Plus le temps passait, moins Méria se sentait à sa place dans ce qui aurait du être sa maison. Prendre possession du grand skali par la force ne semblait mener à rien. À peine rentrée de Boréa, avec sa nouvelle associée dans les pattes, voilà qu'une nouvelle idiote la défiait devant l’entièreté du clan. Le soir venu, au lieu de ripailler et festoyer, elle avait donc du faire taire cette arrogante qui avait manqué de peu de passer l'arme à gauche. À mesure que les défis s’accumulaient, la patience de la Peste ne cessait de diminuer. Franchement remontée, elle n'avait donc pas prit le temps de décompresser et s'était endormi après avoir tellement bu qu'elle aurait pu en oublier son propre nom. Au matin, réveillée avec la gueule de bois, elle avait pris un repas rapide et était retourné au lit avant d'être immanquablement dérangée. Forcée de sortir de sa chambre, elle s'était assise sur le trône du skali pour écouter les rapports de ses guerrières sur la situation en son absence. Avec des petits yeux et sans grande motivation, elle écouta ce qu'elles avaient à dire. Pour la plupart, l'annonce de la traque d'un Work jaune menée à bien était une nouvelle formidable, mais pas pour la rouquine. Elle n'avait rien à faire des traditions des Skjaldmös, mais il fallait bien donner le change. Après une matinée qui lui sembla interminable, la pirate prit un repas sommaire et quitta le cadran pour rendre se changer les idées. Quand elle revint finalement chez elle, des heures plus tard, elle vit qu'un groupe de ses guerrières prenait à parti Jeyne. Tout en soupirant, la Louve, s'approcha.
« C'est une Louve de givre elle aussi, pas une étrangère, bande de demeurées.
- C'est une étrangère, comme toi. »
Haussant un sourcil, la Peste ne manqua pas de reconnaître la voix de Melkorka. Tournant la tête, elle salua la borgne avec un sourire mauvais.
« Eh ouais, c'est con hein ? Une étrangère, et ta Walkyrie. Celui qui la touche s'en prend directement à moi. C'est clair ? »
Malgré le mépris teinté de haine que lui inspirait Méria, la Skjaldmö ne répondit pas, se contentant de faire signe aux autres guerrières de la suivre. Lasse, la Louve dévisagea Jeyne quelques secondes. L'air de rien, la jeune femme haussa les épaules.
« Je leur ai dit qui j'étais, mais ça les intéressait pas. Étrangère ceci, étrangère cela, elles n'avaient que ce mot à la bouche. Elles seraient pas un peu racistes par hasard ?
- Un peu ? C'est des putains de vieilles réactionnaires ouais ! Pour elles y'a que les traditions et le clan. D'un ennui mortel...
- Leur communauté semble forte et soudée.
- Ouais si on veut.
- Ce qui explique pourquoi nous n'y avons pas notre place.
- Hum. Bon reste pas là, suis moi. »
Ensemble, les deux femmes prirent la direction des quartiers de Méria, sous l’habituel regard inquisiteur des autres membres du clan. Évoluer sur un terrain à ce point miné commençait à devenir de moins en moins drôle avec le temps. Refermant à clé la porte de sa chambre une fois Jeyne entrée, la Peste ouvrit une bouteille de rhum avant de s'allonger grossièrement sur son lit.
« Bon, c'est pas tout, mais on a des choses à se dire. »
Opinant du chef pour signifier son approbation, la bâtarde du Gila se servit un verre avant de tirer une chaise vers elle et la retourner pour s'y asseoir.
« On a pas eu trop de mal à mettre la main sur le fruit. Maintenant ses pouvoirs sont à toi, ça c'est bien, mais il va falloir parler de la suite.
- La suite c'est la mort de Maximilian et moi qui monte sur le trône à sa place.
- Oui, ça tu me l'avais déjà dis, mais c'est vague.
- Nous devrons infiltrer la capitale puis le palais, nous rapprocher du roi pour que je puisse l'étudier de près et savoir au mieux comment le singer le temps de la transition.
- Effectivement, ça semble plus prudent.
- J'y arriverai.
- Probable, mais y'a un truc qui me dérange.
- Quoi donc ?
- Le pouvoir, il sera entre tes mains. Tu sais bien sûr ce qui t'attendra si tu fais l'erreur de me trahir, mais ce n'est pas la question. Je ne suis pas une femme de l'ombre, j'aime être sur le devant de la scène.
- J'ai peur de comprendre.
- C'est ça, une fois que tu seras dans les bottes du roi, tu devras faire de moi ta reine. On partagera le pouvoir ensemble, à peu près équitablement.
- Hum. Et je suppose que ce n'est pas négociable ?
- Pas vraiment, non. »
Songeuse, Jeyne fixa de longues secondes sa capitaine avant de détourner le regard. Après une minute et la moitié de son verre avalé, elle soupira avant de hocher une fois la tête de bas en haut.
« Très bien. De toute façon mes chances de succès sont bien trop mince sans ton appui.
- C'est pas faux.
- Le truc, c'est qu'il va y avoir un problème le moment venu.
- Dis moi.
- Boréa n'est pas directement sous le giron du Gouvernement mondial, mais le royaume est membre du Conseil des Nations.
- Et ?
- Jamais ils n'autoriseront qu'une pirate, primée de surcroît, prenne possession d'un royaume qui leur est fidèle.
- Je serai reine.
- Peut-être, mais ça ne sera pas suffisant. La Marine sera mobilisée, ils viendront te capturer par la force, ou bien ils enverront des agents du Cipher Pol s'en charger en douceur.
- On pourra toujours négocier.
- Pour négocier, il faut avoir des cartes dans sa manche, or nous n'en avons pas. Quoique... Il y aurait bien un moyen, mais ça ne va pas te plaire.
- Explique toujours, on sait jamais.
- Il y a des pirates que le Gouvernement et laisse en paix.
- Ceux qui ont la tête tranchée.
- Aussi. Non, je fais allusions aux Sept.
- Les Capitaines Corsaires ?
- Oui.
- Tu rigoles j'espère ?
- Non, pas le moins du monde.
- Attends, attends, attends, laisse moi résumer. Ta solution miracle c'est de devenir l'une des Sept ?
- C'est ça.
- T'ES FOLLE OU QUOI ?!? »
Excédée, la Peste venait de se lever d'un bond de son lit avant de jeter son verre encore rempli au sol. D'un geste vif, elle attrapa Jeyne par le col et la plaqua contre le mur. Son visage presque collé à celui de la fille du Gila, elle semblait sur le point de la tuer, ou peut-être de l'embrasser, c'était assez dur à dire.
« Tu penses que je suis une traître ?
- Il n'est pas question de trahir.
- Bah oui, bien sûr. Va dire ça aux libres capitaines de la cité !
- C'est la seule solution, je...
- Je perdrai tout si je fais ça ! Mon cadran ? Envolé, ils le reprendront. Mes liens avec les libres pirates ? Jetés aux ordures !
- Et alors ?
- Et alors ? Tu oses le demander ?
- Tu gagneras bien plus en un mois comme reine de Boréa que capitaine sur Armada en un an. Et puis c'est toi qui veut le titre, il suffit de me laisser diriger si ça ne te plaît pas. »
Pas habituée à ce que que ses guerrières lui tiennent à ce point tête, Méria marqua un temps d'arrêt. Pendant quelques longues secondes, Jeyne put penser que la fin était proche, mais au lieu de ça, la Peste sembla se radoucir. Relâchant les vêtements de sa subordonnée, elle s'écarta d'un pas en arrière en plissant les yeux. Visiblement, sa curiosité l'avait emporté.
« Continue.
- Les Sept sont libres de faire à peu près tout ce qui leur chante tant qu'ils n'attaquent pas le Gouvernement mondial et ses ressortissants. Ils peuvent chasser des pirates sans valeur et empocher les primes sur leurs têtes.
- Mais tout le monde les déteste.
- Depuis quand la louve s'intéresse-t-elle à l'avis du mouton ?
- Hum. C'est sûr.
- En devenant capitaine corsaire, tu pourrais te vendre au Gouvernement, du moins sur le papier. Contre ça, je suis prête à parier qu'ils accepteraient de te laisser ton titre. Bien plus qu'à l'heure actuelle, cela leur donnerait du poids sur le Royaume. Et puis ça leur éviterait une guerre longue et coûteuse sur place.
- Peut-être. Mais tu le dis toi-même, ça voudrait dire me vendre à eux. J'aime ma liberté.
- Je ne vais pas te mentir, ça serait une vraie concession, mais c'est pas un contrat dans le sang, rien ne t'empêche de revenir plus tard dessus. Et puis y'a vraiment gros à gagner.
- S'en mettre plein les fouilles ou rester libre. J'essaie généralement de faire les deux.
- Et puis, la Marine ne serait plus après toi non plus. »
Le dernier argument ayant fait mouche, Méria retourna s'asseoir. Il était vrai que, récemment, c'était les agents du Gouvernement Mondial qui avaient manqué de peu de la capturer. Cela faisait longtemps qu'un autre pirate ne l'avait pas mis dans une situation aussi périlleuse. Le simple fait de repenser à son humiliation sur Lynbrook à cause d'un agent du Cipher Pol suffisait à rendre la chose intéressante.
« Très franchement. Je sais pas. Et puis de toute façon, les corsaires sont déjà sept.
- Qu'importe. Il suffira de se faire une place.
- Plus facile à dire qu'à faire.
- Je suis sûre que non. »
Tout ça valait-il vraiment le coup ? Trahir des pirates n'était pas bien grave en soi, après tout, Méria était déjà connue comme étant la Peste et il était de notoriété publique qu'elle avait fait acte de mutinerie au sein de l'équipage d'Aoi. Seuls les idiots étaient tenus par des bêtises telles que la loyauté ou une quelconque fidélité à la cause. Elle n'était pas de ceux là. Perdre son cadran sur Armada posait problème, mais si c'était pour l'échanger contre un royaume tout entier, l'échange semblait finalement bien plus agréable. En revanche, servir de chien pour le Gouvernement Mondial et ne plus pouvoir faire absolument tout ce qu'elle le voulait quand elle le voulait était un véritable sacrifice. Pouvait-elle en accepter un d'une telle ampleur ? Telle était la question. Songeuse, la Peste continua d'abord d'y réfléchir autour de plusieurs bouteilles en compagnie de Jeyne. Plus tard, une fois cette dernière partie, elle continua d'y songer seule. Sa cupidité était-elle assez grande pour justifier tout cela ? De la même manière qu'une jeune femme réfléchissant à accepter ou non de sortir avec un garçon, la pirate fit donc une liste mentale des pour et des contre. Durant de longues heures durant, elle ne cessa de ressasser les choses, examinant ses possibilités, réfléchissant aux conséquences, aux gains éventuels. Elle remua tellement le tout qu'elle s'en fit mal à la tête. Au petit matin, elle n'était toujours pas décidée. Puis vint une nouvelle soirée avec Jeyne, toujours plus d'alcool et de réflexions. Le même schéma se répéta sur une semaine entière. Finalement, à contrecœur, la Louve décida de tenter le coup. Pariant son avenir comme pour une partie de cartes, elle accepta de vendre son âme au diable et de succomber entièrement à sa cupidité.
ciitroon
Liberté, Liberté Chérie !