La Pluie Pourpre met le pied chez les petits poissons - Partie I

Habillé d'une cape longue, pour l'une des rares occasions, Trisha cache sa combinaison si caractéristique. Regardant le quais de cette île remplie de pêcheur, ses narines sont prises d'une forte odeur de poissons. Grimaçante, elle se tient au côté de son second. La femme aura l'occasion de s'y habitué. Son acolyte lui indique d'un signe le contremaître venu quérir les sous pour leur emplacement. Les précautions prises, elle lui suit en silence, camouflant sa chevelure d'une capuche. Le duo mettent le pied à quais, le monsieur, maigre et bogon, vient les contrôler.

“Hum. La raison de votre séjour?
-Un bonjour ne serait pas de trop.”

Tang fait déjà des siennes. Même si elle ne voit pas de problème dans cette remarque, certains membres de l'équipage les accompagnant auraient apprécié que l'on ne fasse pas les dures en territoire contrôlé. Redressant ses lunettes, l'homme d'âge mûr ne se laisse pas perturber.

“Les gens comme vous sont trop attachés aux formalités.
-Les gens comme nous?
-Laissez-moi deviner. Kanokuni, c'est ça ? À moins que ce soit Koneashima.
-Vous devriez vous calmer, bonhomme. Sinon on va mal se mettre.
-Kanokuni donc. Les autres sont moins agressifs.”

Le pauvre Tang sert le poing. Les remarques et les manières de cet homme sont au-delà de la bienséance dont il a l'habitude. Il se sent humilié et méprisé. En général, il peut commencer à se battre pour moins que ça. Mais à présent, il a des responsabilités envers l'Éclair Blue, les Pluies Pourpres et la Révolution. Soufflant du nez, il tente de passer ce mauvais moment au plus vite.

“Combien?
-La durée de votre séjour, ici?
-De un à deux mois…
-Qu’est ce que vous venez faire? Espionner ou piller nos ressources?”

Décidément, ils ont pioché un individu très méfiant envers l’étranger. Trisha lâche un soupir de dépit. Elle n’aurait pu prévoir que la première difficulté soit un employé dans la gestion du port. Tang peut enclin à l’esclandre d’habitude à du mal à supporter ces offenses répétées.

“Nous escortons un Maître du Temps qui nous paye pour investir sur cette mer.
-Tiens, les gens du Pays des Fleurs qui font du mercenariat. C’est très plausible. Le Hasshoken est votre seule force après tout. Où est ce Maître du temps?”

Serrant les dents, le second des Purple Rain a atteint sa limite. Faisant levé une brise avec son Air Breath, Il s’apprête à montrer à cet énergumène désagréable, si son peuple n’a que le Hasshoken pour se défendre. Ce désir de violence est perçu par Trisha. D’un geste de son bras, elle coupe les intentions de son camarade. Avançant d’un pas, elle doit assumer le rôle qui lui sert de couverture. Formant un nuage autour de ses épaules, la climatologue montre la virtuosité de son Art.

“Professeure Campbell. Ange originaire de Weatheria. Voulez-vous aussi nous fouillez? Je pensais que seulement la Marine pouvait se permettre d'être aussi intrusif.
-Je ne fais que mon travail, professeure. Poiscaille sera honoré d'accueillir une telle personnalité. Vous auriez simplement pu choisir une escorte plus… avenante.
-J’ai confiance en mes choix. Comme mettre mon argent dûment gagné pour fructifier l’activité de cette île.
-Vous avez l’air de savoir ce que vous faîtes. Très bien, tenez voici le montant à régler chaque semaine. Bon séjour.”

Finalement, le mal luné s’est adouci en parlant à Trisha. Tang a bien compris la raison du mépris. Il est en proie à la colère. Les agissements des Chinjao donnent ce genre de réputations à la totalité de son peuple. Quoi qu’il en soit, l'arrivée sur cette île est un franc succès. La frégate, grimée en navire de commerce, n’a même pas attiré l’attention de la garnison. La Cavalière pose sa main sur l'épaule de son second. Elle chuchote pendant que l’équipage s’organise en fond.

“Nous contribuerons à changer la vision de ces gens. Ne dirige pas ta colère contre eux. Le véritable ennemi est le Gouvernement, et notre objectif, ici, est de perturber ses points de ravitaillement importants.
-Ils nous voient comme des brutes . Nous ne pouvons pas simplement détruire la garnison et son port. ils mettront un an à tout reconstruire.
-Cela ne fonctionnera pas. Nous avons ni la force, ni la cruauté. Il faut que cela vienne des pêcheurs eux-mêmes. Laissons leur la chance de choisir le camp de la Justice.”

Les mots de la climatologue réussissent à calmer Tang. Il peut se montrer sanguin lorsque l’on méprise sa patrie. Comme beaucoup dans son équipage, le jeune homme s’est battu pour le libérer et en est fier. Trisha a appris à connaître son équipage depuis le temps qu’il partage en compagnie. Même si elle ne s’est jamais senti aussi proche qu’avec sa défunte amie, la révolutionnaire trouve un réconfort au milieu d’eux. Son second acquiesce d’un mouvement de la tête.

“Tout le monde a le droit à sa chance, vous avez raison, Cam… Professeur Campbell.
-Il est temps de passer à l’étape la plus difficile. Trouver un local pour notre entreprise qui puisse rentrer dans le budget.
-Très bien. Je préviens les autres de commencer les recherches.”

Une semaine de recherche intensive, toutes les annonces passent entre les mains de Trisha sans réel résultat. Dans sa cabine, les piles de feuilles s’accumulent. Se tenant le crâne, elle est accoudée en pleine réflexion. Il lui faudrait une rentrée d’argent suffisante pour disposer d’un véritable comptoir. Elle commence à se dire qu’il vaudrait mieux élargir le champ de recherche à l’intérieur des terres. Tang vient la déranger dans ses calculs au milieu de la matinée.

“L'entraînement matinal s’est bien déroulé, Camarade Trisha.
-Hum. Du progrès?
-Nous pouvons être fier des efforts de nos compagnons.
-Et pourtant, il nous reste tellement de chemin à parcourir...”

Le second reste un instant sans un mot. Il semble vouloir dire quelques choses mais son hésitation rend l’atmosphère pesante. Trisha le regarde, par-dessus, ses fiches, la tirant de sa réflexion.

“Ce n’est pas ton genre de rester silencieux. Qu’as tu à me dire?
-C’est Zheng. Il est encore rentré ivre de sa soirée de la veille.
-Jusque là fidèle à lui-même. Vous l’avez puni selon vos coutumes, je suppose.
-En effet. Ses mollets lui sont tellement douloureux, je doute qu’il recommence un tel manquement.
-Je n’ai pas besoin d’être mis au courant si le problème est réglé. Je vous fais confiance.
-Néanmoins, il clame sans cesse qu’il a glané des informations mais refuse de les livrer à qui que ce soit à par vous. J’ai peur d’une énième déception.
-Laisse lui sa chance, au pire, il me permettra de me vider la tête.”

Le second hoche la tête et se retire du bureau. Quelques minutes plus tard, il entre, en rampant, le fameux trouble-fête. Des camarades l’ont jeté là avant de fermer la porte. Trisha se lève pour s’appuyer sur le meuble fixant le jeune homme maladroit. Celui-ci se met à râler.

“Ouch… franchement, les gars. Vous auriez pu être sympa. Aigo… mes jambes sont en feu.
-Tu as quelque chose à me dire? Mon temps est précieux.
-Oh, Madame l'Éclair Bleu ! Promis, j’ai réussi cette mission avec brio. Tang va être jaloux. Héhé.
-Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme cela. Puis, quelle mission?
-Celle de collecter des informations !
-Tu ne t’étais pas donné l’objectif de visiter tous les quartiers au plaisir possible?
-Alors… oui, mais ! Je reste un fier révolutionnaire.
-Beaucoup commencent à en douter. Zheng, je dis cela pour toi. L’équipage ne tolérera pas très longtemps tes manies.
-Non mais ils comprendront un jour que je suis très utile. Et ce jour est enfin arrivé !
-Cessons de tourner autour du pot. De quoi il s’agit?
-J’ai acheté la bâtisse que vous désirez tant !
-Tu es certain que ce n’est pas une vieille cabane de jardin.
-Non, non, un véritable domaine qui ferait palir de jalousie un noble ! Regardez j’ai même le titre de propriété. Je l’ai mis à votre nom même si je ne sais pas lire. Mon pote de beuverie était avocat, il m’a aidé.”

La Cavalière témoigne d’une grande perplexité par son regard. Croisant les bras, elle lit le document que le petit rigolo lui tend. Il n’y a étrangement pas de signe d’une arnaque grossière, mais Trisha n’a aucune idée si, en ces terres, ce bout de papier à la moindre valeur. Il y a même le nom du vendeur et son adresse. De toute manière, un contrat signé entre deux verres de piquette, il faut être naïf pour croire à une quelconque validité. L’air interrogateur, elle a un mauvais pressentiment sur cette affaire.

“Sais-tu où est ce terrain?
-Pas loin sur un flanc de falaise. Je l’ai vu de loin mais je voyais flou. Le vioc qui m’a fait cette offre était un bon vivant comme j’en ai rarement vu.
-Je vois que tu as payé une belle somme. D’où as-tu sorti l’argent? Tu t’es endetté?
-Ah non, j’ai pris dans le trésor pendant que tout le monde dormait, mais maintenant c’est réglé. J’ai accompli mon devoir !”

Les yeux de la météorologue s'écarquillent. Elle le savait simplet mais il conservait son sens du devoir. Sa bonne volonté est une chose que ne pouvait refuser la Cavalière qui a terriblement besoin d’homme. Cependant, toucher aux caisses des Purple Rain sans son assentiment ou celui de l’équipage est la limite à ne pas franchir. Le visage dur, Trisha le soulève brusquement par le col.

“Zheng ! Ne me dis pas que tu as osé prendre notre or pour te faire arnaquer comme un minable.
-Attendez, je vous jure que c’est pour le bien de tous…
-Tu es un idiot ! Pas le moindre discernement ! Comment peux-tu croire faire le bien ? Ton ignorance est un fléau.”

Traînant le bonhomme hors du bureau, elle monte en trombe sur le pont. Balançant l'énergumène au milieu de tous, Trisha montre une colère que l’on voit rarement sur elle. Ses nerfs pris, les nécroses sous ses yeux s’agrandissent. Sa main tient son crâne pendant qu’elle s’exclame à l’équipage.

“Attachez moi ce débile sur le mât ! Que quelqu’un aille trouver le producteur de ce contrat. Je vais régler cette erreur personnellement.”

Montrant le document à l’un de ses camarades sur le pont, l’homme intimidé par le ton de la Cavalière s'exécute sans poser de questions. D’autres soupirent en constatant que Zheng a définitivement perdu l’assentiment de l'Éclair Bleu. Le jeune homme benêt ne comprend pas ce qui lui arrive mais le mépris affiché de celle qui l’admire lui brise le cœur. Emmené par des camarades et attaché, il n'émet aucune résistance. Depuis le temps, l’idiot a l’habitude de ce genre de traitement quand il échoue. Mais, il était pourtant sûr d’avoir réussi, aujourd'hui. Trisha place un mannequin d'entraînement sur le pont. Pour patienter, elle commence à s'acharner dessus, rouant de coups. Tang s’agenouille devant le responsable de toute cette agitation.

“Je ne sais pas ce que tu as fait, mais tu as dû vraiment déconner cette fois-là.”

Une heure plus tard, Trisha est essoufflée. Assise sur un tonneau, elle éponge la sueur du front avec une serviette. L'équipage semble inquiet qu'elle ne dise aucun mot sur la situation. Personne ne sait la cause de sa colère. La Cavalière a conscience que si l'équipage est mis au courant, un traitement bien pire est réservé à Zheng.

L'homme missionné pour les recherches revient bien vite seul. Il vient trouver la capitaine en se grattant le haut du crâne. Ce bonhomme semble avoir élucidé cette affaire de lui-même. Trisha se lève.

“L’as-tu trouvé?
-Heu… oui.
-Et? Il a dit quelque chose? Il a fuit?
-Il y avait sa fille et son gendre à son chevet.
-Alité, donc. Parfait, nous allons pouvoir négocier.
-En fait, il vient de mourir.
-Il ne manquait plus que ça…
-Sa fille nous remercie.
-Pour quelle raison?
-Elle a dit que nous avons été généreux de lui offrir une soirée mémorable. Même si elle a perdu une partie d’héritage, son père ne lui lègue pas les dettes qui vont avec. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle insinuait, mais je ne me suis pas sentie de poser plus de questions dans ce moment de recueillement.
-Tu as mis une heure à dénicher cette information?
-Pas vraiment. Ma curiosité m’a poussé à aller voir la propriété notée sur le document.
-Continue.
-Je suis d’abord aller demander à un local. Un vieux pêcheur très amical m’a félicité pour l’acquisition. Il m’a guidé jusqu’à l’endroit. La vue est belle, mais le bâtiment a besoin de nombreuses rénovations.
-Serais-tu en train de me dire que c'est une bonne affaire ?
-Avec ce budget, je pense que c'est une formidable trouvaille pour notre plan, Camarade Trisha.”

La Cavalière s'effondre sur le tonneau. Une main dissimulant ses yeux, elle a honte. Sa crise de nerfs vient de totalement la décrédibiliser. La fatigue chronique la pousse à ce genre de mauvaises actions. La plupart des temoins a compris l'affaire. Zheng a pris les caisses pour signer un contrat en etat d'ébriété. Trop précipitée, elle n'a pas mûri son jugement. Il lui faudrait une pause, mais la Révolution ne prend pas de vacances. Dépitée, elle lève pour détacher d'elle-même Zheng du mat. Imitant les mœurs du Pays des Fleurs, Trisha s'incline devant lui pour s'excuser.

“Camarade Zheng. Mon jugement était erroné et mes agissements méprisables. Tu as beau avoir tes méthodes, j'aurais dû croire en toi et en ton dévouement pour notre cause.
-Ah… ne vous en faites pas, Madame l'Éclair Bleu. J'ai l'habitude. Héhé.
-Tutoies-moi. Nous sommes tous égaux dans cette lutte. Ma valeur vaut la tienne... et peut-être que tu me surpasses…
-Voyons, voyons ! Ne dites pas ça ! Sans vous, je serai encore un poivrot de taverne. Enfin, je le suis toujours mais je suis d'abord un fier soldat de la Révolution.”

Tang s'avance à son tour, levant son bâton climatique.

“Sans vous, nous ne serions pas les aventuriers que nous sommes. Sans vous, nous n'aurions pu devenir un fer de lance de la Révolution !”

Des mots créant un grand engouement dans l'équipage de la nouvelle génération des Purple Rain. Une véritable acclamation retentit, sans que la Capitaine ne comprenne. Elle qui ne valorise que les résultats, est prise au dépourvu par cette admiration et cette loyauté exacerbée des Kanokuniens. La climatologue se retient d'afficher son émotion. Elle s'adresse à ses camarades.

“Il est temps de passer à la suite. Il nous faudrait planifier les rénovations mais aussi, réunir l'argent pour les rénovations. Tang, chargé ton oncle de réunir l'équipe de son choix pour gérer les travaux. Je me charge de commencer notre fond de commerce.
-Très bien.
-Une dernière chose. Il faut que l'on sécurise bien mieux notre trésorerie.
-J'allais justement le proposer.”