La vétérinaire d'en face !

Jaina venait de récupérer il y a de cela quelques jours sa fille de sang. Wanda, sa chère et tendre gamine qu'elle n'avait malheureusement pas eu la chance d'élever, comme une mère le faisait dès les premiers jours de son bébé. Une décision faite par sa propre famille, ses propres parents dont surtout son père, car madame n'était pas assez compétente pour ce rôle. Jugée trop irresponsable, trop immature, trop chaotique pour être la mère de ce resplendissant enfant. Depuis sa venue à Tanuki, le destin décida de donner une nouvelle chance à Jaina. D'être une mère que Wanda aurait dû avoir depuis sa naissance. Quatorze années à rattraper, une tâche bien compliquée, mais réalisable pour la louve.

En parlant d'élever son nouveau trésor, Jaina conservait et faisait grandir un lien unique avec sa jument baptisée Orphée. Depuis poulain, l'albinos avait veillé et s'était occupée de ce petit ange sur sabot. Toutes deux étaient devenues de très bonnes amies et devinrent inséparables...

En ce jour, lorsque le soleil agressait les personnes qui ne portaient pas de chapeau, Jaina observait avec inquiétude Orphée. Assise sur une barricade en bois qui servait de clôture, la cow-girl remarquait que sa jument boitait depuis ce matin. Hier soir, en la laissant dans le pâturage pour chevaux, Jaina était persuadée que sa fidèle alliée trottait sans aucun souci. Ce ne fut malheureusement pas le cas pour ce début de journée. Faisant la fière devant sa maîtresse, Rosenberg ne souhaitait pas quitter Tanuki sans avoir résolu le problème d'Orphée.

« C'est qu'un cheval. On peut en trouver un autre... » proposa Wanda qui était assise dans l'herbe, coude contre son genou et menton reposé sur le ventre de sa main. Elle s'ennuyait.

« Il est hors de question que j'abandonne Orphée. » répondit d'un ton sec la cow-girl. « Quand tu auras élevé un poulain jusqu'à l'âge de ma jument, tu comprendras pourquoi je suis autant attachée à cette demoiselle. » Se frottant le menton en tentant de trouver une solution de secours, ses billes sanguines descendirent en direction de sa fille. « Il n'y a pas un vétérinaire sur cette île ? Avec autant de moutons à plusieurs kilomètres à la ronde il doit forcément y avoir des toubibs pour animaux non ? »

Levant bien haut ses bras tout en émettant un gémissement d’étirement, la gamine se releva et rejoignit sa mère. Wanda pointa son index en direction de la ville la plus proche.

« Il me semble que la ville à côté possède une clinique, elle se trouve au centre-ville. »

Sautant de son perchoir, la louve déposa un baiser sur le front de Wanda et réduisit la distance qui la séparait de sa jument. Caressant tendrement le chanfrein de la bête, Jaina ressentait de plus en plus d’inquiétude au sujet de l’équin. Ses cajoleries se voulaient être rassurante pour Orphée. Jamais ô grand jamais elle romprait son lien d’amitié si exceptionnel et rare pour une simple blessure.

« Je vais m’y rendre, garde Orphée en mon absence petit bourgeon. Je ne serais pas longue. » Se tournant auprès de sa fille, la pirate lui adressa un doux sourire. « Non, je ne compte pas t’abandonner comme tes parents adoptifs donc ne t’inquiètes pas. » dit-elle en soupirant doucement en découvrant le regard de détresse de Wanda. « Et si tu es sage, j’irai t’acheter une deuxième robe vu que tu aimes ce genre de vêtement. » Une phrase à ne pas dire ou plutôt à éviter de trop sortir, car sa gentillesse pour son petit bourgeon risquerait de se retourner contre Wanda. Malheureusement, l’albinos désirait rattraper le temps perdu, devenir cette mère exemplaire qu’elle rêvait d’être pour sa fille.

La ville au loin se trouvait à vingt minutes à pied. La distance n’était pas aussi importante comparée aux prés des bovins proches d’Exact Town à Hat Island que possédaient autrefois sa famille. Durant son trajet, la louve avait eu le temps de ce griller une clope et d’admirer les troupeaux de moutons. L’odeur de ces bêtes redonnaient de la nostalgie pour la cow-girl. Un parfum bien différent des bovins, tout en restant attrayant pour l’ex-fermière. Pendant un temps, Jaina se demanda si les habitants de Tanuki utilisaient des chevaux et des lassos pour regrouper les bétails. Qu’ils tiraient en l’air avec des revolvers pour effrayer les plus téméraires des bestiaux. Soudainement, ses pensées se tournèrent sur sa famille vivant toujours à Hat Island. Si ses parents lui manquaient, ses sœurs en revanche la faisait souffrir pour ces nombreuses années de séparation.

Bonchamp s’offrit à l’étrangère. Une ville ou plutôt un village bien accueillant et respirant la tranquillité. Si Jaina était l’ennemie du silence, elle accepta de faire une trêve surtout quand cette dernière était une pirate. Aux portes de l’agglomération, ses rubis cherchèrent une quelconque indication pouvant l’aiguiller à propos de la présence d’un vétérinaire. Elle trouva rapidement et se pressa d’entrer dans le bâtiment en question. C’est en ouvrant la porte, la refermant derrière-soi que Jaina se rappela d’une évidence malheureuse. Son portefeuille avait beaucoup de mal à prendre du poids. Un comble pour une pirate qui normalement doit trouver des trésors et s’enrichir juste après.

« Howdy ! » exclama l’habitante d’Hat Island en guise de salutation. Elle se rapprocha du comptoir en faisant claquer ses santiags porteuses d’éperons contre le sol. Difficile de ne pas faire plus discret. « Je suis propriétaire d’une Jument âgée de quatorze ans de la race Morgan. Elle boîte depuis ce matin, pourrais-je avoir l’aide d’un vétérinaire ? »

Main sur le cœur, d'un long soupir bruyant et de soulagement, Jaina fut ravie qu'une vétérinaire puisse s'occuper immédiatement d'Orphée. Une heure d'attente c'était beaucoup trop long pour l'impatiente qu'était Jaina Rosenberg. Son inquiétude lui écrivait déjà de mauvaises histoires. Une heure pouvait empirer l'état de cette tête brûlée de cheval. Soixante minutes correspondait à une trop longue absence envers sa fille et sa jument. Voilà typiquement les raisonnements d'une gamine qu'était Jaina.

S'orientant sur la volontaire, la cow-girl fut surprise de ne pas avoir repéré plus tôt la femme. Cela lui arrivait de ne pas faire attention à son entourage, mais de là à s'apercevoir que la vétérinaire était toute proche glaça presque le sang de l'albinos. La louve retira ses lunettes de soleil pour observer cette blonde qui n'était pas si inconnue que ça. La hors-la-loi d'Hat Island plissa ses iris pour obtenir une meilleure vue. Elle avala subitement et retentit en même temps sa salive en comprenant qui était ce personnage.

Une manchote, une belle brûlure sur le visage et le cou qui ne ternissait aucunement sa beauté, sans oublier ce regard glaçant, Jaina avait entendu parlé de cet officier de la Marine. Son prénom ? Rosenberg ne s'en souvenait pas. Fort heureusement, la blonde répondit rapidement à l'interrogation de la louve : Ambrosias.

« Je m'appelle Jaina. » se présenta à son tour la fille du célèbre criminel "l'Homme à l'harmonica". Elle sera doucement la seule main valide d'Ambrosias pour répondre à la salutation du vétérinaire. « Merci d'être disponible pour ma jument et en effet ma meilleure amie est dehors. Malheureusement, il faudra plusieurs minutes de marche pour la rejoindre. »

Il fallut moins longtemps pour la maîtresse d'Orphée de retrouver sa magnifique jument âgée de quatorze années. Sa fille était assise près de l'animal pour rassurer cette dernière. En effet, Orphée détestait être abandonnée, piquant souvent des crises lorsque Jaina ne la prévenait pas de son absence. L'albinos ne comptait plus le nombre d'enclos que la jument avait détruit. Heureusement, depuis leur voyage à l'extérieur d'Hat Island, l'équidé c'était calmé.

« Wanda écarte-toi s'il te plaît. » ordonna d'une note douce la mère de l'adolescente. « Le véto va s'occuper de la demoiselle. »

Sans faire d'histoire, Wanda rejoignit Jaina et attrapa machinalement la main de cette dernière. Visiblement, son louveteau souhaitait aussi être rassuré. Alors, la louve donna une douce étreinte à la demoiselle, caressant l'index de sa fille avec son pouce verni de noir. Pendant ce laps de temps, Ambrosias plaça son unique main contre l'encolure d'Orphée afin de la caresser. La jument se laissa faire ce qui étonna une fois de plus la propriétaire de l'équidé. Puis ce qui surprit encore plus Jaina, ce fut lorsque la vétérinaire appela la jument par son réel prénom. Rosenberg n'avait absolument rien dit au docteur sur l'identité de sa fidèle amie, encore moins à la dame à l'accueil de la clinique.

« Non, Orphée se comportait normalement depuis hier soir. » révéla la cow-girl qui caressa les cheveux de sa fille. « C'est depuis ce matin que ma chère amie me présente cette vilaine blessure en boitant. J'espère que ce n'est rien de grave... » La voix de Jaina devint toute tremblante. L'albinos était inquiète et impuissante pour Orphée. Elle détestait être mise dans de telle situation. De ne pas pouvoir être utile... « Comment sais-tu son prénom ? Je ne me souviens pas te l'avoir dit. »

La mère et la fille se regardèrent droit dans les yeux. Confuses et ne comprenant pas la déclaration du vétérinaire. Ambrosias prétendait qu'Orphée venait de se présenter elle-même au docteur. Qu'elles avaient communiqués toutes les deux, sans y émettre un son de voix. Donc par télépathie ? Par sorcellerie ? Ou bien avec l'aide d'un des fameux fruits répandus au travers du globe. Plissant ses iris de vampire, l'albinos observa pendant un court laps de temps sa jument. Elle aussi regardait sa chère maîtresse. Orphée était calme, sereine et montrait à Jaina que l'heure de l'inquiétude ne devait pas avoir lieu. Levant son menton, souriant furtivement à sa fidèle amie, la louve s'approcha lentement de cette dernière.

Jaina présenta sa main gantée d'une mitaine qui servit de support pour le menton d'Orphée. La jument renifla et expira de l'air chaud contre les phalanges osseuses de la pirate.

« J'espère qu'elle n'en profite pas pour se plaindre de moi. » dit-elle sous un trait d'humour. « Nous avons eu des désaccords, des engueulades, mais je peux t'assurer qu'Orphée est comme une sœur à mes yeux. »

Apprenant le mal de sa jument, la cow-girl écarquilla de surprise puis d'horreur ses rubis. Elle qui pensait à une simple entorse, la demoiselle sentit immédiatement que ses yeux s'apprêtaient à pleurer. Cette horrible chose avait tué beaucoup de chevaux dans le ranch de sa famille. Même le premier étalon de sa grande sœur Annie avait été euthanasié entre guillemets à cause de ce problème... Ses mains se mirent à trembler en même temps que ses lèvres. Elle écouta attentivement les explications pour soulager ou soigner sa fidèle alliée. Seulement...la dame n'était aucunement rassurée.

« Je...je me sens totalement idiote et impuissante. Est-ce qu’elle va s'en sortir ? » Jaina s'effondra sur ses genoux et enlaça l'encolure de son cheval qui était allongé sur le sol. « L'étalon de ma grande sœur, il s'appelait Achille, mon père a dû mettre fin à ses jours à cause de cette saloperie. » raconta soudainement Jaina qui était présente à ce moment-là. Annie était dévastée, anéantit, car les Rosenberg ont toujours été extrêmement attachés à leurs chevaux. « Je ne veux pas perdre Orphée...pas de cette manière. Je préfère qu'elle ferme les yeux après une longue retraite méritée... Et j'avoue que je ne serais jamais prête à vivre sans elle... »

Même si Ambrosias se voulait être rassurante dans ses propos et qu'elle n'était pas si alarmée, Jaina imaginait le pire. La cow-girl soupira longuement et chassa d'un revers de pouce une larme qui allait perler de son œil gauche.

« J'avais l'intention de quitter Tanuki. Est-ce qu'une semaine est suffisant ou trop peu pour une guérison parfaite ? Attendre plus longtemps qu'elle reprenne du poil de la bête ne me gêne aucunement. Surtout s'il s'agit d'Orphée ou de ma fille. »

Son inquiétude fut très vite balayée par les propos rassurants du vétérinaire. La fourbure avait été prise en charge à temps. La vie d’Orphée n’était plus en danger. La Louve Blanche sentit un énorme poids quitter ses épaules. Ses aventures au côté de sa jument allaient pouvoir se poursuivre, mais pas avant que cette dernière ait suffisamment récupéré. L’albinos envisagea un mois à rester sur cette île après la suggestion d’Ambrosias. Désormais, Jaina devait trouver un endroit où crécher. Ses maigres économies pouvaient payer les soins pour son cheval, mais peut-être pas pour une auberge.

Détournant son attention de la femme étant potentiellement dans le camp ennemi au vu de sa réputation, la cavalière envisagea de trouver du travail. Une idée qui ne lui plaisait aucunement. Seulement, ce moyen était assez efficace pour éviter de trop attirer l’attention. Ne souhaitant pas croupir dans une cellule, surtout lorsque l’île accueillait une grande pointure, la hors-la-loi conclut à cette déplaisante solution.

« Wanda, nous allons rester à Tanuki pendant un moment. Nous partirons lorsque Orphée sera suffisamment rétablie. » déclara la louve à son louveteau. Elle sentit que sa fille était dégoûtée de ne pas pouvoir partir de cet endroit. Tendrement Jaina caressa les cheveux de Wanda. « Tu es déçue de passer du temps avec moi ? Après cette longue séparation ? Tch…fille indigne. »

La gamine gonfla ses joues et donna un léger coup de poing dans le ventre de sa mère. Cela fit rire la fumeuse qui ébouriffa la tignasse de son petit ange. Ensuite, Rosenberg sortit comme convenu une liasse de billets provenant d’Hat Island. L’agent était durement gagné lors de ses nombreux braquages de banques. Sa petite fortune résidait dans un coin de son île natale. Actuellement, en sa possession, la cow-girl n’avait que cette monnaie qu’elle donnait au vétérinaire. Maintenant, Jaina était fauchée comme les blés.

« Normalement, le compte doit y être. » fit Jaina qui revint près de sa jument. « Je prends note, si effectivement Orphée a du mal à se remettre j’irai voir le Docteur Gratz. Je te dois une fière chandelle, la prochaine fois je t’invite à boire un verre ou prendre un café, c’est comme tu veux. » dit-elle d’un ton sincère.

Préférant laisser sa jument dans ce vaste pré et ne pas déranger plus longtemps la vétérinaire Ambrosias, Jaina accompagnée de Wanda quittèrent les lieux pour retourner à Bonchamp. Fille d’un éleveur de bovins, la demoiselle pensa chercher du boulot parmi les éleveurs de moutons afin de gagner de l’argent…légalement. Une affaire bien pénible pour une dame préférant voler du fric…