectuel pour comprendre un plan plus subtil. Ou la discipline pour me conformer aux directives qu'on me donne. Nom d'une biscotte, j'ai l'impression d'être la plus mauvaise des capitaines du monde! Rhaaaa! Ce n'est pas le moment de douter! J'ai une mission simple, arrêter cette espèce de machin-chose et permettre à mes hommes de s'occuper de la piétaille! Et ce n'est pas en me torturant l'esprit que je vais y arriver! Déjà je vois la silhouette de mon adversaire se détacher! Je ne dois pas le laisser arriver à portée de tir! J'entends les raclements des griffes des hommes-bêtes qui arrivent, leurs grognements, mais aussi les pas lourds du dreadnought, j'inspire à fond et j'expire comme pour chasser mes doutes. Puis je me couvre de haki de l'armement et je fonce!
Je passe au travers de lignes ennemies avec une facilité déconcertante. Tout monstres qu'ils soient, mon poison paralysant les a quand même affectés! Je ne m'embête pas à les attaquer, car je n'ai pas de temps à perdre, je dois m'occuper du gros morceau sans tarder! Je le vois en train de trainer sa masse gigantesque et son arme disproportionnée. Il est lent, massif, et je vois bien que ses yeux ne me suivent même pas… me débarrasser de lui va être un jeu d'enfant! Alors j'utilise ma vitesse supersonique pour me glisser dans son dos et … soudain alors que je m'apprêtais à la frapper, mon ennemi se déplace soudain bien plus vite que prévu! Avant même que je n'aie pu réagir, il m'envoie une gifle couverte de haki qui me projette avec force contre un bâtiment. Heureusement que je m'étais couverte d'une armure de fluide offensif, sinon, je serais rudement mal en point à l'heure qu'il est. Cependant, mon adversaire ne compte pas en rester là et je constate avec horreur qu'il dirige le canon de sa gatling vers ma position et que le cylindre de l'arme commence à tourner! Même pas le temps de pousser un juron que déjà, les détonations s'enchaînent sur un rythme endiablé. Fort heureusement, ma maitrise du rokushiki me permet d'esquiver les tirs du monstre, mais je dois faire attention, ses munitions renforcées avec sa force de volonté perforent tout. Je dois donc m'assurer de ne pas me retrouver entre mon adversaire et le camp de base si je ne veux pas que ce dernier ait à souffrir de cet affrontement.
C'est donc avec cette contrainte en tête que je continue d'esquiver les tirs. La cadence avec laquelle son arme crache ses obus de mort m'empêche de l'approcher, mais je sais aussi qu'il n'a pas un stock de munitions illimitées, et que l'arme peut à tout moment s'enrayer. Mon plan consiste donc à épuiser l'atout majeur de mon ennemi en attendant le meilleur moment pour frapper. Sauf que, mine de rien, user le rokushiki de façon aussi intensive me fatigue bien plus que je ne l'aurais cru! Par chance, c'est lui qui se retrouve à court de jus et je ne me fais pas prier pour frapper vite et fort. Le coup que je lui porte au visage est tellement infusé de haki de l'armement que sa tête explose comme une grosse pastèque. Et alors que le colosse vaincu chute avec grand bruit derrière moi, je constate avec plaisir que mes troupes, menées par Héfy s'en sortent plus que bien. La victoire est à portée de main! Et le trépas de leur chef sonne le glas de cette bataille. C'est maintenant une scène de débandade qui se déroule sous mes yeux. Seulement, ma stratège en chef ne compte pas laisser l'ennemi s'en tirer à si bon compte. D'une voix claire elle ordonne d'exterminer tous les fuyards. Vraiment, la noble est sans pitié, ou alors c'est moi qui suis encore trop tendre.
Et puis soudain la cage thoracique de feu mon adversaire explose dans un craquement sinistre et j'ai à peine le temps de me retourner pour voir une âme noire surgir de la carcasse du colosse qu'elle a déjà tiré sur moi avec un drôle de pistolet. Je sens une aiguille traverser mes chairs, et quelque chose se répandre en moi. Et avant même que j'aie pu contre-attaquer, une balle traverse la tête de ce nouvel ennemi et il s'effondre au sol. Instinctivement, je me retourne et je vois le canon fumant du fusil d'un Wolfgang tout sourire. Je le remercie d'un pouce levé et …je me sens toute drôle. Mécaniquement, j'extrait la seringue hypodermique de mon bras, je vois un liquide ambré miroiter à l'intérieur d'un tube et je me dis qu'il ne faut pas être très malin pour essayer d'intoxiquer la femme-poison que je suis. C'est alors qu'un puissant spasme me vrille le ventre, de grosse gouttes de sueur glacée perlent sur mon front et ma nuque, je fais de mon mieux pour garder la bouche fermée et ne pas vomir. Je vois une Héfy catastrophée courir vers moi alors que je sens le sol se dérober sous mes pieds et que je tombe à genoux. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, j'entend mon amie appeler un brancard alors que ma vue se brouille.
Pour une fois, je ne bascule pas dans l'inconscience. Mais je ne me sens clairement pas bien, un goût âcre et salé me tapisse la bouche, je salive abondamment et avaler régulièrement quelque chose d'aussi ignoble me retourne le ventre. Ma peau est maintenant couverte de tache d'eczéma grisâtres et peu engageantes. Cependant, je refuse le brancard, hors de question d'infliger à mes hommes victorieux la vue de leur chef qui quitte le champ d'honneur allongée comme une mourante. C'est donc debout que je me dirige vers notre camp de fortune pour me faire ausculter par mon médecin aux cheveux roses. Après avoir enfilé des gants et un masque, Gaston se met au travail. Mon ami fait preuve de beaucoup de zèle et de rigueur : j'ai le droit à la totale! C'est long et ça ne me réjouit guère, mais je préfère ça qu'affronter le regard réprobateur d'Héfy si jamais j'essaie de m'y soustraire. Après quelques longues minutes d'attente, mon praticien favori revient, la mine sombre.
"Je ne sais pas ce que tu as." avoue-t-il à contrecœur.
"Comment ça?" m'étonné-je.
"Tu as une température de trente neuf deux, une tension de dix-neuf onze ..." Il voit à ma tête que je ne comprends rien à ce qu'il raconte. "C'est alarmant, Jeska. Et surtout, tes symptômes leur virulence et leur vitesse d'apparition ne me rappellent rien de connu."
"Du coup, ça veut dire quoi?"
"Que le virus qui t'infecte a été crée en laboratoire." conclut une noble qui vient d'arriver.
Gaston acquiesce et se dépêche de coller un masque sur la figure d'Héphillia. Cette dernière ne semble pas apprécier, mais finit par céder devant le regard rempli d'inquiétudes du docteur. Ce dernier se tourne alors vers moi et détaille.
"Ce que ça veut dire c'est que je ne sais pas quel est l'agent pathogène. Je ne connais pas son mode de fonctionnement, sa léthalité, et encore moins les moyens de lutter contre lui. De ce fait je vais devoir en faire des cultures à partir du sang que je t'ai prélevé et tester plein d'antiviraux dessus. Pour le moment, je peux juste te donner un traitement symptomatique pour faire baisser la fièvre et calmer tes nausées et te prescrire beaucoup de repos."
"Ca, c'est hors de question, on a pas une minute à perdre si on veut … " il me coupe.
"Je sais que tu veux aller vite, mais tu n'aideras personne dans ton état. Je vais te donner un somnifère pour que tu dormes un peu. Ca me laissera le temps de m'occuper des autres blessés et Héphy pourra faire un inventaire de nos forces. A ton réveil, on sera prêts pour faire tomber l'Asile."
Je ne suis pas en état d'argumenter, et même si je l'étais, je doute pouvoir gagner un débat médical contre Gaston et ma meilleure amie. Alors, docilement, j'avale les cachets que mon médecin me donne et je m'allonge sur un lit de camp, je demande cependant à ce qu'on me cache. Je crains toujours que de mauvaises nouvelles sur mon état de santé affecte le moral des troupes. C'est donc à l'écart, sous une tente, que je m'abandonne dans les bras de Morphée.
"Messieurs, comme vous le savez déjà, nous nous dirigeons vers l'Asile. Ce que vous allez y voir va vous faire regretter d'avoir des yeux! Cet endroit, c'est l'antre de la folie, de la perversion et de l'horreur. Ce lieu ne devrait pas exister, et nous sommes là pour rectifier cette erreur! Nous allons affronter des monstres au delà de toute rédemption, alors, soyez sans pitié, et accrochez-vous à vos âmes, les Damnés de l'Asile vous prendront tout le reste!"
Mon court laïus ne les a pas rassurés, bien au contraire. Mais, ce ne sont plus les brebis apeurées de tout à l'heure. A la place, j'ai affaire à des hommes résolus a se battre jusqu'à leur dernier souffle. Et tant mieux! Car ces pauvres hères n'ont aucune idée de l'enfer qui les attend si jamais ils sont pris vivants. Mais moi, je le sais. J'ai passé plusieurs mois ici à … je frissonne rien que d'y penser. Je ne suis plus cette pauvre petite ange aveugle vaincue et sans défense. Et malgré ma défaite contre Frost, je suis forte à présent! Et pourtant, les sévices que j'ai subi en ces lieux ont laissé en moi une marque indélébile, comme une cicatrice de l'esprit. Autant je suis ravie d'avoir l'opportunité d'y exorciser mes vieux démons, autant je sens toujours la froide ombre de la peur me glacer l'échine. Ah… si seulement Red était là… sa simple présence aurait apaisé mon trouble. Il m'avait promis qu'on mettrait à bas cet endroit ensemble, en plus de tant d'autres choses … mais il a d'autres priorités à présent. Je soupire. Le Rossignol appartient à mon passé et mon présent se trouve devant moi. Je n'ai pas le droit de flancher. Je dois penser aux vies qui dépendent du succès de cette opération. Celle de mes hommes, de mes amis, de mon fils… Je dois me montrer à la hauteur de mon nouveau statut.
A l'horizon, le ciel rougeoie. Mais ce n'est ni l'aube, ni le crépuscule, ce sont les lumières de l'Asile. Pour l'instant, ce ne sont que de petits points brillants qui crépitent au loin comme des cendres emportées par le vent. Mais, plus on se rapproche, plus notre vison des lieux se précise. Et si au début, les bâtiments n'étaient qu'une ombre parmi les ténèbres, notre avancée nos permet de distinguer quelques détails, la silhouette massive de ce colisée grotesque est hérissée de tours et de ziggourats comme autant de doigts vengeurs prêts à déchirer le ciel. Des cheminées vomissent en permanence une fumée épaisse et noire dont le suif recouvre les murs et donne à l'architecture alambiquée de ce sanctuaire de l'horreur un côté organique aussi fascinant que dérangeant. Et enfin, des sphincters évacuent les immondices produites par cette bête répugnante qu'une faune indigène se dispute afin de s'en repaître, le tout faisant baigner l'île entière dans une atmosphère nauséabonde.
Nous approchons par le Nord, et, enfin, les contours de l'île se dessinent. La créature est au centre, irriguée par quatre voies de chemin de fer qui lui apportent son lot d'âmes à broyer, le tout relié à quatre gares et autant de ports placés aux quatre points cardinaux. Mais si l'appétit du monstre est immense, il commence à connaître la faim. Le Malvoulant n'étant plus, il n'y a plus personne pour le nourrir. Alors quand les hommes du port septentrional voient la Lépreuse arriver, une lueur d'espoir s'allume dans ce qui leur sert de cœur. Après tout, Teach ne pouvait pas être tombé, sa mort n'était qu'une mauvais blague propagée par les journaux du monde, tous à la solde de ces chiens du Gouvernement Mondial. Les Damnés de l'Asile n'avaient pas perdu la foi, et c'est ce qui aller causer leur perte.
"Branle bas de combat!" hurlé-je sur la Lépreuse. "Artilleurs, mettez-moi ces défenses à bas! Soldats, enfilez vos masques et chargez vos fusils!"
"Oui, madame!" Répondent mes hommes en chœur.
Le son des canons brise les espoirs de la garnison du port Nord de l'Asile. Et la première volée de boulets fracasse leur ligne de défense et emporte une partie de leur artillerie. De mon coté, je continue de faire parler la poudre afin de nettoyer le port et d'ainsi sécuriser notre zone de débarquement. Malheureusement, les explosions ont pulverisé une partie des quais ce qui va ralentir significativement le déploiement de mes unités de combat rapproché. Après une manœuvre d'amarrage rendue laborieuse à cause de la pluie de balles qui s'abat sur nous, on finit par installer des passerelles et mes combattants peuvent enfin poser pied à terre! C'est ce moment qu'ont choisi les indigènes pour sortir de leur tanière et tenter de nous repousser. A la vision des ennemis, même les plus braves hésiteraient. Il y a deux Ames noires qui exhortent une horde de choses difformes et certainement jadis humaines mais qui, maintenant, ne sont juste qu'un mélange anarchique entre de l'humain et de l'animal. Ca hurle, ça grouille, ça crache et ça siffle, et mes gaillards reculent. C'est alors que je comprends que je dois prendre les choses en main. D'un bond je me place en première ligne et j'exhale un épais nuage de poison paralysant. L'effet est immédiat, l'assaut adverse est stoppé net, et il ne reste debout que les deux porteurs de malheur, protégés de mes émanations toxiques grâce à leur masque. Qu'à cela ne tienne, j'ordonne d'une voix neutre.
"Feu."
Les fusils claquent et une des deux Ames Noires tombe au sol, mais la seconde, mue par une volonté de vivre prend ses jambes à son cou tandis que mes soldats rechargent leur armes. Quand, soudain, une détonation se fait entendre et le fuyard s'effondre à son tour. Je lève la tête vers le mat de la Lépreuse du haut duquel je distingue la silhouette de Wolfgang, mon sniper, son arme de précision encore fumante. Je lui adresse un grand sourire et il me répond d'un pouce levé. Cette victoire est mineure, et pourtant, dans le cœur de tous, l'impression d'avoir fait une bonne action se diffuse comme un baume régénérant.
"Soldats, sécurisez le périmètre. On va installer un camp de base ici." ordonné-je.
C'est ainsi qu'avec une rigueur quasi-militaire, mes larbins massacrent méthodiquement les monstruosités paralysées. Une fois la zone dégagée, ils déchargent tente et matériel. La priorité est d'établir un hôpital de campagne où Gaston va pouvoir traiter les blessés. Et même si on peut considérer que la première partie de l'opération est un franc succès, il a déjà pas mal de travail. Cependant, je reste sur le qui-vive, tout se passe trop bien. Je ne devrais pas m'en plaindre, cependant, je ne suis pas naïve au point de penser que tout va se dérouler comme prévu. Je suis anxieuse et mon amie Héfy le voit bien.
"Un souci?" me demande-t-elle.
"Oui, c'est trop facile. Ca sent le piège." rétorqué-je fort à propos.
"Pour ça, je fais confiance à ton nez." me répond-t-elle, un sourire complice aux lèvres. "Mais ce n'est pas comme si on pouvait faire machine arrière, n'est-ce pas?"
"On verra donc le piège quand on sera tombé dedans. Ca risque de nous coûter de nombreuses vies." soupiré-je.
"C'est donc ça qui te tracasse?" Je hoche la tête pour confirmer. "Tu es une grande enfant Jes' si tu crois qu'on peut partir en guerre et ne pas perdre d'hommes."
"Je sais mais..."
"La suite sera encore plus sanglante." coupe la noble. "Si tu n'es pas prête pour tout ça, autant te soumettre à Frost. Personne ne te suivra avec une demi-détermination."
Héfy ne me dit pas la vérité que je veux entendre, mais elle me présente celle que je dois affronter. Et si ses mots sont durs, ils sont vrais. Et en ça, elle se comporte comme une véritable amie. Je la regarde droit dans les yeux, et elle y voit une détermination retrouvée, alors, rassurée, elle s'en retourne auprès des troupes pour les briefer sur la suite des évènements. Quant à moi, je m'en vais vérifier l'avancement du débarquement. Satisfaite de la progression de ce chantier, j'en profite pour faire un tour de la zone.
Les crabes cliquètent et filent devant moi alors que je m'aventure dans les rue en ruines. L'endroit est étrange. En effet, ce port est juste un endroit de transit et on voit bien qu'hormis les quelques maisons près de la jetée, et le chemin vers la gare, le reste est inhabité depuis longtemps. Combien de temps, je ne saurais dire, mais une chose me paraît certaine à ce stade, ce village côtier est bien antérieur à l'arrivée de Teach en ces lieux. Je me mets à imaginer qu'avant la construction de l'Asile, la vie devait être douce ici. De la pêche, quelques cultures dans la plaine, un brin de commerce. Dire que les habitants de cet endroit ont très certainement été les premières victimes du règne de folie de l'Empereur… ça me désole. Combien de temps avant que cette île retrouve son lustre d'antan? Hum… c'est tout moi ça, je mets la charrue avant les bœufs! J'imagine déjà le futur de l'Asile alors que je ne m'en suis pas encore occupée au présent. Mue par un besoin irrépressible de prendre de la hauteur, je bondis au sommet d'un clocher. L'endroit est délabré, couvert de lierre et de suif, et je le sens craquer sous mon poids. Je me tourne vers la mer et je vois le navire du satané garde chiourmes que Frost m'a collé dans les basques mouiller pas loin, à quelques encablures de l'île, puis mon regard balaie l'horizon et se pose à nouveau sur la bête endormie qui rougeoie au loin et dont les fumées plongent l'île entière dans une nuit éternelle. Ici, même la lumière semble avoir abandonné tout espoir à tel point que ma robe blanche parait grise et même ma peau si claire semble terne et sans vie. Enfin, je distingue la ligne de chemin de fer qui, telle une cicatrice, déchire la terre en ligne droite de la gare du village jusqu'à la maison de l'horreur.
C'est alors que je la vois, cette petite chenille de fer qui fume le long de la voie. Un train arrive! Des renforts, j'en mettrais ma main à couper! Immédiatement, je descend de mon perchoir et je file avertir les autres. La nouvelle n'est pas bonne mais grâce au sang froid d'Hefy, les gars n'ont pas le temps de tergiverser. Très vite on dresse des barricades de fortune et on poste des hommes autour de la gare, dès que ces abominations sortiront des wagons, ils recevront une douche de poison et de plomb. L'attente rend les hommes nerveux, beaucoup sont encore choqués par l'apparence des choses qu'on a affronté il y a quelques heures seulement sur le port. Quant à moi, je gamberge un peu. Certes on a pu prendre le port très facilement, notamment grâce à l'effet de surprise, mais là, c'est évident que cet que nous envoie l'Asile c'est du costaud, de la troupe d'élite pour récupérer le port vite fait bien fait. Puis, en y réfléchissant, c'est assez évident que nous ne sommes pas les premiers à tenter de faire tomber l'endroit. La garnison que nous avons balayée ne doit être composée que de menu fretin qui assure l'intendance des lieux. Maintenant que nous sommes traités en envahisseurs, je m'attends à une réponse immunitaire musclée.
Alors quand les freins du monstre de fer crissent et font jaillir des étincelles, tout le monde retient son souffle. Le grincement sinistre des portes métalliques déchire le silence et ce qui en sort est à glacer le sang. C'est toujours des créatures mi-homme mi-bête, mais cette fois le mélange semble plus ordonné. Ou même pire, fait à dessin dans le but d'optimiser les capacités de la personne d'origine. Peau d'écailles, membre hypertrophiés, voire carrément supplémentaires pour certains, et des armes de première qualité complètent l'arsenal de ces monstres. Je sens le stress de mes sbires monter en flèche, mais le plan est de les laisser tous descendre avant d'attaquer, sinon, ils vont se replier à l'intérieur du train et ça risque de compliquer dramatiquement notre affaire!
Une fois tous débarqués, on peut voir qu'on est grillés. Certains d'entre eux ont une truffe de chien quand ce n'est pas la gueule complète de l'animal, et c'est certain qu'ils nous ont senti. Et puis, tout d'un coup, le wagon de queue s'ouvre en deux et laisse sortir un colosse de chair et de tubes et de métal. Six mètres d'horreur abjecte couverte de furoncles et de plaies purulentes et pourtant, ce n'est pas ce qui m'effraie le plus. C'est son bras droit qui a été remplacé par une mitrailleuse au gabarit de cet être hors normes. Et un frisson glacé me parcours l'échine lorsque je réalise que ce golgoth maitrise le haki de l'armement … et qu'il s'apprête à faire feu!
L'arme pousse un rugissement de fin du monde, et les projectiles qu'elle crache à haut débit déchirent les barricades, les murs et les hommes comme s'ils étaient en papier! En moins de temps qu'il ne faut pour dire Alabasta, j'ai déjà ordonné la retraite. Et c'est dans un désordre le plus complet que mes gars se replient, alors que je couvre leur fuite grâce à un épais nuage noir de poison paralysant. Cependant, ça n'arrête pas le monstre et, malgré le vrombissement assourdissant de cette faiseuse de veuves, on entend sans mal le rire gras du colosse qui résonne. J'essaie de garder mon calme et de ne pas me jeter tête la première dans la bataille. A la place, je file rejoindre les autres au camp, quelques centaines de mètres plus loin, et je me prépare à affronter les remontrances de ma stratège en chef. Alors, je la devance.
"Oui, je sais, j'ai merdé…" M'excusé-je avec amertume.
"Tu as agi dans le feu de l'action, avec la volonté de protéger nos hommes." Pondère mon amie. "Ton intention est louable, naïve, mais louable." Elle voit à la tête que je tire que je me sens un peu rabaissée par ses propos, alors elle continue. "Hé, ton action a quand même sauvé de nombreuses vies!" Je sais qu'elle dit ça pour soigner mon moral, et je ça m'énerve un peu qu'elle arrive à calmer mon désarroi aussi facilement. La bougresse me connaît bien, mine de rien! "Le plan est simple, tu t'occupes du gros et nous on gère les monstres."
J'aime les plans simples. Et je me demande si Héfy ne m'a justement pas confié une mission basique justement parce que je n'ai pas le bagage intellectuel pour comprendre un plan plus subtil. Ou la discipline pour me conformer aux directives qu'on me donne. Nom d'une biscotte, j'ai l'impression d'être la plus mauvaise des capitaines du monde! Rhaaaa! Ce n'est pas le moment de douter! J'ai une mission simple, arrêter cette espèce de machin-chose et permettre à mes hommes de s'occuper de la piétaille! Et ce n'est pas en me torturant l'esprit que je vais y arriver! Déjà je vois la silhouette de mon adversaire se détacher! Je ne dois pas le laisser arriver à portée de tir! J'entends les raclements des griffes des hommes-bêtes qui arrivent, leurs grognements, mais aussi les pas lourds du dreadnought, j'inspire à fond et j'expire comme pour chasser mes doutes. Puis je me couvre de haki de l'armement et je fonce!
Je passe au travers de lignes ennemies avec une facilité déconcertante. Tout monstres qu'ils soient, mon poison paralysant les a quand même affectés! Je ne m'embête pas à les attaquer, car je n'ai pas de temps à perdre, je dois m'occuper du gros morceau sans tarder! Je le vois en train de trainer sa masse gigantesque et son arme disproportionnée. Il est lent, massif, et je vois bien que ses yeux ne me suivent même pas… me débarrasser de lui va être un jeu d'enfant! Alors j'utilise ma vitesse supersonique pour me glisser dans son dos et … soudain alors que je m'apprêtais à la frapper, mon ennemi se déplace soudain bien plus vite que prévu! Avant même que je n'aie pu réagir, il m'envoie une gifle couverte de haki qui me projette avec force contre un bâtiment. Heureusement que je m'étais couverte d'une armure de fluide offensif, sinon, je serais rudement mal en point à l'heure qu'il est. Cependant, mon adversaire ne compte pas en rester là et je constate avec horreur qu'il dirige le canon de sa gatling vers ma position et que le cylindre de l'arme commence à tourner! Même pas le temps de pousser un juron que déjà, les détonations s'enchaînent sur un rythme endiablé. Fort heureusement, ma maitrise du rokushiki me permet d'esquiver les tirs du monstre, mais je dois faire attention, ses munitions renforcées avec sa force de volonté perforent tout. Je dois donc m'assurer de ne pas me retrouver entre mon adversaire et le camp de base si je ne veux pas que ce dernier ait à souffrir de cet affrontement.
C'est donc avec cette contrainte en tête que je continue d'esquiver les tirs. La cadence avec laquelle son arme crache ses obus de mort m'empêche de l'approcher, mais je sais aussi qu'il n'a pas un stock de munitions illimitées, et que l'arme peut à tout moment s'enrayer. Mon plan consiste donc à épuiser l'atout majeur de mon ennemi en attendant le meilleur moment pour frapper. Sauf que, mine de rien, user le rokushiki de façon aussi intensive me fatigue bien plus que je ne l'aurais cru! Par chance, c'est lui qui se retrouve à court de jus et je ne me fais pas prier pour frapper vite et fort. Le coup que je lui porte au visage est tellement infusé de haki de l'armement que sa tête explose comme une grosse pastèque. Et alors que le colosse vaincu chute avec grand bruit derrière moi, je constate avec plaisir que mes troupes, menées par Héfy s'en sortent plus que bien. La victoire est à portée de main! Et le trépas de leur chef sonne le glas de cette bataille. C'est maintenant une scène de débandade qui se déroule sous mes yeux. Seulement, ma stratège en chef ne compte pas laisser l'ennemi s'en tirer à si bon compte. D'une voix claire elle ordonne d'exterminer tous les fuyards. Vraiment, la noble est sans pitié, ou alors c'est moi qui suis encore trop tendre.
Et puis soudain la cage thoracique de feu mon adversaire explose dans un craquement sinistre et j'ai à peine le temps de me retourner pour voir une âme noire surgir de la carcasse du colosse qu'elle a déjà tiré sur moi avec un drôle de pistolet. Je sens une aiguille traverser mes chairs, et quelque chose se répandre en moi. Et avant même que j'aie pu contre-attaquer, une balle traverse la tête de ce nouvel ennemi et il s'effondre au sol. Instinctivement, je me retourne et je vois le canon fumant du fusil d'un Wolfgang tout sourire. Je le remercie d'un pouce levé et …je me sens toute drôle. Mécaniquement, j'extrait la seringue hypodermique de mon bras, je vois un liquide ambré miroiter à l'intérieur d'un tube et je me dis qu'il ne faut pas être très malin pour essayer d'intoxiquer la femme-poison que je suis. C'est alors qu'un puissant spasme me vrille le ventre, de grosse gouttes de sueur glacée perlent sur mon front et ma nuque, je fais de mon mieux pour garder la bouche fermée et ne pas vomir. Je vois une Héfy catastrophée courir vers moi alors que je sens le sol se dérober sous mes pieds et que je tombe à genoux. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, j'entend mon amie appeler un brancard alors que ma vue se brouille.
Pour une fois, je ne bascule pas dans l'inconscience. Mais je ne me sens clairement pas bien, un goût âcre et salé me tapisse la bouche, je salive abondamment et avaler régulièrement quelque chose d'aussi ignoble me retourne le ventre. Ma peau est maintenant couverte de tache d'eczéma grisâtres et peu engageantes. Cependant, je refuse le brancard, hors de question d'infliger à mes hommes victorieux la vue de leur chef qui quitte le champ d'honneur allongée comme une mourante. C'est donc debout que je me dirige vers notre camp de fortune pour me faire ausculter par mon médecin aux cheveux roses. Après avoir enfilé des gants et un masque, Gaston se met au travail. Mon ami fait preuve de beaucoup de zèle et de rigueur : j'ai le droit à la totale! C'est long et ça ne me réjouit guère, mais je préfère ça qu'affronter le regard réprobateur d'Héfy si jamais j'essaie de m'y soustraire. Après quelques longues minutes d'attente, mon praticien favori revient, la mine sombre.
"Je ne sais pas ce que tu as." avoue-t-il à contrecœur.
"Comment ça?" m'étonné-je.
"Tu as une température de trente neuf deux, une tension de dix-neuf onze ..." Il voit à ma tête que je ne comprends rien à ce qu'il raconte. "C'est alarmant, Jeska. Et surtout, tes symptômes leur virulence et leur vitesse d'apparition ne me rappellent rien de connu."
"Du coup, ça veut dire quoi?"
"Que le virus qui t'infecte a été crée en laboratoire." conclut une noble qui vient d'arriver.
Gaston acquiesce et se dépêche de coller un masque sur la figure d'Héphillia. Cette dernière ne semble pas apprécier, mais finit par céder devant le regard rempli d'inquiétudes du docteur. Ce dernier se tourne alors vers moi et détaille.
"Ce que ça veut dire c'est que je ne sais pas quel est l'agent pathogène. Je ne connais pas son mode de fonctionnement, sa léthalité, et encore moins les moyens de lutter contre lui. De ce fait je vais devoir en faire des cultures à partir du sang que je t'ai prélevé et tester plein d'antiviraux dessus. Pour le moment, je peux juste te donner un traitement symptomatique pour faire baisser la fièvre et calmer tes nausées et te prescrire beaucoup de repos."
"Ca, c'est hors de question, on a pas une minute à perdre si on veut … " il me coupe.
"Je sais que tu veux aller vite, mais tu n'aideras personne dans ton état. Je vais te donner un somnifère pour que tu dormes un peu. Ca me laissera le temps de m'occuper des autres blessés et Héphy pourra faire un inventaire de nos forces. A ton réveil, on sera prêts pour faire tomber l'Asile."
Je ne suis pas en état d'argumenter, et même si je l'étais, je doute pouvoir gagner un débat médical contre Gaston et ma meilleure amie. Alors, docilement, j'avale les cachets que mon médecin me donne et je m'allonge sur un lit de camp, je demande cependant à ce qu'on me cache. Je crains toujours que de mauvaises nouvelles sur mon état de santé affecte le moral des troupes. C'est donc à l'écart, sous une tente, que je m'abandonne dans les bras de Morphée.