Symphonie en catastrophe mineure
East Blue, l'une des mers les plus paisibles du globe, s'étendait sous les yeux d'Hayato. Le soleil inondait de lumière le paysage devant lui, laissant ses reflets danser sur les vagues à l'infini. La navette sur laquelle il voyageait fendait bravement les flots, le portant lui et les autres passagers vers leur destination, sous cette douce chaleur. L'écho lointain de quelques mouettes en quête de nourriture répondait aux clapotis de l'océan.
Un grondement sourd le tira de ses pensées.
Comme à son habitude, l'épéiste n'avait pas pris plus d'une poignée de Berrys sur lui. Pour être tout à fait honnête, il s'agissait plutôt de toute sa fortune ! Bien insuffisante pour payer une traversée de cette mer, ni même un repas digne de ce nom. Il devait donc négocier avec les capitaines, et généralement s'engager à protéger le navire qu'il empruntait contre d'éventuels assaillants, en échange du voyage. Un processus long et fastidieux. Son estomac lui rappelait, sans aucune pitié, l’infâme condition dans laquelle il le plaçait depuis déjà trop longtemps ! Sans doute s'était il remis à geindre en apercevant la terre ferme, dans l'espoir de trouver de quoi faire taire cette fringale.
Quelques minutes plus tard, Hayato posait le pied sur l'île de Sirup. Sans sa réputation de villégiature pour nobles, elle aurait très bien pu devenir un bastion fortifié. En levant les yeux, il aperçut un des deux seuls chemins fendant les falaises qui encerclaient l'île. Qu'il serait simple de se défendre contre une attaque, ici ! Après avoir remercié le capitaine, Hayato emboîta le pas aux quelques touristes et se mit à la recherche d'une auberge miteuse, d'un restaurant bon marché ou, à défaut, des restes oubliés.
En quelques minutes, il rejoignit un petit village. Son baluchon sur le dos, il avança en laissant ses sandales usées crisser sur le sol. Promenant son regard en tout sens, le voyageur affamé finit par repérer une enseigne à l'allure abordable. « Chez Coco » annonçait la pancarte écrite à la main. La peinture ne datait pas d'hier, les carreaux devaient avoir été lavés l'année dernière et la porte grinça avant même qu'il ne touche la poignée. Lorsqu'il entra dans l'établissement désert, le client sans le sou repéra des tables crasseuses, des tabourets de récupération et un bar usé par le temps. La cuisine ouverte laissait apparaître un immense monticule de vaisselle sale et, à moitié endormie derrière le comptoir, une vieille femme le regarda entrer en le lorgnant d'un œil ensommeillé.
Contrairement à son établissement, la tenancière d'une soixantaine d'années semblait fraîche comme un gardon. Elle avait coiffé ses cheveux blancs d'un bandeau aux vives couleurs. Sa chemise et son pantalon aux teints criards avait étés lavés et repassés. Ses doigts manucurés tenaient une cigarette fumante et ses yeux, à présent qu'elle était réveillée, pétillaient d'un air espiègle.
- Bienvenue, voyageur, déclara-t-elle d'une voix rauque. C'est pour quoi ?
- Bonjour, j'aurais aimé vous demander à manger, mais...
- T'as pas un rond, hein ? le coupa la patronne, avec un sourire en coin.
Hayato eut la bonne grâce de rougir, lorsque son estomac répondit pour lui. La faim le privait toujours d'une bonne partie de ses forces, à son grand dam au vue des quantités astronomiques nécessaires pour le rassasier. Il suffisait d'examiner sa mine déconfite pour comprendre qu'il n'avait pas fait de repas convenable depuis des jours. Il reprit la parole pour plaider sa cause. Ces négociations forcées faisaient, en réalité, partie de son entrainement :
- Je voudrais vous proposer un marché. Je peux...
- Si tu veux manger, gamin, fais moi toute ma vaisselle et mon ménage.
Surpris, l'épéiste cligna des yeux à plusieurs reprises. Ça n'avait jamais été aussi facile ! Devant la mine ahurie de son client, la vieille femme éclata de rire, avant de reprendre :
- J'en ai vu d'autres, petit ! Laisse faire Coco. Il en a pas l'air, mais ce restaurant est toujours plein, tu sais ?
- Donc, toute cette vaisselle... date juste d'hier ? demanda-t-il, impressionné.
- Hein ? Ah ! Ça... Non... Ça, c'est parce que j'ai la flemme de laver.
- Vous servez dans des assiettes sales ?
- T'es con ou quoi ?
Elle souffla la fumée de sa cigarette, tandis qu'Hayato souriait d'un air gêné. Evidemment, elle devait finir par laver sa...
- Quand j'ai tout utilisé, j'en rachète d'autres.
Il faillit avaler de travers.
- Mais vu que t'es là, je pense que je suis tranquille pour un bon mois !
Du pouce, elle montra non seulement la vaisselle dans l'évier, mais également un tas monstrueux dans la cour derrière l'établissement. Le vagabond déglutit avec difficulté. Dans quoi s'était il encore fourré ?
- Allez, mon p'tit ! ricana-t-elle. Au boulot ! Si tu te débrouilles bien, t'auras terminé pour le service de ce midi !