Entre hommes d'honneur
Hayato méditait.
Le jeune voyageur ressassait encore les furieux événements qui l'avaient poussé, quelques semaines auparavant, à quitter précipitamment Las Camp. La trahison de son frère adoptif, la mort de son mentor de sa propre main, la destruction de son clan dont il était le seul survivant... À ces pensées, l'épéiste serra les dents. Quel déchéance ! Quelle impuissance ! Il était si naïf, si inexpérimenté, si faible. Il retrouva son calme, d'une respiration profonde. Malgré toutes ses frustrations et sa colère, il s'était promis d'obéir à son défunt maître : il allait vivre, prospérer, puis le rendre fier.
La seule question était : comment ?
Livré à lui-même pour la première fois depuis son adoption, il avait pris la première navette pour quitter son île natale, ce fameux soir tragique. Le navire l'avait accepté, en le requalifiant de garde du corps afin de payer sa traversée. Il avait débarqué à Kanokuni quelques jours plus tard, sans un sou, sans arme, sans contact, avec pour seuls habits ceux qu'il portait alors. Bien vite, il s'était taillé un bokken dans une branche de magnolia, afin de retrouver un semblant d'ancrage. Le contact du bois sur sa hanche l'avait rasséréné, certes, mais il avait fallu encore une bonne semaine pour élaborer un semblant de plan pour remonter la pente. Vivant des détritus, des restes trouvés dans les poubelles et de l'eau de pluie, Hayato avait connu la disette et la misère. Loin de le désespérer, cette condition précaire n'avait fait que renforcer sa volonté.
Sa chance avait finalement tourné, lorsqu'une procession de la famille Han avait cherché à recruter en extrême urgence des gardes pour accompagner un de leurs dignitaires en voyage. Il avait passé haut la main les épreuves physiques et l'entretien avec un sous officier bourru, puis s'était vu engagé sans plus de formalité. Quelques jours plus tard, il s'était retrouvé sur un navire en direction de la nouvelle Ohara. Cette île tristement célèbre, cible d'un Buster Call plus d'un siècle auparavant, avait trouvé un second souffle. À présent terre de science et de savoir, le vagabond entendait bien profiter de cette aubaine afin de parcourir la plus grande bibliothèque du monde.
En effet, s'il voulait se hisser au sommet, la force ne suffirait jamais. La plupart des criminels sous-estimaient l'avantage ineffable offert par l'instruction. Si une bonne partie d'entre eux se révélaient coriaces, rusés et fourbes, bien peu prenaient le temps de lire pour comprendre en profondeur les rouages du monde. Pour sa part, Jinro-san l'avait élevé dans cette optique depuis son plus jeune âge. Séparer le corps de l'esprit relevait de l'inconscience, lorsqu'on vivait dans l'ombre. En ce monde sans pitié, une brute sans cervelle était tout aussi impotente qu'un intellectuel au corps frêle.
Ainsi, le bretteur avait implémenté dans ses routines matinales des exercices des deux disciplines. Il renforçait son corps, grâce à ses incessants entraînements au sabre ; mais il affûtait également son esprit, en multipliant les apprentissages portant sur des sujets variés, mais aussi à l'aide de méditations régulières. Sa préférée demeurait la toute première de la journée. Se retrouver aux aurores, seul face à la nature immense, lui permettait de prendre tout le recul dont il avait besoin. Il était insignifiant dans ce monde, un grain de sable jeté dans la tourmente, qui tenterait de se diriger à la force de sa volonté. Si la métaphore semblait cruelle et porteuse d'un désespoir insondable, il y voyait une réalité transitoire. Nul n'était censé demeurer grain de sable, s'il ne le souhaitait pas.
Pour l'heure, Hayato méditait.
Il observait le lever du soleil, debout sur le ponton du navire. La brise marine faisait virevolter ses quelques cheveux rebelles, attachés en un chignon d'homme. Stoïque, son corps ne bougeait pas d'un iota, tandis que son esprit s'activait sous la surface. Au loin, il apercevait l'immense arbre qui trônait au milieu de la nouvelle Ohara. Sa destination était en vue. Le début de son voyage initiatique pouvait commencer. Une fois qu'il se serait acquitté de ses obligations envers la délégation Han, il s'éclipserait et écumerait la bibliothèque, à la recherche d'informations qui l'aideront dans sa quête. Encore un peu de patience, et Hayato aurait tout le loisir de peaufiner son projet à l'aune d'un savoir séculaire.