Enquête au royaume des pêcheurs
Hayato s'essuya le front.
Le soleil lui brûlait la peau, et le ciel bleu dégagé ne laissait aucune chance de se mettre à l'abri, sous cette chaleur infernale. Après un bref soupir, l'épéiste se remit au travail. Il coordonna ses mouvements avec les autres hommes du navire, puis tira sur les cordes de toutes ses forces. Peu à peu, le filet remonta une montagne de poissons, que les pêcheurs s'empressèrent de placer dans des compartiments spéciaux.
Voilà déjà six mois qu'Hayato avait quitté Las Camp, un goût amer dans la bouche, son clan décimé, son mentor assassiné et sa vie bouleversée de manière irrémédiable. Il en avait fait la promesse à Jinro-san sur son lit de mort : il vivrait et le rendrait fier. Ces derniers mois n'avaient pas été de tout repos ! Lui qui s'était habitué au confort procuré par sa famille, il avait dû revoir son mode de vie. Ainsi, il avait pris la décision de partir en voyage et de vivre « à la dure », dans l'espoir de se renforcer.
- Oi, le rêveur ! l'interrompit la voix du capitaine. On a terminé pour aujourd'hui, va aider l'équipage, on rentre.
- Oui, capitaine ! s'exclama le sabreur.
Son périple l'avait mené sur Poiscaille depuis maintenant une semaine. La situation de pêcheur sur l'île lui permettait de travailler le matin, de gagner juste assez pour se payer des repas conséquents et, surtout, de disposer de tout le reste de ses journées. Il en profitait pour s'entrainer au sabre, mais également pour méditer sur les futures étapes de son voyage. L'exercice routinier était parfait pour laisser la mémoire musculaire travailler, pendant que l'esprit vagabondait.
- Tu t'es encore fait enguirlander, Hayato ! se moqua gentiment un pêcheur à coté de lui.
- Si t'étais pas un bourreau de travail, ça fait longtemps qu'on t'aurait jeté par dessus bord, espèce de tête en l'air ! surenchérit un autre marin, tordu de rire.
L'épéiste sourit, tandis que les discussions allaient bon train. Oui. C'était une vie simple, mais plaisante. La camaraderie, l'effort physique, les sempiternels déjeuners à la taverne en rentrant de la pêche... S'il n'avait pas eu vocation à gravir les échelons de l'ombre, à l'instar de son bienfaiteur, il aurait pu continuer à vivre indéfiniment ici. Une idée dangereuse, une pente glissante, même.
Il allait sans doute devoir partir plus tôt que prévu.
Une fois de retour sur la terre ferme, les poissons évidés et écaillés, les hommes se lavèrent les mains, puis s'étirèrent. Quelques blagues plus tard, ils se dirigèrent d'un même pas vers l'établissement où ils prenaient leurs repas. Ce jour là, la discussion prit immédiatement un tour inhabituel :
- Eh, vous êtes au courant ? lança une jeune recrue. Y paraît que y'a des problèmes avec certains cargos.
- Des problèmes ? releva Hayato.
- Ouais ! J'ai entendu des rumeurs. Apparemment, y'a des cargaisons entières qui sont jamais livrées, alors que le gouvernement les paye plein pot !
- Personne sur cette île est assez bête pour voler la marine, ou les trois grandes familles, idiot ! lança un vieux loup de mer.
Le jeunot s'empourpra et grinça :
- Si ! Même que j'ai entendu le maitre des quais Tournoupaix se faire enguirlander par un sous officier ! Pas plus tard que ce matin !
- Qu'est ce qu'ils disaient ? s'enquit Hayato, définitivement curieux.
- J'ai entendu que des bouts de discussion. Mais ils parlaient de livre des comptes trafiqués, et de navires qui avaient disparus avec le chargement ! J'pense que...
- Si tu veux un conseil, gamin, te mêle pas de ça, l'arrêta le vieux briscar. Que ce soit un coup de criminels, une magouille locale entre aristos' ou autre, crois-moi, vaut mieux pas que le gouvernement te pense dans le coup...
- Mais...
- Laisse tomber, petit. La Justice, ça peut mettre tout le monde dans le même sac assez vite, si tu voix ce que j'veux dire.
Le reste du repas dériva sur des sujets beaucoup plus triviaux, de sorte qu'Hayato eut tout le loisir de réfléchir à la situation. Il le savait, il n'avait que trop retardé son départ. C'était sans doute l'occasion parfaite. S'il s'agissait de criminels, aller se frotter aux terreurs des Blues l'entrainerait à sa future vie de hors la loi. En cas d'intrigue politique, il était certain qu'en décortiquant la manière de procéder des coupables, il pourrait apprendre une chose ou deux sur la manière de monter ce type d'opération.
En fin de repas, l'épéiste quitta le groupe et se dirigea d'un pas tranquille vers les quais. Avec un peu de chance, il pourrait trouver quelques informations utiles, ou apporter son concours à ce fameux Tournoupaix. Un fin sourire étira ses lèvres, en cette belle après midi : pour une fois, Poiscaille sentait autre chose que le poisson.
L'aventure l'appelait de nouveau.