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Enquête au royaume des pêcheurs


Enquête au royaume des pêcheurs


Hayato s'essuya le front.

Le soleil lui brûlait la peau, et le ciel bleu dégagé ne laissait aucune chance de se mettre à l'abri, sous cette chaleur infernale. Après un bref soupir, l'épéiste se remit au travail. Il coordonna ses mouvements avec les autres hommes du navire, puis tira sur les cordes de toutes ses forces. Peu à peu, le filet remonta une montagne de poissons, que les pêcheurs s'empressèrent de placer dans des compartiments spéciaux.

Voilà déjà six mois qu'Hayato avait quitté Las Camp, un goût amer dans la bouche, son clan décimé, son mentor assassiné et sa vie bouleversée de manière irrémédiable. Il en avait fait la promesse à Jinro-san sur son lit de mort : il vivrait et le rendrait fier. Ces derniers mois n'avaient pas été de tout repos ! Lui qui s'était habitué au confort procuré par sa famille, il avait dû revoir son mode de vie. Ainsi, il avait pris la décision de partir en voyage et de vivre « à la dure », dans l'espoir de se renforcer.


- Oi, le rêveur ! l'interrompit la voix du capitaine. On a terminé pour aujourd'hui, va aider l'équipage, on rentre.
- Oui, capitaine ! s'exclama le sabreur.


Son périple l'avait mené sur Poiscaille depuis maintenant une semaine. La situation de pêcheur sur l'île lui permettait de travailler le matin, de gagner juste assez pour se payer des repas conséquents et, surtout, de disposer de tout le reste de ses journées. Il en profitait pour s'entrainer au sabre, mais également pour méditer sur les futures étapes de son voyage. L'exercice routinier était parfait pour laisser la mémoire musculaire travailler, pendant que l'esprit vagabondait.


- Tu t'es encore fait enguirlander, Hayato ! se moqua gentiment un pêcheur à coté de lui.
- Si t'étais pas un bourreau de travail, ça fait longtemps qu'on t'aurait jeté par dessus bord, espèce de tête en l'air ! surenchérit un autre marin, tordu de rire.


L'épéiste sourit, tandis que les discussions allaient bon train. Oui. C'était une vie simple, mais plaisante. La camaraderie, l'effort physique, les sempiternels déjeuners à la taverne en rentrant de la pêche... S'il n'avait pas eu vocation à gravir les échelons de l'ombre, à l'instar de son bienfaiteur, il aurait pu continuer à vivre indéfiniment ici. Une idée dangereuse, une pente glissante, même.

Il allait sans doute devoir partir plus tôt que prévu.

Une fois de retour sur la terre ferme, les poissons évidés et écaillés, les hommes se lavèrent les mains, puis s'étirèrent. Quelques blagues plus tard, ils se dirigèrent d'un même pas vers l'établissement où ils prenaient leurs repas. Ce jour là, la discussion prit immédiatement un tour inhabituel :


- Eh, vous êtes au courant ? lança une jeune recrue. Y paraît que y'a des problèmes avec certains cargos.
- Des problèmes ? releva Hayato.
- Ouais ! J'ai entendu des rumeurs. Apparemment, y'a des cargaisons entières qui sont jamais livrées, alors que le gouvernement les paye plein pot !
- Personne sur cette île est assez bête pour voler la marine, ou les trois grandes familles, idiot ! lança un vieux loup de mer.


Le jeunot s'empourpra et grinça :


- Si ! Même que j'ai entendu le maitre des quais Tournoupaix se faire enguirlander par un sous officier ! Pas plus tard que ce matin !
- Qu'est ce qu'ils disaient ? s'enquit Hayato, définitivement curieux.
- J'ai entendu que des bouts de discussion. Mais ils parlaient de livre des comptes trafiqués, et de navires qui avaient disparus avec le chargement ! J'pense que...
- Si tu veux un conseil, gamin, te mêle pas de ça, l'arrêta le vieux briscar. Que ce soit un coup de criminels, une magouille locale entre aristos' ou autre, crois-moi, vaut mieux pas que le gouvernement te pense dans le coup...
- Mais...
- Laisse tomber, petit. La Justice, ça peut mettre tout le monde dans le même sac assez vite, si tu voix ce que j'veux dire.


Le reste du repas dériva sur des sujets beaucoup plus triviaux, de sorte qu'Hayato eut tout le loisir de réfléchir à la situation. Il le savait, il n'avait que trop retardé son départ. C'était sans doute l'occasion parfaite. S'il s'agissait de criminels, aller se frotter aux terreurs des Blues l'entrainerait à sa future vie de hors la loi. En cas d'intrigue politique, il était certain qu'en décortiquant la manière de procéder des coupables, il pourrait apprendre une chose ou deux sur la manière de monter ce type d'opération.

En fin de repas, l'épéiste quitta le groupe et se dirigea d'un pas tranquille vers les quais. Avec un peu de chance, il pourrait trouver quelques informations utiles, ou apporter son concours à ce fameux Tournoupaix. Un fin sourire étira ses lèvres, en cette belle après midi : pour une fois, Poiscaille sentait autre chose que le poisson.

L'aventure l'appelait de nouveau.


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Le vieux pêcheur ruminait dans sa barbe depuis presque une heure tandis que les rayons du soleil de midi filtraient paresseusement au travers de la vitre crasseuse de la salle d’interrogatoire. Nonchalamment assis sur une chaise, j’écoutais d’une oreille distraite ses élucubrations et l’observais du coin de l’oeil depuis l’autre bout de la table. Derrière moi se trouvait le caporal Trys Murt, soigneusement hors de mon champ de vision mais les quelques regards inquiets que jetait de temps à autre le pécheur par-dessus mon épaule ne me trompaient pas.

A vrai dire, la mauvaise conduite de la marine avec les locaux ne m’intéressait guère. Si l’on avait détaché un agent du CP6 sur place ce n’était pour rien d’autre que traquer la vermine révolutionnaire que l’on soupçonnait d’avoir infiltré l’île. Poiscaille était un haut centre de la pêche, aussi répugnante que puisse être la vie en ces lieux, l’endroit revêtait une importance certaine pour la logistique du Gouvernement ainsi que pour les industriels dépendant des envois réguliers de poissons. En bref, il était hors de question de laissait la sédition s’installer.

Dernièrement, des sources avaient fait remonter des tensions parmi les pêcheurs et pire encore, une perquisition dans une cabane avait mis au grand jour un manifeste de la Révolution. Cela avait été suffisant pour m’envoyer enquêter et mesurer la situation.  

Du peu que j’avais vu, il ne semblait pas y avoir grand-chose à dire. Les pêcheurs étaient exploités mais ils ne semblaient pas animés par une ferveur de changement de régime, plutôt une grogne latente contre leurs employeurs. Rien qui ne sortait de l’ordinaire par rapport à un nombre incalculable d’île du Gouvernement.

Le commandant de la garnison locale, un certain commandant Zoubi s’était montré d’un grand empressement à m’être utile. Il m’avait tout de suite fourni une liste de noms, parmi les habitants de l’île, sur lesquels commencer mon enquête. Enfin il m’avait accolé un de ses sous-officier pour me guider.

Au fur et à mesure des entretiens comme celui de ce matin, je comprenais peu à peu que le charmant caporal était plus là pour me surveiller et s’assurer que les interrogés ne soient pas bavard sur le mauvais sujet. Il n’était pas rare que les garnisons s’adonnent au racket et autre menu brutalité mais tant que cela ne desservait pas outre-mesure les intérêts du Gouvernement, je n’avais guère l’intention de m’en mêler.  

Au bout d’un long moment je finis par congédier le pêcheur qui ne m’avait rien appris outre qu’il était un loyal citoyen tout ce qu’il y a de plus droit et que la vie était compliquée car le poisson était moins abandant que la saison passée, bla bla bla...

Ces interrogatoires ne menaient à rien mais si je me les coltinais depuis quelques jours c’était avant tout pour que mes charmants hôtes abaissent leur garde. Le caporal Murt n’était pas une flèche et je comptais bien trouver un moyen de lui fausser compagnie aujourd’hui. Si je voulais prendre le pouls véritable de l’île, il me faudrait me mêler aux locaux, partager leur crasse et leurs habitudes pour enfin entendre ce qui se dit vraiment. Avec un pot de colle de la marine cela me serait impossible et je devinais le commandant Zoubi trop nerveux pour agréer à me laisser sans surveillance.

Murt : “Je le sens pas ce gars msieur Cai ! A mon avis c’est notre homme.”

La voix pateuse et fleurie par les effluves d’alcool et de poissons mal digérés du caporal me tira de mes pensées. Le simplet pensait passer inaperçu à essayer de raccourcir mon enquête en me jetant en pâture un benêt dont le seul crime devait être de ne pas lui revenir.

Cai : “Probablement caporal, ce vieux grigou semblait incohérent dans ce qu’il nous a dit. Cela ne peut être qu’un signe de culpabilité !”

Murt : “Tout à fait, jlai jamais senti çui là. Toujours à gueuler”

Cai : “Vous auriez fait un fameux agent caporal.”

Murt : “Ma bonne mère disait toujours que j’avais du nez ahah.”

Je lui jetais un regard sincèrement compassionnel face à tant de débilité.

Murt : “Du coup, jle fais arrêter ?”

Je réfléchissais un instant avant de me tourner vers Murt en arborant un sourire éclatant.

Cai : “Vous savez quoi mon bon Murt ? Allez y !  Envoyez moi cette charogne au trou car je pense bien que mon enquête est terminée et m'est avis que nous avons bien mérité de fêter ça.”

Il me regarda incrédule.

Cai : “Pourquoi ne pas descendre plus tard vers les quais et s’en jeter quelques-unes ?”

Murt : “Eh bien si on m’avait dit que les agents savaient faire la fête. J’en suis msieur, j’ai juste à rassembler une escorte.”

Cai : “Oh allons bon, est-ce bien nécessaire ? L’enquête est terminée, plus besoin de faire du zèle surtout si l’on veut s’amuser.”

Le caporal resta interdit, il était simple à lire et je devinais qu’il pesait le pour et le contre de désobéir à Zoubi et se prendre une bonne murge bien méritée.

Cai : “Le commandant n’en saura rien et je paye la première tournée caporal.”

La perspective de l’alcool gratuit fit pencher la balance.

Murt : “Vous avez raison msieur Cai et pis le jour est pas arrivé qu’un marine recule devant une bonne beuverie face à un gouvernementeux.”

Cai : “Bien dit Caporal.”



Quelques heures plus tard sur les quais.


La journée touchait à sa fin, la plupart des pêcheurs avaient regagnés le port et dilapidaient une bonne partie de leur paie journalière dans des estaminets à manger et boire. Le caporal m’emmenait à un tripot de son goût où selon lui la bière était à peine coupée à l’eau.

L’endroit était aussi insalubre que le reste de la ville mais il y régnait une atmosphère conviviale bien que cette dernière se refroidit nettement à l’entrée du sous-officier de la marine. Le caporal s’installa au bar et brailla pour avoir de quoi se rafraichir le gosier ce qui détendit quelque peu l’ambiance.  

Le soleil ne s’était même pas encore couché que le bon vieux Murt enchainait la picole comme un soiffard à la sortie d’un sevrage. Cela faisait mes affaires car une fois qu’il serait bien bourré, je n’aurais qu’à lui fausser compagnie pour commencer réellement mon enquête.

Cependant un homme d’une forte corpulence et au crâne luisant vint nous interrompre. Je pouvais deviner qu’il était nerveux à ses petits regards de fouine qu’il jetait à droite et à gauche à intervalles réguliers.

??? : “Murt, faut qu’on cause !”

Murt : “Dégage Tournoupaix, jsuis occupé ce soir. Je prends une cuite avec mon ami.”

Tournoupaix : “C’est important ! Le navire de l’intendance est venu récupérer la cargaison hebdomadaire mais le sous-officier m’a engueulé comme quoi il n’aurait pas reçu la dernière cargaison. Il m’a dit que ce n’était pas la première fois.”

Murt :”Qu’est ce tu veux qu’ça me foute ?”

Le regard du caporal s’était assombri et il zieutait son interlocuteur d’un oeil mauvais. Autour, je pu voir les pêcheurs attablés au bar se lever et payer précipitamment leurs additions.

Tournoupaix : “Tu sais bien que les cargaisons sont stockées à la garnison et...”

Murt : “Est ce que les familles ont dit que y avait un problème ?”

Tournoupaix : “Quoi ? Non mais...”

Murt : “Alors ferme ta gueule et laisse-moi boire !”

Il posa une main sur son pistolet pour appuyer ses propos sans la moindre subtilité.

Autour, les conversations se faisaient à voix basses mais je pouvais sentir à des kilomètres qu’il y avait quelque chose de croustillant. Je n’attendais qu’une chose, c’était de fausser compagnie à Murt car cet échange et les réactions que cela avait provoqué m’indiquaient que je risquais d’apprendre beaucoup de choses au contact des locaux.


Dernière édition par Qin Shi Cai le Ven 5 Avr 2024 - 15:53, édité 1 fois
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Enquête au royaume des pêcheurs

Après plusieurs minutes de marche en silence, Hayato avait fini par rejoindre l'établissement où Tournoupaix était connu pour étancher sa soif, après une dure journée de labeur. D'aspect tout aussi précaire et sale que le reste de la ville, le bar n'était ni plus ni moins qu'une barrique sans fond pour les morts de soif. Avec un soupir, redoutant par avance l'état des locaux à l'intérieur, l'épéiste poussa la porte grinçante du bâtiment. À peine entré, il comprit qu'il avait fait fausse route. S'il s'attendait à retrouver une atmosphère chaleureuse et paillarde, il fut surpris par le froid glacial et les messes basses incessantes. Il fit le tour de la pièce d'un regard circulaire étonné, avant de tomber sur celui qu'il cherchait.

Petit, râblé et chauve, Tournoupaix ne brillait pas par son physique pataud et sa face rougeaude. En revanche, malgré les apparences, il avait développé une certaine intelligence et devait être le contre-maître le plus consciencieux de toute l'île. Aussi, qu'il se fasse houspiller par un sous officier face à une erreur dans la tenue des compte ou l'aiguillage des marchandises ? Une nouvelle très surprenante ! Que dire, alors, face à la scène qui se tint devant l'épéiste ? Un autre sous officier, connu pour son penchant pour la boisson et ses sauts d'humeurs, soufflait dans les bronches du pauvre Tournoupaix. Puisqu'il avait pris la discussion en cours de route, Hayato n'en comprit pas totalement les subtilités, mais la teneur en était limpide : le maître des quais venait chercher de l'aide pour explorer l'affaire, tandis que la marine coupait court à toute velléité d'investigation. Débouté de la plus brutale des façons, l'intéressé grommela et s'écarta, avant de s'attabler dans un coin et de commander tout un tonnelet de bière, « pour se réchauffer ».

Hayato saisit sa chance.

Il s'approcha de l'homme éconduit, avant de s'incliner brièvement devant lui. Devant le « Heing ? » très distingué de son interlocuteur, le guerrier resta de marbre. Il se racla la gorge et déclara d'une voix aimable :


- Bonjour, contre-maître. Je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre que vous aviez des problèmes concernant les cargaisons ? Je...
- Pousse toi d'la, le touriste ! Oï, Tournoupaix ! C'est quoi ces histoires de cargaison manquante, là ? On s'rait pas en train de se faire enfumer par la haute bourgeoisie, encore une fois ?
- Manquait plus que ça... les syndiqués... grommela juste pour lui l'homme courtaud.


Le principal intéressé grogna ostensiblement, devant les trois hommes qui lui faisaient face à présent. Il fit mine de cracher, avant de reprendre à haute voix :


- Ecoute moi bien, Bob ! C'est une affaire importante, alors va pas foutre ton nez creux pour remuer la merde encore plus !
- Les pêcheurs ont l'droit d'savoir s'ils se font enfler ! Tu sais très bien qu'ça va leur retomber dessus, si on fait rien !
- Et qu'est-ce qu'tu comptes faire, au juste ? Hein ? Te plaindre ? Organiser une grêve ? Monter au créneau en gueulant sans aucune preuve, avant même d'avoir cherché à comprendre ? AH ÇA ! POUR SUR ! Gueuler vous savez faire !
- Je défends les petits travailleurs, moi ! Au lieu de lécher les pompes des canailles !


Comme le ton montait, Hayato afficha un air dépité. Les deux hommes n'écoutaient même plus et se contentait de s'aboyer dessus, comme deux chiens séparés par un grillage. Il se racla la gorge ostensiblement, avant de lever les mains en signe d’apaisement :


- Messieurs, de grâce. Le bar entier vous écoute.


Comme les deux roquets étaient occupés à vérifier qu'ils étaient bien devenus le centre de l'attention, ils eurent la bonne grâce de rougir. Hayato en profita pour continuer :


- De toute évidence, quelque chose vous inquiète, contre-maître. Vous aussi, Bob. Mais vous n'arrivez pas à vous parler, à construire quelque chose de cohérent pour régler le problème.
- De bien grands mots pour un mec en pyjama, mordit le syndiqué. T'es qui ? T'es avec la p'tite bourgeoisie ?
- C'est un nouveau pêcheur du coin ! lança une voix à l'arrière.
- Camarade ! lança joyeusement Bob. Tu es venu nous aider à lutter contre l'oppression de...
- Je vais vous demander de vous taire, Bob, le coupa Hayato d'un ton calme mais sans appel. Je suis ici pour vous aider à explorer cette affaire, pour le bien de tous. La politique ne m'intéresse pas.
- Hmm... grogna de nouveau Tournoupaix, avant de vider sa choppe. Et qu'est ce que tu comptes faire, au juste ?


L'aura de sérénité du vagabond faisait peu à peu effet. Les esprits échauffés s'étaient radoucis, le ton redescendait et les regards se radoucissaient. Maintenant qu'il avait gagné leur attention, il fallait capter leur intérêt. Son père avait coutume de dire que pour être entendu, il fallait commencer par écouter. Une façon polie de dire que la plupart des gens n'écouteraient rien avant d'avoir pu placer ce qu'ils avaient en tête.


- Je suis un voyageur, je sillonne le monde pour aider les autres. J'aimerais vous prêter assistance, donc j'ai besoin de comprendre la situation et la source de vos inquiétudes, avant de pouvoir vous répondre.


Un instant, le contre-maître lui jeta un regard décontenancé, puis il finit par hocher la tête. Le pilier de bar se resservit à même le tonnelet, avant de reprendre d'une voix déjà avinée :


- C'est pas la première fois que j'entends d'autres maîtres des quais ou des intendants se plaindre. Mais c'est bien la première fois que ça m'arrive aussi ! Y'a un truc pas clair. Si on lit les livres de compte... on dirait que y'a des cargaisons qui disparaissent.
- C'est à dire ? l'encouragea l'épéiste.
- En gros, un navire part et c'est consigné dans le livre. Sauf que, de temps en temps, ce navire n'arrive pas à destination et la cargaison est perdue. Le gouvernement doit donc repayer et la cargaison est livrée.
- Où est le problème, alors ? Ah ! Ces bourgeois peuvent bien payer les honnêtes pêcheurs qui...
- Bob ? l'interrompit Hayato d'un ton placide. Laissons Tournoupaix terminer ?


Ce dernier vida d'un trait sa chopine, avant de remercier l'épéiste d'un hochement de tête :


- Le soucis, c'est que les livres de compte collent pas. C'est pas clair, j'en suis pas sûr à cent pour cent... mais j'ai pas l'impression que ce soit une autre cargaison qui soit payée, dans ce genre de cas.


Un silence pesant s'installa dans la petite assistance. Alors qu'Hayato promenait son regard aux alentours, il remarqua les mines concentrées, fermées... et déboussolées. Il se racla la gorge et commenta :


- En d'autres termes, vous pensez que ces cargaisons ne disparaissent pas vraiment, mais qu'elles sont payées deux fois par le gouvernement ?
- C'est ça.
- Et puisque le gouvernement est censé assurer la sécurité des transports... la faute lui en incombe.
- Voila.
- C'est malin... laissa échapper à voix basse le sabreur.
- Tout à... quoi ?
- Je disais, « c'est malin » ! se rattrapa Hayato, du ton de celui qui est ennuyé par la nouvelle.


Les autres quidams hochèrent vivement la tête. Soit ils n'avaient pas réellement compris, soit ils étaient trop éméchés pour s'en soucier. Soudain, Bob plaça sa main sur l'épaule d'Hayato et lança à la cantonade :


- Le syndicat des pêcheurs vous remercie ! Vous vous êtes porté volontaire pour résoudre cette sombre affaire, qui met en péril le devenir de nos bien aimés et braves pêcheurs !
- Je...
- Vous êtes un membre estimé de notre syndicat, aussi nous vous confions la suite des opérations. Merci !


Et sur ces mots, les trois andouilles s'en allèrent commander de quoi se rincer le gosier au bar. Avec un soupir, l'épéiste ramena son attention vers le contre-maître. Ce dernier semblait en avoir terminé, comme s'il avait confié la lourde tache de résoudre ces problèmes à quelqu'un d'autre et, à présent, ne s'en préoccupait plus le moins du monde. Un bref instant, Hayato se sentit bien seul. En désespoir de cause, il jeta un regard aux alentours, dans l'espoir de trouver un regard intéressé.


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A peine venait-il d'éconduire le gras contremaître que le caporal Murt remettait son museau dans sa choppe pour la vider d'une traite. Souriant, je lui en offrais une seconde tournée avec plaisir tandis qu'il me déblatérait ses âneries sur la vie d’un soldat à Poiscaille. Bien que faisant mine d’écouter attentivement, mon regard vagabondait vers la table où s’était installé Tournoupaix. Une petite assemblée s’était organisée autour de l’homme dont des gueulards des syndicats.

Je les scrutais au fur et à mesure de leur discussion en ne parvenant à capter que des bribes tandis que Murt s’avinait consciencieusement tandis que la soirée avançait. Je ne m’y trompais pas, ils discutaient bien de cette affaire de cargaison perdue. Cette même affaire qui a priori ne m’intéressait guère mais la présence des syndiqués était une tout autre histoire. Qui mieux que les syndicats pouvaient savoir ce qui se murmurait parmi les pêcheurs ? S je parvenais gagner leur confiance et à leur tirer les vers du nez sur la présence éventuelle de la Révolution, je pourrais rentrer l’esprit tranquille.


Murt devait bien en être à sa 5ème ou 6ème choppe lorsque la petite congrégation commença à se disperser. Le balourd qui faisait figure de meneur des pêcheurs apposa sa main sur un jeune homme étrangement effacé avant de gueuler qu’il avait toute sa confiance.

Cai : “Dîtes moi Murt, le type là-bas, vous l’avez déjà vu ?”

Le marine se tourna péniblement en s’appuyant sur le bar pour ne pas s’effondrer sous son propre taux d'alcoolémie. Il loucha dans la direction que je lui indiquais pour me répondre d’un ton pâteux.

Murt : “Lui là ?! Ja...Jamais vu.”

Il ponctua sa sortie d’un rôt éminent puis me déclara qu’il devait “pisser” ou “chier”, enfin il n’était pas trop sûr mais il me planta seul pour se ruer vers l’extérieur tout en appuyant ses deux mains contre sa bouche pour retenir une inopportune fuite de fluides.

Je saisissais ma chance pour me faufiler jusqu’à la tablée. Alors que les syndiqués venaient de s’éloigner, je posais une belle chopine pleine sur la table du contremaître et de l’inconnu.

Cai : “Puis je me joindre à vous messieurs ?”

Sans attendre la réponse, je prenais une chaise et m’installais. Une belle rasade d’alcool dégoulina dans mon gosier que j’achevais en abattant la chope sur la table.

Cai : “Ah ça fait du bien par où ça passe. Tournoupaix c’est ça ? J'espère que vous n’en voudrez pas trop à mon ami le caporal Murt. Il est à fleur de peau sur ce sujet. Voyez-vous, je suis journaliste et je le harcèle sur ces questions depuis quelques temps, je crains de n’avoir usé de sa patience et que vous n’en ayez fait les frais.”

Sans attendre la réponse du contremaître, je me tournais vers l’inconnu.

Cai : “Je ne crois pas que nous ayons été présentés. Je me nomme Cai et je verse dans le journalisme d’investigation, j’ai obtenu une autorisation spéciale des plus hautes autorités de la Marine pour pouvoir mener mon enquête.”

Tout en parlant, je prenais soin de jouer le jeune coq fier de ses relations pour donner le change.

Cai : “Le service des relations publiques de la Marine tient à prouver l’exemplarité de leurs forces sur le terrain et je dois dire que pour le moment je me dois de leur donner raison. Je pensais dénicher quelques scoops croustillants sur cette île mais je fais choux blancs. Cependant je n’ai pu m’empêcher de remarquer que vous discutiez avec des membres des syndicats. Vous êtes-vous même membre peut être ?”
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Enquête au royaume des pêcheurs

Alors qu'Hayato réfléchissait, un nouveau venu se faufila jusqu'à leur table, avant de s'y installer sans plus de formalité. Lorsqu'il tendit l'oreille, l'épéiste releva que l'homme était journaliste d'investigation, avec une autorisation spéciale de la marine afin de pouvoir enquêter. Apparemment, cette affaire avait déjà pris des proportions plus amples que le vagabond ne s'en était douté ! Pour autant, il n'était guère rassuré. De son expérience avec les journalistes, il n'en existait que deux types : les jusqu'au boutistes, et les arrivistes. Les premiers cherchaient à faire éclater la vérité, par amour de leur métier, ou de par leur sens moral et éthique poussés. Peu leur importait leur sécurité, du moment que le fin mot de l'histoire soit couché sur le papier, souvent afin de réclamer justice. En d'autre termes, ils étaient généralement dignes de confiance et de respect, du moment que l'on avait rien à se reprocher. En revanche, les seconds tenaient plus des charognards de la pire espèce, que des hommes. Dans son adolescence, il avait entendu Jinro-san parler d'eux en ces termes « certains hommes sont vraiment jetés aux chiens ». Ces vautours étaient capables, pour avancer leur carrière ou tout simplement pour la satisfaction d'avoir déniché un bon « scoop », de prendre les raccourcis des plus honteux, de piéger les honnêtes hommes et de s'abaisser à des machinations ou à des mensonges éhontés. En un mot comme en cent, Hayato les exécrait.

À quel type de journaliste ce nouveau venu appartenait-il ?

Lorsqu'il entendit les mots « scoop » et « croustillant », le bretteur tiqua, mais ne pipa mot. L'attitude de cet homme brun au physique passe partout lui déplaisait. Jeune et fougueux, il semblait fier, à la limite de l'arrogance, lorsqu'il étalait son curriculum vitae. Si on ajoutait à ce trait les questions et les sous-entendus, le vagabond avait de quoi se méfier. Pour autant, il avait été accrédité par la marine pour mener l'enquête, aussi ne devait-il pas être un si mauvais bougre que cela ? Dans le doute, Hayato préféra rester cordial mais réservé. Il l'écouta d'une oreille attentive, avant de reprendre la parole d'un ton placide :


- Bonjour, Cai. Je m'appelle Hayato, et je suis un aventurier. Contrairement à ce que Bob à pu clamer haut et fort, je ne suis en rien affilié au syndicat des pêcheurs. Je cherche seulement à prêter main forte à des hommes que j'ai appris à apprécier.


Il laissa un instant au jeune coq pour assimiler ce qu'il venait de dire, puis reprit d'une voix calme :


- Puisque vous êtes envoyé par la marine, j'imagine que je peux vous faire confiance. Le contre-maître Tournoupaix vient de révéler un fait alarmant. Il pense que les livres des comptes ont été trafiqués...
- J'pense pas, c'est sur, l'interrompit l'homme. C'est juste que je pige pas trop... enfin, je suis pas sûr de piger le pourquoi et le comment. Alors je préfères pas m'avancer.
- En somme, il me dit que certains navires chargés d'une cargaison pour le Gouvernement Mondial disparaissent subitement, sans jamais arriver à destination. Ensuite, lorsqu'une autre commande est payée, les comptes semblent indiqués qu'une autre commande ne part pas vraiment, mais que ce serait peut être celle supposément perdue qui est finalement livrée.
- Voila. C'est ça. C'est louche.


Hayato acquiesça. Tout en relatant les informations dont il disposait à Cai, l'épéiste tentait de réfléchir. Il n'était pas encore habitué à cette gymnastique mentale. Celle-ci se révélait pourtant indispensable à tout bon membre de la pègre qui se respectait ! Aussi, le guerrier s'échinait à prendre chaque occasion qui se présentait à lui pour s’entraîner à cette pratique difficile : analyser, réfléchir et prévoir, tout en parlant de manière naturelle.


- Une des hypothèses est alarmante. Quelqu'un essayerait de faire payer double le Gouvernement Mondial pour chaque commande ! Je ne sais pas qui est assez fou pour tenter pareille supercherie, mais j'espère bien le découvrir. J'imagine que vous êtes intéressé, Cai ?


La question n'était pas anodine. Non content d'essayer de trouver quelqu'un pour lui prêter main forte, le vagabond recherchait aussi une information cruciale. Il voulait savoir comment le jeune coq allait réagir : était-il un vautour avide de scoop, ou bien un honnête homme révulsé à l'idée qu'on tente de voler les institutions ?


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Hayato : « Une des hypothèses est alarmante. Quelqu'un essayerait de faire payer double le Gouvernement Mondial pour chaque commande ! Je ne sais pas qui est assez fou pour tenter pareille supercherie, mais j'espère bien le découvrir. J'imagine que vous êtes intéressé, Cai ? »

Je laissais mon regard se perdre dans la rotation de l’alcool de ma choppe. Les affaires de la Marine sur cette île m’indifféraient mais tout semblait me ramener à cette histoire, véritable point de crispation de Poiscaille. Le destin me criait que je ne pourrais y couper.

Cai : « Je serais un bien mauvais journaliste si je refusais un tel scoop. »

Je conservais la bonhommie dont j’avais fait preuve jusqu’à présent tandis qu’au fond je me résolvais avec lassitude à me plonger dans la crasse de l’île. On ne m’avait pas mandaté pour déstabiliser la garnison locale mais peut être bien que j’en apprendrais plus sur l’influence de la Révolution en faisant mine d’enquêter. Et qui sait, mes investigations me permettraient sans doute de gagner la confiance des syndiqués.

Cai : « Pour confirmer votre hypothèse il faudrait marquer une cargaison. La prochaine livraison pour la marine doit déjà être en cours de mise en conserve dans les usines des familles de l’île. Cela impliquerait de s’infiltrer dans une des conserveries pour y appliquer un quelconque marquage reconnaissable. »

Je laissais planer quelques instants pour observer mon camarade providentiel. A ma surprise, il ne sembla pas intimidé.
La plupart des citoyens lambdas et encore plus des citoyens de Poiscaille auraient régurgités leur bile à l’idée de jouer un sale tour à l’une des grandes familles mais pas lui. Pour la première fois depuis mon arrivée je fus intrigué, cet homme qui me faisait face était soit un idiot de première soit quelqu’un de familier avec l’art de frayer avec le non-droit.

Cai : « Peut être vos amis pêcheurs pourraient nous aider dans une telle entreprise ? Quant à vous Tournoupaix, auriez vous une idée pour rendre une cargaison reconnaissable ? »

Le contremaitre dont l’ébriété progressait confortablement se mit à réfléchir en nous offrant sa plus belle face de veau.

Tournoupaix : « Eh bien, il existe des colorants que l’on peut appliquer sur des caisses. Normalement on réserve ça pour piéger des contrebandiers, c’est incolore et ça ne se révèle qu’en appliquant certains additifs. »

Cai : "Que vous seriez en mesure de nous fournir également je suppose ?"

Tournoupaix : « Je…Je n’ai jamais dit que j’allais vous aider. Si les familles l’apprennent, je suis foutu. Vous ne comprenez pas, je vous parle pas d’être viré ou une connerie du genre. Il y a autre chose que des carcasses de poissons dans les eaux du port et j’ai pas vraiment envie de les rejoindre. »

Je portais ma choppe à mes lèvres pour siroter le reste du contenu tout en observant la réaction d’Hayato.
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Enquête au royaume des pêcheurs

Lorsqu'Hayato écouta la réponse du jeune homme, il grinça des dents. « Refuser un tel scoop » ? Il s'agissait donc d'un vautour de plus. Néanmoins, le futur criminel écouta calmement le raisonnement du rapace. Malgré sa mauvaise première impression, l'épéiste dut admettre qu'à défaut d'avoir un sens de la morale, cet homme était intelligent. Tout du moins, savait-il user de son expérience et de sa vivacité d'esprit, afin de concocter en quelques instants un plan simple et efficace ! Hayato hocha simplement la tête, d'un air appréciateur, avant de répondre :


- Je doute qu'ils seront partants d'entrée de jeu, mais je pense pouvoir les convaincre de m'apporter leur concours, si je fais le sale boulot.


Tournoupaix sortit des brumes de l'alcool quelques instants, avant de leur apprendre l'existence d'un colorant Ô combien utile. Hayato tiqua. En apparence, le civil félicitait les deux hommes pour leurs connaissances et leur aide. Intérieurement, le criminel était on ne pouvait plus intéressé. Un colorant incolore et inodore, qui ne réagissait qu'avec un certain additif pour se révéler ? Effectivement, il s'agissait d'une manière extrêmement efficace de coincer des contrebandiers. Pourtant, le vagabond y vit une tout autre application. Le produit semblait parfait pour des missives discrètes, sans passer par les escargophones, trop facilement interceptés. Il suffisait d'écrire une lettre classique et sans intérêt à l'encre normale, avant de transmettre le vrai message à l'aide de cette substance, sur le verso de la feuille. Dans la seconde, Hayato se résolut à agir.

Il allait non seulement aider ses amis pêcheurs, mais également subtiliser une partie de ce produit.

Sans aucun doute, un membre de la pègre serait capable de l'analyser et de le reproduire à l'avenir. Quant à lui ? Il saurait en faire bon usage. Revenant à la situation présente, le bretteur comprit sans grande surprise que le maître des quais allait leur faire faux bond. Or, puisqu'il avait doublement besoin de ce produit, le voyageur ne pouvait pas laisser le pilier de bar se défiler.


- Je comprends, maître Tournoupaix. Attiser la colère des grandes familles quand on travaille pour eux est la dernière des choses à faire ! Fort heureusement, mon contrat se termine dans quelques jours...
- Tu veux que je glisse un mot pour le prolonger, mon gars ? T'as l'air d'un chouette type...
- Non... je... Hum. Vous pourriez, malencontreusement, laisser échapper où se trouve le local et, par mégarde, égarer vos clés sous la table... du fait de votre état.
- Mon état ?
- Bien sûr, vous les retrouveriez sous votre paillasson au matin, comme si de rien n'était, continua Hayato.
- Mon état ? répéta l'homme, visiblement confus.


Silencieusement, Hayato pointa du doigt la bouteille avec un regard entendu. Un instant, le regard aviné de son grassouillet interlocuteur oscilla entre le doigt de l'épéiste et la bouteille. Comme aucune lueur de compréhension ne s'éveillait dans ses prunelles embrumées par l'alcool, le vagabond soupira.


- Monsieur Tournoupaix, lui chuchota-t-il de sorte que seuls les trois conspirateurs ne puissent l'entendre. Je vous demande de m'indiquer discrètement où se trouve le local, de faire tomber vos clés et de tout mettre sur le compte de l'alcool. Je...


Avec un bref regard vers le journaliste, Hayato se reprit :


- Nous nous occuperons du reste, et personne ne fera le lien avec vous.
- Ooooh... OH ! hoqueta l'homme.


Quelques instants, le maître des quais sembla peser le pour et le contre. Finalement, il conclut fort justement qu'il était plus simple de recommencer à boire que de continuer à discuter. Aussi, dans un tintement des plus discrets, ses clés tombèrent à terre tandis qu'il gratifiait l'assistance d'un rot retentissant. Avec un clin d’œil aviné, Tournoupaix leva sa bouteille et beugla :


- À la santé des pêcheurs ! Mouahahhaha !
- À la santé des pêcheurs ! reprit l'assistance.


Alors que tout ce beau monde était occupé à vider leurs verres, Hayato mit le pied sur le trousseau de clés et les ramassa avec ses orteils, avant de les placer discrètement dans sa main. Après une courte explication, leur informateur leur expliqua comment retrouver la fameuse conserverie et le produit à utiliser, qu'il fallait récupérer dans son bureau. D'un hochement de tête, Hayato le remercia et se leva. Il fit sembler de trébucher et s'approcha du journaliste pour lancer à mi-voix:


- Je vais convaincre les pêcheurs de nous aider. Ensuite j'irai chercher le produit dans le bureau de Tournoupaix. Nous nous retrouverons au local. Je vous confie les clés en attendant, ne les perdez pas !


Feignant d'avoir trop bu, l'épéiste s'assit un instant, pour laisser le temps à son acolyte vautour d'émettre quelques réserves.


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Hayato : "Je vais convaincre les pêcheurs de nous aider. Ensuite j'irai chercher le produit dans le bureau de Tournoupaix. Nous nous retrouverons au local. Je vous confie les clés en attendant, ne les perdez pas !"

J'attrapais discrètement les clés en faisant miroiter un léger sourire à mon interlocuteur.

Cai : "Comme c'est excitant, j'ai l'impression de me retrouver dans mes jeunes années de journalisme. Comptez sur moi mon ami."

Hayato eut un l'air interdit un bref instant avant de se lever faussement titubant afin de quitter les lieux. En sortant il croisa le caporal Murt qui revenait de ses affaires extérieures, un filet de vomi encore collé à la commissure de ses lèvre.

Murt : "Msieur Cai ? Vous avez pris une table ?"

Son regard se porta alors sur le contremaître pour s'assombrir aussitôt.

Murt : "Encore là toi ? Qu'est ce que t'emmerdes msieur Cai ! C'est un type important, il a pas à entendre tes conneries !"

Tournoupaix vira du rouge rubicond au pâle livide en un instant avant d'essayer de baragouiner quelques semblants d'explication dont la cohérence se perdait dans l'océan d'alcool qui l'imbibait.

Murt : "Ferme ta gueule ! Je t'ai assez vu, tu sais quoi je t'embarques. Tu iras dégriser en cellule."

Cai : "Cocasse."

Murt : "De quoi ?"

Cai : "Non je me demandais si c'était bien nécessaire caporal. La soirée est agréable, pourquoi l'entacher ?"

Le visage bouffi du sous-officier s'empourpra.

Murt : "Jvous aime bien msieur Cai mais jusqu'à preuve du contraire c'est la Marine qui fait régner l'ordre sur cette île, pas le Cipher Pol."

Lorsqu'il mentionna l'agence, mon visage ne put retenir une brève crispation alors que je balayais d'un regard rapide l'assemblée qui nous entourait. Les autres pêcheurs qui peuplaient le bar semblaient ne pas avoir entendu, ce qui était possible au vu du raffut qui régnait mais en ce qui concernait Tournoupaix... Le doute n'était pas permis.

Cai : "Vous avez raison caporal, je me suis oublié. Je vous accompagne."

Murt : "Ah ça pour sûr, je dois pas vous lâcher. Quant à toi, lève ton gros cul de là et suis nous."

Après avoir quitté le bar, nous commençâmes à remonter les rues plus ou moins désertes de la cité vers la garnison. Au détour d'une ruelle sombre et vide, j'agrippais par derrière brutalement le caporal pour venir cogner sa nuque sèchement d'un plat de la main assuré avant d'accompagner la chute de son corps derrière une poubelle. Cela n'avait duré qu'un instant et j'étais certain que personne n'avait pu me surprendre.
Le contremaître laissa échapper un hoquet de terreur.

Tournoupaix : "Que....qu'est ce que vous faites ?????"

Il hésita une fraction de seconde avant de commencer à faire mine de fuir mais cette fraction de seconde me permit de le saisir par le bras pour le plaquer contre un mur.

Cai : "Tout doux mon ami. C'est une petite île où pensez vous aller comme ça ?"

Tournoupaix : "Je vous promet, je ne dirais rien. Je n'ai rien vu, je sais pas... J'ai rien entendu."

Je fonçais les sourcils.

Cai : "Tu as tout entendu mais tu ne diras rien car notre bon ami le caporal Murt lorsqu'il se réveillera croira que c'est toi qui l'a mis dans cet état."

Même avec toute l'imagination du monde, je n'aurais pas cru qu'il pouvait devenir encore plus livide.

Cai : "Du moins ce sera ma parole contre la tienne alors si tu veux espérer t'en tirer. Tu vas m'écouter très attentivement et faire tout ce que je te dis. Tout d'abord est ce que tu connais un endroit où tu pourrais te planquer quelques temps et te faire oublier ?"

Tournoupaix : "Il....il y a une maison abandonnée dans le vieux quartier. Elle était habité par une famille qui est morte d'une forme de peste il y a des années mais depuis personne n'a osé s'en approcher."

Cai : "Bien, tu vas te plaquer là jusqu'à ce que je te dise que ça s'est tassé. Ne t'en fais pas, cette affaire sera bientôt résolue et tu pourras reprendre ta petite vie. Néanmoins si tu venais à ne pas m'écouter ou pire à répandre des informations à mon sujet au travers de l'île, sache que les familles et la Marine seront les derniers de tes soucis."

La pression que j'exerçais sur son épaule s'intensifia un bref instant pour lui signifier que le briser serait une formalité pour moi.
Une fois mon étreinte relâchée, le contremaître prit la poudre d'escampette. Je ne pouvais que supposer que la trouille que je lui avais filé allait suffire, il demeurerait une équation inconnue qu'il me faudrait résoudre tôt ou tard.
Je me tournais vers le corps inconscient de Murt.
J'aurais pu le ramener à la garnison afin de gagner la confiance des marines mais à vrai dire leur confiance ne m'apportait plus grand chose à ce stade. Je tenais enfin ma chance de me libérer de la surveillance de Murt.

Sans un mot je pris le chemin du local où m'attendait Hayato.
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Enquête au royaume des pêcheurs

Hayato marqua un temps d'arrêt, face à la réponse étonnante de Cai. Il était pourtant bien jeune, pour parler de « jeunes années de journalisme » ! Mettant cette bravade sur le compte du caractère de ce personnage entier, l'épéiste quitta la table en simulant une démarche chaloupée. Il quitta l'établissement et, lorsqu'il fut certain que personne ne le suivait, reprit un maintien plus hardi. Il se dirigea tranquillement vers le bureau des maitres des quais. Par sécurité, il préféra esquiver les patrouilles et se mêler aux pauvres hères qui vadrouillaient, plus qu'à moitié aviné, dans les ruelles de Poiscaille. La misère de l'île le laissait sans voix depuis son arrivée. Bien sur, après avoir connu les rues mal famées de Las Camp, les locaux semblaient presque bien lotis ! Néanmoins, pour qui savait ouvrir l'oeil, les stigmates de la pauvreté et de la banalisation de la souffrance sautaient aux yeux.

Hayato esquiva l'accolade et les effluves d'alcool d'un pêcheur un peu trop joyeux, avant de continuer sa route. Au bout de quelques minutes, les maisons de bric et de broc s'étoffèrent quelque peu. Le bois vermoulu et la tôle devinrent des planches solides et des bardeaux en bon état. Enfin, il pénétra dans une zone plus cossue, où les habitations étaient construites en pierres, avec de solides charpentes en bois et des tuiles en bonne terre cuite. À force de déambulations, le bretteur finit par repérer l'insigne des maitres des quais, accroché sur la façade propre d'une maison à trois étages. Hayato en poussa le vantail de bois épais, dans un grincement presque imperceptible. Il referma la porte derrière lui rapidement et, lorsqu'il se retourna, tomba nez à nez avec une jeune femme. Ils se regardèrent un instant, clignant des yeux comme des chouettes.

Enfin, la femme réalisa la situation et se mit à crier.

Immédiatement, le vagabond leva les mains en signe d'apaisement et tenta de la raisonner, mais rien à faire elle recula de plusieurs pas. Dans sa hâte, elle laissa tomber plusieurs classeurs qui éparpillèrent leur contenu partout sur le riche tapis d'entrée. Par réflexe, Hayato se baissa et commença à rassembler toutes les fiches de son mieux. Il finit par relever les yeux, lorsque le silence retomba soudain dans le hall d'entrée.


- Vous... vous n'êtes pas un voleur ?
- Quoi ? Je... non, du tout ! se défendit maladroitement l'intrus.
- AH ! Alors dans ce cas, vous n'avez rien à faire ici ! Sortez !
- Mais, je...
- Taratata ! le coupa la jeune femme, son doigt pointé vers lui. Vous m'avez flanqué la frousse de ma vie, à rentrer comme ça !
- Je... hum. Je suis désolé, mademoiselle.


La jeune femme ajusta ses lunettes rondes sur son nez camus, avant de froncer les sourcils. Elle le fixait de ses yeux bleus perçants,  les poings sur les hanches et un air revêche plaqué sur son visage rondouillet. D'une main, elle sortit une montre à gousset d'une des poches de son gilet jaune, avant de lisser d'un air distrait sa petite robe blanche.


- Non mais vous avez vu l'heure ! Vous êtes carrément en dehors des horaires d'ouverture ! Comment est ce que vous avez fait pour rentrer ?
- Et bien... c'était ouvert ?
- AH ! J'ai encore oublié de fermer !


Instantanément, la jeune femme se mit à sangloter à chaudes larmes, se lançant dans une litanie interminable. Elle articulait mal, parlait vite mais, au milieu des geignements et des reniflements, Hayato finit par comprendre qu'elle avait peur « de se faire gronder ». Il soupira un instant, avant de se racler la gorge :


- Mademoiselle ? Je vous promets de ne rien dire à vos supérieurs.
- Manquerait plus que ça ! pesta-t-elle en s'arrêtant instantanément de pleurer. C'est de votre faute après tout ! Pourquoi vous êtes là, déjà ?!
- C'est le maitre des quais Tournoupaix qui m'envoie... commença le bretteur.
- AH ! Mais commencez par là !


Calmement, Hayato lui expliqua la situation, en l'arrangeant légèrement. Après s'être fait éconduire par le marine Murt, Tournoupaix s'était tourné à contre cœur vers le syndicat des pécheurs et un journaliste pour vérifier son hypothèse. Il avait donc besoin d'un colorant pour marquer une cargaison, puis remonter jusqu'aux éventuels voleurs ou, tout du moins, ceux qui détournaient les cargaisons de poissons. Lentement, la jeune femme hocha la tête, avant de lancer :


- Comment vous avez dit que vous vous appeliez ?
- Hayato, mademoiselle...
- Brisby, mais tout le monde m'appelle Bribri. Venez, je vais vous montrer ce dont vous avez besoin.


En quelques instants, elle le dirigea dans un petit labyrinthe. De quelques coups d'oeil, l'épéiste put apprécier le parquet de bonne qualité, les moulures au plafond et les quelques objets d'art raffinés qui décoraient les murs et des piédestaux sur leur trajet. Enfin, Bribri s'arrêta devant une porte qu'elle déverrouilla. Elle ouvrit une grande armoire à l'intérieur d'une petite pièce exiguë et pointa du doigt plusieurs petites bouteilles.


- Voilà. De combien de bouteille le contre-maitre a-t-il besoin ?
- Deux, mentit sans sourciller Hayato.
- Bon ! Prenez les et disparaissez, avant que je fasse une crise cardiaque de nouveau.
- Je vous remercie, s'inclina Hayato.


Le vagabond attrapa les deux fioles et, accompagné par sa guide, quitta les lieux sans demander son reste. Sans s'arrêter, il glissa discrètement flacons dans son kimono. Il retourna alors au sein de l'auberge où il avait quitté ses camarades pêcheurs. Il les y retrouva d'ailleurs en train de continuer à boire et de deviser. Il fit un crochet dans sa chambre, pour y dissimuler une des deux fioles, avant de revenir dans la grande salle. En quelques instants, Hayato leur expliqua la situation. Si certains s'empressèrent de replonger leur nez dans leurs chopines, quelques uns finirent par se laisser convaincre. En échange d'une tournée, ils acceptaient de discrètement leur prêter main forte. Cependant, en cas de grabuge, ils prendraient la poudre d'escampette immédiatement ! Courageux, mais pas téméraire, ce fut avec trois pêcheurs qu'Hayato finit par rejoindre Cai devant l'entrepôt.


- J'ai ce qu'il nous faut, ainsi que quelques bras supplémentaires pour nous aider ! Désolé pour le retard, j'ai du faire face à quelques imprévus.


*
**


Dans l'office des quartiers maître, Bribri avait retrouvé son calme. Elle s'était attablé à un bureau, pour composer un numéro sur le dendenmushi qui y tronait. Après quelques sonneries, une voix grave s'éleva de l'autre coté du combiné :


- Oui ?
- C'est Brisby. Nous avons un problème, monsieur.


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