Le bateau en flamme de ton ancienne unité, à présent décimée de ta main, commençait à rétrécir devant toi, à l’inverse de l’île derrière toi qui grandissait à vue d’œil. Tu n’avais pas hésité un seul instant à mettre un canot de sauvetage à la mer et incendier le bâtiment qui t’avait accueilli pendant un an pour faire table rase de ta défunte vie.
Retourner à Koneashima était devenu impossible désormais. Tes ex-collègues poseraient bien trop de questions. Il te faudrait faire une croix sur tes affaires et tes souvenirs là-bas. Mais, en vérité, tu ne désirais rien garder. Une nouvelle existence. Un nouveau départ. De nouveaux vêtements. Du nouveau matériel.
Vous progressiez au large de Carcinomia quand ce drame survint. Ainsi, tu ramais dans cette direction. Une chance que l’île n’était pas affiliée au gouvernement mondial. Mais un problème de taille demeurait, tu n’étais pas à bord d’un submersible. Enfin, qu’importe, tu avais entendu parler d’un service régulier qui faisait l’aller-retour entre les ports intérieurs et celui à l'extérieur.
Tu accostas bien vite sur les planches du quai à flanc de rocher. Au premier abord, on pouvait se demander la raison de sa subsistance en ce lieu. Il se dressait là, fier, solitaire, esseulé, face aux intempéries. Comme si la nature avait détruit la terre à laquelle il était rattaché. Cependant, quand on en connaissait la fonction, cela frappait l’esprit d’évidence.
Tu patientas une bonne heure, assise contre un tonneau, ressassant tout ce qu’il venait de se passer. Tu revoyais les pirates blessés danser devant toi, leurs lames et leurs pistolets braqués vers les marines à tes côtés, tu sentais encore sur tes bras la froideur de ton meilleur ami, mort. Et surtout, tu revisionnais la violence et le carnage dont tu avais fait preuve.
Ainsi, tes larmes se mirent à couler et ne s’arrêtèrent pas. Des pleurs de tristesse et d’amertume, au début, qui se changèrent rapidement en un condensé de rage et de vengeance. Tu ahanais presque sous l’effet de ces sentiments irrépressibles.
D’ailleurs, tu ne te rendis même pas compte qu’un sous-marin amorçait son émersion. Tu reniflais bruyamment, laissant un côté sordide et sale de toi prendre le contrôle. Tes mains vinrent enserrer ta tête, prêtes à déchiqueter ta peau et te tirer les cheveux. Tes pensées t’enfonçaient un peu plus dans les méandres des ténèbres à mesure qu’elles défilaient. Un vague murmure se faufila jusqu'à toi. Imperceptible, diffus, mais ô combien présent !
– M..m...sel...
Des mots. Des mots essayaient de t'atteindre. Mais une barrière mentale t'empêchait de les interpréter. Tu ne voyais pas la lumière qui tentait de t'extirper de ta tourmente.
— Mad...oi...le
Les syllabes prenaient déjà une plus grande ampleur. On t'appelait ? Enfin c'est ce qu'il te semblait.
— Made...oise...
Tu aurais dit que cela devait finalement plus clair, plus distinct. L'origine de ses paroles se rapprochait-elle ? Peut-être. Cependant, tu t'enfonçais toujours de plus en plus dans ta propre noirceur pour vraiment saisir les faits. Puis soudain, quelque chose te toucha légèrement. Cette surprise seule te suffit pour t'extirper de ce maelstrom infini.
Tu retins ton souffle et dévisageas, incrédule, la personne qui te faisait face. Un examen de cet homme d'âge moyen, aux traits marqués, et aux yeux perçants, lui révélait une folie patente dans le fond de tes pupilles.
— Ca va, mademoiselle ? s'enquit-il, d'un ton qui se voulait apaisant. Je n'ai pas pu m'empêcher d'agir en voyant votre détresse.
Il te tendit un mouchoir en tissu, brodé de ses initiales, T.J., dans une superbe calligraphie. Tu le pris instinctivement et commenças à te nettoyer, enlever cette crasse qui ne te rendait pas justice.
—Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui vous a mis dans cet état-là ?
Tu sentais qu'à la simple évocation de cet évènement, remontant à seulement une heure, attisait à nouveau cette effroyable colère, cette haine vorace envers le genre humain. Tu seras la mâchoire et les poings.
— Je suis désolée pour vous. Carcinomia a en effet repéré des flammes immenses au loin. C'est pour ça que je suis venu voir. Je suis content de vous avoir trouvé.
Instinctivement, tes doigts se dirigèrent en tapinois vers un de tes holsters pour y saisir ton arme. Le descendre ici et maintenant, cela éliminerait ce gêneur. Tu volerais son sous-marin et irais jusqu'à une destination plus intéressante. Cependant, tu n'avais aucune maîtrise de ses engins, qu'importe tes connaissances élaborées en science.
En portant ton regard par-dessus sa silhouette, tu Me vis, moi la Faucheuse, une main sur son épaule. Je te dévisageai et secouai la tête.
Tu te ravisas donc, sans laisser rien paraître. L'homme, le capitaine selon ses galons sur sa veste, hésita un instant, puis il réouvrit la bouche d'une voix qui se voulait assurée.
— Venez avec moi. Je vous ramène sur l'île. Après ce que vous avez traversé, cela vous sera agréable.
Tu affectas un léger embarras avant d'accepter sa proposition. En vérité, tu souhaitais surtout être loin de tout le monde, mais pour aller où ? Ainsi, c'était un mal pour un bien. Il te tendit la main pour t’aider à te relever. Tu te laissas faire et il te porta jusqu’au sas de son bâtiment. Bien vite, tu arrivas dans la salle des opérations. Là, plusieurs matelots mettaient le submersible en branle.
Il te fit asseoir sur un fauteuil dans un coin de la pièce et on te distribua une couverture pour te rassurer et te réchauffer ici, dans les profondeurs maritimes. On te donna également une boisson chaude. Même si tu ne supportais pas ce traitement altruiste, tu te laissas faire, ne trouvant rien à opposer.
La traversée jusqu’au port interne de l’île ne prit qu'une grosse demi-heure. Un temps où seuls les bruissements des radars et des conversations feutrées des opérateurs. Tu n’y prêtas guère attention, ce n’était que de simples rumeurs dans les méandres de ton esprit en ce moment ravagé par la folie et la douleur.
D’ailleurs, tu ne remarquas pas quand vous arrivâtes à destination. Si bien qu’on t'extirpa par surprise de tes songes chaotiques en te tapotant l’épaule et en t’invitant à sortir de la cabine de pilotage. Une fois dehors, l’épaisseur de l’air te sauta au visage. Il était plus que vicié par le renfermé et la pollution ambiante. Cette dernière, palpable qui plus est, trouvait son origine dans les diverses industries qu’on pouvait deviner dans la silhouette des différents secteurs environnants.
Alors, première objectif, te changer et savoir où loger dans ce microcosme de civilisation. Mais le capitaine qui t’avait recueilli n’avait clairement pas fini de jouer les bons samaritains.
— Première fois à Carcinomia ? Venez, je vais vous faire visiter. Et puis, il vous faut de nouveaux vêtements. Vous ne pouvez pas vraiment rester trempée.
Sans un mot, d’un simple hochement de tête, tu acceptas et le suivis dans les rues du quartier le plus proche.
Le narrateur est la faucheuse, elle fait partie intégrante à l'histoire, quand elle intervient, le texte est en italique (sauf dans les dialogues)
- Moissonneuse et Désespoir/poussière:
Désespoir et Poussière
La Moissonneuse
Dernière édition par Jessica Hellhound le Ven 12 Avr 2024 - 16:38, édité 38 fois