Malsouin et la Tempète - Partie II

Devant l'Ellie Wayne, la Frégate amarrée sur le Poiscaille, de nombreux allers et venus sont réalisés. L'équipage de Trisha Campbell s'occupe des rénovations même si du matériel manque. Et toute la suite des opérations seconcenyrent sur la collecte de fonds. Un simple petit stand a été installé à proximité du navire sur le quai. Une simple pancarte que la Cavalière porte à bout de bras indique la nature du service qu'ils peuvent fournir. Malheureusement, personne n'ose lui dire que ses méthodes marketing laissent gravement désirées. D'habitude, elles auraient fait de nombreuses affiches mais son budget est très serré. Rares sont les passants prenant l'affaire au sérieux. Néanmoins, un homme finit par venir un soir alors qu'elle s'apprêtait à changer de stratégie. Toujours la pancarte en main, elle fixe ce monsieur avec un grand imperméable avec une certaine méfiance. Elle n'est pas vraiment faite pour un métier dans le commerce. Sourire aux clients n'est simplement pas naturel chez cette femme. Le bonhomme reste debout sans rien dire. Trisha approche d'un pas le regard fixe.

“C'est pour le service météo ou juste un gars louche qui reluque la mauvaise personne ?
-Cela a le mérite d'être direct.”

Un rictus se dessine sur son visage. Il tend la main pour serrer la sienne. Trisha perçoit sous son manteau de pêcheur une tenue bien plus soigné qu'elle n'aurait imaginé.

“Cedric Malsouin, enchanté. Vous êtes bien de ceux qui accompagnent le Maître du Temps?
-Professeure Campbell. Je suis celle que vous cherchez. Qu'avez vous besoin?
-Excellent, Madame Campbell. Je sens que nous allons nous entendre. Je suis pêcheur, et j'ai décidé de faire un pari en venant vous voir.
-De quel genre?
-Celui d'augmenter mes rendements en faisant appel à vous. Je veux que vous m'assistiez à la pêche du lendemain. Nous partirons tôt et il faut que le vent nous porte mais que la météo soit clémente. Ainsi, nous serons les premiers à rafler les meilleurs bancs de poissons. Néanmoins, rien ne me dit que vous serez à la hauteur.
-Je le serais.
-Au moins, vous êtes confiantes. On peut donc trouver un arrangement pour vous payer après prestation en fonction de notre réussite.
-Je ne vous fais pas encore assez confiance pour cela. Ce sera la moitié avant à prix fixe.
-Je vois. Combien coûtera donc?
-Le salaire d'une semaine d'un de vos employés multiplié par cinq.
-Vous pensez valoir autant pour une seule journée?!
-Je vaux bien plus que vous pouvez l'imaginer.
-Il faut que je rentre dans les coûts, tout de même.
-Les services d'un maître du temps sont inestimables pour beaucoup.
-Hum. Trois fois le salaire dans ce cas.
-Cinq.
-Quatre?
-Cinq.
-Je vous en prie un petit effort.
-C'est déjà très peu pour le travail demander. Vous pensez que je ne sais pas combien peut vous rapporter une bonne prise.
-Vous êtes dures en affaires. Va pour cinq mais si vous foirez, je veux un remboursement.
-Parfait. Nous avons un accord. Suivez-moi, nous allons signer un contrat dans ma cabine.”

Malgré la nuit et la pénombre, l'homme suit cette étrangère dans son navire, officialisant ainsi leur affaire. Il repart rapidement sans demander son reste que la preuve de leur échange sur papier. Dans l'équipage, peu de personnes l'ont vu passer.

En pleine nuit, des cris de stupeur dans la nuit retentissent dans la cabine du Capitaine. Trisha s'est réveillée une nouvelle fois pleine de sueur. Assise sur sa couche, elle se tient les tempes en sueur. La douleur du poison qui la ronge continue de massacrer ses nuits. Le sommeil réparateur lui est impossible. Et le même cauchemar lui prend les tripes. Cette sensation réveille des souvenirs douloureux. Des souvenirs qui lui rappellent chaque soir pourquoi elle fait tout cela. La plaie ouverte faire à la Révolution sera venger avec la même violence. Oeil pour œil. Dent pour dent. Massacre pour massacre.

Le regard sombre, la Cavalière s'habille de son costume et enfile ses climato-gantelets. Dans deux heures, elle devra rejoindre l'équipage de Cédric Malsouin pour sa pêche. L'ange aux ailes atrophiées ne voit pas l'utilité de s'acharner dans le sommeil. Elle sort de sa cabine pour prendre l'air. Sur son chemin, Tang, son second, semble pensif sur le pont.

“Que fais-tu en pleine nuit?
-Vos douleurs empirent, Camarade Trisha…
-Ce n'est que passager. Comment se déroule la collecte de fonds ?
-... les différents groupes parviennent à enchaîner les petits boulots, mais on se fait plus une réputation de jardinier arroseur que de disciple de l'art du Climat.
-C'est toujours mieux que celle de mercenaires. Nous continuerons nos efforts. Et votre oncle?
-Il est enthousiasmé par les rénovations du batiment, même s'il ne peut aller bien loin sans matériel. Des plans sont déjà élaborés. Ce sera un petit bout de notre Pays sur la côte, d'après ses mots.
-Bien.”

La femme s'approche du bord pour observer le reflet de la lune sur l'eau du quais. Elle patiente en méditant, mais son second la tire bien vite de sa concentration.

“Camarade Trisha?
-Hum.
-Te sens-tu seul, parfois?
-Pourquoi cette question?
-Nous avons choisi de te suivre, mais tu semble nous éviter. Tu travailles tout le temps, même pour manger, tu es dans ta cabine, après les entraînements, la même chose. Beaucoup veulent vraiment apprendre à connaître la Cavalière qui a combattu pour Jing et notre pays.
-J'ai beaucoup de choses en tête. Crois tu que je suis en état de faire la fête ?
-Non… ce n'est pas ce que je veux dire. Je voulais juste montrer que nous pouvons aussi être un soutien émotionnel.
-Tu devrais dormir, Tang. La fatigue te rend lourd.”

L'air dépité, le second hoche doucement la tête en silence. Trisha le trouve bien étrange. Elle le connaît bien peu en réalité, mais n’a pas la tête à sonder ce mystère pour le moment. Sans un mot, il se retire. Repensant à cette discussion, la Cavalière espère que cela lui passera. Gérer le relationnel en plus de tout le reste risque de la rendre plus instable qu’elle ne l’est déjà. Il lui faudrait quelqu’un pour ça. Dans cette pensée, un visage lui revient avec son lot d'émotions. Celui d’une jeune fille qui s’est sacrifié pour la Révolution comme un bon nombre, celui de fille joviale qu’elle n’a pas pu sauver. Son corps frémit. La douleur revient.

Après s'être remise de cette nouvelle crise, l’heure de la pêche approche. Une pluie faible tombe en cette heure matinale. Progressant dans le port, Trisha remarque l’activité impressionnante de ce grand port de pêche. Cette masse de navire de toutes tailles et de tous types donne l’impression d’une véritable armada se préparant à embarquer. Bousculant quelques travailleurs maladroits, la Cavalière se fraye un chemin à travers cette foule mouvante, malgré les regards. Parvenant au point de rendez-vous, elle contemple le navire de pêche d’un œil fatigué. Il est bien plus petit que le sien. Les affres du temps sont visibles sur la coque, mais l’ensemble reste en état de service. Comparé à d’autres navires, il est loin de rivaliser en vitesse et en solidité. Elle sent que l’on va lui demander de faire des miracles. Une voix l’interrompt dans ses pensées.

“Madame Campbell, vous arrivez à temps. La marée va bientôt nous être favorable.
-Attendez une minute. L’objectif est de dépasser tous les navires dans la sortie du port en partant en même temps.
-Exactement.
-Les plus gros ont des voilures performantes et j’ai constaté que certains disposent de moteurs. Votre pari est plutôt risqué.
-Me dites pas que vous vous dégonflez?
-Vous n’avez pas peur que votre navire subisse des dégâts?
-Montrez-moi que vous pouvez dépassé les navires des grands pêcheurs. C'est tout ce que je demande.
-À vos risques et périls.”

La Cavalière ne rechigne pas plus pour monter sur le pont du navire. L'équipage de pêcheur la salue sans arrêter de préparer la sortie du navire. Cedric Malsouin se poste au côté de la climatologue en coordonnant ses employés. Scrutant sa montre, l'homme évalue le niveau de la marée à l'œil. Certains vrombissements de moteurs s'entendent vers les navires les plus élaborés et imposants. Le regard que le maître pêcheur porte sur eux est teinté de ressentiment. Trisha cerne bien le désir de son client de vaincre ses engins. Ils cristallisent peut-être une injustice ou une ambition impossible. Dans tous les cas, la Professeure Campbell doit gagner la confiance de ses petits pêcheurs. Les bras croisés, elle repère les premiers navires quitter le port.

“Votre signal.
-Une règle nous oblige à attendre sous peine d'amende.
-Comment ?
-Pour éviter les soucis de débordement, les départs se font en différer, et les premiers sont ceux qui peuvent aligner les sous devant les gestionnaires du port. Donc toujours les mêmes.
-Vous êtes sérieux ? Une information aussi cruciale aurait pu être utile à communiquer.
-Je vous ai dit la première fois que je prenais des risques.
-Sauf que vous déchargez les conséquences sur moi.
-Un contrat est un contrat.
-Tss. Je n'aime pas vos méthodes de lâche.
-C'est, malheureusement, ce qui me permet de survivre.“

Il n'a pas tort. Pour survivre dans un banc de requins, il faut savoir adopter certains mécanismes. Cependant, Trisha n'est ni native d'une société comme à Poiscaille, ni une habituée des pratiques commerciales ou productives. Lorsqu'elle vivait à Aeden, la monnaie n'était qu'un élément de décor. Tout son monde se concentrait sur ses recherches, ses inventions et ses combats pour la justice. La Cavalière a besoin d'un temps d'adaptation aux normes de cette île. Tapotant un doigt d'impatience, elle fixe les navires privilégiés s'éloigner des quais.

“Ils visent les meilleurs lieux de prises. Là où on trouve des poissons en bonne forme, à la bonne chair et en abondance. C'est eux que l'on doit doubler.
-Pour le moment, ils prennent une sacré avance.
-Regardez bien. Ils ralentissent à cause de la tempête qui approche.
-Je vois. Je ne sers pas qu'à vous propulsez, mais aussi à vous créez des conditions favorables. Comment avez vous prévu que les conditions seraient réunies ?
-J'ai un crapaud et il est sorti de son bocal, hier soir.
-Hum, astucieux.
-Nous sommes les prochains à partir. Préparez-vous.
-C'est plutôt à vous de vous accrocher. Priez pour que votre bateau survive.”

Changeant sa posture, Trisha se place solidement sur ses appuis. La pluie faible devient soudainement une averse. Cédric, s'agrippant à une corde, regarde sa montre. En alerte, il ne veut pas perdre la moindre seconde. Sans tarder, le maître pêcheur crie, enfin, le signal.

Comme si un bouchon retenant le vent venait d'exploser, une gigantesque bourrasque tire brutalement les voiles du pauvre navire. Celui-ci bascule par ce vent de tempête. le bateau de pêche tangue dangereusement, menaçant presque de chavirer. L'équipage est violemment  malmené. L'un d'eux à traverser tout en longueur le navire emporté par l'inertie et les bourrasques, avant de se raccrocher à un cordage en panique. Trisha n'y fait pas attention. Le contrôle de cette tempête est sa priorité, le reste est sur les épaules de Cédric. Quelque peu sonné par le départ brutale, il remarque bien vite que son navire est porté à une vitesse fulgurante. À cette allure, la coque fendant les vagues prend des dégâts. De même que les mâts menacent de craquer et les voiles de se déchirer. Tous ses risques, il a décidé de les pendre mais il n'imaginait pas une telle puissance pour l'aider. Tout repose à présent sur le pilotage au milieu de cette tempête. Tentant de résister au vent et aux secousses, le pêcheur essaie de tenir bien dans l'axe le gouvernail, avec l'aide de ses hommes.

“On lâche pas les gars !
-Un steamer vient de changer d'axe, Capitaine ! On va foncer dessus !
-Bordel ! On tire ! Aller, aller, aller !”

Un grand fracas retentit. Cedric Malsouin et ses hommes tombent à la reverse. Le gouvernail vient de casser. La trajectoire du navire de métal s'approche dangereusement de celle du plus petit bateau. Trisha plisse les yeux. Les efforts de l'équipage ont réussi à dévier légèrement le chemin. Elle augmente la cadence du vent et de la pluie usant sa concentration au maximum. Des craquellement résonnent dans ce navire perçant la mer comme un oiseau perce le ciel. In extremis, il frôle le bateau concurrent, ralliant une grande partie de la coque en bois. Prenant de ma distance, Trisha commence à sentir cette douleur caractéristique monter en elle. Posant un genou à terre, la tempête se calme.

Cedric Malsoin est premier sur le lieu de pêche. Sans plus attendre, les pêcheurs s'activent pour étendre leur filet. La météorologue affaiblie dégage le ciel pour eux. Comme dans l'œil d'une tempête, le navire de Malsouin est le seul à être épargné par la Météo. Dans les premières prises, le sourire de Cédric montre que ce jour de travail sera le plus rentable de toute sa vie.

Assise sur un tonneau, la tête baissée, les coudes sur les cuisses, Trisha tente de contenir son mal qui la ronge. Des poissons se propagent à ses pieds. Encore vivants, ils gigotent et frémissent avec énergie. Les bottes de Cédric viennent à leur tour s'imposer dans son champ de vision. Les sourcils froncés, elle lève la tête.

“Beau travail, Professeure Campbell. J'aurais bien voulu voir la tête des videurs quand ils vont apprendre qu'ils se sont fait devancer.
-Cela ne vous enrage pas que ces grands pêcheurs raflent toujours plus grâce à leur privilège.
-Tous les jours.
-Et tu comptes rester vivre ainsi longtemps?
-Que veux-tu faire, c'est les règles.
-Les règles, ça change. Combien de floués pour une poignée de profiteurs ?
-Trop, certainement. Il y a que des corrompues, c'est trop lourd pour qu'un pêcheur moyen change quoique ce soit.
-Seul, oui. Mais en nombre, rien n'est impossible. Si ton pari personnel a fonctionné, d'autres plus louables sont à prendre.
-Hum, c'est juste…”

L'homme avec qui Trisha est devenue familière semble se plonger dans des réflexions. Les mots ont résonné dans un esprit déjà révolté contre la corruption du système. Néanmoins, il semble se montrer prudent. La Cavalière se redresse, ses douleurs estompées. Elle s'approche du bord pour contempler la tempête contrastant au calme du ciel au-dessus du navire.

“J'aiderai les petits pêcheurs comme toi à doubler les plus gros. Étends mon réseau et je te ferai un prix.
-Voilà qui est intéressant. C'est noté.
-Maintenant, comment on va rentrer au port sans gouvernail ?
-Un collaborateur est en route pour nous dépanner. Je l'ai appelé bien avant le départ, au cas où les choses dégénèrent.
-Tu es prévoyant.
-Les affaires obligent.”

C'est ainsi que Trisha fait son premier contact sur l'île de Poiscaille, tout en renflouant les caisses des Pluies Pourpres.