Naviguer sur l'Archipel Shabondy était toujours une drôle d'expérience. Ses arbres étranges, ses bulles géantes aux multiples usages, et son existence seule, tout cela contribuait à en faire un endroit vraiment différent des autres. D'un autre côté, c'était aussi quelque chose qu'on pouvait dire pour la majorité des îles de la route des tous les périls. Mais justement, cet endroit n'en était pas vraiment une. Qu'importe, Méria n'était de toute façon pas là pour jouer les touristes. Pour tout dire, ce n'était même pas sa première visite sur place. Peu de temps auparavant, elle avait d'ailleurs tiré un très bon prix d'une vente d'esclaves. Le monde était décidément bien petit.
« Il va pas aimer.
- Et alors ? On vient pas se faire un allié.
- C'est pas faux. »
Attaquer la propriété d'un fou furieux notoirement cruel comme Joe Biutag était un parti risqué. Si l'on prenait en compte sa cupidité légendaire, son caractère sulfureux et sa position de capitaine corsaire, c'était même une véritable folie. Qu'à cela ne tienne, la Peste se dirigeait malgré tout vers sa boutique d'esclaves à la tête des deux navires de son équipage. Ensemble, les Louves de Givre allaient une fois encore semer la mort et la destruction. Mais pourquoi agir ainsi ? Pourquoi s'attirer délibérément les foudres du Cafard ? Après tout, c'était le meilleur moyen de le voir se jeter aux trousses des pirates d'Armada. Alors pourquoi ? Précisément pour qu'il vienne à elles. Dorénavant convaincue de la nécessité de devenir corsaire pour le Gouvernement mondial, Méria devait libérer une place dans leurs rangs. Malheureusement pour Biutag, c'était sur lui que la Peste avait porté son dévolu. À vrai dire, Jeyne, sa nouvelle seconde, l'y avait pas mal aidé, mais c'était un détail pour la Louve.
« On est plus très loin. Que les guerrières se tiennent prêt à agir à mon signal une fois sur place.
- Je passe le mot à Melkorka et Hedda.
- Ouais, et fais gaffe à ton petit cul, t'es trop précieuse pour me claquer dans les pattes. »
Après un léger ricanement, Jeyne haussa les sourcils avant de fausser compagnie à sa capitaine. Depuis qu'elle avait mangé le travesti fruit et qu'elle pouvait prendre l'apparence de n'importe qui, la jeune pirate aux cheveux gris était devenu la pierre angulaire du plan de Méria pour prendre le contrôle du royaume de Boréa. C'était pour cela qu'elle se trouvait ici, pour cela qu'elle allait blesser et énerver ce qu'elle ne pouvait pourtant pas tuer. En d'autres termes, Jeyne n'avait tout bonnement pas le droit de mourir avant d'accomplir sa tâche.
Après un peu moins d'une demi-heure, les pirates arrivèrent à destination. Très proche de l'eau, la boutique Enchaînés et à vendre n'était pas très fréquentée, mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'elle n'était pas lucrative, loin de là même. Joe avait simplement la présence d'esprit de faire les choses discrètement, même dans un endroit pareil. Descendant la première, Méria avança en direction l'entrée de l’établissement, accompagnée seulement de deux guerrières. Sur place, Hillen, la vendeuse habituelle de la boutique, était accompagnée d'un gros tigre en train de dormir. La pirate n'arrivait pas à se souvenir du nom du félin, mais il était déjà là la dernière fois qu'elle était venu. Penchée sur ses avants bras derrière un mélange entre un comptoir et un bureau, la jeune femme leva les yeux vers la rouquine.
« Bonjour.
- Salut.
- Ah tiens. Hum, Meira c'est ça ?
- Méria.
- Ah oui, pardon, je me souviens de toi, tu étais venu avec une ange.
- Ouaip.
- Piteux état mais on a tiré un bon prix pour le patron. T'as de nouvelles têtes en stock ?
- C'est ça, ouais.
- Très bien, tu peux les amener. »
Se tournant lentement vers ses navires, la Peste siffla en s'aidant de ses doigts. Une vingtaine de skjaldmös déguisés en captives furent alors emmenées vers l'établissement, escortées par leurs collègues en armes. Le coup classique du faux prisonnier. Classique, certes, mais toujours efficace. Pendant que les femmes avançaient, Méria se pencha vers la vendeuse.
« Dis, j'ai une question.
- Je t'écoute.
- À ton avis, entre un loup et un tigre, qui gagnerait ? »
Fronçant les sourcils l'air perdue, Hillen jeta un regard au félin qui dormait non loin. Après avoir fait mine de réfléchir, elle leva les épaules en l'air.
« Le tigre je suppose. C'est tout ce que tu as amené avec toi ? Elles sont pas nombreuses.
- Hein ? Ouais c'est tout. Le tigre tu dis ?
- Peut-être bien oui.
- Petit conseil d'amie, toujours miser sur la louve. »
Face à l'incompréhension de son interlocutrice, la Peste se contenta d'afficher un large rictus. Sans crier gare, elle prit sa forme animale, devenant une imposante louve au pelage rouge et entourée de flammes froides. Sentant un danger non loin, le tigre se réveilla en sursaut avant de feuler avec puissance. Ne lui laissant pas la moindre chance, la maudite se jeta sur lui gueule en avant. Ses crocs acérés comme des lames vinrent transpercer la chair du félin au niveau cou. Refermant sa mâchoire avec force, elle tua net sa cible. Relâchant le tigre elle tourna son visage bestial vers la vendeuse qui hurla de terreur avant de tomber en arrière à la renverse. Satisfaite de son entrée en scène Méria hurla à la manière des loups pour donner le signal à ses guerrières. L'instant d'après, les skjaldmös, qu'elles soient déguisées se ruèrent à l'intérieur de l'établissement pour lancer l'attaque. Reprenant forme humaine, la Peste dégaina une dague et se rua vers Hillen qui tentait de fuir. Sans ménagement, elle la saisit par le cou et lui planta son arme dans le ventre. L'idée n'était pas de la tuer, même si elle en donnait l'impression. Au dernier moment, la pirate avait fait en sorte de bifurquer légèrement la pointe de sa lame pour éviter de toucher le moindre organe. La pauvre vendeuse aurait mal, terriblement mal et elle saignerait, mais elle ne mourrait pas. Une fois le coup porté, Méria laissa même son arme dans le corps de sa victime pour éviter que l'hémorragie ne soit trop importante. Relâchant sa victime qui alla s'écrouler au sol, la capitaine des louves de Givre alla rejoindre les siennes. Les hostilités étaient lancées.
ciitroon
Liberté, Liberté Chérie !