North Blue, Hat Island, 1623.
Hat Island, où, seuls les saguaros verts se dressaient de temps en temps pour piqueter le ciel bas et immense était un enfer aux sols ocre et rouges, un désert étouffant. En ce monde post-jugement dernier, brûlé d’une violence imprégnée dans tous ses atomes, sur les côtes échaudées ou à travers les dunes alourdies, des âmes menaient tant mal que mal leurs vies dans la poussière.
C’est dans l’une de ces vallées gorgées de sang et de soleil que peinait une tremblotante silhouette.
Son chapeau troué à large bords ombrait ses yeux ternis et son nez cassé, sa barbe mal rasée aux coupures fraîches renforçait les rides d’expression qui avaient figé sa mâchoire à force de rictus et de sourires forcés ; et la seule auréole qu’il verrait jamais était celle de sueur qui souillait maintenant son col blanc. Cet homme était un prêcheur sur une île où personne n’écoutait personne. Dans l’air chauffé oscillait longuement les quatre cactus qui marquaient sa cahute ―son simulacre d’église. Tous deux faisaient la paire et ne ressemblaient pas à grand-chose ; sans son habit, il faisait… il serait lui aussi un bandit.
L’homme plissa ses yeux irrités par la lumière et continua son chemin. Il put profiter de quelques secondes de fraîcheur momentanée en baissant la tête, mais très vite ses narines s’enflammèrent pour respirer douloureusement. Le prêtre ahana vers son église de bois et sa mémoire en bribes ocre et rouges. Le prêcheur finissait dans son esprit son sermon hebdomadaire, un défouloir pour les pensées solitaires de celui qui sait qu’il se retrouvera seul quand il espérait ne pas l’être ; de celui qui n’espère plus ce qu’il souhaitait jadis.
« La Violence... La Violence imprègne certains endroits et dans ces lieux teintés, les âmes qui y habitent.
Le prêtre ouvrit une porte branlante et prit le balai à poils cassés qu'il avait posé dans l'entrée. L'église arborait autrefois à ses fenêtres des vitres aux verres colorés, copie des beaux vitraux des grandes îles, mais aujourd'hui, c'était sur le sol, en morceaux, qu'il retrouvait ces mosaïques de couleurs qui tentaient de magnifier la lumière écrasante de l’île. Il passa entre les bancs qui n'étaient plus à leur place et évita les trous qu’il nota dans sa tête pour les refaire plus tard. Il contempla un instant, derrière un autel en pierre banal, la dernière trace de beauté de son église : une statue aux mains jointes et au visage fendu qui tentait encore de regarder vers le Ciel.
En ces vallées de violence, au milieu de la poussière, la liberté est en inflation permanente et la vie humaine a un prix toujours plus bas. S'insinue dans les corps l'Enfer. En ces chairs corruptibles, aux valeurs friables, en ces mains rapidement prêtes à se refermer sur la gorge de quelqu'un, la Violence trouve en nous des instruments mortels.
Le prêcheur balaya jusqu'à tomber sur une pierre enroulée dans un papier, à côté d’un endroit plus foncé sur le parquet.
Le sang même séché ne s'enlevait pas facilement.
Des bruits à l'extérieur. Il déglutit et s'approcha d'une fenêtre sans verre, la main sur le caillou emmitouflé. Le balai sous le bras, il défit machinalement les deux objets tout en guettant dehors. Un message sur le papier: « On a pas bezoin dégliz et leurs fyaut »...
Si vous, pauvres pêcheurs, ne cherchaient qu'un exutoire à votre misère, vous faites fausse route.
L'homme empoigna le tout et les jeta.
Il reprit son balai ; des bruits aigus de plus en plus stridents cassèrent le silence de l’église ; il continuait de racler les morceaux de verre, de racler quelque chose en lui qui avait dû être de l’espoir, de la dignité et qui comme les morceaux de verre disparaissaient peu à peu.
Notre Seigneur et Maître, lui seul détient la Juste Violence.
Ils tombèrent loin de l’entrée et le prêtre referma la porte brusquement. Un nuage de fumée grandissait dans le lointain. Les sourcils froncés, le front parcouru de veines, le croyant sentit le regard aveugle de la statue au visage fendu.
Vous, hommes et femmes assommés par l'alcool dès les premières lueurs du matin, les yeux, les poings, les pantalons lourds de désirs violents et incurables, je vous le dis, vous ne pourrez longtemps vivre ainsi.
Lentement, il prit des planches de bois et une caisse à outils, tous les deux posés et laissés à la poussière contre le mur. Des couleurs attirèrent son attention : derrière l’autel, des bouteilles de vins vides et pleines renvoyaient maladroitement des tronçons rougeâtres de soleil.
Le Jugement approche et avec lui, la fin de Hat Island comme nous la connaissons. Vous, habitants de Hat Island devez lutter contre vous-même.
Ses mains tremblèrent quand il posa les planches et la caisse, tremblèrent quand son regard s’attarda sur les bouteilles ; il eut soudain mal à la tête.
Nous sommes le véritable ennemi, le créateur de nos vices qui favorise en chacun de nous que l'Enfer gronde et noircit. Vous, habitants dont le regard est une tempête, vous, habitants, sachez que celui qui répand le sang appellera son sang à être répandu.
Le prêtre se détourna pour prendre une planche qu’il mit sur la cadre de la fenêtre sans verre ; et le marteau cogna le clou ; et les bruits du fer craquèrent le bois, planches après planches, enlevant lentement la lumière de l’église, lui donnant la sensation qu’il construisait son propre cercueil.
Vous… vous qui vous transformaient si facilement en bandes de bandits, demandez-vous : qui de l’habitant ou du bandit vînt en premier ? Ce qui vous différencie, c’est juste l’occasion ou l’opportunité. Vous dont les loisirs abominables sont trop peu… et les passe-temps toujours répugnants.
Une ombre s’étendit grâce à la lumière qui filtrait entre les planches. Une ombre jusqu’aux bouteilles. Il alla s’en saisir d’une, la plaça sur l’autel à côté de sa Bible si souvent tenue qu’elle tombait en morceaux . Il regarda le fusil qu’il avait accroché derrière l’autel.
A l’extérieur, les volutes de poussières et des bruits trop humains pour le rassurer se rappelèrent à lui. Le prêcheur prit une lampée de vin de messe et se posta dans l’encadrure de son église, arme en joue, prête à la défendre.
Son fusil s’abaissa pour qu’il puisse se signer. C’était la dernière fournée d’étrangers, que le prêcheur imaginait pelotonnés ensembles comme des animaux malades .
Encadré par plusieurs gardes affublés de pétoire sur des vélos et des chevaux au regard mauvais, une coque de bateau recyclée en véhicule terrestre comme si la mer l’avait rejeté fonçait sur la terre brûlante. Sur ce qu’aurait dû être son pont, une toile épaisse clouée à la va-vite continuait de claquer dans le vent comme elle l’avait faite depuis qu’ils avaient quitté les côtes avec leurs nouveaux produits.
Tressautait sur les routes caillouteuses d’Hat Island, dans le convoi d’esclaves, des visages baissés, des corps fatigués, des âmes ternies. L’espoir était mort. Chacun venait avec son histoire attaché dans ses yeux assombris : venus commercer, venus se ravitailler, venus en vacances, venus et jamais repartis. Une fois au port, des bandes expérimentées les avaient entourés rapidement, les coupant de l'accès à leurs navires et du médiocre équipage qu'ils avaient avec eux. Rien ne les épargnait : ils ne pouvaient rester assis que jusqu'à ce que la prochaine pierre vienne briser leur peu de confort ; que jusqu’à ce que le rai de soleil suivant, à travers les soubresauts de la toile vienne lécher l’intérieur pour leur brûler la peau. Tout mouvement qui aurait pu les soulager leur était interdit parce que seuls les chaînes qu’on avait reliées à des socles les maintenaient en place et qu’à chaque nouvelle vibration, elles leur déchiraient à chaque fois poignets et chevilles pour les empêcher de s’écraser, puis de rouler sur la terre de poudre et de sang.
Les produits devaient arriver en bon état constata un homme fatigué parmi tant d’autres. En la pénombre et l’air vicié de sueur, de sang et d’urine, il lorgna ses compagnons d'infortune. Certains étaient en costumes, d’autres en chemises de vacances ; une femme avec des bleus portait le fantôme d’une robe cocktail ; un homme avait les yeux fuyants ; un vieillard aux lunettes et au regard cassées semblait accuser le monde entier de ses problèmes ; une femme ne ressemblait plus à rien d’humain parce que son maquillage avait coulé à force de pleurer ; une autre femme aux vêtements arrachés frissonnait de la froideur humaine ; tous étaient prostrés, têtes tentant de s’enfouir (de s’enfuir loin d’ici) dans leurs genoux ou leurs jambes repliées, avant qu’à l’unisson, soubresaut oblige, le silence s’emplisse de cris muets. L’homme fatigué baissa la tête et commença à sangloter. Ses pieds étaient nus et sanguinolents. Il aurait donné tous les royaumes des blues pour des bottes, mais il était hors d’atteinte ici, où la lumière du Gouvernement mondial ne semblait rien toucher. On ne choisit pas le monde dans lequel on vit, seulement parfois comment y vivre, mais il avait toujours cru à son confort et à sa sécurité. Il n’avait jamais trahi sa foi dans les instances des institutions qui avaient protégé sa quiétude jusqu’ici, les pensant absolus, comme leur devise l’affirmait.
Un bruit étrange les surprit tous.
Parmi les frissonnants et les apeurés ronflait un homme.
Un homme sans chapeaux comme eux, raison qu’on avait invoqué avec des rires gras pour justifier leur mise en esclavage.
Comment il peut dormir ?
L’homme fatigué tendit son cou pour mieux le voir. La faible lumière ne l’empêchait pas de discerner, derrière le haut du crâne, sur le cou, du sang séché qui montrait qu’il avait été attaqué par-derrière. Ce même sang s’était imprimé dans la toile derrière lui – la blessure était profonde, il avait été attaqué plus d’une fois. Cela ne l’étonnait qu’à moitié : l’endormi en boule gonflait son dos puissant à chaque ronflement qu’il expirait et on entendait le tissu craquer à chaque respiration ; il avait des muscles qui semblaient avoir détruit les manches d’une chemise dans laquelle d’autres auraient flottés, et détail plus terrifiant, des éclaboussures de sang maculait son haut qui ne semblait pas être les siennes. L’endormi grogna quelque chose d’inaudible et se tourna à cause d’un cahot sur la route. Il avait d’étranges cheveux blancs laiteux qui formaient une couronne de mèches tombantes cachant ses yeux et dans le manque de clarté, son visage ; des rouflaquettes, une moustache, un bouc tous noirs et des poils de différentes tailles qui avaient poussé sur une mâchoire carrée comme s’il n’avait pas pu prendre soin de lui récemment.
Il se tourna encore et ronfla comme un bienheureux.
« Comment i’ fait pour dormir ce type-là ? Il doute de rien, déclara l’homme fatigué.
– Je ne sais pas, je l’envie… répondit une des femmes.
– Que va-t-il se passer pour nous, demanda la femme au maquillage coulé.
– Pourquoi font-ils ça ? Qu’est-ce qu’on a bien pu faire pour mériter cela, sanglota la femme à la robe cocktail.
– On va être tués ou vendus comme esclaves… murmura l’un des hommes avant que les langues ne se délient.
– On est des ressortissants du gouvernement mondial, ils ne peuvent pas nous faire ça !
– Cette île n’est pas du gouv’, ils ont leur propre lois. Et la première est qu’ils détestent les étrangers.
– On doit trouver un moyen d’appeler le Gouvernement ou les Marines, enfin !
– Il faut qu’ils viennent pour annexer cette putain d’île de merde !
– Non, nous sauver surtout !
– Il faut qu’on s’échappe...
– Si on part tous, on peut arriver à trouver de l’aide !
– Où ? L’île entière est notre ennemie !
-– Vous avez été arrêtés où, vous ?
– Un tombeau. On m’a arrêté dans une ville-cimetière appelée Tombstones. C’était le plus grand cimetière que j’avais jamais vu. Il était tout autour de la ville et j’ai l’impression qu’avec le temps, le cimetière a dévoré celle-ci. J’imagine que les gens sont tellement des connards brutaux ici qu’ils foutent tous leurs morts là-bas.
– Moi, dans une ville-fantôme. Je pensais trouver des gens pour m’aider, mais les maisons étaient vides, les saloons inoccupés, le puits asséché. Je sais pas ce qui s’est passé là-bas, mais ça m’étonnerait pas que les gens d’ici ont la bougeotte et que c’en est qu’une parmi tant d’autres.
– Moi, dans un camp de gens corrompus qui s’appelaient Deadwood. Ces types m’ont volé mes bottes et on tentait de me les revendre ensuite.
– J’me demande quel est l’histoire de ce gars-là.
– Comment ils ont fait pour le chopper avec tous ces muscles ?!
– Comme nous, non ? Quand on l’a braqué avec plein de flingues, il a pas hésité longtemps entre crever ou se laisser faire.
– On pourrait peut-être essayer de s’enfuir avec lui ? On a qu’une poignée de gardes et qu’un cocher non ?
– Avec des fusils, oui. Entraînés et armés. On pourrait y arriver, mais avec combien de morts ?!
– C’est ça ou finir esclaves.
– Faudrait un plan.
– Prétendre pisser ?
– Vrai qu’ils ne nous ont pas donnés de seaux. Je pense pas qu’ils voudraient qu’on se pisse dessus.
– ça j’en suis moins sûr, après tout on est des esclaves pour eux.
– Faudrait voir, tester.
– Faudrait surtout qu’on ait de l’aide du gros costaud, je sais pas vous, mais moi j’étais venu en vacances en croisière, je suis pas vraiment un combattant.
– Moi non plus.
– Idem.
– Ouais… je crois qu’on a pas le choix.
Certains restaient silencieux, d’autres s’étaient déjà résignés, d’autres encore semblaient attendre quelque chose, une lueur mauvaise au fond des yeux.
– Qui s’y colle ? »
Ils échangèrent tous un regard entendu et invitèrent l’homme fatigué après une série de gestes à réveiller le colosse aux cheveux blancs. Il s’approcha pour voir enfin son visage aux pommettes prononcées, au nez en trompette, à la barbe maculée de bave : il eut un soupir de soulagement qu’il ne comprenait pas vraiment lui-même et consentit à le secouer.
L’endormi réagit en se tournant une nouvelle fois, grommelant quelque chose à propos d’un papa et lâcha un petit pet.
Les autres insistèrent et l’homme fatigué réitéra en l’appelant faiblement du mot qu’il semblait prononcer dans son sommeil : « papa ».
Robb Lochon ouvrit les yeux.
« Faut pas réveiller son papa quand il a congé, mon garçon.
– Vous êtes pas mon père. Il est mort y a longte-
– Mais bien sûr que si ! Je suis le papa de tout le monde ! T’inquiètes, c’est bizarre, mais c’est fait exprès, c’est spirituel, mieux, c’est symbolique, t’inquiètes-t’inquiètes !
– Ah bah là j’avoue que justement je m’inquiète d’autant plus enfaite.
– MAIS NOOOOOOOON, faut pas ! J’suis un peu foufou dans ma tête, mais ça fait le café généralement. Je résous les problèmes ! T’as un problème avec le fait que je résous les problèmes ?
– Non, non, justement j’en ai pas mal de problèmes là présentement.
– Oh ! Ok, comment puis-je t’aider mon garçon ?*
**
Un garde balafré et ses compagnons d’armes sur leurs vélos tout terrains et leurs chevaux aux regards mauvais ricanait tout en encadrant le convoi de plusieurs véhicules. C’était le job le plus facile que lui et ses gars avaient eu depuis longtemps. Une nouvelle prise pour les usines. Les étrangers continuaient de se rassembler sur leurs côtes comme des poissons sonnés sur les rochers et eux n’avaient qu’à les frapper une ou deux fois pour les ramasser. Lui et son second cerclait autour du bateau terrestre, tandis que les deux autres s’occupaient des deux diligences fabriquées avec le bois abandonné des villes mourantes aux antipodes des routes commerciales.
Si tout se passait comme prévu, ils arriveraient bientôt. Le vent souleva de la poussière et le garde balafré se protégea grâce à son chapeau. Quand la bourrasque passa, son expérience lui dit de se rapprocher de la tête du convoi pour voir s’il n’y avait aucun souci. Les vents poussiéreux de l’île pouvaient être traîtres et le cocher n’en était qu’à son troisième voyage.
Faisant claquer les rênes, la tête protégée par son chapeau à longs bords, un foulard et deux épaisses lunettes aux attaches en cuir, le cocher commençait à être plus rôdé que son partenaire de crime le pensait. En encaissant la bourrasque, il avait cru entendre des bruits métalliques et des craquements de bois derrière lui, mais c’était sans doute la vibration due aux vents de l’île. Le cocher tourna la tête pour voir où étaient ces gardes et c’est à ce moment précis qu’un grand déchirement attira son attention.
Dans la toile, un grand trou ; et du grand trou émergea des membres musclés et un visage aux yeux lumineux de malice. Avant qu’il ait pu crier, le cocher se retrouva avec deux mains calleuses sur sa gorge et se sentit soulever de son siège.
« Où sont mes affaires, sale mioche ?
Le monstre dans la pénombre le secoua plusieurs fois au point où il lâcha les rênes pour tenter de crocheter l’emprise sur sa gorge. Le cocher vit briller sur les poignets du monstre les longues chaînes et au bout de celles-ci les socles aux clous tordus qui devaient les protéger de toute tentative d’évasion. Un réflexe primitif d’habitant d’Hat Island le fit prendre son pistolet pour tirer, mais le prisonnier relâcha son étreinte pour lui écraser la main. Il cria et lâcha son arme qui disparut sous le convoi.
Le prisonnier le surplombait à contre-jour : c’était un homme à la large carrure et au sourire plus large encore. Le cocher déglutit, le corps pendant dans les airs à la merci du prisonnier, au-dessus des chevaux qui continuaient de galoper brutalement.
– Sacoches… les gardes… autour du convoi...laisse-moi… laisse-moi partir. Ne me… ne me tue pas.
– Oooookay ! »
Oh no-
Le cocher vit défiler le ciel bleu, les nuages, les chevaux aux yeux exorbités parce qu’ils reconnaissaient celui qui leur donnait des ordres jusque-là, le prisonnier rigolant avec d’autres silhouettes qui sortaient derrière lui, le sol, le sol plus près, BAMSCRATTTTCCGGGGHHHHPPPFFFFFTRRRRRRRRGKT.
Le garde balafré tira tout en criant ÉVASION ÉVASION EVA- jusqu’à ce que deux pieds joints dans des bottes de montagne viennent siffler dans son visage. Il eut juste le temps d’entendre des cris de panique provenant du convoi et d’autres tirs avant de sombrer dans l’inconscience. Robb atterrit sur la croupe du cheval qui se mit à cabrer et qui vira son précédent conducteur, poids mort, sans ménagement. Robb le vit rouler loin d’eux et eut un petit ouch mental compatissant avant de constater qu’il allait lui-même valdinguer s’il ne faisait rien. Il serra ses énormes cuisseaux autour du cheval et glissa malgré tout hors de la selle, mais réussit à arracher les sacoches pour espérer trouver ses effets personnels. Fusa un flingue qu’il cala maladroitement dans sa chemise, une série de balles qui ricochèrent autour de lui, sauf une qu’il rattrapa avec la bouche avant de la recracher par réflexe à cause du goût de la poudre et de la viande séchée dont il s’empara avec une agilité presque surnaturelle.
Robb continua de glisser le long du cheval pour se retrouver sous son ventre, la tête à l’envers, tout en mâchonnant son jerky, pour voir où en était le reste des prisonniers.
Robb vit les autres futurs esclaves tenter de contrôler les chevaux qui conduisait leur bateau bizarre, mais leurs mouvements étaient ralentis par les chaînes et leurs socles qu’il avait déboulonnés. Certains d’entre eux semblaient blessés. Le cheval s’arrêta pour le dégager ; il roula en boule sur le sol en se protégeant la tête et se redressa pour voir foncer sur lui deux mecs armés… en vélos.
Leurs sacoches étaient dans des petits paniers à l’avant décorés avec des crânes de moutons pour les rendre moins mignons. Le Pirate fit craquer son cou et sourit tout en commençant à courir vers eux, les deux bras tendus, nullement gênés par ses entraves bringuebalantes. Il accéléra quand il vit se détacher derrière eux une silhouette qui tombait de la place du cocher après de nouveaux tirs. Leurs revolvers clignotèrent avant de rugir, au même moment où Robb accélérait à nouveau en se baissant le plus possible, les yeux fixés sur les roues, leurs paniers au-dessus d’eux, rétractant ses jambes puissantes pour être le plus parallèle au sol possible. Ses veines gonflèrent, ses jambes se détendirent pour lui permettre de sauter en longueur à pleine vitesse ; les coups l’atteignirent. La terre se souleva en plusieurs endroits, éclatant en un petit nuage de poussière.
Les cavaliers se sentirent partir en l’air : sous eux, une zébrure rouge courant d’une épaule au bas du dos, une tâche rougeâtre grandissant sur l’autre épaule, le Pirate de ses deux bras tendus tordaient sous l’impact les paniers et leurs vélos ; les sacoches virevoltèrent.
Deux sons de roulé-boulés derrière lui, Robb frappa d’un coup sec l’arrière de son épaule touché ; la balle sortit mollement de ses chairs. La douleur le prit, il réprima un cri tout en fonçant vers le convoi, raclant le sol de son bras et sa main valide pour chopper les sacoches au passage.
Des grommellements en arrière lui soufflèrent que les deux gardes n’étaient pas encore défaits ; des coups de feu continuaient de retentir, mais les autres prisonniers s’étaient réfugiés sous la toile, abandonnant l’idée de subir les assauts du dernier garde monté. Les sacoches contenaient d’autres viandes séchées qu’il enfourna dans sa bouche, de l’argent dont il ne s’embarrassa pas et son sac de voyage qu’il accrocha à la boucle qu’il avait à l’arrière de sa ceinture de cuir made in Drum.
C’est le dernier garde qui les a, c’est ça ?
Il avait besoin de son barda médical et sa pelle. Avec celle-ci, il aurait pu au moins dévier les balles de ces satanés cracheurs. Il était une cible trop facile. Déjà les corps s’amassaient dans la traînée du convoi, la poussière les recouvrant peu à peu. Le Médecin ferma les yeux pour se concentrer sur la douleur qui ravageait son épaule et son âme. Il sortit le pistolet sans balles de sa chemise. Il le prit par la crosse, visa, pria ses Dieux de lui accorder un peu de chance et le lança de toute sa force sur la tronche du garde qui canardait les prisonniers.
L’arme tournoya au-dessus du garde qui la suivit du regard en ricanant.
Robb ricana aussi quand il stoppa les chevaux en leur rentrant ses genoux dans les côtes de toute la puissance supraluminique de sa charge.
Les animaux crièrent, le garde qui vit le bateau pencher vers lui cria, les gens toujours à l’intérieur dudit bateau crièrent aussi.
Et Robb Lochon, silhouette bourrin sous un soleil tyrannique, une explosion de poussière et de hurlements courroucés en fond, Pirate en une terre de violence qui ressemblait tant à chez lui, cria à pleins poumons, en levant son poing valide vers le ciel :
« C’EST QUI LE PAPAAAAAAAAAAAA ?! »
A l’horizon, sur un pan de vallée plus haut, cinq individus se tenaient sur des chevaux. Tous les cinq foncèrent vers le convoi. Tous connaissaient la fureur potentielle d’Hector Gabril et tous voulaient sa place. Tôt ou tard se disaient-ils, une occasion arriverait et l’occasion était là.
Ils ne virent pas qu’une autre personne les suivait de loin.
Chasseurs chassés, proies prédateurs, la chaîne alimentaire de Hat Island ressemblait à leurs arbres généalogiques : si certains l’imaginaient comme quelque chose de vertical et hiérarchique, elle faisait plus penser à un cycle avec des flèches qui tournaient en rond.
Parmi les cinq : Bill le Sauvage cinglait sévèrement l’air de sa cravache ; Beau le Beau avançait tout en s’admirant dans un miroir, les jambes tendues, les pieds croisés sur l’échine de son étalon blanc à la grande crinière bondissant plus que galopant ; Leland le faible parce qu’il était la dernière recrue (parce qu’il était surtout un simple père de famille désespéré par une série de dettes) tenait maladroitement les rênes de son âne ; Wes le Terne, ne pipant mot, le chapeau couvrant la moitié de son visage à la barbe mal rasée surveillait sans expression ; Psycho-Jim, le frère de Bill le Sauvage motivait son cheval à aller plus vite en faisant claquer les dents acérées de sa grande bouche près des oreilles de l’animal.
Ils discernaient le convoi arrêté, avec le véhicule de tête renversé et les deux autres mis à l’arrêt par une tripotée d’esclaves armés qui ne connaissaient plus leur place. Un individu se détachait du lot par les va-et-viens qu’il faisait.
Robb Lochon passa en revue les prisonniers morts. Il y avait l’homme fatigué qui l’avait réveillé, une femme et un autre homme qu’il remarquait pour la première fois. Il était allé voir s’éteindre le dernier garde écrasé par son cheval et une partie du navire terrestre. Le Médecin n’avait pas cillé. Seulement après, le Montagnard s’était soigné après avoir retrouvé son sac médical et la pelle de combat héritée de son père, puis s’était occupé des autres prisonniers. Sa blessure n’était pas trop profonde, son corps guérirait plus vite que leurs cœurs.
Le reste du convoi s’était rendu rapidement, mais rien n’était réglé : il fallait toujours quitter l’île et si possible être sûr que les ex-futurs esclaves ne connaissent pas le sort qu’on leur avait réservé ; et devant une bande désorganisée de gens apeurés certes armés, mais pas entraînés, Robb avait peur que leur « rébellion » ne fasse pas long feu.
Il entendit des coups de feux et des cris d’allégresse ; il ferma les yeux pour soupirer intérieurement.
Putain d’île de cons.
Dans certains endroits, la violence imprégnait tout ; il cria aux prisonniers de s’enfuir.
Un autre jour sur Hat Island se lèverait et un autre convoi démarrerait, il le savait ; le Montagnard sauta derrière le deuxième véhicule du convoi, tomba nez à nez avec un des gardes pour lui piquer son chapeau qu’il mit sur sa tête.On ne pouvait pas lutter contre le monde entier d’une île ; Robb détacha ce qu’il avait entendu dire être un cheval et se rendit compte qu’il ne savait pas comment utiliser pareille créature. Il n’avait pas prêté attention à comment les malfrats qu’il tabassait étaient posés sur pareille bestasse.
- Spoiler:
Robb Lochon n’était pas pirate à se laisser abattre parce que quelque chose semblait inutile, envers et contre tous, Robb Lochon essayait.
Il fit un long détour en courant par là où les nouveaux bandits semblaient arriver, le cheval sur le dos, appelant à l’aide une silhouette qu’il croyait avoir discerné…*
**
Dans une usine qui attendait sa nouvelle main d’œuvres, Nnara regardait avec un mélange de haine, de mépris et de pitié, les hommes pâles au milieu du métal froid, du cliquetis régulier des machines et des chaînes d’assemblages de la bière locale qui ralentissaient de plus en plus.
Où était la relève ?
Dans une vallée de violence (PV Jaina, FB 1623)
Dans une vallée de violence
With Robb Lochon
La cabane en bois était toujours présente. Toujours isolée du reste de la population, l'habitation pourrait être considérée comme abandonner par les moins futés d'Hat Island qui correspondaient à plus de quatre-vingt pourcent des Chapeautés. Depuis une bonne heure, Jaina n'avait pas remarqué la moindre activité dans cette maisonnette. Est-ce que le propriétaire était toujours en vie ? Ou bien que le vieux renard observait dans l'ombre ce que l'albinos comptait faire. Six années se sont écoulées depuis sa première venue dans cet endroit. Autrefois elle était encore jeune, naïve, ignorante des véritables dangers de ce monde, Rosenberg espérait avoir mûri un peu.
Orphée secoua son visage et effectua un gémissement de mécontentement. La jument en avait marre de rester statique. Elle souhaitait bouger et surtout se rapprocher de l'abreuvoir remplit d'eau de pluie. Sa fidèle alliée ressemblait beaucoup à Jaina sur un certain domaine. Elle buvait beaucoup. Soupirant doucement, Jaina se plia aux exigences de son cheval. Effectuant un bruit qui était provoqué par sa langue claquant son palais, Orphée comprit qu'il s'agissait d'un ordre. L'équidé devait enfin avancer. Heureuse comme tout, elle trotta pour réduire la distance qui la sépara de l'abreuvoir.
Hélas, le bruit d'une arme obligea l'animal à s'arrêter. Orphée était dégoutée. McCoy venait de sortir de sous une trappe cachée dans le sable. Il menaçait la cavalière avec un revolver buntline. Le canon de l'engin était si long que le tireur pouvait tirer beaucoup plus loin qu'un simple colt. La cow-girl salua le doc par une inclinaison de son chapeau.
« L'albinos de Pierce. » déclara le médecin qui arma le chien de son pétard. « Je te donne une minute pour m'expliquer ce que tu fais ici. Vois-tu, je suis assez sur les nerfs en ce moment. »
Levant ses mains en l'air, Jaina Rosenberg se demanda si ses progrès au tir pourraient lui permettre de désarmer rapidement le médecin. Plissant ses iris sanguins, la dame tenta le coup. D'une grande rapidité, l'amoureuse des armes à feu sortit un de ses jouets et tira une ogive pour désarmer le docteur. Une action qui trompa la grande assurance de McCoy.
« Je croyais que les cow-boys ne menaçaient jamais les femmes avec une arme?! » Elle descendit de sa monture, donna un coup de pied sur le flingue du Doc pour l'éloigner de ce dernier. « J'ai besoin de tes services. Ma vue commence à me jouer des tours. J'ai entendu dire, que tu savais fabriquer des lunettes de vue. »
« Tu crois réellement que je vais t'aider ? Ce n'est pas parce que Pierce est l'un de mes clients que je vais forcément te filer un coup de main petite. »
Souriant à la remarque du médecin en retraite, l'albinos lui confia qu'elle ne travaillait plus avec l'aveugle depuis longtemps. De plus, elle n'hésita pas à lui avouer qu'ôter la vie de McCoy ne la gênera aucunement. Elle lui fit très vite comprendre que Jaina avait autant de sang sur les mains que ce grincheux.
« Soit... » grogna le vieux médecin qui indiqua par un geste de tête que Jaina pouvait entrer dans sa cabane. « Je vais voir ce que je peux faire... »
Tous deux finirent par entrer dans la médiocre bâtisse. L'ouverture de la porte provoqua un grincement désagréable aux oreilles de la cow-girl. L'endroit était en piteux état depuis sa dernière venue. À croire que le Doc ne désirait plus passer la poussière, lui qui semblait si méticuleux.
« On dirait que tu n'accueilles plus de nouveau patient. » dit-elle en soufflant sur un meuble qui provoqua un nuage de poussière.
Le médecin tira une chaise et la plaça face à Jaina. Il sortit son sac caché sous le lit où reposait un nombre incalculable d'outils servant pour la médecine.
« Navré, je n'ai rien pour sous la main pour t'aider gamine. » avoua le borgne qui affichait une mine bien plus désastreuse qu'autrefois. Quelque chose sembla attrister le médecin à la retraite et même le dernier des sots arriverait à le deviner.
« Tu es malade ? À notre première rencontre tu me balançais gratuitement un nombre incalculable d'insultes. »
Soupirant fortement d'agacement, McCoy cracha le morceau. Le vieux renard était père d'une gamine, ayant cinq années de moins que Jaina. Il l'avait nommée Freya. Les Drognars avaient tué son épouse et crevés l'œil droit du médecin. Aujourd'hui, sa fille avait disparu de la circulation, comme par magie. Peut-être que le désert fut le grand responsable. Néanmoins, le Doc pensa à une autre possibilité. Corporation Enterprise. La seule industrie d'Hat Island qui fabriquait la fameuse bière Hat. Selon le borgne, Freya aurait pu être capturée par des esclavagistes. Avant que l’albinos demande le pourquoi du comment, son interlocuteur lui révéla que les employés de l’usine étaient tous des esclaves. Ils pouvaient y avoir des voyageurs, des touristes, des bandits, la fabrique offrait un large choix d’employés.
Ce fut alors que McCoy qui n’avait jamais révélé son véritable prénom, proposa un marché à la desperada. Pendant que ce dernier tentera de trouver un moyen de confectionner des lunettes de vue pour Jaina, la demoiselle allait devoir chercher des pistes pour retrouver sa fille. Au vu de l’état déplorable de l’homme détenant un nez très crochu, la louve était persuadée que le retraité ne pouvait plus faire grand-chose…à part exercer son métier de docteur…
Une semaine passa à grande vitesse. Sept jours à se renseigner sur cette prétendue entreprise douteuse installée sur Hat Island. D’après les racontars des bars, les esclaves proviendraient d’Hector Gabril. Lorsque ce voleur récupérait les moyens de transport des touristes, il vendait en même temps les passagers comme esclave. Charmant. L’albinos s’en fichait tant que ce mauvais bougre ne touchait pas à sa famille.
Cette information cruciale, permis à la hors-la-loi de trouver un homme de ce Hector et de l’interroger pour le tuer juste après. D’après le défunt, la victime de Jaina, un ou plusieurs convois se dirigeaient au fameux bâtiment. Tous les chariots furent normalement remplis d’esclaves et dont potentiellement cette Freya McCoy. Le trajet fut très simple à deviner afin de pouvoir l’intercepter. Le départ se fit à "On vous jure c'est pas du tout un piège City" pour terminer sa course à Fortifio, la ville pacifique où fut construite Corporation Enterprise. La prédatrice attendit sur la selle de son cheval au milieu du parcours…
Après d’innombrables heures, la cow-girl repéra ou plutôt entendit son objectif. Claquant les rennes et frottant ses éperons contre sa fidèle amie, Orphée galopa en direction du bruit pouvant être considéré comme un règlement de compte. La scène correspondait au bouquant. Les esclaves se rebellaient contre les gardes de l’escorte. Un joli champ de bataille offert pour l’amoureuse des armes à feu. Dépliant sa petite longue-vue, Jaina inspecta l’affrontement pour trouver la fille qu’elle devait sauver. Elle possédait une photo de la prisonnière. Blonde, plus jeune que la cow-girl avec sûrement un nez aussi crochu que son père, ce genre de femme ne courait pas dans tous les déserts.
Au lieu de repérer la biche en détresse, la louve décela cinq silhouettes en hauteur, sur une butte de sable et non loin de la position de Jaina. Tous concentrés sur l’attaque du convoi, la troupe partit rejoindre le chaos ambiant. Avec leur accoutrement, l’arsenal à leur ceinturon, Rosenberg paria que ces coyotes ne faisaient pas partie du troupeau de moutons.
« Profitons de l’effet de surprise pour tomber sur ces clébards. » déclara la Louve Blanche à sa jument Orphée. « Attaquons le plus faible du lot pour mettre à l’épreuve leur détermination… » souffla-t-elle toute seule en se grillant une clope à l’aide de son Zippo favoris.
Reprenant sa galopade qui fut bien plus rapide que les autres canassons, sûrement parce que chaque chevaux élevés dans le ranch Rosenberg étaient destinés à être une perfection, Jaina décrocha son lasso tenu par la corne de sa selle. Faisant tournoyer l’anneau dans les airs, elle balança son outil pour pécher le premier zigoto du groupe qui fut le moins rapide. Le père de famille fut retiré de sa mule et son derrière embrassa le sable aride du désert. Se tortillant comme un poisson sortant de l’eau, le pêcheur ayant remis ses santiags à terre, se rapprocha de sa proie, un mauvais sourire aux lèvres.
Retirant les pétards de Leland le faible, la cow-girl se mit à califourchon pour poser le canon de son revolver contre le bout du pif du ligoté.
« Freya McCoy tu connais ?! » questionna l’albinos qui camoufla ses iris sanguins derrière ses lunettes de soleil. Elle arma le chien de son pistolet pour rendre plus bavard le gibier.
« J’ai…une femme, deux garçons et une fille de six mois. » répondit le père de famille qui transpirait énormément du visage et claquait ses dents de peur.
« Oh, tu m’en diras tant. J’ai une gamine qui vit loin de moi et le père de mon enfant qui m’a lâché à mon sixième mois de grossesse. C’est la dure loi de la vie. » Elle appuya un peu plus son canon contre le nez de Leland. Visiblement les quatre autres cavaliers continuèrent leur route en direction du convoi arrêté. « Dernière fois que je me répète ! Freya McCoy ? Où est-elle ?! »
« Connait…pas. » fit-il avant de changer immédiatement de masque. Le dernier recruté de la bande manqua de poignarder la cuisse de l’albinos. Heureusement que ses billes océaniques l’eurent trahi en pivotant sur son arme de poing. Comprenant immédiatement que l’homme venait de couper ses liens, la louve exécuta in extrémis son prisonnier pour échapper à un trou dans la jambe. Le visage recouvert de l’hémoglobine du défunt, la cow-girl siffla pour appeler sa jument et repartit en selle sur le chemin du convoi.
S’apprêtant à canarder la troupe des quatre cavaliers, Jaina écarquilla ses mirettes en voyant un cheval sur le dos d’un homme. Pivotant son visage sur le côté, cherchant une explication, Jaina finit par hausser ses épaules.
« Planque-toi !! » hurla Rosenberg à l’homme servant de monture à son cheval. Ce dernier devint une proie des coyotes, la louve tira sur ces clébards espérant les ralentir…
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Nnora à la tête coiffée de plumes faisait les cent pas. Ses allées et venues sur les plaques de métal croisées en une série de petits carrés, plateformes qui entouraient une zone en dessous d’un toit en charpente de bois la surprenait encore. Personne de sa tribu n’aurait pensé un jour pouvoir créer un bâtiment utilisant l’espace vertical pour étager des matières aussi solides et lourdes que de l’acier, lancé et fixé comme par magie dans l’air, retenus seulement par une série de clous plus résistants que tout ce qu’elle avait pu connaître jusque-là. L’ingénierie de l’homme pâle était aussi grandiose que son avarice et sa volonté d’asservir les autres ; ils avaient appris d’eux ça aussi.
Notre monde est déjà perdu, il ne reviendra pas… J’utiliserai tout ce qui est à ma disposition pour rester maîtresse de notre île, quitte à perdre la confiance des miens.
Une sensation dans la gorge et le ventre alourdit son pas un instant ; le dégoût la submergea. Le dégoût envers sa situation, envers son peuple, les Drognars, envers elle-même, envers eux… Nnara s’arrêta et posa ses mains sur la rambarde.
Sous l’entrecroisement des croisillons, ses «employés forcés » s’échinaient : les chaînes de montages s’activaient sans s’arrêter, les tapis métalliques crissaient dans une rythmique d’un nouveau temps, le temps de l’industrie. D’étranges machines aux étranges formes, tels les plantes aux formes synthétiques d’un nouveau monde, des formes crantées, striées, tournoyantes, avec toute la cruauté de la beauté sans aucune de sa douceur enchaînaient la main vivante dans des gestes répétitifs qui érodaient l’âme, une cadence mécanique qui transformait le long temps de l’artisan en esclave pressé, les machines rondes et carrées semblant attacher ceux qui les actionnent, les corps chauds se fondant contre les corps froids. Suant sur les machines sans émotions, les individus cessaient pour devenir des personnes et n’étaient plus que des bras et des torses, des visages et des corps tendus dans l’exercice. Bientôt, ils penseraient tous trouver en cette répétition une libération : libres d’agir, libres de penser, les formes fixes des machines et mouvantes des hommes se complétant, les gestes s’harmonisant, l’union sale de l’homme et la machine inexorablement s’opérant.
Un frisson gagna les bras croisés de Nnara sur le métal et s’étendit dans tout son corps. Les machines n’ont ni volonté, ni sentiments, elles ne nous emprisonnent pas. Ce fut notre choix. Ce sont des créations humaines et peut être qu’elles en ont tout simplement gagnés la froideur. Nnara vit sur les chaînes d’assemblages les bouteilles en verres vides être remplies, les capsules dentelées fermaient les boissons alcoolisées, les étiquettes collées par des mains qui perdaient lentement leurs agilités et loin derrière, par une fenêtre rectangulaire, des champs de cactus, principal ingrédient de leur bière. Ils étaient surveillés par des gardes (certains des villages des hommes pâles, d’autres du sien, les rares qui, comme elle, virent une nouvelle opportunité dans la poudre et l’acier) armés sur des chaises. Les hommes se confondaient hormis les peintures et les plumes ; aux ceintures les dagues des premiers étaient des tomahawks pour les seconds. Enfin, une série de sons, le poids de pas qui font retentir le métal, la détourna de leur travail. Son second se tenait prêt à faire son rapport.
« Où est mon arrivage ?
– Nos hommes de confiance nous disent qu’ils ne sont jamais arrivés à bon port. Quelque chose a dû se passer durant l’acheminement.
– On sait pourtant qui je suis et que je fais affaire avec Gabril.
– Vous savez comment sont les gens d’ici, Madame.
– Je sais. Je sais que quand ils ne combattent pas, ils aiment boire. Et qui leur permet de boire une délicieuse bière ?
– Corporation Entreprise, Madame.
– Et qui dirige Corporation Entreprise, Wyatt ?
– Vous, Madame.
– Exactement. La vie c’est du profit, et le profit, c’est la vie. Leurs vies. Et elle pointa les esclaves en bas qui tentaient de ne pas écouter les éclats de voix de leur maîtresse. Exact Town me livre les esclaves, garde en échange toutes les possessions des touristes et autres visiteurs idiots et je leur offre, parfois, une ristourne…
Wyatt Buck tout de noir vêtu s’était rapproché, une goutte de sueur perlant le long de son visage grêlé de cicatrices, la main pianotant doucement sur son holster.
...Monte une équipe. Prends une dizaine d’hommes avec toi. Fusils, pistolets, dagues, vous avez jusqu’à demain soir pour trouver la source du problème. Tu envoies aussi deux personnes avec nos chevaux les plus rapides pour Exact Town et Gabril, dis-lui que j’offre des caisses gratuites de bière à ceux qui régleront le problème. Portez bien vos insignes qu’ils ne vous attaquent pas surtout. Je te laisse décider du périmètre et du reste de l’équipement à prendre avec toi. Ramène moi ma marchandise.
– C’est comme si c’était fait, Madame.
L’homme de main en second, chef de la sécurité et des basses œuvres de Nnara et de sa Corporation se retourna avec un grand sourire et à mesure qu’il descendait les marches métalliques fit jaillir des étincelles suscitées par ses éperons. Il produit quelques sifflements avec deux doigts gantés qui firent soulever de leurs chaises des hommes habillés de manière similaire à lui, ainsi que quelques hommes affublés de plumes aux visages patibulaires.
Vous avez tous entendu la dame. Exécution ! »
Des râteliers des fusils furent pris, des bandes de cartouches passées sur la poitrine, des chevaux harnachés et derrière les hommes ne resta plus que des nuages de poussière qui couvraient le monde.*
**
Beau le Beau vit se refléter dans son miroir la forme disparaissant de Leland. Il soupira en roulant des yeux au ciel, ne demanda pas leur opinion aux autres et les trois cavaliers et le cheval restant continuèrent leur route. Ils retrouveraient bien quelqu’un d’autre pour s’occuper des chevaux si besoin. Le soleil éclipsa son image pour y montrer au loin deux formes, l’une debout devant l’autre au sol. Le vent, le galop des chevaux, les cris de sa bande et de leurs armes à feux l’empêchèrent d’entendre quoique ce soit, mais bientôt, la personne debout se détourna tandis que la personne allongée ne bougea plus et que sur le sol grandissait quelque chose de rouge.
Il fronça ses sourcils finement taillés pour observer, loin devant eux, l’énergumène qu’ils avaient repéré qui tenter de les contourner… son cheval sur le dos ?!
Alors que le canasson et Robb courait en zigzags rapides pour se mettre derrière les maigres couverts qu’il pouvait trouver, une pluie de coups de feux éclatait des morceaux de roches, d’arbustes ou de cactus tout autour de lui. Les cris des armes et les cris des esclaves se mêlaient et du coin de l’oeil, le Pirate pouvait voir quelques rares personnes essayaient de calmer la panique qui s’emparer de la foule et de la guider en lieu sûr, si tant est qu’il y en ait un quelque part sur Hat Island. Un coup érafla sa jambe, un autre manqua l’une de ses oreilles de très peu quand il arriva face à face avec son ou plutôt sa sauveuse.
Sous son chapeau, sa peau et ses cheveux étaient d’albâtres, mais ses yeux étaient rouges et sur sa peau blanche, des taches de sang coulaient doucement. Robb se figea, son cheval circonspect à califourchon sur sa tête, sa nuque et son bras valide et se demanda si tous les gens de cette île étaient tous fous et s’il était venu demander de l’aide à la mauvaise personne. Le temps sembla se ralentir, les sons s’atténuer. Dans d’autres circonstances, des citadins l’auraient sans doute trouvé belle, mais le Montagnard, lui, se revit soudain des années auparavant, ensanglanté et furieux dans la neige, des cadavres de lapahn autour de lui ; elle cria et comme s’extirpant d’un rêve, les mots ne furent pas reconnus tout de suite par son cerveau.
« Planque-toi !! » hurla la femme à l’homme qui servait de monture à son cheval. Le Montagnard se dégagea de sa torpeur pour s’élancer avec l’animal, tandis qu’elle ralentissait les cavaliers avec des tirs de couverture. Le Montagnard regarda à gauche, du sable, de la poussière, des cactus et un caillou à peine assez grand pour lui ; les coups de feux et le claquement des sabots se rapprochaient, des zébrures de poussière et de petits rochers striaient ses jambes et son dos ; à droite, du sable, de la poussière, des cactus et un arbuste famélique ; des gouttes de sueur défilèrent sur sa peau. Il lui fallait quelque chose d’assez grand derrière lequel se cacher.
Le cheval tenta de se pencher pour mieux voir la jument de la pistolera et le Pirate se rendit soudain compte de la lourdeur de l’animal...
Beau corrigea l’angle de son miroir de poche pour reporter son attention sur lui-même tout en tirant distraitement sur leur(s) victime(s). Au moment où une de ses moues allait l’enchanter, une sensation de brûlure fulgurante lui délogea de la main le miroir brisé. Beau le Beau voulut les mettre en joue, mais la douleur lui fit mordre sa lèvre inférieure : sa main avait un trou fumant. Il se mit en amazone, passa son revolver dans son autre main valide et visa en tournant sa tête dans un même mouvement pour afficher son meilleur profil, tandis qu’à ces côtés, ses camarades accéléraient tout en tirant pour prendre en tenaille le petit groupe.
Les coups de Jaina le cueillirent au niveau du visage. L’homme le mieux sapé de tout l’Ouest d’Hat Island s’effondra sur son cheval qui hennit ; un autre hennissement lui répondit.
Jaina fut recouverte soudain d’une ombre gigantesque. Le canasson porté jusque-là par un Robb paniqué les yeux grands fermés le visage dégoulinant qui avait jeté l’animal massif de toute sa force vers la troupe d’agresseurs.
« PARDOOOOOOON ! Y A PAS D’ENDROITS OU S’PLANQUEEEEER ! »
Le cheval bandit fusa dans l’air et regarda amoureusement Orphée, jument magnifique, et souffla par ses naseaux de fierté pour attirer son attention sur sa position royale qui défiait les lois communes des humains et des animaux… un grand sourire chevalin et une moue charismatique qui lentement fut changé en une grimace de douleur quand il se prit les trois autres montures et leurs bandits.
Le Pirate rajusta son chapeau de cowboy en arrivant au niveau de Jaina l’air de rien, avant de faire tournoyer dans sa main valide... une pelle. Il pointa avec elle les convois et les gens qui criaient.
« Moi, c’est Robb et toi ? ‘Faudrait que tu m’aides à aider les gens là-bas, steuplait ! J’te donnerai… euh… de l’argent ! Steuplait ! ‘Doit en avoir sur moi. »
Dans une vallée de violence
With Robb Lochon
Les tirs de la pistolera n’étaient aucunement balancés sans précision. L’albinos espérait être un jour la meilleure tireuse de toutes les Blues, il fut donc logique que cette dernière cadre correctement ses attaques contre ses nouveaux ennemis. Néanmoins, la distance qui la sépara des agresseurs du convoi fut un réel problème pour deux revolvers destinés à simplement effrayer le bétail bovin. Heureusement que Jaina jouait avec ces deux petits bijoux depuis pas mal d’années. Elle savait où viser pour calculer la trajectoire exacte de ses ogives. Cependant, son assurance ne lui permettait pas d’être une prodige de la citation « une balle, un mort ». Surtout lorsque ses proies se déplaçaient extrêmement vite à cause de leurs montures.
Les balles foncèrent sur les cibles, dans une vitesse époustouflante puis s’écrasèrent chacune sur quelque chose. Deux plombs qui ne se perdirent pas dans le désert d’Hat Island devinrent intéressants. Le premier se logea dans la main de Beau le Beau. Le deuxième qui était à la traîne de ses frères, entra dans le crâne de celui qui n’arrêtait pas de s’admirer dans un miroir. Jaina ajouta une nouvelle victime dans sa longue liste de cibles abattues. La louve retroussa ses babines cachant ses crocs d’une blancheur élégante. Le sourire carnassier de la cow-girl étira les lèvres hypnotisantes de cette Chapeauté.
Mais, elle perdit très vite cette satisfaction sur son visage lorsque Jaina échappa presque un petit cri de surprise en découvrant un cheval fusé dans les airs. L’animal n’avait pas l’air effrayé, affichant sa plus belle gueule pour draguer la jument Orphée. Quel grand charmeur ce canasson qui arriva à donner le coup de foudre au pur-sang porteur d’une élégante robe sombre…
Jaina ferma la couverture de ses cristaux de sang lors de l’impact entre le cheval et deux bandits du groupe. Pauvre bête, l’auteur de ce méfait n’avait-il pas honte de traiter son canasson de la sorte ? Jaina avait beau être sans cœur, la dame se refusait de commettre du mal aux équins. Un cow-boy n’était rien sans son cheval qui passait souvent avant la femme. La Louve Blanche observa furieusement le créateur de se foutoir et pointa ses deux pétards sur le grand homme. Lui, qui n’avait pas réussi à trouver une planque dans un désert sans rocher remplit uniquement de cactus offrant la matière première à la Bière-Hat… Il désirait aider les gens du convoi. Encore un type avec le cœur gros sur la main…
Armant le chien de ses revolvers, Jaina pencha sa tête sur le côté à l’instant où ce prénommé Robb lui proposa de l’argent en récompense. Ce cow-boy détenait les bons mots pour intéresser la hors-la-loi.
« Jaina Rosenberg, la fille de l’Homme à l’Harmonica. » se présenta à son tour l’albinos, elle désarma ses armes en déverrouillant les masses percutantes. « Je marche pour le fric, mais à la moindre entourloupe tu es mon ennemi. » menaça Jaina qui fonçait dans le tas et réfléchissait ensuite. De toutes les sœurs Rosenberg, elle était la moins intelligente du lot. Sa férocité lui donnait tout de même la première place du podium. Elle tapota de son index sa tempe et pointa l’autre en direction du cheval. « Par contre, t’es malade de traiter ton allié de la sorte ? Sur Hat Island, le cheval c’est sacré. Un cow-boy n’est pas un cow-boy sans sa fidèle monture !! Recommence encore ce coup Robb et je te garantis que je vais me fâcher contre toi. »
Plissant furieusement ses perles de sang, Jaina ordonna à Orphée de poursuivre le convoi arrêté. Plusieurs prisonniers, sûrement des esclaves étaient armés jusqu’aux dents. Pouvaient-ils contrer Wes le Terne qui réduisait dangereusement la distance entre lui et les caravanes ? Ce type en avait dans le pantalon contrairement aux poltrons de détenus, Jaina le reconnaissait. Il chargea tout seul, tête baissée, sans éprouver le moindre sentiment. Ou alors, peut-être n’eut-il pas remarqué que ses copains ne furent plus avec lui. Subitement, le cow-boy changea de plan. Il arrêta son canasson au physique sportif dans un grand dérapage. Il se tourna et vida d’une traite son chargeur sur la cow-girl. Les balles frôlèrent la jument, égratigna la joue gauche de la pistolera et provoqua la panique chez Orphée. D’un hennissement de terreur, le pur-sang Morgan se leva sur ses deux pattes arrières pour faire chavirer sa cavalière…
Tombant sur le dos, l’impact coupa la respiration de Jaina pendant une bonne seconde. Elle toussa, tenta de se relever et eut le réflexe de se jeter de l’autre côté par un roulé-boulé pour ne pas être piétinée par la monture de Wes. Son ennemi possédait de la ressource, il devait être le plus compétent du groupe.
Malheur à la cow-girl, en tombant de son fidèle destrier, ses deux pétards porteurs des prénoms de ses sœurs reposaient dans le sable et non dans ses holters. Elle cracha sur le sol, jura toute seule dans sa barbe inexistante. Son ennemi, Wes le Terne qui refusait de faire travailler ses cordes vocales, venait déjà de recharger son revolver. Il pensa remporter la manche en appuyant sur la détente. Jaina décrocha son mini fusil à canon-scié de sa ceinture et tira en même temps. Beaucoup trop éloignée, les innombrables plombs ne se logèrent pas dans la peau de Wes. La Louve Blanche visait autre chose : la trajectoire de l’ogive de son adversaire. Ainsi, les nombreuses petites billes sombres servirent de bouclier pour arrêter la balle du cow-boy. En quelques mots, Jaina évita la mort.
D’une nouvelle pirouette pas très théâtrale, non-digne d’une artiste de cirque, l’albinos se rapprocha suffisamment de Wes pour lui donner de bon cœur un coup de genou dans ses abdominaux. Celui qui refusa de parler bloqua l’assaut de la femme. Sa force fut impressionnante, bluffant la louve qui espérait le ratatiner avec cette simple technique. Il repoussa la jambe de Jaina, souhaita riposter avec son flingue et sous-estima la demoiselle qui enchaîna rapidement avec son autre genou qui vint de s’enflammer…
Le Demonic Spinning Queen entra en action. Quand l’ennemi de Jaina arrivait à esquiver son premier coup de genou, la lutteuse enchaîna avec le deuxième dans un mouvement de rotation tout en le chauffant par son Fire Heart.
Wes fut reculé de plusieurs mètres en dérapant sur le sable chaud du désert. Un scorpion manqua de se faire écraser et échappa de justesse de ce terrible sort. Il se précipita hors de la zone, claquant ses pinces de frustration d’avoir été dérangé de son sommeil.
L’homme à présent seul, sans sa petite troupe, sorti de son inventaire un bâton de dynamite. Un explosif typique et très courant sur Hat Island. Il le balança sur l’albinos et tira sur son projectile. Par la suite, il profita de l’explosion pour prendre la poudre d’escampette. En solitaire, il ne pouvait plus rien faire. Autant informer Wyatt et la petite Drognar du problème piquant.
Plus loin, enseveli par du sable, Jaina récolta plusieurs hématomes et une surdité partielle à cause de la détonation de l’explosif. Elle toussa, cracha du sable entré dans sa bouche et recouvrant une bonne partie de sa langue. Nom d’un cheval, l’albinos n’avait absolument pas calculé que le cow-boy possédait cette saloperie dans son arsenal.
Elle se releva, dépoussiéra ses vêtements, retrouva avec peine son beau chapeau et grogna en entendant rien autour d’elle. Des horribles acouphènes la génèrent. Jaina s’approcha du convoi, se gaufra plusieurs fois comme-ci elle était imbibée d’alcool et jura des insultes en remangeant du sable. Avec peine, Rosenberg réussit à arriver à son objectif pendant que les prisonniers lui gueulèrent de ne pas faire un pas de plus. Son look de hors-la-loi n’inspirait pas la confiance des détenus.
« TU VEUX TE BATTRE C’EST CA ?! JE SUIS PAYÉ POUR SAUVER TON PETIT CUL !! » gueula Jaina qui n’entendait toujours pas sa voix. « JE CHERCHE FREYA MC… » La crosse d’une arme assomma la femme qui s’écroula sur le dos.
« Yé eu une bandidos ! » se réjouit la fautive qui effectua un moulinet de son pétard. « Heureusement qué yé suis là pour vous sauver ! Vous pouvez m’appeler Freya. Freya McCoy. » se présenta la sauveuse aux cristaux vairons qui ignorait royalement que Jaina était venu pour la tirer de ce mauvais pas.
- Freya McCoy:
« Mais…j’avais l’impression qu’elle te cherchait ? » fit un gamin à peine âgé de dix ans.
« Mierda ! Tù en es soûr ? Yé cru que c’était une bandidos, une criminal. » Freya se mit à califourchon sur Jaina, chopa des deux côtés son col et la secoua comme un vulgaire sac à patates. « Yé suis désolé amiga ! Réveille-toi !! » Malheureusement…ce fut sans succès… « Amigos, allez chercher le costaud à la pelle, il est peut-être médecin. »
Un jeune couple s’empressa d’obéir pour rejoindre Robb, le soi-disant cow-boy qui maltraitait son cheval…
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« Jaina… Jainaaaaa, il faut se réveiller. Aide-moi, cheval noir. C’est ta maîtresse après tout… ou ta partenaire ? J’sais pas vot’ relation à vous autres. »
Des hennissements d’assentiments, puis le souffle chaud de narines amicales soulevèrent des mèches de cheveux argentés par petits à-coups. La main ferme aux phalanges rosâtres de cicatrices toucha doucement l’épaule de la pistolera qui ouvrit enfin les yeux. Tout de suite, le Médecin l’aida à se redresser sur sa chaise et tamponna son front avec un torchon mouillé d’eau fraîche (et subrepticement nettoyer la bave et le sang qui maculait son visage). Avant qu’elle ait pu commencer à dire quoi que ce soit, il lui montra sur la table devant elle le verre d’eau, la bouteille de vin et la bouteille de bière locale qu’il avait pu négocier avec leur hôte. De l’air chaud souffla sur son cou et Orphée se pencha pour voler l’eau de sa maîtresse. En face d’elle, un assemblage hétéroclite d’individus la fixait : un vieil homme avec un vêtement usé de prêtre, une femme, l’air penaude, celle qui l’avait assommé, et un cheval à la grande cicatrice assis comme un humain sur une chaise dont il avait clairement cassé les quatre pieds.
En absence d’un siège pour lui, Robb fit la chose logique et monta sur ce qui pouvait passer pour les « épaules » du cheval qui croisait ses « bras », un sourire chevalin décoché vers la jument. En regardant l’énergumène trop en hauteur, la pistolera pouvait à présent observer qu’ils étaient dans un bâtiment de bois aux charpentes hautes et aux longues fenêtres à vitraux à moitié brisés : une église.
« Bon, maint’nant qu’t’es réveillée Jaina, j’peux t’raconter où on est et ce qui nous est arrivé après qu’on t’a obligé à faire dodo avant l’heure de la sieste. »*
**
Un laps de temps flou auparavant.
Robb fit tournoyer sa pelle devant lui tout en fonçant vers les individus coincés sous le cheval qui commençait de s’ébrouer et de se relever.
« Tire-toi canasson et désolé d’t’avoir jeté ! » dit-il en faisant des gestes pour qu’il s’enfuie.
A la place, le cheval se rapprocha de lui, une ombre sur les yeux, se mettant sur ses deux pattes arrières pour lancer des directs et des jabs dans l’air.
« Attends, t’es quand même pas furax contre moi pour le lancer, hein ?! Hein ?! »
Le cheval franchit la distance qui les séparait avec hargne et lui flanqua un méchant coup de sabot. Le cowboy amateur décolla du sol. Robb s’écroula de tout son long en massant sa joue et cracha un peu de sang ; des balles zébrèrent le ciel au-dessus de lui.
« Bon, okay, j’l’ai p’têt’ mérité un peu. »
Une ombre entra dans son regard et le Montagnard roula instinctivement sur le côté, se redressa sur un genou juste à temps pour lever sa pelle et dévier un autre crochet du cheval furieux dans un booooooong métallique retentissant.
« Hey, ça suffit maintenant, si tu t’calmes pas mon garçon, j’vais t’calmer et tu vas pas apprécier ! »
Le cheval à la cicatrice lui décocha un regard mauvais avant de pousser un hennissement déchirant et de retomber sur ses pattes avant ; une balle venait de rentrer sur le côté de son cou musculeux pour en ressortir, une de ses pattes postérieures saignait. Le cheval releva la tête et se tourna pour affronter ses nouveaux adversaires ; une silhouette le dépassa. Robb fit tournoyer sa pelle et retourna les balles à leur envoyeur. Les deux frères eurent une réaction différente : Bill le Sauvage pesta et esquiva, Psycho-Jim fonça vers l’assaut et tomba à la renverse.
Le Médecin eut un temps de latence devant cette étrange attitude suicidaire. Un laps de secondes cruciales : le grand-frère n’avait marqué aucun temps d’arrêt face à la mort fraternelle et il vidait le chargeur de son revolver, le barillet tournant et claquant à chaque feu. Robb écarquilla les yeux en voyant comme au ralenti Psycho-Jim se relever, la balle renvoyée fumante entre ses dents noircies ; les balles fusaient dans l’air ; la pelle se releva ; le sabot se leva… le sabot se leva ?!
Le cheval sauta au-dessus du champ de bataille pour retomber derrière les deux frères et lançait deux coups de sabots sur Psycho-Jim.
Robb se jeta sur le côté et intercepta la moitié des balles avant d’être lacéré par celles restantes.
Ensanglanté, il raffermit sa prise sur la manche de sa pelle avant d’inspirer par le nez et de souffler profondément par la bouche.
Une fois vidé d’air, il inspira pour charger tous ses muscles d’oxygène et ses veines se bandèrent dans son bras jusqu’à sa main armée.
Son bras se mit en arrière, ses yeux visèrent, il envoya de toutes ses forces sa pelle comme une javeline.
L’arme transperça l’air dans un sifflement strident suivi de toute sa brutale vitesse par son manieur, le bras tendu. Robb n’était pas rapide comme bon nombre de Pirates, capables de disparaître et de réapparaître comme des fantômes derrière leurs ennemis, mais quand il s’agissait d’un sprint court en ligne droite, peu de gens en face pouvaient se targuer de pouvoir l’arrêter. Bill le Sauvage tourna la tête pour apercevoir son frère cueilli par les deux sabots, hurler, hurler de rire, être déplacé sur plusieurs mètres avant de relever son visage au sourire carnassier pour se voir emboutir par une pelle dans l’estomac qui le plia en deux.
Mettant de nouvelles balles une à une dans le barillet, Bill vit la forme de leur adversaire soulever un nuage de poussière en arrivant derrière son arme lancée, frapper du bras le visage de son frère qui crachait encore bave et sang avant d’ouvrir la main pour récupérer la poignée de son arme. Le barillet rempli claqua et le pistolero actionna le chien, visant ; le visage de son frère ruissela de sang et, semant ces dents dont il était si fier, son corps rebondit plusieurs fois sur le sol en dégageant une bourrasque de poussière.
Les volutes obscurcissaient ses adversaires. Bill tira, tira, tira, d’épaisses gouttes de sueur parcourant son visage.
Deux cris sauvages, l’un d’un cheval et l’autre de son cavalier, debout sur son échine, lui fit lever la tête, réalisant son erreur, son arme aussitôt trouva la route de leurs corps. Il tira et tira encore, mais le Pirate s’était projeté en l’air, dos au soleil.
Bill le Sauvage hurla de rage, aveuglé, avant que deux bruits lourds devant et derrière le fassent pâlir. Robb, à l’aide de la poignée creuse de sa pelle, attrapa l’arme pour la dévier, continua le mouvement de manière rotative en reculant ses poignets pour ne plus tenir piégé le revolver et décala la position de son corps légèrement ; d’un coup sec, le Montagnard cisailla l’arme à feu.
Le cheval envoya deux coups de sabots dans le dos de Bill dont le souffle fut coupé et Robb l’accueillit d’un autre coup de poignée de sa pelle projetée directement sous le sternum.
Les yeux du bandit devinrent blancs et sa tête chuta, le corps maintenu debout par l’angle de l’arme du Pirate. Son chapeau, symbole d’Hat Island, glissa au sol.
Robb marcha dessus sans le voir et projeta le grand-frère près du petit, avant de leur envoyer des pansements sur le coin de la gueule. Tous les deux respiraient encore.
Il ne se retourna pas, remettant sa pelle dans son étui et sortit une clope qu’il mit dans sa bouche.
En cet instant, appréciant la fraîcheur et la compagnie que le grand cheval et le chapeau lui donnaient, il comprenait peut-être un peu plus Jaina.
Quand le couple arriva quelques minutes plus tard pour lui dire ce qu’il s’était passé avec Jaina, ils trouvèrent le Médecin fumant, des pansements un peu partout sur le corps, et ramenant un sac fait à la va-vite sur le dos, suivi d’un cheval lui aussi mal en point. Il leur sourit et les écouta.
À mesure qu’ils expliquèrent tout en marchant vers le convoi arrêté, le visage de Robb passa par plusieurs émotions. L’étonnement (Jaina était venue pour quelqu’un ?!), le désarroi (la recherchée l’avait frappé ?!) et le rire. Les rejoignant, la tête baissée, Orphée traînait la patte.
« Bah alors pourquoi t’étais pas avec ta maîtresse, toi ? L’étranger n’eut pour toute réponse que de se faire mordiller la tête par le cheval.
« Aïeaïeaïe ! Stop, stop ! »
Secouant son chapeau plein de salive en pestant, le Médecin rejoignit le petit groupe d’affranchis toujours autour du corps de la pistolera.
Robb remarqua ses holsters vides, mais ne dit rien.
Il souffla un trait de fumée avant de se baisser pour l’ausculter. Quand l’examen rapide, les premiers soins, les bandages furent faits, le Médecin accroupi se retrouva nez à nez avec une bande armée autour de lui qui ne le voyait plus, mais fixait Jaina d’un regard mauvais.
Ils étaient loin d’être sortis de l’avalanche. L’île était toujours dangereuse et ils étaient perdus en terre inconnue. Il fallait qu’ils trouvent un endroit sûr pour se faire oublier. Et vite.
Le Montagnard se redressa et leur intima de recouvrer les quelques chevaux qui pourraient faire avancer une des voitures du convoi.
Une partie du groupe partit, une partie du groupe resta. Quelques regards s’échangèrent chez ceux restés en arrière. Le Montagnard se releva lentement, tout en fixant Jaina sur le sol, la main maintenant sur le manche de sa pelle.
« Qu’est-ce que vous attendez ? On doit partir. On a pas d’temps à perdre.
– M. Lochon… On peut pas la laisser venir avec nous. Il faut la laisser là.
– J’ai passé un deal avec elle et je tiens à l’honorer.
– Quel marché ?!
– Je lui ai promis de l’argent pour qu’elle nous aide et elle a tenu sa part du marché.
Et il montra d’un geste nonchalant les silhouettes étendues et l’absence immédiate de danger.
C’était ça ou s’en faire une ennemie et comme elle avait débarqué de toute façon, je pouvais pas tellement l’ignorer.
– On ne peut pas lui faire confiance ! Elle est dangereuse, elle aurait pu vous tirer une balle dans le dos ou pire nous attaquer ! Elle n’a pas hésité longtemps à abattre tout ce qui entravait sa route. C’est une meurtrière sans coeur, comme eux. Le fait qu’elle nous ait aidé pour de l’argent le prouve.
– Et vous m’faites confiance à moi, c’est ça ?
– Oui ! Vous nous avez aidé sans demander votre reste, vous nous avait défendus ! Sans vous on serait tous morts.
– J’allais pas vous laisser là, z’étiez à côté de moi. J’entends dormir sans nouveaux regrets ce soir. Et pis, qui vous dit que j’ai pas prévu de vous rançonner dès que les choses s’seront calmées?
– Enfin… vous… vous ne feriez pas ça, non ? Haha… N’est-ce pas ?
Le Pirate le laissa mariner quelques secondes qui parurent une éternité avant de lui faire un sourire en coin.
– Z’avez vraiment d’la chance que j’vous aide gratuit’ les petiots. L’argent m’a jamais intéressé. On fait encore du troc chez moi. Vous donnez trop d’valeur à des bouts d’métaux même pas précieux. Et les billets, m’en parlez même pas. A part les foutre sur un mur ou dans une cabine comme déco’ parce qu’ils sont jolis, autant s’torcher avec. Ça a quasiment pas la valeur de ce avec quoi j’peux l’échanger !
Bien sûr, Robb n’allait pas leur dire que c’était pour ça que la piraterie était si facile à comprendre pour lui et les siens. Il soupira, laissant sa cigarette tomber et devenir mégot sous son pied, avant de continuer :
Je suis d’accord qu’elle est agressive, pas très sympa, mais au moins sa cupidité est honnête. Ça aurait pu être pire : elle aurait pu vouloir le pognon d’avance avant d’en branler une, et d’se tirer sans avoir rien fait ! Si vous croyez qu’les gens vont vous sauver à chaque fois qu’i’ vous arrivent un pépin, vous allez en chier. Maintenant, videz vos poches.
Il eut un grand sourire.
J’ai pas d’argent, moi, bwo ho ho !
Et il leur montra le trésor pathétique en sa possession : quelques bonbons à la menthe et une fin de paquets de clopes.
Moi à la limite je peux lui retenir mes honoraires comme je l’ai ausculté, mais vous autres, vous avez pas trop l’excuse.
Des sourcils froncés et des mines déconfites autour de lui ; Robb serra davantage la manche de sa pelle qui coulissa imperceptiblement hors de son fourreau.
J’ajouterai une dernière chose pour les récalcitrants suicidaires : Jaina est la seule native du coin. Si on veut s’en sortir vivants, on a besoin d’elle. C’est sans doute la seule qui sait comment s’échapper de cette île. »
Le parterre soupira en harmonie et chacun s’attela à chercher dans les affaires qu’ils avaient récupérées juste avant que la bataille ne commence. La somme fut rassemblée et confiée au Médecin qui cala sa patiente sur son dos ; Orphée vint le rejoindre et souffler un air chaud réconfortant sur le derrière de leurs crânes ; le cheval à la cicatrice offrit une fleur de cactus entre ses dents à la jument. Robb eut l’intuition que les deux équidés refuseraient sans doute de traîner tout ce petit monde en lieu sûr. Il se sentait faible. Il avait été plus lent qu’il ne pensait face aux bandits et moult nouvelles plaies sous des bandages le prouvaient. Arrêter des balles et les renvoyer parfaitement, hein ? Il se sentait faible. La chaleur était trop intense. Le groupe des deux animaux et des deux humains arrivèrent au convoi où les affranchis faisaient des aller-retours pour préparer leur départ imminent, là où, enfin, le Montagnard s’autorisa à s’effondrer sur ses genoux, de poser l’inconsciente à ses côtés, d’exiger de l’eau dans la fraîcheur de l’ombre. Sa vision était trouble. Il devait rester éveillé pour donner des directives.
Pour ne pas qu’ils l’abandonnent. Pour tenir promesse Jaina. Tenir.
Le Montagnard s’ébroua et avala goulûment l’eau qu’on lui tendit.
Le Médecin intima qu’on en donne régulièrement à Jaina, se releva difficilement avec de l’aide, n’ayant pas assez de forces pour individualiser les visages flous ; et soudain les deux combattants se trouvaient dans le convoi, bientôt rejoints par des hommes et des femmes blessées, mais en vies.
Le véhicule se mit en branle sous le coup des rênes. Tout ne fut plus que voix et roues et eau et clarté soudaine rapidement perdue.
Pendant longtemps, demi-conscient, son monde ne fut que soubresauts, puis, trop rapidement, l’obscurité fit place à la clarté brûlante. Les cahots à l’arrêt. Quelque chose se passait. On le releva et des silhouettes s’évanouirent de son champ trouble de vision. Il vit du sable, du bois, un grand bâtiment en bois.
Une église. Ils avaient trouvé une Église au Milieu de Nulle part.
Un vieil homme aux yeux ternis, au nez cassé, au chapeau troué à larges bords, tenue de prêcheur.
Robb se souvenait avoir dit quelque chose, appuyé par les autres.
Des paroles réconfortantes. Des signes. On les déplaçait.
Et puis il avait dormi profondément.
Quand il s’était réveillé une heure plus tard, il avait découvert un hôte étonné d’être entouré. Il avait suivi son regard à un moment, son regard enthousiaste, vers des silhouettes agenouillées devant une statue fendue.
Et, une autre heure plus tard, il avait réveillé Jaina.*
**
Retour au présent du début du post.
Le Pirate descendit et mit devant la pistolera ses deux pistolets et lui présenta les balles qu’il posa à côté. Il montra d’un mouvement de tête les autres personnes pour lui faire comprendre que cette tactique déshonorable n’était pas de lui. Sa propre arme était adossée contre la table.
Il posa un lourd sac d’affaires rassemblé juste avant de rejoindre le convoi : l’argent qu’il avait dit ne pas avoir aux affranchis, le maigre argent que les bandits gardant les convois d’esclaves et la bande de Bill le Sauvage avaient sur eux.
« J’ai un autre deal à te proposer. »
Rapidement, le Montagnard revit ses dernières interactions avec la native d’Hat Island. Comment il l’avait jaugé, les yeux plissés comme un chat courroucé quand elle l’avait braqué ; ses calculs dans sa tête quand il avait cru la voir réussir des tirs de légende ; comment leurs différences de culture l’avait surpris, elle qui le menaçait de le tuer pour avoir lancé le cheval, mais qui ne semblait pas faire grand cas de ses semblables. Après l’avoir aidé, il lui semblait plus en mesure de la comprendre.
Il avait déposé le chapeau volé sur la table et, debout, avait pris une lampée d’une autre bouteille de vin en disant ça. Le prêcheur à côté sembla regretter son aide. Sous le soleil, Robb aux longues mèches blanches, aux yeux marrons, aux pommettes saillantes, aux rouflaquettes et à la barbe courte et hirsute, se rejoignant durant ses derniers jours en un bouc, pansements un peu partout, la peau trop claire par rapport à l’île, un grand sourire jovial renvoyait sans doute une autre image que l’individu excentrique au chapeau qu'elle avait croisé.
« Je me représente. Mon nom est Robb Lochon. Je crois que tu t’es trompé tout à l’heure. Je suis pas d’ici. Je suis un Pirate. C’est la première fois que je voyais un cheval tout à l’heure. On s’est expliqués tous les deux d’ailleurs, ça va mieux. Je viens d’un endroit très différent d’ici. Tu ne sembles pas en avoir grand-chose à foutre des êtres humains et moi peut être un peu trop, bwo ho ho. J’vais pas passer par quat’ chemins : je voudrais t’réembaucher pour nous aider à nous barrer de ton île. J’ai réussi à les persuader de pas t’laisser dans l’sable là-bas pour ça. Celle que tu sembles chercher est là, comme tu le vois. Je m’demande c’que tu lui veux. J’aimerais qu’on s’fasse plus confiance. Je pense qu’il est temps de causer. Si t’as des questions, hésites pas. Je crois pas avoir quelqu’chose à t’cacher, Jaina. »
Dans une vallée de violence
With Robb Lochon
Qui l’aurait cru, que la femme que recherchait Jaina fut la responsable de sa chute dans le royaume des songes. Heureusement qu’elle n’avait pas perdu la vie après cette mésaventure et que son partenaire de crime l’avait sauvé d’une mort certaine. Désormais, l’albinos possédait une marque au fer rouge sur la peau, une dette dont elle devait normalement rembourser. Fichue mission de sauvetage qui tournait au vinaigre. Tout cela pour une question de mauvaise vue, d’un handicap commun chez les albinos. Heureusement, cette contrainte n’affecta que maintenant la desperada, elle aurait pût en souffrir dès sa naissance. Bien entendu, d’autres conséquences de sa maladie l’affectaient depuis toujours. Sa peau extrêmement fragile qui ne supportait aucunement la lumière du soleil. Ou encore de cette pâleur, de cette dépigmentation, la rendant vampiresse…
Après avoir été réveillé par son sauveur détenant un physique fortement impressionnant, l’albinos avait désiré être seule dans cette église abandonnée. En haut de la tour, là où se trouvait normalement une cloche pour annoncer les messes, Jaina profita de l’absence de cet instrument de musique pour être tranquille. Elle n’avait pas envie de parler à Freya, elle ne souhaitait pas entendre les jérémiades des anciens esclaves. La Louve Blanche n’avait donné aucune réponse à ce fameux Robb Lochon à propos de son deal. Au temps l’avouer, Rosenberg se trouvait dans une situation extrêmement merdique. S’en prendre aux hommes de Gabril n’étaient pas le premier objectif de la cow-girl. Le fait d’avoir éliminé plusieurs de ces gars pourrait sonner une déclaration de guerre et honnêtement Jaina n’était pas prête.
Observant le dos puis le ventre de sa main, la netteté de sa vue laissait cruellement à désirer. Parfois cela allait mieux et là, oui là, actuellement, Jaina se retrouvait incapable d’aligner un cran de mire contre une de ses futures cibles. Elle soupira dans sa barbe invisible, se frotta les paupières et remit ses lunettes de soleil sur son nez.
Depuis son poste, elle pouvait avoir un immense périmètre de tir. Elle devenait comme un aigle perché sur sa branche, à chercher un petit aliment à se mettre dans le bec. Enfin…maintenant c’était une taupe sortant de sa galerie souterraine. Dos contre une des poutres en bois qui servait à tenir la tour du clocher, elle découvrit à l’extérieur de l’édifice Freya qui lui faisait signe de venir par de grands gestes de bras. Obligée d’y répondre, l’albinos descendit de son perchoir pour rejoindre la fille du médecin borgne.
« Tù semblais me chercher d’après le gringo musclé. Tù me veux quoi ? Hm ? »
Roulant des yeux et croisant ses bras sous sa poitrine généreuse, Jaina détailla cette fameuse fille qu’elle devait ramener à son cher papa. Freya disposait d’une particularité exotique assez charmante. Des yeux vairons et un accent qui ne correspondait absolument pas au Doc McCoy. Cela dit, Jaina Rosenberg ne pût s’empêcher de lorgner les formes féminines de cette femme, qui selon elle, correspondait absolument à son style de demoiselles.
« Je viens de la part de ton père. Il m’a tenu au courant que tu avais été chapardé par des bandits. » déclara la cow-girl qui se mit à tenir son couvre-chef à cause d’un violent coup de vent. Elle reçut gratuitement des gravillons de sable sur son visage et dans ses cheveux. D’autres frappèrent les verres teintés des lunettes de l’albinos. « Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Tu rassembles tes affaires et on se casse. »
« Tù oublies les prisonniers et le musclor. Tù comptes les laisser se démerder ? Yé pensais que tù étais une Juge, une pistolero dù bon côté de la loi. » exclama confuse Freya qui se gratta la joue gauche avec son index.
« Tu fais fausse route. Ce qui m’intéresse c’est te ramener. Je m’en contrefous des autres. » Furieusement, Jaina pointa son index verni de noir en direction de l’entrée de l’église, là où furent réfugiés les anciens prisonniers de Gabril. « Moi ? Faire une bonne action ? Les emmener au port le plus proche signerait une perte de la moitié de ces cavités cérébrales qui ne feront pas une tasse pour un canari. Ils sont perdus. »
« Très bien señorita. Si tù veux me ramener auprès de mon padre, faudra d’abord secourir les pequeños, les gringos ne venant pas d’Hat Island. Sinon yé… »
La demoiselle n’eut pas le temps de finir sa phrase. Jaina sortit à très grande vitesse son revolver pour assommer la dame avec la crosse de son pétoire. Inconsciente, fermant enfin son clapet, Rosenberg échappa un soulagement par sa respiration. L’entendre brayer l’avait énormément mis sur les nerfs, surtout en se sentant obligée de jouer les héroïnes pour des types qu’elle ne connaissait même pas.
Prenant le temps de ligoter Freya et de couvrir ses lèvres d’un bâillon, elle l’installa sur la selle de son cheval, de sa jument baptisée Orphée, qui, visiblement en avait profité quelques heures pour s’amuser entre guillemets avec l’étalon de Robb. Furieuse, la desperada menaça le canasson de Lochon de lui régler son compte si sa meilleure amie équidé tomberait enceinte…
Retournant dans le bâtiment, là où créchait provisoirement les étrangers et le pirate, Jaina sortit une vieille carte de l’île et invita Robb Lochon à la rejoindre.
« Mon nom est Jaina Rosenberg. Je vais faire court pour que tu retiennes le chemin dans ta caboche. Je ne me répéterais pas, j’ai perdu beaucoup trop de temps pour trouver Freya. » Elle tapota un coin de la carte avec le canon de son revolver. « On est ici, à quatre journées de cheval du port le plus proche qui est "On vous jure c'est pas du tout un piège City". Seulement, c’est là que se trouve principalement la bande qui a volé les bateaux des gens dans l’église et mis en esclavage ces derniers. » Doucement, elle glisse la sortie de son arme sur une zone opposée à la ville des bandits. « Tu dois te rendre à Fortifio, la ville est fortifiée et proche de l’océan, vous pourrez trouver des bateaux. C’est la ville la plus pacifique, car elle est gardée par le Juge John Northwood. Il n’y a pas plus sécuritaire que cet homme de la loi. »
La cow-girl se recula, jeta un dernier regard aux étrangers puis au pirate manieur d’une pelle. Sous sa protection, ces gens pourront sans doute échapper à la mort.
« Merci de m’avoir sauvé la vie face à ces faibles au foie blanc. Malheureusement pour toi, je suis une criminelle, pas une héroïne. Je me fiche pas mal de leur existence. J’ai d’autres problèmes bien plus urgent à régler. Maintenant suit mon conseil. Part dans la nuit, suit l’Ouest pour rejoindre Fortifio qui est à dix jours de cheval. Des patelins seront sur ta route pour te ressourcer en provisions, mais ne traînent pas. Garde le fric, à l’heure actuelle, l’argent n’est pas la priorité de mon mal… Une chose, plus tu te rapprocheras de Fortifio et plus les bandits abandonneront la traque, car personne n’ose marcher sur le territoire de NorthWood. Nos routes se séparent, fait bon voyage Robb Lochon. »
Effectuant un mouvement de son chapeau, une inclinaison, pour saluer le pirate, la Chapeauté d’Hat Island quitta les lieux et s’empressa d’enfourcher Orphée pour s’enfuir de cet endroit. Sa route fut longue, éprouvante et énervante à cause de la mauvaise humeur de Freya qui désirait aider les désespérés. Comme convenu, la cow-girl livra la fille à son père et reçut en guise de remerciement des lunettes solaires avec des verres correcteurs. Le monde autour de Jaina fut moins chiant à regarder et son mal fut de l’histoire ancienne…
:copyright:️Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Dernière édition par Jaina Rosenberg le Ven 16 Aoû 2024 - 14:07, édité 1 fois
Ils se séparèrent : l’heure était à la réflexion. Quand la pistolera monta, le médecin descendit observer l’état de ses patients. Entre les gens assis à même le sol (prostrés ; entrain de boire et de manger ; sales et fatigués ; cerclés de bandages au front ou aux membres) faisaient des va-et-vient le prêtre.
Lorsqu’il se penchait sur eux sa mine sévère trouvait la juste expression pour chaque individu et le bon geste pour chaque âme. Bientôt, le vieux prêtre releva les yeux et intima à Robb de le suivre à l’écart. Après avoir tardés à se détourner du spectacle de la misère alentour, posés contre les murs d’une entrée dans la salle qu’ils venaient de quitter, les deux bienfaiteurs échangèrent un regard inquiet. Le prêtre lui raconta qu’il avait dû calmer quelques mécontents. Une grimace germa sur le visage du Montagnard. Les gens. Le commencement et le fléau de toutes les révolutions. Les Citadins piégés dans leurs contradictions, amoureux de leurs petits conforts et de leurs mensonges, loyales à leurs haines mesquines étaient des poids qui devenaient de plus en plus lourds sur son cœur; et son corps le lançait déjà à cause de ses blessures. Robb avait chancelé jusqu’ici, le bras touché presque inutilisable et maintenant seul l’adrénaline et sa résistance naturelle le maintenait éveillé. Il souffla profondément pour se calmer. Le Pirate espérait peut-être trop de tout le monde, surtout de Jaina. C’était lui qui était symptomatiquement bon. Quand ils s’étaient quittés, le cheval lui avait lancé un sourire goguenard, signe de sa non-participation à leur fuite. Le canasson truand s’était ensuite empressé de faire un petit pas de danse vers la jument noire et tous deux avaient disparu dans un recoin de l’église. Robb était seul et seul il pourrait supporter un siège.
Seul… si seulement il était seul.
Le Pirate, un bras le long du corps, pensif, répondit enfin au prêtre :
« Ils se tiendront à carreaux s’ils veulent survivre. Ils ne sont pas assez forts ou résilients pour que je les appelle mes frères d’armes, mais je suis leur meilleure chance honnêtement.
Qu’avaient-ils à leur disposition ? Robb visualisa les véhicules du convoi qui étaient encore capables de bouger ; les vivres et eaux qu’ils avaient récupérés dans les affaires des différents malfrats, mais qui étaient quasiment décimés. Il vit dans son esprit des hommes et femmes fatigués se cramponnant aux rares armes glanées sur les perdants de l’attaque d’il y a quelques heures. Bien peu, mais assez… peut-être ?
— Je vais venir avec vous. Vous avez besoin de tout le monde et moi…
Les yeux fatigués de l’homme d’église passèrent sur l’intérieur de la bâtisse autour de lui.
…et moi je suis inutile ici. Il est temps que cette église disparaisse. Prenons son bois. Nous pourrons construire des attelles, des brancards si besoin, renforcer les véhicules. Je préfère donner ma vie pour les vivants, que pour une église de bois toujours vide.
Aussitôt dit, aussitôt fait : les deux hommes donnèrent directions et outils aux survivants valides qui se lancèrent dans le démontage de l’église, planches par planches. La mélancolie plein les yeux, le prêtre regarda le travail de toute une vie être désossé dans un plus grand but : la vie elle-même. Il participa, ordonna, renforça les véhicules.
Lentement, leurs chances de succès augmentaient.
Avant de retrouver Jaina, Robb Lochon demanda à être seul et le prêtre lui offrit son bureau. Personne ne viendrait ici le déranger. Il se mit à respirer profondément, inspirant par le nez pour expirer par la bouche, laissant son énergie se rassembler dans son corps meurtri. Accroupi sur le sol, le bras valide et les mains tendus, soufflant, avalant, soufflant… le Montagnard leva des yeux mi-clos vers le plafond cassé où filtrait la lumière. Et dans les ombres qu’elle projetait, il vit des branches innombrables qui se transformaient en racines et qui touchaient tous les mondes.
Chez les siens, on ne priait pas les dieux comme chez les citadins. Les Dieux des Montagnards, divisés en différents ordres par la Baraque des Skald et les Singwar les plus théologiens présentaient une grande diversité due à leur ancienneté. Vieux Dieux, Nouveaux Dieux, Lardisme et philosophies combattantes…
Il y avait les Dieux de la nature sans noms, les Vieux Dieux, présents dans chaque roc et chaque arbre et chaque coup de vent, dans le feu, l’eau et le fer. Toutes choses étaient vivantes pour les Montagnards et tout possédait une âme. Le travail humain ne l’était que lorsqu’un être vivant transformait un autre être vivant en un différent type de force pour changer le monde autour de lui. Ainsi de l’arbre qui devenait manche d’outil qui servait à le couper pour faire une planche et cette planche à présent sur un véhicule qui pourrait sauver leurs vies. Ainsi de la nourriture, animal vivant devenant viande, devenant force, devenant énergie pour un autre être vivant. Tous vénéraient la nourriture, la boisson, le sexe, les sourires d’une femme et la chaleur d’un nouveau-né dans les bras, tout ce qui faisait de la vie un rêve qui ne cessait jamais, tout ce qui faisait battre le cœur de l’Homme depuis l’aube des temps.
Les siens ne cherchaient pas de refuge dans les cieux ou sous la terre. En appeler aux Vieux Dieux, c’était encourir la possibilité de leur courroux. Chez certaines peuplades Montagnardes, le trépas était l’occasion d’aller tuer les dieux parce qu’ils offraient plus de problèmes que de solutions, ainsi de la lutte permanente du mortel contre les éléments. La prouesse martelait l’esprit Montagnard, le poussait à ne pas prier, à ne pas croire bêtement en un espoir qui ne viendrait jamais. Le seul être que le Montagnard priait sincèrement c’était lui-même, la seule croyance vraie était le dépassement de sa propre faiblesse et l’espoir que, à sa naissance, les Dieux s’étaient penchés sur lui et lui avaient donné la force d’accomplir son Destin ; sinon de rencontrer sa mort courageusement.
« Ne vis pas à genoux, meurt debout » susurra Robb.
Après une vie de combats, le Montagnard pouvait mourir dignement. Il rejoindrait ainsi peut-être les Nouveaux Dieux : guerriers, ennemis grandioses, alliés précieux dont la fureur et le courage les avaient transformés en légendes. Alors, il irait dans le Grand Hall de Valeur, Valhalla, érigée par la femme d’Hôddin qui lui donna son nom, là où son propre Ancêtre illustre, Tôrrh et tous les autres des temps précédents et suivants l’accueilleraient pour festoyer à la Table des Braves, avant de retourner sur les champs de batailles où il se battrait tout le jour durant, mourant pour vivre et prendre place à nouveau parmi les siens.
Ou peut-être errerait-il dans les steppes glacées des Anciens Dieux sans buts et transis de désespoir. Peut-être qu’un enfer de flammes le boursouflerait comme le voulait certaines religions citadines ou comme l’avait proclamé un vieux Reigg autrefois, il courrait nu perdant sa peau et son cœur à mesure qu’il se frayerait un chemin dans une forêt obscure où les arbres étaient des couteaux et les rivières du sang, où la seule mélodie seraient les cris de son peuple en la nuit éternelle. Peut-être, s’il avait une mort de paille, rejoindrait-il Hel, où tous les ongles de tous les vivants se conglomèrent pour construire Naglafar, le navire qui conduira les morts de Helheim à l’Ultime Guerre.
Quoique ce soit, pensa l’homme aux cheveux blancs et aux poils noirs en se relevant, je suis prêt.
Et dans une dernière bouffée d’orgueil, avant de franchir la porte, il dit les phrases rituelles qu’un Montagnard prononce quand il pense aller au-devant de la mort : « Aujourd’hui est un bon jour pour mourir… et la Victoire est vie. »*
**
La pistolera le héla et Robb s’approcha déglutissant. Quand Jaina se présenta plus formellement, comme s’ils reprenaient leur conversation là où ils l’avaient laissé et dévoila une carte de l’île, Robb sentit soudain un poids terrible quitter son corps et une bouffée d’espoir l’emplir.
Fortifio, des bateaux, le juge John Northwood.
Une porte de sortie. Jaina venait de les sauver. Elle disait qu’elle était une criminelle, mais Robb ne put s’empêcher un sourire. Derrière sa violence, il y avait quelque chose qui ressemblait à de l’honneur.
La nuit, ouest pendant dix jours à cheval, patelins sur la route pour provisions, les bandits abandonneront.
Avec chaque information notée dans son esprit, des vagues de soulagement se propageaient à travers son corps. Elle les avait sauvés. Comme elle avait une arme sortie, le Pirate se réfréna de lui faire un câlin. Cependant, lorsqu’elle le quitta après un salut cool auquel il répondit d’un hochement de tête et un grand sourire couillon, il lui glissa un bonbon dans l’une des poches arrières de son pantalon.
Non loin, le prêtre avait une flamme dans les yeux et cette flamme se propagea comme un incendie aux civils lorsqu’ils entendirent la bonne nouvelle. On travailla d’arrache-pied et l’église ne fut qu’une belle ruine laissée aux éléments. Dans ce dernier convoi, le bateau-mobile de tête était le fer de lance où la plupart des civils blessés ou trop inaccoutumés au combat étaient, suivi d’une diligence avec une large toile qui servait d’appât avec Robb et le prêtre, leurs armes prêtes à l’emploi, où les survivants les plus durs à cuire se trouvaient avec leurs armes à feux, cachés à l’abri de leurs poursuivants.
Ils attendirent la nuit et partirent.
Deux journées passèrent.
Des coups de feux dans l’air leur rappelèrent où ils étaient. Des hommes en noirs chevauchant des chevaux patibulaires accéléraient derrière eux. Deux des leurs postés à l’arrière du véhicule pointèrent leurs fusils en vain, tous leurs coups ratant leurs cibles plus expérimentées. Robb souleva la toile pour envoyer sur leurs poursuivants une toute nouvelle idée qui avait germé ici : la pelle encordée.
L’arme fusa et rata la première ligne pour toucher un de ceux à l’arrière, le cavalier tomba à la renverse, désarçonnant son cheval qui, paniqué, cabra et dévia la seconde ligne. Avec un sourire carnassier, Robb tira d’un coup sec la corde attachée à sa pelle et l’arme racla le sol dans des explosions de cailloux pour venir faucher les pattes d’un des chevaux qui trébucha et emporta une partie de la seconde ligne. Robb tira de toutes ses forces, mais la première ligne évita l‘arme en faisant sauter leurs montures. Le Montagnard claqua la corde pour tenter de faire peur au moins aux chevaux, mais les coups de fouets étant légion sur l’île, ils ne firent qu’accélérer. D’un mouvement, le Montagnard récupéra son arme. Le pirate se baissa pour laisser le prêtre vider son fusil. Les douilles ricochèrent autour d’eux. Une partie des hommes des deux lignes cessèrent de bouger et leurs chevaux s’arrêtèrent brutalement. Des pétoires brillèrent hors de cache-poussières, alors que ceux qui s’étaient décalés pour éviter l’attaque, se rabattait sur chaque côté de leur véhicule. Le Montagnard se mit à tournoyer sa pelle d’une main pour dévier les projectiles.
« Recharge ! J’te couvre !
Déjà le prêtre avait remis des balles et le claquement du chien se fit entendre.
- Dieu te bénisse, Robb ! »
Et il tira. Tira. Tira. Tira.
Et ils tirèrent. Tirèrent. Tirèrent. Tirèrent.
Et Robb para comme il put, récoltant des estafilades, des balafres et des éclats de bois un peu partout sur lui.
Des gerbes d’étincelles et le fracas des balles sur le métal emplissaient l’air. Les mouvements du bras du Montagnard étaient si rapides qu’ils en devenaient flous, assez pour focaliser toute l’attention sur lui et pas sur le prêtre qui rechargeait son arme. Les chevaux des deux lignes n’étaient pas peureux et bientôt, les deux groupes les flanquaient, leurs cavaliers tentant de stabiliser leurs pistolets pour effectuer un carnage. Les feux croisés ne vinrent pas : la toile se tendit en de multiples endroits et par les trous que Robb avaient averti de ne pas boucher, des yeux humides de peur et de colère brillaient. Les différents endroits de la toile tendus éclatèrent : des coups de feux plurent sur les poursuivants, déchirant le matériau en confettis. Robb renvoyait les balles, la plupart tranchant l’air, tandis que celles des survivants atteignirent chevaux et cavaliers qui crièrent et disparurent en de grands fracas et de grands nuages de poussières, finissant en silhouettes et ombres brisées.
« Rechargez ! » commanda Robb.
Une balle se perdit dans l’air. Deux figures claquaient furieusement leurs rênes vers lui : les frères Bill le Sauvage et Psycho-Jim, la vengeance dans les yeux. Robb se baissa, le prêtre cala le fusil sur l’épaule du Montagnard et visa. Deux balles. Les figures s’agitèrent et lentement… s’affaissèrent sur leurs chevaux qui ralentirent l’allure. Sur l’épaule du médecin qui les avait battus, puis soignés, le fusil fumait, couvrant son expression. Le prêtre enleva son arme et se signa, tandis que Robb se redressait, cerné par les images successives de deux personnes vivantes et puis de leurs cadavres.
Il se détourna de la route pour féliciter d’un ton neutre les survivants. Le prêtre approcha quelques hommes pour lui prêter main-forte et demanda à ce qu’on arrête le convoi, il avait une idée.
Robb Lochon les laissa à leur liesse et leur plan, le regard sombre.*
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Wyatt Buck, le second envoyé par l’Enterprise Corporation but une gorgée de sa goude. Sous ses yeux, partout des traces : des traces de roues de chariots continuant loin devant eux. Des traces de piétinement marquant le sol et çà et là où des taches de sang dénotaient les combats qui avaient dû prendre place. Dans le sillage des roues, des corps brisés de chevaux et de leurs maîtres gisaient et semblaient le pointer dans une direction.
Le pistolero n’était pas né de la dernière dune.
Il chercha des brindilles brisées, des traces de pas ou au moins les renfoncements correspondants dans le sol environnant. Le soleil cruel de l’île illumina un rocher et quelque chose cliqua en lui : il s’approcha : le rocher avait du sable qu’on lui avait projeté dessus. Quelqu’un était passé ici. Accroupi, le pisteur tourna et étendit un bras. Son intuition était juste. Une personne s’était approché et avait été assez après pour lancer les corps et brouiller les pistes. Il se redressa, rejoignit sa troupe qui en profitait pour se désaltérer et remonta à cheval sans mot dire ; tous lui emboîtèrent le pas comme des chiens de guerres fidèles.*
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Plusieurs jours avaient défilé. Le double-plan du prêtre avait marché : ils avaient eu le pressentiment qu’on parviendrait à les suivre quand même malgré leurs précautions et décidèrent de sacrifier un de leurs chevaux en attachant une branche à sa queue et en lui donnant une grande claque au derrière. Ils se déchargèrent de plusieurs effets personnels et avec tous les blessés trouvèrent assez de sang pour créer des mises en scènes hasardeuses, mais suffisantes pour ne serait-ce que ralentir et faire douter leurs éventuels poursuivants. Plus tard, deux autres chevaux furent relâchés de la même façon et on les blessa superficiellement pour que des traces de sang fassent bifurquer des pisteurs.
Le convoi s’engouffra à travers la rocaille et la terre sèche, traversa des villes-fantômes, esquiva tout autre groupe d’individus qu’ils pouvaient rencontrer. Ce qui leur manqua ironiquement ce fut l’eau.
Plus la chaleur était intense, plus le Montagnard expulsait de l’eau, plus il en désirait. Il imagina une sorte de costume ou de système qui prendrait la sueur et la filtrerait pour la redistribuer dans une espèce de paille pour qu’il n’ait plus qu’à la boire. L’idée était ridicule. Ridicule était aussi l’attitude de certains des gens avec qui il était « et je me plains de ci, et je me plains de ça et je vais mourir et blablabla-je-suis-un-troufion-de-citadin. Il avait dû en fesser deux-trois pour les calmer comme les gamins qu’ils étaient. Robb Lochon ne voulait pas repenser à certaines de leurs réactions.
A présent, Robb leva difficilement ses deux mains face au cowboy à la peau burinée qui les tenait en joue avec son fusil. Derrière lui « son » puits en pierres comme il le criait sur eux depuis quelques minutes. Apparemment, les vastes espaces entre les villes étaient dirigées par des seigneurs de pacotille, des familles consanguines s’accaparant le peu de pouvoir qu’ils pouvaient arracher aux criminels plus expérimentés.
Pendant que Robb avait les bras levés, on réussit à offrir à la famille aux visages patibulaires et consanguinalement similaires quelques provisions qui les calma. D’un signe de tête, le patriarche, les tenant toujours en joue, les autorisa à s’approcher du puits pour récupérer de l’eau.
D’autres puits, d’autres regards en colère ou en coins qui ne présageaient rien de bon suivirent.
« Faut faire attention de pas trop s’entendre avec des gens près des puits, y a des exodes et des religions qui commencent comme ça. » conseilla à la fin d’une de ses « entrevues » le Montagnard les bras en l’air, comme il s’était habitué à se déplacer les mains levées près de n’importe quelle source d’eau.
Les derniers jours furent les plus longs.
Les gens étaient exténués, leurs yeux éteints, leurs joues et creuses et mangées par des poils hirsutes, leurs habits tâchés de sang. On en vint aux mains ; on cria ; on finit la journée en s’embrassant ; en se résignant ; formes fatiguées, abandonnées, comme des morts en sursis. Le prêtre regardait souvent derrière lui et nettoyait nerveusement son fusil. Robb Lochon, son dos brisé par l’exaspération, repoussa plus violemment qu’il l’avait anticipé deux personnes qui sombrèrent dans l’inconscience, le crâne maculé de sang. Il ne les soigna pas. Ses mains tremblantes de violence, il les mit sur son visage, où elles restèrent longtemps. Le prêtre s’occupa d’eux et Robb savait que sans lui jamais il n’aurait pu arriver jusqu’au bout de leur longue chevauchée vers la liberté ou la mort sans céder.
Au loin, dans la clarté nouvelle de l’aube, ils distinguèrent des murs. Des fortifications. Fortifio. Un vent chaud souffla sur les âmes brutalisées et lentement, les gens quittèrent la protection de leur convoi en piteux état pour entrer dans la ville sous les yeux des gardes vigilants. Le Pirate souffla et pensa à Jaina sur son cheval noir en entrant dans la ville. Plus tard, quand il arriva à négocier le peu d’argent qu’il leur restait pour s’assurer que les gens pourraient repartir, Robb ne leur dit pas au revoir et disparut, volant la barque du bateau.
Le prêtre ne le chercha pas. Il retira son chapeau pour essuyer son front, puis enleva le faux col de prêtre qu’il avait et redevint un homme comme les autres.
L’homme du désert embrassa la mer du regard.
Sur les saguaros qu’il laissait derrière, une fleur blanche avait germé.
- C’était dans une vallée de violence: