Travailler pour Aleksandar Redfang était relativement fatigant, mais pas si différent de la vie que Stephen avait connu à Manshon. Il tuait des types, récupérait leurs armes et vérifiait l'état de ces dernières. Il était d'ailleurs encore dans la cale du navire de son client face à plusieurs armes démontées. Après inspection et entretien, il les remontaient et plaçait d'un côté celles qui allaient être revendu dans l'état et de l'autre celles qui seraient plus tard démanteler pour n'en vendre que les meilleurs composants. L'exercice était bien rodé. Stephen avait fait ça des années durant en tant qu'armurier et les hommes à bord avaient vite su s'adapter. Tout le monde y gagnait. Le tueur se voyait offrir la promesse d'un paiement plus conséquent et le trafiquant d'armes qu'était Aleksandar gagnait un temps considérable dans le traitement de ses marchandises et, par extension, ses finances s'en portait mieux.
Une fois qu'il eut terminé sa tâche, Stephen accorda un instant à son pistolet à double canon. Vu l'usage régulier qu'il en faisait, il devait se prêter régulièrement à son entretien. Une action qu'il accomplit rapidement. Il n'eut plus qu'à s'essuyer les mains sur un des torchons traînant là avant d'enfiler ses gants et de rejoindre le pont du navire. Aleksandar appréciait d'avoir un rapport journalier sur les accomplissements du tueur et l'heure était venue.
L'air se faisait plus frais et le soleil commençait à perdre du terrain, mais Boréa était visible au loin. L'île n'était encore qu'un petit point, cependant, c'était un soulagement d'apercevoir un bout de terre après plus d'une semaine passée en mer. Stephen peinait à imaginer qu'on puisse apprécier la vie en mer au point de ne pas poser pied à terre durant des mois sans devenir fou. Il y avait peu de façons de monter une affaire lucrative en restant sur un navire et justement le trafiquant d'armes rentrait chez lui la cale pleine, et le tueur allait toucher une belle somme. Les deux hommes s'accordèrent naturellement un tête-à-tête professionnel.
— Vous avez accompli un travail exceptionnel, mes clients seront grandement satisfaits.
— Et moi également bien sûr. Vous ne m'avez pas laissé un instant de répit alors il vaudrait mieux pour vous que vos clients déboursent leurs berrys rapidement. Vous allez en avoir besoin.
— J'en ai conscience, mon cher. J'en ai conscience.
À cet instant, quelques hommes s'approchèrent sans éveiller les soupçons et Aleksandar resserra sa poigne sur son sabre. Le port commençait à être visible et les silhouettes des navires environnants se faisaient plus précises. Ils étaient proches de la civilisation, mais pas assez pour qu'un coup d'éclat attire l'attention.
— Voyez-vous, j'accorde grande importance aux hommes dont je m'entoure. Je ne veux que ce qu'il y a de mieux pour mes affaires. Pour moi, il s'agirait d'avoir des hommes qui me seraient loyaux quoi que je fasse, des hommes qui n'oseraient pas me mentir et je dois bien l'avouer, des hommes relativement bon marché. Vous, Monsieur Crowley, ne cochez aucune de ces cases. Vous m'avez menti en me cachant votre identité et vos liens avec le milieu criminel de Manshon, votre loyauté disparaîtra dès que vous serez payé et le paiement que vous demanderait dépassera de loin ce que je suis prêt à dépenser pour un misérable porte-flingue.
Sentant la situation lui échapper, Stephen eu à peine le temps de reculer d'un pas que la lame du trafiquant vint s'abattre sur son visage. Il échappa de peu à un coup fatal, mais il sentit son sang couler abondamment juste sous son œil gauche. En réponse, il glissa sa main dans sa veste, prêt à dégainer, mais un tir frôlant son épaule droite et un autre faisant mouche le firent trébucher par-dessus bord avant qu'il n'eût le temps de lutter pour sa survie. Lentement, il sombra et ne discerna plus rien.
Ce n'est que plusieurs heures plus tard qu'il se réveilla dans le confort d'un lit douillet. Il était engourdi, son visage était douloureux et bouger son bras droit suffisait à le faire grimacer, mais il était en vie. En reprenant péniblement ses esprits, il se redressa dans son lit juste quand une femme venait lui apportait un plateau-repas. Elle lui adressa un sourire étonnamment soulagé avant de disparaitre de son champ de vision. Lorsqu'elle fut de retour, un homme dans un uniforme médiocre l'accompagnait avec un panier. Ce dernier remercia la femme, tout comme Stephen, et déposa son fardeau au pied du lit avant de tendre sa main vers le blessé.
— J'ai bien cru que vous ne vous réveillerez jamais. Quel soulagement ! Je m'appelle Lukas, c'est moi qui vous ai sorti de l'eau. Vous étiez dans un triste état, une chance pour vous que j'étais dans les parages. Je suis le meilleur nageur parmi les hérauts de l'aurore à Lavallière !
Ce n'est qu'après sa tirade qu'il daigna relâcher la main de Stephen. Une salutation un peu longue, mais qui semblait satisfaire le héraut. Le tueur lui accorda un signe de tête courtois en plus d'un sobre remerciement. L'heure n'était pas à la politesse, et même s'il était reconnaissant à ce Lukas pour son geste, il avait plus important à faire.
— Où sont mes affaires ?
Lukas lui apporta le panier tout en faisant étalage de son contenu.
— Pas d'inquiétude, elles sont juste ici. J'ai recousu vos vêtements et pris soin de votre arme. C'est un joli pistolet, peu commun. Oh, et vos cigarettes et votre briquet étaient irrécupérable. Je suis désolé.
Sa mine sincèrement déçue déconcerta un instant Stephen qui s'empressa d'assurer au héraut que le tabac était plus simple à remplacer que son arme. Si le ton était volontiers léger, Lukas acquiesçait gravement tout en affichant une expression contrariée. Cet homme était un véritable livre ouvert et le désormais balafré compris vite le problème tandis qu'il quittait son lit et commençait à s'équiper.
— Vous avez prévenu les autorités ?
— Hé bien... Je suis conscient que toutes les personnes blessées à la dérive ne sont pas nécessairement des criminels, mais...
— Vraiment ? Vous péchez régulièrement des bons citoyens criblaient de balles ?
— Heu... Je ne sais pas. Ce serait la première fois que ça m'arriverai en tout cas.
— Détendez-vous. Je ne vais pas causer de grabuge. Pas trop.
Stephen quitta la pièce et se dirigea vers le cœur de la taverne. L'ambiance était chaleureuse, la décoration accueillante et l'odeur de l'alcool se mêlait à celle d'un doux fumet de poisson. Personne ne semblait prêter attention au tueur qui déambulait là son pistolet à la main, à l'exception de Lukas. Il tentait de se mettre sur le chemin de Stephen sans jamais vraiment oser. Une détonation retentit et son auteur obtint finalement l'attention de tous dans un silence pesant.
— Je suis à la recherche d'un homme. Grand, blond, des yeux bleus et beau parleur avec un costume qu'aucun de vous n'aurait les moyens d'acheter. Et j'ai besoin de renseignements. Où acheter une arme ici ? À qui je dois m'adresser pour faire affaire ?
Presque théâtralement, Stephen laissa planer un silence. Le temps que chacun puisse enregistrer sa demande, avant de conclure sur un ton sinistre.
— Il y aura une part du butin pour ceux qui m'aideront et une balle pour ceux qui me feront perdre du temps.
Dernière édition par Stephen Crowley le Dim 05 Nov 2023, 17:04, édité 1 fois