Retrouvailles et nouveau départ
La main d'Hayato poussa le vantail de la porte en bois. Cette dernière s'ouvrit dans un grincement infime, ce qui permit au vagabond d'apprécier la scène qui s'offrait à lui sans qu'on le remarque immédiatement. Le bar de Joris avait bien changé, depuis qu'il l'avait aidé à l'acquérir à l'état de ruines ! Dans une pièce tout en longueur, un escalier de bois en colimaçon s'élevait sur sa gauche. Il amenait à une mezzanine qui offrait une vue plongeante sur la salle principale. Tout de suite après l'escalier s'étendait un long bar, dont le zinc était déjà inondé de commandes multiples. Derrière le comptoir, un petit trentenaire au teint halé et aux cheveux noirs hirsutes souriait à pleines dents, en lavant un verre avec un torchon blanc. Il observait les énergumènes qui, pourtant seulement au nombre de cinq, suffisaient à mettre autant d'ambiance qu'une salle comble !
- … Et là, j'vous jure que c'est vrai ! continuait Adonis d'un air aviné. Héhéhé ! Hayato lui a sorti sans broncher : « Ça m'embêterait de mourir aussi. ». Le pirate savait plus où se mettre ! Vous auriez vu sa tronche !
- Ça lui ressemble bien ! surenchérit Katrina.
- De l'asperge tout craché... soupira Matsuno.
Alors que ses propres hommes se moquaient de lui, il ne put s'empêcher de sourire en se remémorant cette aventure. Effectivement, sortie du contexte, la réaction semblait déconnecté de la réalité ! Mason, l'ex-pirate solitaire, continuait d’enchaîner les idioties comme à son habitude, entraînant l'ex-chasseuse de primes et l'ancienne médecin de Zaun avec lui. Ils étaient accoudés à l'une des nombreuses tables qui s'éparpillaient dans l'établissement. Au fond de la pièce, assis à une table avec une feuille devant lui, Tartys écoutait d'un air distrait, avec malgré tout un sourire aux lèvres. Fiona surgit soudain d'une porte, derrière le comptoir, en portant une plaque garnie de petits pains fumants.
- Elle est pas mal ta cuisine, Joris ! Par contre, j'ai pas trouvé assez de...
Elle stoppa sa phrase en plein milieu, lorsque son regard croisa celui d'Hayato. Ce dernier sourit à s'en faire plisser les yeux, avant de lever la main en guise de salutation. Immédiatement, la cuisinière au tempérament sanguin posa la plaque à même le zinc, retira ses gants et se précipita vers l'épéiste. Elle lui sauta dans les bras, manquant de le renverser par la même occasion. Alors qu'elle le serrait de toutes ses forces, ils rirent aux éclats... jusqu'à ce que la jeune femme ne lève le poing et ne l'abatte sur son crane :
- C'est toi qui donne le rendez-vous et tu trouves le moyen d'être en retard ! T'es sérieux ?!
- J'ai eu quelques complications en chemin, s'excusa en riant Hayato.
Il fit semblant de se masser le crane, malgré le peu de force qu'avait mis Rougui dans sa pseudo attaque. Cette dernière redescendit, puis lui donna un coup de coude dans les cotes, après avoir jeté un coup d'oeil derrière lui :
- Ouais, ouais... « des complications », hein...
- ANIIIIIIIKIIIIIIIII !
Cette fois-ci, sous le poids de Mason, Hayato s'affala par terre, tandis que Matsuri s'écartait sur le coté sans vergogne, pour le laisser choir. L'ancien forban, à moitié soûl comme à son habitude, pleurait à chaudes larmes en le serrant contre lui :
- Tu m'as manqué, putain ! Des années qu'on s'est pas vus ! ANIIIIIIIKIIIIIIIII !
- Oui, Adonis, c'est vrai que ça fait un sacré bout de temps, ricana le principal intéressé. Je... j'aimerais quand même me relever.
- Ah ouais, pas con ! réalisa-t-il en semblant retrouver ses esprits.
Une main secourable l'aida à se remettre debout et, une fois de nouveau bien campé sur ses jambes, il reçut une tape sur l'épaule. En tournant la tête, il aperçut Katrina qui, les yeux pétillants, lui adressa un grand sourire avant de lancer :
- La rouquine a raison, t'es chié d'être en retard... mais je suis contente de te revoir !
- Moi aussi, Dash, je suis ravi de tous vous retrouver.
Derrière les trois fortes têtes, Medusa et Tartys s'étaient levés et attendaient quelques pas plus loin, dans un calme relatif. La médecin fut la première à commenter la scène devant elle :
- Regarde-moi ça. Des coulées de guimauves à n'en plus finir... J'ai l'impression qu'on est les deux seuls à être professionnels, hein Tartys ?
- Ça m'en a tout l'air, répondit l'ange.
Après un bref instant de silence, une veine commença à pulser sur le front de la petite femme-vipère. Elle leva finalement un poing vibrant, avant de pratiquement hurler :
- Mais vous allez finir par le laisser rentrer, ouais ?! Y'en a d'autres qui voudraient lui passer un savon pour son retard !
- Ou... juste lui dire bonjour ? tenta l'ange, avant de se rétracter devant le regard de Matsuno.
Lorsque le chef de clan eut fini de se faire houspiller pour avoir fait attendre tout ce beau monde, ils purent refermer la porte du bar et retrouver un semblant de tranquillité. L'épéiste salua Joris d'une poignée de main, avant de se tourner vers sa nouvelle famille. Tous oscillaient entre Matsuri et Hayato, tant et si bien qu'il finit par se racler la gorge :
- Je vous présente Matsuri. Je l'ai rencontrée ce matin sur les quais de Luvneel, en même temps que...
La porte s'ouvrit la volée.
- Où est-ce qu'il est ?! J'ai senti son odeur ! GRAOU !
Avant qu'il ne puisse réagir, le mink de plus de deux mètres de haut l'avait empoigné et frottait sa joue poilue contre la sienne.
- GARUCHUUUU ! OKASHIRA !
- Garuchu, Zack, répondit Hayato, toujours aussi gêné par cette habitude.
Alors qu'il tentait de se débattre, sous l'hilarité générale, le son d'un livre qu'on ferme brutalement s'éleva depuis l'étage. Des bruits de pas descendirent de l'escalier et, enfin, une voix qu'Hayato ne connaissait que trop bien lança :
- En retard pour la première réunion... ça promet !
- Toi aussi tu t'y mets, Kong ? Si vous me laissiez le temps de m'expliquer, vous verriez que j'ai une bonne raison ! se défendit le chef de clan en riant.
Sous les moqueries et les huées de son équipage, Hayato se sentit rougir. Il n'avait que deux jours de retard, par rapport à ce qu'il leur avait annoncé ! Ou plutôt déjà deux jours, de leur point de vue... Pour quelqu'un qui voyageait à vue, sans aucun moyen de locomotion personnel, il ne s'en était pas si mal sorti pour une traversée de tout North Blue. Surtout que ces quarante huit dernières heures avaient été riches en émotions ! Et, surtout, il arrivait préparé. La voix de Joris les tira de leurs chamailleries :
- Avant toute chose, je tenais à vous offrir ma tournée !
- GLOIRE A JORIS ! s'exclama immédiatement Adonis, en le prenant dans ses bras.
Tandis que tout le monde attrapait une chope, Hayato profita du calme relatif pour leur présenter la jeune femme qui restait discrète depuis tout à l'heure :
- Je disais donc ! Je vous présente Matsuri. C'est une jeune femme pleine de ressources qui va nous aider dans le premier mouvement de notre clan ! Elle...
- Bienvenue à Matsuri dans la famille ! tonna Adonis, avant de recommencer à boire. KAMPAI !
- Un toast pour le clan !
- GARUCHUUUU !
Au milieu des sons de déglutitions, des câlins intempestifs et des vivas, l'épéiste soupira, avant de se joindre à l'hilarité collective.
- J'abandonne, éclata de rire Hayato.
Tandis qu'il trinquait avec eux, le chef de clan se sentit revivre, pour la première fois depuis des années. Après toutes ces années, depuis l'assassinat de son père adoptif, Hayato avait retrouvé une famille. Et cette sensation de plénitude, il ne voulait plus jamais la perdre.