Un otage en vaut bien un autre

« Je te remercie d’avoir bousculé ton programme pour me rejoindre. »

Fait des plus étranges : dans un hôtel du centre-ville de Sekan, première île du célèbre Cercle d’Or, siège de la compagnie des trains maritimes, lieu d’autorité de l’Archigouverneur du Nouveau Monde et endroit le plus proche de MarieJoa et tout ce que ça représente, se trouvent un Empereur et son commandant, à discuter comme s’ils étaient de simples touristes.

Mais c’est loin d’être le cas : voici quelques semaines que le pirate Métamorphe séjourne et étudie l’île avec ses alliés. Grâce à ses dons, il est aisé pour lui de passer incognito. Quant à l’Empereur, il a débarqué de ça deux jours dans un coin reculé de l’île où son commandant est venu le retrouver et lui permettre de gagner la civilisation sous une autre identité. Ainsi les voilà réunis, deux hommes dont on ne narre plus l’histoire, connus et reconnus, pourtant personne ne sait qu’ils sont là. Un élan de panique aurait déjà envahi l’île et l’évacuation aurait été ordonnée. Non, les deux loups sont au centre de la bergerie et aucun mouton ne les a remarqués.

« Le soleil commence à se lever, l’Archigouverneur a dû s’installer au Palais d’Or pendant la nuit. Rappel moi à quelle heure se lève le gros de la garnison ? »

Red a fait parti de la marine il fût un temps, il connait les deux camps mais surtout leurs habitudes. Ainsi, il sait aussi notre top départ, mais ce n’est pas pour ça qu’il est là.

« Je sais qu’il est inutile de te remercier, mais merci pour ton aide. Au-delà du plan, j’ai une faveur à te demander, le genre qu’on ne peut demander qu’à un ami. Si un jour je venais à devenir comme le monstre que je combats, arrête-moi. Quelqu’en soit le prix. »

Que ce qui s’est produit à ChâteauGéant ne se reproduise plus jamais. Que je n’engendre plus de génocide similaire à un Buster Call. Mais même si je regrette, une partie de moi est satisfaite d’avoir eu ainsi les vies de tout un peuple dans le creux de mes mains. Pouvoir décider de vie ou de mort aussi facilement, il y a un quelque chose de grisant, et je sais que je pourrais très bien retomber dans ce travers. Que si pour atteindre le gouvernement mondial et abolir le Buster Call, il me faut éradiquer des innocents au passage, j’en suis capable. Je l’ai déjà fait. Mes hormones sont incroyables et terrifiantes à la fois, mais j’ai encore besoin de leur pouvoir…

Deux forts protègent Sekan. Val a réussi à infiltrer le service de blanchisserie du fort surplombant la baie il y a une semaine. En ce jour particulier, les nouveaux uniformes porteront une marque discrète à l’intérieur : un symbole particulier du Color Trap, celui de la trahison. Quant au second fort près du port, tous les miroirs de la base afficheront des couleurs psychédéliques accompagnées d’un ordre : tue tes camarades. Le coup d’envoi est donc le réveil de la garnison : lorsqu’ils vont faire un brin de toilette et vêtir leur uniforme.

Attention, il reste de nombreuses divisions opérationnelles sur l’île. Seule la 305ème avec ses deux milles soldats occupent les deux forts. La 307ème est une flotte de surveillance qui viendra probablement en aide sur les deux forts qui nous servent de leurre. Nous aurons principalement affaire avec la 306ème répartie dans les différentes casernes de la ville et la 300ème qui garde le Palais d’Or.

Pour autant, le plan suit son cours. Nous quittons l’hôtel d’un pas décidé, le coup d’envoi est lancé.

Hum… J’aimerais pouvoir dire que je m’en sors bien. Au moins aussi bien que Red. J’ai tout fait pour en tout cas : des deux amiraux j’ai choisi la femme, manchote et aveugle. Trois faiblesses flagrantes – Ambrosias en cumulait deux et on a constaté le résultat.

Malheureusement un amiral reste un amiral.

Sa lame est plus puissante que ma dague, son haki gagne du terrain, je ne gagnerais pas dans un combat frontal. Je suis obligé d’agrandir les ongles de mon autre main pour contre attaquer, la forçant à lacher du leste sur ma dague, mais bien qu’elle n’ait qu’un seul bras, elle parvient à parer chacun de mes multiples assauts. Pire : ses mouvements sont si rapides que l’air propulsé repousse mes cheveux en arrière malgré la maîtrise parfaite de mon corps, m’empêchant de multiplier encore mes attaques.

Je dois le concéder : elle me surpasse largement sur le domaine du sabre et les entailles s’installent progressivement sur mon corps tandis que je protège mes organes vitaux. Néanmoins je suis moins connu pour ma lame que pour mes hormones : ces derniers se diffusent dans l’air à la manière de phéromones. Comme à chaque fois que je combats quelqu’un de plus fort, ça se transforme en course contre la montre. Les échanges se poursuivent sans me laisser le moindre répit, c’est à celui qui aura le moins d’endurance : sa lame me touche, mes hormones l’affaiblissent. Heureusement mes pouvoirs m’aident à tenir en faisant fi de la douleur et de la fatigue tout en dopant mes muscles. Je dois absolument tout donner pour tenir tête face à Boïna, même user de mon aura de froid pour espérer la ralentir un peu.

Mais je tiens bon et plus le temps passe, plus je commence à y croire. J’ai une chance !

Je me leurrais.

Je donnais tout pour me maintenir mais ce n’était pas son cas. Dès qu’elle a commencé à sentir les effets des hormones et que ma dague a ne serait-ce qu’effleuré sa joue, son rythme s’est subitement accéléré. Elle en gardait sous le coude mais elle a changé d’avis dès qu’elle a compris qu’il s’agissait d’une course contre la montre. Les entailles sont plus profondes à chaque nouvel échange. J’essaie de prendre de la distance pour souffler un peu mais des pics de métal me transpercent les pieds pour me clouer sur place. Je n’ai plus qu’à lutter jusqu’à l’épuisement en espérer que mes hormones ont raison de son endurance avant d’elle de ma vie.

Puis, soudain, un éclair de génie. Cette fourberie qui m’a permis de survivre jusqu’ici. Mes cheveux ne peuvent aller vers elle, mais je peux lancer des frappes d’air dans l’autre sens, vers ces chers civils innocents que la marine a juré de protéger. Je m’exécute et Boïna me repousse d’un violent coup qui me déboite l’épaule avant de défendre les citoyens.

Enfin un peu de répit. Oui, au point où j’en suis, je considère ce vol plané incluant le bâtiment qui s’effondre sur moi à l’impact comme un répit. Je sors des débris tandis que mes cheveux lancent des attaques dans toutes les directions pour occuper Boïna à la protection, elle et d’autres soldats d’élites qui arrivent. Il ne faut vraiment pas qu’on traine plus longtemps ici ! Plus de morale, survie avant tout, on peut allégrement s’en prendre aux citoyens.

Je vois Shiro plonger sur un Red affaibli : finalement je m’en sors peut être aussi bien que lui ? Mais attaquer les âmes autour de cet amiral n’y changera rien : son attention est pleinement concentrée sur l’Empereur à la merci de son prochain coup. Il me faut mieux. De ma main valide j’agrippe l’innocent le plus près et le lance de toutes mes forces entre les deux opposants. Shiro doit adapter sa trajectoire et choisir entre aider l’individu qui ne sait pas voler ou atteindre Red. Une seconde d’hésitation qui, bien qu’il attrapa l’inopportun tout en envoyant un éclair concentré vers Red, permis à ce dernier de grandement diminuer l’impact de cette attaque.

Je rejoins immédiatement Red et lui injecte des hormones pour le remettre en forme, mais pas que.

« Tirons notre révérence. »

Red se sent plus en forme qu’il ne l’a jamais été : toutes les ressources de son corps sont mobilisés pour ses actions à venir, mais il remarque très vite qu’il ne faudra pas longtemps pour qu’il soit à court d’énergie. Une technique de dernier recours que j’emploie très rarement : il s’agit de rassembler et lancer toutes ses forces dans la bataille. Soit on s’en sort, soit on est à leur merci. Je fais de même pour moi et on s’élance vers la côte avec tout ce qu’on a. Mes cheveux lancent toujours des attaques aléatoires autour mais Shiro est bien plus rapide : il intercepte chaque lame d’un éclair et nous en envoie aussi, bloqués par les ténèbres de Red. Boïna revient à la charge, ma dague heurte sa lame mais sa force va m’écraser. Red frappe dans mon coude, additionnant sa force qui renvoie l’aveugle en arrière. Shiro fend sur Red avec son granit marin, je lui lance la dague pour qu’il puisse parer sans toucher. Des lances de métal apparaissent du sol et visent l’Empereur occupé de toute part, j’agrandis mon bras déboité pour qu’il serve de bouclier. Boïna attaque encore, bien décidée à me trancher en deux. Red stoppe la lame de sa main libre mais du sang perle de ses doigts. Les amiraux comprennent qu’on fatigue mais aussi que leur meilleure chance d’atteindre Red est de me viser moi.

Les assauts s’enchainent sans interruption. Red et moi parvenons à avancer au prix de mille efforts mais la fatigue et les blessures se cumulent à une vitesse folle. Des cheveux sortent enfin de mon médaillon : Alice est en place ! Un miroir se forme devant nous. Tous comprennent en même temps que c’est là que tout se joue.

Red et moi nous retournons l’espace d’un instant, il brandit son bras, moi ma dague, et on abat de toutes nos forces, créant deux poussées d’air qui se mêlent et transperce jusqu’à l’île elle-même, menaçant de fendre le volcan en deux. Les deux amiraux joignent leur force pour intercepter l’ultime attaque. On va s’échapper ! Un éclair s’abat brutalement sur le miroir derrière nous. Non ! Red l’a vu venir et a englouti le miroir sous ses ténèbres pour le protéger. Il le restitue pendant qu’on bondit dedans juste avant qu’une deuxième foudre ne le détruise.

…

Red et moi sommes dans le monde miroir. Alice retourne dans la réalité par un miroir à l’intérieur du monstre marin Plouf qui s’éloigne immédiatement. On s’affale tous deux, à bout de force mais à l’abri, tandis que dans le monde réel les deux amiraux sont debout sur les débris du miroir. Derrière eux, une trainée de destruction chaotique parsemé de notre sang mène jusqu’aux ruines du Palais d’Or et un volcan arborant les couleurs de l’Empereur dans sa paroi surplombe le désastre. Pour autant les pertes civils sont minimes voire inexistantes grâce aux efforts de la marine qui découvrira ma lettre lorsqu’ils évacueront les décombres.

Au gouvernement mondial et à ses représentants,
Il est malheureux de constater que vous demeurez sourd à mes propositions de paix. Je me suis donc arrogé une nouvelle monnaie d’échange : votre Archi-gouverneur du Nouveau Monde.
Si vous désirez le récupérer en un seul morceau, rencontrons nous entre quatre yeux pour discuter des modalités d’abolition du Buster Call.
Dans le cas contraire, étant un pirate de parole, je poursuivrais ma gradation de mise en demeure. Vous avez sans doute eu vent du fléau qui a ravagé ChâteauGéant ? Et je crois savoir que la prochaine Rêverie doit avoir lieu cette année. Je vous laisse faire le lien.
A bon entendeur,
Reyson D. Anstis.

« Tout s’est passé comme prévu finalement. »

Si on part du principe que l’imprévu fait toujours parti de nos plans et qu’on a pas d’Archi-gouverneur mais une Contre-Amirale… C’était dangereux.