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Fumer fait tousser... [avec Feng Han]

Fumer fait tousser… [avec Feng Han]


La dextre posée contre son visage, les doigts suffisamment écartés pour laisser passer le délicieux contact de sa pipe personnelle, Haoyu Han se prélassait dolemment sur son banc d’infortune. Autour de lui, une fumée bleutée omniprésente envahissait la pièce d’effluves parfumés par l’âpreté du pavot consumé tandis que ses consommateurs maniaques, avachis sur leurs propres bancs, se taisaient en vertu de la règle tacite du lieu : nul ne devait épier, nul ne devait parler. Un sanctuaire muet pour les opiomanes qui s’y réfugiaient en quête d’un salut que seul l’opium pouvait procurer. Nombreux ici cherchaient à s’émanciper d’une vie que trop douloureuse : ici, un travailleur bedonnant s’échappait d’un chantier où le contremaître exploitait la main-d’œuvre avec une main de fer ; là, une femme à l’effrayante maigreur préférait rêver d’une vie sans mari aux mains calleuses et aux habitudes avinées. L’oniromancien, quant à lui, pestait intérieurement contre les affres de son insomnie et cherchait avidement à s’endormir. N’y pouvant pas, il se redressait, les yeux hagards et le teint pâle, explorant du toucher une meilleure place pour se rencogner dans son siège mais ne trouvant son bonheur, il rallumait sa pipe refroidie. Bientôt, de nouveaux volutes ne tardaient pas à s’exfiltrer de ses lèvres et une sensation agréable bien qu’amère lui parcourait le corps, émoussant ses sens. Il fit fi, alors, de la règle du lieu et promenait son regard sur ses consœurs et ses confrères tout en continuant de porter à la bouche l’instrument de sa félicité que trop passagère. A travers l’opacité relative de la fumée environnante, il comptait une quinzaine d’infortunés camarades qui, comme lui, bénéficiaient du repos morphinique.

Soudainement las de partager la compagnie d’autrui, Haoyu se levait et traversait la salle en faisant scrupuleusement soin de ne déranger personne. Le pas lent et mal assuré, le devin finissait par rejoindre une autre salle, plus petite et plus intimiste, où il serait seul. L’un des tenanciers l’observait d’un œil circonspect mais sa curiosité s’arrêta toutefois aux pièces lancées en sa direction : les dernières réminiscences de la richesse d’antan de l’onirocrite. Le rideau maintenant tiré sur lui, il se laissait tomber sur une banquette aux coussins ayant perdus de leurs mollesses et aux couleurs défraîchies. Au milieu de la petite pièce trônait un brasero aux faibles braises récemment ravivées. Sur une petite table, une lampe thébaïque à huile, au socle en étain, englobée dans un socle en verre percé par le haut pour que la flammèche consume un pipe-bol en bois laissait échapper une odeur enivrante composée d’amande et d’opium. Ravi de son choix et d’y avoir abandonné ses économies, le Meng-Shi s’allongeait sur le côté, face au rideau, et sortit de son manteau sa pipe en os : sa dernière possession personnelle. Les dessins qui y figuraient provenaient de la main d’un esthète jouissant d’un grand renom à la Cité Rouge mais il ne parvenait pas à s’en souvenir. Alors, d’une main experte, il préparait sa séance et ses réserves : il piquait avec une aiguille un tube contenant l’extrait de pavot y récupérant une parcelle de la taille d’une fève, la plaçait au-dessus d’une de ces lampes afin que la parcelle se gonflasse et se durcisse. La larme ainsi consolidée, Haoyu la plongeait délicatement dans la cupule de sa pipe. Avec un apaisement soudain, il fumait de nouveau tandis qu’il répétait l’action tout en enroulant les larmes durcies dans du tabac ; ainsi, il se faisait une provision cachée jalousement dans sa blague subtilement dissimulée dans les plis de ses beaux vêtements.

C’est alors qu’il finissait son minutieux travail que son monde recouvrait la teinture azurée d’un bonheur oublié par l’action de la panacée adorée des Immortels. L’imaginaire d’un monde coloré reprenait ses droits enjoignant ses yeux au sommeil, un sommeil taiseux et mirifique. Il sombrait enfin à mi-chemin entre réalité crasse et rêverie salvatrice. Oublieux de sa personne, de sa psychè ou de son statut, l’excès de sa consommation le rattrapait provoquant d’ignobles horripilations et sueurs froides. Effrayé par une telle démesure, Haoyu tentait de se relever alors que des visions fumigènes s’entremêlaient dans une cacophonie infâme. Les muscles tétanisés, la bouche crispée dans une congestion avilissante, les yeux torves, il s’effondrait sur le sol froid et miteux du bouge. Anesthésié et résigné, il se laissait aller rejoindre la noirceur d’un dernier songe.

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Dernière édition par Haoyu Han le Lun 22 Jan 2024 - 15:17, édité 1 fois
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Feng descendait les marches d'un dédale souterrain crasseux niché au cœur même de la cité de Jing. Arborant un chignon rapidement tressé et une barbe un peu défraichie, il comptait bien être le plus discret possible dans ce désormais haut lieu révolutionnaire. Il abhorrait tout ce qui s'était déroulé depuis cette maudite bataille. Ses titres lui avaient été enlevés et il avait décidé de prendre une nouvelle direction. Vingt-cinq années. Il avait donné un quart de siècle à la nation et voilà où il en était. Seul, sans titre et porteur d'une autorité en pleine dégringolade. Le palais ne répondait plus à ses courriers depuis longtemps et même les gouverneurs des autres provinces commençaient à le snober. Bien sûr, il avait toujours quelques bons contacts et d'anciens amis mais il ne pouvait pas risquer de les compromettre également. Tâcher la réputation du parti de la Tradition plus encore ne ferait que porter la ruine sur eux. Non, il ne devait s'en remettre qu'à lui-même désormais. Au fond, c'était la seule solution pour lui. Il allait devoir se refaire. Loin de l'empire. La nouvelle de la mort de son Sifu ne lui étant pas encore parvenue, il lui restait un peu de temps pour mettre les voiles.

Aussi avait-il planifié un coup. Un gros coup. Mais pour cela, il avait besoin de main d'oeuvre. De confiance. Et pour l'heure, sa réputation avait pris un violent horion en pleine face. Alors il allait devoir composer avec sa famille. Son choix s'était porté sur Haoyu, son neveu et filleul. Pourquoi  ? Parce qu'il était sans doute l'un des seuls à traiter Feng avec une honnêteté certaine quelle que soit la situation. Il était fiable. Dans la mesure du possible. Et aussi parce qu'au fond de lui Feng voulait le sortir des rails sur lesquels le destin l'avait mis. Le vieux Peng, son majordome attitré depuis sa naissance, lui avait dégoté le renseignement dont il avait besoin. Comment ? Il ne le saurait sans doute jamais mais ce vieil homme avait de la ressource. Il allait lui manquer.
Les pas de Feng claquèrent au tournoi d'une impasse. Il fit bien attention à ne pas être suivi. Les quartiers où il se trouvait n'étaient pas vraiment très recommandables. Et quand il avait su que son neveu était dans une fumerie du Puits de la Tortue, son cœur s'était un peu serré. Ni une ni deux, il avait enfilé une tenue appropriée au coin à savoir un vieux gilet de peau en début de fin de vie et des guêtres de paysan locales. L'ancien locataire de la piaule qu'il avait récupéré à Fort Levant faisait la même taille que lui et avait laissé pas mal d'affaires. Coup de bol. Il avait également pris son Jian et une dague, glissée dans sa botte droite.

Haoyu était parti pour la cité impériale à l'âge de ses douze ans pour devenir oniromancien, un rôle de premier plan dans la cohorte infinie de serviteurs et de membres de la cour qui entouraient l'Empereur. Feng avait trente ans à l'époque et pas encore assez d'influence pour refuser la volonté soudaine de sa soeur Lin et de son mari, Aodong, d'envoyer leur rejeton là-bas. Il les avait haï pour ça mais il ne pouvait pas le montrer, l'étiquette ne le permettait pas. Alors, il avait essayé de faire en sorte de suivre d'un oeil plus ou moins attentif le parcours du jeune homme. Pour éviter qu'il se mette en danger ou ne fasse de mauvaises rencontres dans un palais plein de serpents et de pièges. La réalité l'avait ensuite rattrapé. Son Sifu avait eu besoin de lui. Souvent, beaucoup. Trop. Et parfois, au fond de lui, Feng se demandait un peu amer si certaines missions qui lui avaient parfois été confiées n'avaient pas également pour but de le maintenir loin d'Haoyu. Qu'avait donc pu bien devenir le jeune homme après ces dix années ?

TOC TOC TOC.

Ses phalanges venaient de heurter l'extérieur d'une grande porte lambrissée de bois et de cuir. Le symbole du dragon était peint à l'encre noire sur le quart supérieur droit de l'encadrement de celle-ci. Pas de doute. Il était bel et bien au bon endroit.
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Fumer fait tousser… [avec Feng Han]


Il ne restait que la suie, la cendre et la fumée noirâtre d’un monde ravagé par les torrents volcaniques d’une apocalypse implacable où le silence régnait.

Les sens embourbés dans un embrouillamini coloré et âcre causé par la consumation lente de sa pipe jonchant le sol similairement à lui, Haoyu Han peinait à reprendre la main sur son corps engourdis par une cachexie latente. Il surgissait avec douleur de l’immarcescible ténèbre qui lui voilait les yeux. Il cherchait à tâtons de la senestre sa béquille émotionnelle tandis qu’il tentait, tant bien que mal, de se relever malgré des genoux alourdis dues à sa chute dans les méandres mnésiques infligés par l’inhalation de sa panacée morphinique. Il réussit enfin à se redresser légèrement, le dos rencogné contre le divan défraîchi, lieu de sa supposée retraite psychique. Comme à son habitude, il regrettait amèrement. Comme à son habitude, il fouissait dans sa blague des doigts tremblants afin d’y sortir un madak. Comme à son habitude, il le plaçait adroitement sur la cupule et rallumait sa pipe distraitement, les sourcils froncés, comme soucieux. Enfin, ses tremblements cessaient et il put se rendre compte dans quel état il se trouvait. Les cheveux plaqués sur son visage, la lèvre gonflée par le contact répété avec l’embout de sa pipe, les traces salivaires et bileuses rendaient son visage méconnaissable passant désespérément d’une beauté indéniable à la laideur thébaïque. Par dégoût pour lui-même, il se recroquevillait fermant les yeux sur l’abominable sensation d’amertume qui l’envahissait. Quelques pleurs venaient à lui mais ne parvenaient pas à laver les péchés de son addiction.

Un grand éclat éblouissant illuminait dans la pièce alors qu’un frustre aux bras gonflés ouvrait et refermait le rideau qui le séparait d’avec la triste réalité d’un monde sévère et violent. Haoyu voulut s’indigner que sa paix fût aussi aisément troublée mais il ne put dire mots tandis que l’intrus l’empoignait fermement par le vêtement. Atteint d’une panique acerbe, l’opiomane le frappait au visage du plat de la paume. Libéré par le choc, il empoignait une lampe d’une des tables et poursuivit sa défense dans une offensive désespérée. Nul doute, pour lui, que le souvenir d’une richesse gauchement dépensée dans un galetas malfamé eut attiré les coupe-jarrets soucieux de le délester de ses possibles restes de monnaie. Il abattait, dès lors, la lampe sur le visage de son assaillant, le globe en verre se brisant à son contact. Le bruit sec d’un nez brisé et d’une exclamation de douleur étouffée indiquait sa réussite mais l’onirocrite ne cessait pas son assaut. Il frappait d’un deuxième coup porté avec l’énergie de la peur, les yeux écarquillés dans une fureur azurée, la bouche tordue dans l’excès de violence facilitée par l’apathie grimpante de la larme précédemment consommée. Toisant son infortuné ennemi, Haoyu l’observait avec dégoût et malaise pendant de longues secondes avant de laisser tomber son arme improvisée dans un bruit lourd ; un bruit de condamnation.

Les larmes noyaient son visage dans une honte effroyable. Secoué par les sursauts des sanglots, l’oniromancien se saisissait la tête dans une souffrance indicible, gémissant une litanie pathétique. Les ongles enfoncés dans la chair, il n’osait arrêter de contempler le sang qui s’écoulait lentement. Puis, il remarquait que sa pipe se tachait de vermeil. Inquiet de savoir si l’homme vivait ou non, il n’osait la récupérer de peur qu’il se réveillât brusquement. Il tendait parfois une main couverte de petites incisions dues au verre brisé vers l’objet de son désir mais la retirait aussitôt avec une frayeur qui le bouleversait. A vrai dire, un combat interne se déroulait : la culpabilité âpre et la nécessité plus que jamais présente de fumer. Il poussait alors un soupir, se recoiffait et se débarbouillait le visage. Egoïstement, il se félicitait qu’elle ne soit guère brisée et, la récupérant, il la rallumait. Prenant la décision de quitter ce bouge et de tout ignorer de son acte, il enjambait avec appréhension l’homme qui interrompit son sommeil et rouvrait le rideau lentement, soucieux de ce qui l’attendait. « Peut-on seulement rêver en paix, ici ? »

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Un grommellement se fit entendre de l'autre côté de la porte et on entendit un clé jouer dans le pêne de la serrure quelques secondes, laissant apparaître dans son encadrement un petit homme vêtu d'une toge pourpre arborant une broderie de dragon au niveau du cœur. Entre deux âges et le regard chargé d'une lueur intéressée, il arborait la confiance tranquille des sbires rusés et, par opposition, les deux malabars qui se détachaient dans la pénombre derrière passaient pour des animaux prêts à se battre sur un mauvais coup d'œil. Les évaluant d'un regard, Feng sut que mieux valait ne pas se frotter à eux. Ils avaient tous les deux de jolis bâtons cloutés qui semblaient rougis par une certaine dose de sang séché. A moins que le bois ne soit naturellement mauve bien entendu... Leurs visages couturés et les regards méchants qu'ils dispensaient sans doute à tous les visiteurs les rendait peu abordables. La masse de muscle classique pour surveiller ce genre de lieu. Si cela dégénérait, il se savait en capacité de les neutraliser mais combien étaient-ils ? Seulement deux ? Il n'était pas venu pour cela. Attirer l'attention dès maintenant aurait sans doute rameuté plus de trouble-fêtes que nécessaire. Il devait agir vite et efficacement. Le bonhomme en face de lui n'eut pas le temps de s'impatienter car Feng porta vite son majeur et son index sur ses lèvres avant de le poser sur le symbole du dragon dans l'encadrement de la porte. Ce gage de respect était un signal de libre-passage. Il séparait les profanes des initiés et permettait d'accéder à la fumerie. L'établissement se voulait tous publics mais n'était pas l'un de ces vulgaires établissements. Il y avait un code à respecter. En tant qu'officiel de l'Empire, Feng connaissait leurs us et coutumes et, même dans le Puits de la Tortue, le lieu faisait guise d'exception. Les dirigeants se faisaient appeler la confrérie du Dragon Pourpre et avaient des relations bien implantées dans l'Empire. Des parasites qui vivaient sur la misère et la détresse des gens. Le Han les détestait mais avait vite compris qu'il n'était pas assez haut dans la chaîne alimentaire pour s'en prendre à eux. Même au sein de l'armée, le Dragon Pourpre était tenu à l'écart. Il s'était promis d'enquêter dessus mais le temps avait là aussi passé. Trop pour qu'il s'en soucie. Surtout maintenant.

« Bienvenue dans notre établissement cher client, déclara d'une voix bien trop mielleuse le gérant. Je m'appelle Darn. Il ne me semble pas vous avoir déjà vu mais vous connaissez la règle. »

Ses yeux s'étaient braqués sur son Jian. Les armes étaient interdites au-delà de la pièce faisant office de hall. Feng le savait et il détacha donc son arme d'une main pour la remettre à un des deux molosses qui lui tendait un bras gonflé. Son épée fut posée sans considération aucune dans un tonneau à moitié rempli d'articles du même genre. Triques, poignards, sabres, marteaux. La populace du coin savait que pour venir dans le Puits de la Tortue il valait mieux avoir quelques outils. Ainsi les armes étaient stockées en évidence à l'entrée. Etrange chose que ceci mais sans doute n'avaient-ils aucune crainte pour la sécurité du lieu. Qu'importait. Feng se garda de signaler sa dague et ne fut pas fouillé. Le Dragon Pourpre avait confiance en ses clients.

Faisant diriger l'ancien officiel à travers un long couloir, les deux hommes débouchèrent dans une pièce emplie d'un brouillard d'opium bien trop consommé. Ca et là, de pauvres hères s'évadaient de leur pauvre et triste existence par le biais de la substance opiacée. Ils devaient y trouver leur compte mais, l'Empereur nous garde, quelle mine atroce ils avaient ! Visages amaigris par les privations, regards hagards et vides, reliquats de bave et de rejets au coin des lèvres, habits tâchés. Le lieu était une allégorie de la déchéance et de la détresse humaine. Cette vue agaça Feng au plus haut point. Voilà où son neveu était tombé. Partagé entre la pitié et un début de colère, il se laissa installer dans un coin de pièce, derrière un rideau à peine voilé. L'endroit semblait immense. On venait de le guider à travers plusieurs couloirs de rideaux et alcôves discrètes et il n'en avait pas vu le bout. Comptant se faufiler dans le lieu, Feng sut qu'il n'aurait pas trop de problèmes tant qu'il restait dans la pièce. Déposant une bourse dans la main du dénommé Darn, il le vit s'éclipser sans un bruit. L'homme avait d'autres clients à gérer. Un jeune homme au physique gracile lui apporta l'équivalent de son or en opium et repartit sans un bruit. Tout ce manège semblait être bien rôdé. Comme si les membres du Dragon Pourpre n'avaient pas de problèmes à maintenir ce lieu malgré les toxicomanes. Après tout, leur produit, bien dosé, apaisait les gens au lieu de les exciter.

Feignant de consommer, il n'en alluma pas moins la pipe tandis qu'un bruissement faisait bouger le rideau qui le séparait d'un couloir. D'une main, il en releva un pan et ne put que s'étonner de la personne qui venait de passer. Dans la démarche, celle-ci rappelait quelqu'un à Feng. C'est alors que cette dernière se tourna de trois-quarts pour fureter dans une des alcôves. Haoyu ? Les jambes du quarantenaire le redressèrent tandis qu'il ouvrait le rideau en grand. S'il avait eu la chance de trouver son neveu par hasard, c'était un signe du destin. Et il comptait bien le saisir.


Dernière édition par Feng Han le Dim 28 Jan 2024 - 18:04, édité 1 fois
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Fumer fait tousser… [avec Feng Han]


« À quoi bon ? » Le filet de fumée bleuâtre augmentait la sensation horripilante d’être scruté dans ses moindres faits et gestes. L’oniromancien Meng-Shi se mouvait avec le fardeau d’une culpabilité plus que présente. Ses épaules affaissées sous le poids de la contrition acerbe d’un acte absurde, Haoyu se sentait plus que jamais déconnecté d’une réalité honnie qu’il avait appris autrefois à apprivoiser par le fantôme du rêve ; mais aujourd’hui, quel que soit le nombre de fois où ses yeux se fermaient, nulle fantasmagorie souveraine venait le réconforter. Au contraire, il n’y avait plus que la suie et la cendre du voile du songe, révélant par la même l’étrange réalité de son acte. Il se rassurait néanmoins à penser qu’il s’agissait d’une illusion somnifère induite par la violence thébaïque d’une addiction qu’il ne se reconnaissait guère. La mâchoire crispée, il jetait un regard peu amène sur son environnement espérant qu’aucun regard indiscret ne soit lancé dans sa direction. Encore une fois, il fuyait le monde, emmitouflé dans son vêtement ample et distingué. Il rangeait alors sa pipe dans sa manche gauche ; un emplacement prévu à cet effet lui permettait de la saisir dès que l’envie le prenait.

« À quoi bon ? » Ses pas lui semblaient résonner dans la pièce principale, la première qu’il quitta pour son alcôve, tandis qu’il s’essayait à la furtivité. Les yeux habitués à la pénombre, il trouvait chemin comme s’il se déplaçait dans une demeure familière mais ses nerfs à vif le rendait nerveux. Que trop nerveux. Son geste le hantait, à vrai dire, et il sentait désormais les regards inquisiteurs sur lui. Ceux des Dieux ou ceux des Hommes, il ne le savait pas mais il n'en ressentait pas moins le poids accablant provoquant chez lui une honte angoissante. Son cœur battait anormalement vite et fort, pompant avec l’énergie du désespoir un sang teinté de crainte. Et, lorsqu’un bruit vint briser le silence opiacé, il se jetait au sol sans un bruit, les sens à l’affût du moindre signe hostile. « Par pitié… Par pitié… » Plusieurs hommes venaient d’entrer dans la fumerie : le gérant, probablement, installait un de ses complices derrière l’une des tentures mais l’oniromancien ne parvenait pas à voir laquelle. Le silence revenu, occasionnellement brisé par le sifflement crépitant des pipes, Haoyu se relevait doucement l’esprit partagé entre la paranoïa maladive d’un homme coupable et le calme du tueur chevronné. Il ne se sentait pourtant ni l’un ni l’autre. Il ne pouvait se comprendre que comme le jouet d’une fatalité sclérosée.

« À quoi bon ? » Combattant la prostration du repentant ou du déshonoré, il avançait courbé au milieu des couchettes mais la densité freinait son avancée ; il choisissait alors de rejoindre le côté de la pièce. Longeant les parois, il parvint auprès des alcôves pudiquement cachées derrière les voiles de tissus. Les sourcils froncés dans l’effort, la sueur odorante plaquant ses cheveux noirs contre sa peau, le torse luisant d’une angoisse contenue, il restait là à contempler le velum à la teinte marronée : une couleur vilaine pour un lieu vilain. A vrai dire, il cherchait le confort de l’azur. Le manque, déjà, le reprenait. Tremblements et fluxions le reprenait. Sa pipe, il reprenait. Le crépitement du madak consommé brisait ainsi le silence léthargique des morphinomanes mais il ne s’en souciait désormais plus. Mal assuré, il reprenait sa lente marche vers l’absolution – ou plutôt sa fuite. L’onirocrite ne se sentit pas effleurer le voilage d’une alcôve. Ce ne fut que lorsqu’elle s’ouvrit qu’il comprit son erreur. Mu par la peur, il se jetait tel un forcené sur son nouvel ennemi dans un cri de crainte viscérale étouffée. Il lui semblait, dans un éclair de lucidité, le reconnaître. « Qui es-tu, diable ? »

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Si on lui avait dit que dans cette journée les évènements qui allaient suivre se produiraient, Feng n'en aurait pas cru un mot. Il pensait que tout se passerait dans la discrétion la plus totale. Que les gens du Dragon Pourpre ne remarqueraient pas la supercherie de l'ancien officiel qui emmenait son neveu hors des lieux. En bref, que tout se passerait bien. Et voilà qu'il était dans le nid de la vipère, les yeux agressés par les vapeurs nocives de la drogue, désarmé pour partie et à la recherche de son foutu neveu. Jusque là rien de bien grave me direz-vous. Sauf que l'individu qu'il avait catalogué comme de sa propre filiation venait de le voir lui aussi. Et, avec un air plus apeuré que surpris et heureux de le revoir, il lui avait sauté dessus en grognant comme une bête acculée. Au delà du sentiment d'agacement et de colère qui monta en Feng, il fallait aussi bien se rendre compte que ces mouvements suspects risquaient sans doute d'attirer la sécurité. Aussi, dans un réflexe primal, le patriarche des Han affirma sa domination comme le faisaient nombre de primates. Arquant son bras en arrière, il le fit tournoyer horizontalement pour que sa paume ouverte vienne gifler son fieffé neveu. Il répondit peu de temps avant l'impact.

« Tu te rappelles de moi? C'est tonton. »

Nul doute que le jeune Haoyu, dans l'état second dans lequel il se trouvait, ne pourrait certainement pas comprendre un traître mot de la situation dans laquelle il se trouvait. Pour autant, quand les phalanges de Feng s'enfoncèrent dans sa joue, le parrain et oncle crut discerner une once de surprise dans ses yeux et, bizarrement, un zeste de lucidité. S'il n'avait pas été occupé à choir violemment au sol en s'écrasant de tout son poids, il aurait sans doute lâché un "Tonton ?!" plein d'entrain. Il n’en eut pas le temps ni le loisir. Le coup, qui aurait pu facilement assommer un chameau, aurait dû suffire à Feng pour mettre hors d’état de nuire, et de se nuire à lui-même, son neveu. Quelle ne fut pas surprise quand il vit le jeune homme secouer la tête et tenter de se relever sur ses bras. Ni une ni deux, il lui asséna un second coup dans le creux de la nuque, plus sec cette fois-ci et avec le poing bien fermé. Le corps de son neveu se détendit en un instant comme une poupée de chiffon et Feng entreprit alors de le traîner derrière l’un des voiles de tissu. Il comptait profiter d’un changement de gardes pour se tirer de là. Sauf que… A peine eut-il mis la main sur l’un des pieds de Haoyu, il vit du coin de l’œil un des deux malabars de l’entrée le regarder d’un air mauvais de l’autre côté du couloir. Pire encore, au lieu de crier ou de lui foncer dessus, il lui coula un regard méchant et vicieux qui n’augurait rien de bon. Il battit même en retraite. Où ? Feng ne voulait pas chercher à le savoir. Il souleva le jeune inconscient sur son épaule et prit son pouls de sa main libre. Il était vivant. Dans un état déplorable mais vivant. Il fallait maintenant sortir d’ici. La tangente fut prise à travers une des coursives par laquelle ils étaient venus avec son guide. Sauf que la course resta de brève durée. A peine eurent-ils fait une trentaine de pas qu’ils se retrouvèrent face aux deux malabars de l’entée, armés de bâtons cloutés.

L'ancien officiel ne se fit pas prier, il entama une charge effrénée, s’exposant à un dangereux premier coup de bâton qu’il esquiva sans trop de mal. Sa réponse fut plus rapide encore, il se baissa et récupéré la dague cachée qu’il avait escamotée jusqu’ici. Le second bonhomme frappa comme un sourd. Feng mit en opposition la fesse de Haoyu et trancha la main directrice sur le bas de la paume. Le bâton clouté tourna au sol tandis que Feng forçait le passage en faisant demi-tour. Face à ses adversaires, il les menaça de la pointe de la dague tout en reculant. La porte derrière lui, il la sentit grâce au corps mou de Haoyu qui venait de la heurter alors, d’un grand coup de botte, il l’enfonça, libérant l’espace dans une salve de lumière libératrice. Les deux gusses avaient l’air d’être furieux mais ils n’allèrent pas plus loin. En réalité, ils laissèrent même un espace entre eux pour laisser passer Darn. Celui-ci arborait un sourire pincé et froid. Une lueur d’amusement passa dans son regard tandis qu’il regardait la porte au sol d’un air blasé.

- Vous nous quittez déjà officier Han ? J’en suis navré. Votre patronage nous manquera. Je ne vous remercie pas cependant pour les immobilisations corporelles que vous nous coûtez. Et pour le rapt de notre meilleur client. Mais soit. C’était votre première expérience, nous mettrons cela sur votre absence de recul. Pour autant, nous vous enverrons la facture. Je compte sur vous pour que vous la régliez intégralement.

Que… Quoi ? Plein de questions se bousculèrent dans la tête de Feng. Les membres du Dragon Pourpre le connaissaient ? Et ils le laissaient partir comme ça ? L'idée d'avoir pu être démasqué avant même de venir ici lui fit courir un long frisson le long du dos. Il n'avait pas assez d'informations pour décider. Aussi, n’écoutant que son courage, ou plutôt sa stupéfaction la plus totale, il tourna les talons et partit en courant avec le second Han sur l’épaule. Le jeu venait de changer. Et il ne savait plus s’il en connaissait bien les règles. La prochaine étape pourtant ne changeait pas. Il allait avoir besoin d'argent. Le Dragon Pourpre n'était pas du genre à laisser courir ses débiteurs.
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