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Tempête de sable

Tempête de sable



Laisse ton regard trouver le détail
Laisse ton oreille entendre la faille




Au cœur de l'agitation du plus grand marché de Madinat, se tenait un petit stand exposant divers tissus et vêtements. En bois clair, il était couvert de tentures chatoyantes qui attiraient l'oeil des passants par la vivacité de leurs teintes. Une flopée de breloques brillantes étaient suspendues à son débord de toit. Ces anneaux, pendentifs et morceaux de fer ou de verre, souvent ouvragés en formes géométriques, renvoyaient les rayons du soleil, projetant ainsi des centaines de petites tâches de lumière colorées en tous sens. C'était presque féerique.
Les habitués du marché et autres promeneurs s'arrêtaient pour admirer cette nouvelle curiosité. Nombreux étaient ceux qui s'extasiaient face aux vêtement de haute couture présentés sur des croix de bois ou accrochés à des cintres. La qualité de leurs tissage et leurs coupes travaillées ne laissaient pas de doute quant au talent de leur créateur. On voulait toucher les étoffes précieuses, essayer les tenues et frôler de sa tête les drôles de décorations qui ornaient la boutique éphémère.
Au milieu de toute cette agitation, Reda tâchait de garder l'oeil ouvert. Il craignait les vols et n'avait pas l'habitude de travailler ainsi, dehors, entouré de badauds de toutes sortes. Le calme de sa boutique à Nanohana lui manquait déjà, ses riches et distingués clients également...Mais il n'avait pas le choix : pour payer son voyage, il allait devoir travailler de cette façon fort déplaisante.

Faites attention, Monsieur, c'est fragile...murmura-t-il à un homme qui était en train de tripoter une des suspensions en verre. L'objet tournoyait au-dessus de sa tête et semblait beaucoup l'amuser. Peut-être souhaitez-vous l'acquérir ?

- Ah ! Pardon ! Non, je regardais juste. C'est marrant ces machins...

Ils viennent de Nanohana.

Ah ? D'accord...

- C'est de là que vous venez, n'est-ce pas ? Intervint une femme d'un âge mûr, apparemment très intéressée par l'un des kimonos de soie qui était exposé.

On ne peut rien vous cacher, Madame. Répondit le marchand en lui adressant un sourire (faussement) radieux. Reda Jallab, pour vous servir...Ajouta-t-il en exécutant une petite courbette pour se présenter.

Comme c'est charmant !

Cela faisait une bonne semaine que ce marchand s'était installé dans le coin. On disait qu'il venait d'Alabasta et que c'était un doux enjôleur, ce qu'il venait de confirmer. Il semblait humble et heureux de partager son art avec la population d'Imashung.

- Dites-moi, fit-elle la vieille dame en se penchant un peu vers lui d'un air amusé, certains prétendent que vous avez été le couturier officiel des Nefertari. Elle lui sourit innocemment.

- Hé bien...Une de mes créations est effectivement dans la garde-robe de la reine Nefertari, Madame. Mais je serais bien prétentieux et menteur de me considérer comme le couturier officiel de la cour ! Ce n'était qu'une commande ponctuelle à laquelle j'ai humblement répondu.

La curieuse resta bouche bée. Elle s'était attendue à un démenti total de cette rumeur et était parfaitement stupéfaite d'apprendre qu'une partie était vraie.

- Vraiment ?! S'exclama-t-elle en manquant de s'étouffer.

Reda sourit et exécuta une nouvelle courbette. C'était plutôt bon pour ses affaires alors autant en profiter. La vieille dame bouscula un peu l'homme qui jouait toujours avec les breloques et s'empressa de montrer au vendeur tout l'intérêt qu'elle portait désormais réellement au kimono.
Il était simple, plutôt court, blanc, avec un majestueux motif d'arbre brun qui courait de la hanche droite jusqu'au coude du même côté. Le fin obi (ceinture) qui le fermait était brun lui aussi, avec quelques lignes dorées. L'ensemble logiquement ample et droit dans la coupe proposait cependant un col volontairement plissé sur tout son contour, ce qui rendait le vêtement innovant.

- Voulez-vous l'essayer, Madame ? Il est à 70 000 berries, mais vous m'êtes sympathique donc je peux vous le faire à 65 000 si vous le désirez...

Reda conclut rapidement l'affaire et empocha les berries. Cette vente attira d'autres clients qui vinrent s'agglutiner autour du stand. Enfin, après quelques heures de chahut, le marché se vida quelque peu et le jeune homme put enfin se permettre de s'asseoir sur le petit tabouret de bois qu'il avait emporté. Toujours visible derrière son comptoir et ses étoffes, il croisa les jambes et ferma les yeux une poignée de minutes.
Madinat lui plaisait, malgré son aspect chaotique. Ici, il réussissait à vendre sa marchandise et à glaner des informations assez facilement. Les gens étaient agités, certes, mais également très bavards, ce qui l'arrangeait bien. Pour retrouver la trace de l'équipage qu'il recherchait, il avait d'abord pensé se rendre dans la crevasse d'Accham. Malheureusement, la caravane qui l'avait ramassé à son arrivée ne se rendait qu'à Médinat. Un mal pour un bien peut-être ? Il valait mieux voir les choses ainsi. Après tout, il avait aisément trouvé une chambre potable dans l'auberge du Voldétourneaux et obtenu dès le deuxième jour l'autorisation d'exposer son art au marché. C'était assez inespéré ! Et puis, cela lui permettait de brouiller les pistes quant à son périple et d'éviter ainsi ses anciens clients et les membres de sa famille susceptibles de tenter de le ramener à Alabasta.
Reda soupira. Qu'avait-il appris depuis son arrivée ? En évoquant le capitaine Rud Von Rift dans différents pubs, il avait réussi à apprendre que son navire se nommait la Vandale et que c'était une caravelle, choses qu'il avait complètement oubliées avec le temps. Il avait également entendu que son équipage avait bel et bien appareillé à Imashung onze ans plus tôt et qu'il avait créé du remue-ménage au port principal de l'île à cause d'une sombre histoire de barils de rhum volés. Là, Reda n'avait pas tout compris, aussi avait-il gardé sur un calepin le nom et l'adresse de l'ivrogne qui lui en avait parlé, histoire de pouvoir avoir une nouvelle discussion avec lui à un moment plus opportun. Par contre, il avait beau décrire sa soeur, personne ne semblait l'avoir croisée. Son nom ne disait rien à personne.

Rouvrant les yeux, le marchand se massa un peu la nuque et quitta son tabouret pour venir s'adosser à une des poutres latérales de sa boutique. Il remit en place les multiples bracelets de ses poignets qui avaient tendance à remonter sur ses avant-bras et entreprit de faire de même avec ses nombreux colliers. 
KoalaVolant
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Tempête de sable
- " Île en vue !! " Se fit entendre avec entrain la voix de mon partenaire qui se trouvait perché au sommet de l'un des mât du navire depuis maintenant plusieurs heures.

À l'annonce de ce dernier, le reste de l'équipage se précipita contre le bastingage de l'Irrévérence afin de découvrir ce nouveau lieu qui nous attendait. Tous, sauf moi. Assise sur le pont dans le plus grand silence, j'observais sans bouger ce bout de terre que l'on commencé à distinguer à l'approche de ce dernier.  

La végétation s'y faisait particulièrement rare et on pouvait y voir du sable à perte de vue. Tout ici-bas me ramenait à de vieux souvenirs lors de mes premiers pas en tant que novice du Cipher Pol. En compagnie de l'agente de renom, Amaryllis, a qui on avait confié la mission de rapporter un lapin du désert pour assouvir le caprice d'un Dragon Céleste - Et oui encore un - je m'étais retrouvé embarquée à chasser ce pauvre animal dans les terres arides d'Alabasta. Mais ce que j'en avais surtout retenu de cette expérience, c'était que le désert était grossier et qu'il y régnait une chaleur insoutenable comme l'intérieur d'un four.

L'idée même d'y mettre seulement un orteil ne m'enchantait guère. Blasée d'avance par ce qui nous attendait, je préférais pour le moment ne pas trop y penser, reportant mon attention sur l'objet que je tenais en main. Il s'agissait là d'un petit instrument de musique que notre petite bricoleuse avait pris par mégarde dans ses affaires. Alors qu'elle avait tentée de s'en débarrasser par le fond, je lui avais saisi des mains pour le sauver du grand plongeon. Intéressée par ce dernier qui n'était autre qu'une flûte en bois, j'avais décidée de le garder pour moi.

Jusqu'à aujourd'hui, je ne l'avais jamais ressorti, le laissant tranquillement trôner sur la table de chevet de ma chambre. Mais je ne sais pour quelle raison, depuis mon réveil, celle-ci ne me quittait plus. Comme si l'instrument à vent m'avait envoûté, je ne cessais de le regarder et de le tripoter dans tous les sens. Il faut dire que ce genre d'objet ne m'était pas inconnu. Petite, j'avais déjà eu le plaisir d'écouter mon père nous en jouer un morceau le soir. Le son qui s'en dégageait alors était toujours un véritable ravissement pour toute la famille qui l'écoutait sans un bruit. Passionnée par ce tout petit bout de bois sculpté, j'avais un jour essayé d'en faire à mon tour. Et à la surprise de tout le monde, il s'avéra que j'étais particulièrement douée. Ce qui faisait la fierté de mon père, heureux de m'avoir légué ce don.

Néanmoins, cela faisait tant d'années que je n'en avais pas touché une que je ne comprenais pas mon intérêt si soudain pour celle-ci. Peut-être y avait-il un lien entre le fait que mes parents me manquaient terriblement. Et que je ne cessais de me demander comment ils pouvaient aller. S'ils savaient pour ce qui est arrivé à Kuro.

Soupirant à cette simple idée qui leur aurait brisé le cœur, je basculais légèrement la tête en arrière pour fixer le ciel azure que la nature nous octroyer aujourd'hui. Puis, après un bref moment de réflexion, je reportais une fois de plus mon attention sur l'objet qui cette fois-ci fut saisi par le bout de mes doigts de métal. Délicatement, au milieu de mes amis qui s'afféraient à tout mettre en place pour accoster sur l'île, je portais l'instrument à mes lèvres qui lui pincèrent le bec. S'ensuivit ensuite, un souffle court et régulier qui commença à donner vie à la flute, dont un son mélodieux en sortie. Agitant mes doigts avec maîtrise sur les arrivées d'air qui la composée, je bouchais et débouchais ses dernières avec habilité, donnant corps à de douces notes qui s'enchaînèrent pour former un morceau.


Mes yeux se fermant d'eux-mêmes, je me laissais complètement aller à cet air mélancolique qui me ramena des années en arrière. Dans cette réconfortante demeure sur Cocoyashi qui m'avait vu grandir et où les jours y furent paisibles. Une époque qui me navrait de ne plus connaître en ce jour.

La dernière note de cette balade s'en allant mourir dans un silence de mort, j'ouvris doucement les yeux avant de me rendre compte que plus un bruit ne se faisait entendre sur le pont du bateau. Surprise, je fronçais légèrement les sourcils en me demandant ce qui pouvait bien se passer. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que mes camarades, au son de ma berceuse s'étaient arrêté dans leur tâche respective pour m'observer et m'écouter jouer. Quelque peu gênée par leurs regards braqués sur moi, j'enfonçais légèrement la tête dans mes épaules tout en fuyant leur yeux plein d'admiration pour ma prestation.

Sans un mot à leur encontre, je me relevais brusquement après quelques secondes qui me parurent durées des heures. Prenant la fuite pour ne pas affronter leurs questions auxquelles je ne me sentais pas la force de répondre, je pris appuie sur le bastingage pour bondir sur l'île sous les yeux médusés de mes compagnons, tandis que le navire finissait de s'y amarrer.

Une bonne heure plus tard, c'est en la compagnie seule de Kant que je me retrouvais à arpenter le désert en direction de la première ville que l'on croiserait. Étant aujourd'hui recherché pour crime, avec une prime sur nos têtes, la décision avait été prise de laisser mouiller le plus loin possible au cas où nous serions tombés sur une île appartenant au Gouvernement. Comme je m'y attendais, la chaleur y était harassante et la moiteur de la sueur ne se fit pas attendre pour perler sur mon front. Cependant, je n'étais clairement pas la plus à plaindre.

- " Raaaaaaah ! Il fait trop chauuuuuuuuud ! " Se plaignit le lutin, la tête penchée en arrière avec sa petite langue rose desséchée qui dépassait de sa bouche tout en traînant les pieds dans le sable chaud. " J'ai soiiiiiiiiiiiif ! "

- " C'est pas en râlant que ça ira mieux, crétin. " Ne puis-je me retenir de lui balancer avec une légère pointe de méchanceté dans la voix après l'avoir entendu se plaindre depuis qu'il m'avait rejoint en courant, laissant la charge de l'Irrévérence à nos deux amies restée sur place. " T'avais qu'à pas oublier de prendre ta gourde aussi... "

Sur ces mots, un bruit de succion se fit entendre de mon côté. Interpelé par ce dernier, Kant me regarda du coin de l'œil pour me voir siroter tranquillement à la paille un bon jus de mandarine bien fraîche que je gardais continuellement à la ceinture. Soudain, la bave aux lèvres et regardant ma gourde comme s'il s'agissait de son salut, ce dernier me fit face, m'obligeant à m'arrêter pour ne pas le bousculer.

- " Donne ! " M'ordonna-t-il en s'en saisissant sans même attendre que je l'en autorise.

Seulement, alors que ce dernier porté le goulot à ses lèvres sèches d'une main fébrile, il se stoppa net dans son élan en recevant un vilain coup. Les yeux exorbités, le beau brun poussa un petit gémissement de douleur au moment où il reçut brusquement mon pied dans ses bijoux de famille. Sentant ses jambes faiblir, celui-ci se laissa tomber à genoux sans dire un mot.

- " La prochaine fois, tu diras s'il-te-plaît. " Lui stipulais-je tout en le contournant pour reprendre mon chemin après lui avoir arraché la gourde des mains pour continuer de m'en sustenter. Quand soudain, apercevant quelque chose au loin, je m'arrêtais qu'à quelques pas de lui. " Hé ! Je crois qu'il y a une ville là-bas ! "

En effet, mes yeux ne m'avaient pas trompé. Fermant mon œil gauche, j'usais de l'implant cybernétique se trouvant dans le second pour zoomer jusqu'à des bâtiments qui se dessinaient au loin. Heureuse d'enfin découvrir une civilisation, je retournais sur mes pas pour attraper Kant par le col afin de le traîner dans le sable jusqu'à cette destination qui nous tendait les bras.

En un rien de temps pour le dire, nous arrivions enfin aux portes de la cité qui grouillait de monde. Peu importe où je posais le regard, je pouvais y voir des gens s'affairaient à leur petite affaire au sein d'un marché luxuriant. Au milieu de celui-ci trônait un point d'eau où des animaux se désaltéraient. En voyant cela, le lutin dont les beaux vêtements étaient recouverts de sable, se releva d'un coup pour s'y précipiter et s'y jeter la tête la première devant les passant surpris par son attitude.

De mon côté, ne lui prêtant pas attention, je déambulais entre les échoppes qui se trouvaient en abondance de chaque côté de la rue. L'une d'elles m'attira en particulier. Un petit stand de vêtements et d'étoffe qui était tenue par un beau spécimen de mâle à la peau brune. Intéressée bien plus par ses articles que par lui-même, je m'étais rapproché pour y jeter un œil.

Voyant que je lorgnais sur certains d'un eux, un sourire digne d'un commerçant étira ses magnifiques traits, le rendant encore plus agréable à regarder pour le reste de la gente féminine qui s'était agglutiné autour de son commerce. Cependant, au moment où ce dernier s'apprêta à me saluer, il fut rapidement coupé par mon bruyant ami.

- " Ça fait un bien fou ! " S'extasia ce dernier, trempé de la tête au pied et qui semblait enfin revivre. " Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? " Me demanda celui-ci avant de se rendre compte du bellâtre qui se tenait devant lui. " 'Jour... " Lâcha ce dernier d'un ton légèrement froid tout en plissant les yeux pour le scruter minutieusement sans cacher une forme d'agacement.

Cette réaction qui me surprit la première, ne sembla pas perturber plus que cela le vendeur qui le salua à son tour avec professionnalisme et sans perdre un seul instant son sourire charmeur. Chose qui sembla encore plus incommoder Kant qui je crus entendre pousser un léger râle de mécontentement.

Ne cherchant pas plus loin ce qui pouvait lui prendre, je continuais de regarder les vêtements sans les toucher. Quand étrangement, quelque chose attira mon attention loin de ses magnifiques tenues qui me faisaient de l'œil. Au loin, derrière le stand se trouvait une jeune femme à la peau noire qui ne m'avait pas quitté du regard depuis mon arrivé. La clope au bec et l'air impassible, celle-ci plongea son regard dans le mien, me rendant mal à l'aise sur le coup.

Je ne savais pas ce qui pouvait me pousser à croire cela, mais cette dernière semblait très bien me connaître. Cependant, alors que j'essayais de comprendre ce qu'elle pouvait bien me vouloir, mais surtout qui elle pouvait être, mon attention fut attiré ailleurs par mon camarade qui se mit à tenir des propos haineux envers une scène à laquelle il assistait. Laissant l'occasion à la jeune femme de s'éclipser sans que je ne m'en aperçoive.


Dernière édition par Hayase Yorha le Dim 17 Mar 2024 - 1:17, édité 1 fois
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    Contrairement à ce qu’il avait tant redouté, il n’y avait aucune trace de la Marine à ses trousses. Depuis les événements de Bulgemore, Kant craignait que l’Irrévérence ne soit pris en chasse par un régiment, ou pire, d’être accueilli à quai par un escadron armé jusqu’aux dents… Mais il n’en était rien. Peut-être était-il toujours un simple sculpteur sur bois aux yeux du Gouvernement Mondial, libre d’étancher sa soif dans toutes les tavernes, sur toutes les îles du monde, en toute quiétude ? Il l’espérait.

     Depuis le retour d'Hayase, tout lui semblait à la fois plus calme et plus certain. Parfois, les souvenirs du visage des soldats qu'il avait assassinés le visitaient, mais il suffisait à Kant de poser les yeux sur sa nakama pour s'en débarrasser. Malgré son corps métallique, Hayase avait conservé sa beauté originelle, tout comme son caractère incendiaire. Sévère, exigeante, violente parfois, elle demeurait le portrait craché de celle qu’il avait quittée sur Innocent Island quelques mois plus tôt. C’est comme ça qu’il l’aimait, et maintenant qu’elle l’accompagnait, Kant était certain d’avancer dans la bonne direction, quelle qu’elle soit.

     Cette fois, c’est vers Imashung qu’il la suivit, sans sourciller, malgré le climat caniculaire qui régnait sur l’île. Pour traverser les plaines désertiques jusqu’à la ville de Madinat, Kant avait revêtu de son plus bel ensemble : une élégante tunique dorée, un chapeau melon ébène orné d’un ruban, le tout sublimé par un nœud foulard aristocrate. Quelle erreur. Le ciel était couvert et moite, sans un souffle de vent ; ses vêtements lui collaient à la peau. Une chaleur excessive régnait partout en maître, jusqu’au cœur de la ville.

    Au marché, sa baignade improvisée lui fit le plus grand bien, même si Kant manqua de se noyer. Il n’était toujours pas parvenu à se faire à l’idée qu’à chaque immersion, il risquait de couler comme une pierre. Ses récents pouvoirs l’enchantaient tant qu’il en venait à oublier son impossibilité de barboter, ne serait-ce que dans un simple cours d’eau. Le pire étant qu’au moment où il sollicita l’aide d’Hayase, il la vit obnubilée par un autre jeune homme, probablement une sale engeance de charlatan, vendeur de tapis. La jalousie fit bondir Kant hors de lui, et par la même occasion, hors de l’eau. Il se rua vers la boutique du marchand pour interrompre les œillades qu’il échangeait avec Hayase. Quel maroufle ! Quel fanfaron ! Il avait tout pour plaire : de beaux yeux vert olive, un teint basané, une quinzaine de centimètres de plus que Kant…

« Tout ça, là … dit Kant en désignant le stand de l’affable marchand. Tout ça, c’est que de la camelote ! Du tissu bon à torcher du nobliau ! Tu trompes personne, avec tes kimonos qui puent la… »

Un cri soudain interrompit Kant dans son monologue hargneux. En plein cœur du marché, où les clients se faisaient de plus en plus rares, une cohorte d’hommes enchaînés s’avançait en ligne, le regard bas. Autour d’eux, une douzaine d’individus richement vêtus faisaient claquer leur fouet, soulevant tantôt des nuages de poussières, lacérant tantôt la chair de leurs esclaves. Quelle était, tout à coup, cette vision d’horreur ? Les hommes enchaînés avaient tous un gabarit colossal ; certains d’entre eux étaient recouverts de cicatrices et d’autres stigmates… Mais ce qui fut le pire, aux yeux de Kant, ce fut le regard émerveillé des quelques passants, comme s’ils contemplaient le plus banal des spectacles.

Délaissant l’objet de sa jalousie, le révolutionnaire observa, bouche bée, la terrifiante déambulation forcée. Lorsqu’un esclavagiste fit claquer son fouet sur le dos ensanglanté d’un homme-poisson résigné, Kant sortit ses ciseaux à bois. D’un pas déterminé, il s’avança, s’apprêtant à héler l’un des oppresseurs, quand une main froide lui recouvrit sur sa bouche.

« Range ça… dit Hayase en posant doucement son autre main sur celle de Kant, crispée sur son arme. Je sais ce que tu ressens, mais…

- Mais quoi ? l’interrompit Kant en de dégageant se son étreinte. Ce sont des esclaves ! Et personne ne réagit ! C’est quoi encore que cette île ? Si tu crois que...

- Shhhht… fit Hayase en posant son index contre sa bouche, intimant le silence. Justement, reprit-elle d’une voix basse, nous ne savons rien de cette île, pour l’instant, et j’ai la vague impression d’être épiée… »

À ces mots, elle déposa à nouveau son regard sur le beau marchand qui assistait, bien malgré lui, à leur échange. Kant grinça des dents.

« Très bien. » dit-il, plus qu'agacé. Puis, il prit Hayase par la main et l’entraîna dans une ruelle adjacente qui s’enfonçait plus profondément dans la ville. Sa nakama avait raison : ils ne connaissaient rien ni de l’île, ni du système politique qui la régissait, et il aurait été dangereux d’agir dans la précipitation. Cependant, le spectacle morbide auquel venait d’assister Kant le convainquit d’en apprendre davantage sur cet endroit, afin d’y rétablir un semblant de justice. Lorsqu’ils se furent éloignés du marché d’une bonne centaine de mètre, Kant invita Hayase à poursuivre seule plus en avant, prétextant avoir oublié quelque chose…

« C’est rien, promis j’te rejoins tout de suite ! »

Dès qu’elle eut tourné le dos, Kant dégaina son arc et saisit une flèche dans son carquois. Discrètement, il mit feu à la pointe de son projectile, se positionna, plissa un œil et décocha. Filant tout droit à travers la rue déserte, la flèche enflammée fendit l’air lourd et se ficha dans l’une des poutres de bois soutenant la boutique du marchand. Voilà pour toi, l’vendeur de tapis ! se dit-il, visiblement ravi, avant de rejoindre Hayase au pas de course.

° ° °


    Les deux révolutionnaires passèrent le reste de l’après-midi à visiter Madinat, recueillant discrètement toutes les informations possibles sur l’île d’Imashung, ses us et coutumes, ainsi que ses traditions. Au grand désarroi de Kant, l’île entière pratiquait l’esclavage. En quelques années, le royaume était même devenu l’un des plus grands marchés d’esclaves au monde. Au plus près des montagnes, la ville de Madinat prospérait en organisant des combats d’hommes réduits à l’état d’animaux, et les richesses qu’exhibaient les locaux s’étaient bâties, au fil des ans, sur le sang et la souffrance. Toutes ces informations morbides bousculèrent Kant. Au crépuscule, il entraîna Hayase dans une auberge afin d’y reposer ses méninges pour la nuit.

    À ses frais, Kant loua deux chambres spacieuses. Pendant qu’Hayase prenait ses aises et faisait ses trucs de filles, le contrebandier descendit dans la salle commune. Celle-ci se remplissait à mesure que la nuit s’approchait, et les clients prenaient place autour de grandes tables sur lesquelles fumaient des repas copieux. Pour s’aérer l’esprit, Kant goutta à l’alcool local, de " l’Arak ", une sorte de breuvage aromatisé fabriqué à partir de raisins et de dattes. Cela n’égalait guère le vin, mais il trouva ça à son goût. Si bien qu’il bût un deuxième verre, puis une bouteille, et une seconde.

Une heure plus tard, Hayase descendit à son tour dans la salle commune, désormais bondée de monde. Elle aperçut Kant, à moitié affalé sur une table, larmoyant, au milieu de cadavres de bouteilles. En constatant qu’il n’avait, lui aussi, visiblement pas changé, elle poussa un long soupir de lassitude.

« Hayaseeeeeeee ! s’exclama l’ivrogne en l’invitant maladroitement à s’asseoir. C’est quand même terrible que c’t’endroit, plus j’y pense et plus j’me dis, que c’est qu’à nous qui devons… Que c’est que nous qui doivont faire quelque chose ! »

Au plus grand désarroi d’Hayase, et malgré toutes ses vaines tentatives pour le faire taire, le révolutionnaire s’embourba dans un long monologue à peine compréhensible. Il évoquait tour à tour Imashung, les terribles combats de Madinat, l'esclavage insupportable, tout en ne cessant de répéter encore et encore qu'ils se devaient d'intervenir. Kant fit un tel tintamarre que, bientôt, les regards suspicieux de quelques clients de l’Auberge du Voldétourneaux se posèrent sur eux…


Technique utilisée:

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Jour de liesse prédatrice,
Nuit d'ivresse libératrice.




Occupé à vendre sa marchandise, Reda tâchait dans le même temps d'observer les passants. Malgré la chaleur écrasante, la population de Madinat était active et le marché fourmillait d'individus tous plus étonnants les uns que les autres. Certains étaient très semblables aux Alabastiens, et le Marchand comprit rapidement que nombre d'entre eux venaient effectivement de son île natale. D'autres, lui paraissaient très étranges, comme ce vieil homme massif qui traînait un peu plus loin avec deux chiens couverts de poussière. Il avait l'air patibulaire et son torse nu était couvert de cicatrices. Reda plissa les yeux pour mieux le distinguer et se mit à songer. Qui était cet individu ? Quel était son passé ? Pourquoi avait-il cet aspect si dur et taciturne ?  
Le jeune homme n'était pas du genre à s'occuper des autres et encore moins à se soucier de la vie de parfaits inconnus. Cependant, c'était la première fois qu'il voyageait et il savait qu'il lui était nécessaire d'en apprendre davantage sur cette ville qu'il découvrait. Il avait l'espoir de percevoir ainsi les "bonnes" personnes à alpager pour obtenir quelques informations concernant les pirates de la Vandale. Dans son esprit légèrement étriqué, des pirates ne pouvaient avoir frayé qu'avec ce genre de "gars" à la mine grotesque. C'était sans doute un à priori dangereux...
Bientôt, l'homme s'en fut et Reda retourna à ses étoffes. Il avait vendu un riche kimono, ce qui n'était pas mal, mais il espérait vendre encore quelques mètres de tissus avant la fin de la journée.

Tandis qu'il triait un peu les étoffes désorganisées par les curieuses du jour, qui se massaient d'ailleurs encore en gloussant devant l'échoppe éphémère, le Marchand vit du coin de l'oeil une femme seule s'approcher de son étal. Il se redressa et lui adressa un de ses plus beaux sourires.
Son regard se figea alors sur elle. C'était une cyborg ! Surpris, Reda ne put s'empêcher de la dévisager et de laisser courir ses yeux sur ses bras d'acier. C'était la première fois qu'il croisait un de ces êtres faits de chairs et de fer. Elle paraissait jeune, avec ses cheveux courts et sa peau d'albâtre. Son regard était profond et elle possédait tous les attributs féminins qu'un homme pourrait oser espérer. Quelque part, c'était aussi effrayant que fascinant...
Son choc fit place à la curiosité la plus naturelle : Reda voulait savoir d'où venait cette femme et comment elle avait pu se retrouver avec un corps aussi particulier. Aussi s'avança-t-il un peu derrière son échoppe pour la saluer :

- Bonj...

Un cri de contentement, particulièrement bruyant, interrompit le marchand. Son regard tomba immédiatement sur son origine : c'était un petit bonhomme, trempé des pieds à la tête, qui venait d'arriver en trottinant derrière la belle. Apparemment, il s'était jeté dans une fontaine ou un abreuvoir pour se soulager de la chaleur ambiante. C'était pour le moins ridicule...
L'homme interpella la belle cyborg et jeta un coup d'oeil sur les tissus qu'elle regardait. Reda tiqua un légèrement : il allait l'empêcher d'aborder la jeune femme comme il l'aurait voulu ! Le marchand décida cependant de ne pas vexer cet éventuel client et lui offrit un sourire parfaitement commercial. L'autre lui répondit à peine, ce qui l'offusqua en son for intérieur. Mais bon, il n'était pas là pour chercher la bagarre, aussi laissa-t-il couler. Ce n'était pas la première fois qu'il croisait quelqu'un de désagréable.
Mais lorsque l'homme désigna sa boutique d'un air méprisant pour lui dire qu'il vendait de la camelote, le sang de Reda ne fit qu'un tour. Comment osait-il l'insulter ainsi ? C'était parfaitement gratuit et mesquin. 

- Dites-donc...commença Reda. Je ne vous permets pas !

Un éclat de voix l'empêcha de continuer. Le duo, les clientes et lui-même tournèrent la tête dans un même mouvement pour tenter de voir ce qu'il se passait. De toute évidence, quelque chose n'allait pas. Reda entrouvrit la bouche en apercevant la cohorte d'esclaves qui traversait le marché. Il en avait déjà aperçus depuis son arrivée, notamment aux côtés de ses riches clients pour porter leurs achats, mais il n'avait jamais vu un tel nombre de malheureux au même endroit. Ceux-là étaient liés par des chaînes et menés comme des bêtes vers un abattoir. Ils étaient costauds. Sans doute étaient-ils destinés aux fameux combats dont il avait entendu parler la veille. De les voir ainsi escortés, fouettés, au milieu d'une population indifférente voire amusée, donna la nausée au jeune homme. Comment pouvait-on traiter un être pensant de cette manière ?

Le Marchand vit alors le petit gars qui venait de l'insulter s'avancer en direction de l'affreuse cohorte. Sa démarche indiquait qu'il voulait se battre. Ecarquillant les yeux, Reda le considéra avec surprise et un soupçon d'admiration. Qu'espérait-il donc faire ?! Heureusement pour lui, sa compagne l'arrêta net et lui intima le silence. Elle posa alors son regard sur le marchand. Reda haussa un sourcil, comme pour lui répondre qu'il avait effectivement bien saisit la situation et qu'il trouvait son ami un peu téméraire.

Le duo prit le parti de quitter l'endroit et Reda les regarda s'éloigner. Tant pis pour la cyborg, il en rencontrerait sans doute d'autres au cours de son voyage. Il ramena donc son attention sur les esclaves et soupira. Quelle misère ! C'était vraiment infâme comme pratique. Même s'il n'était pas le plus respectueux des hommes quant à ceux qu'il considérait comme ses inférieurs, jamais il n'irait les réduire à...ça. L'homme poisson lui faisait pitié et le fascinait dans le même temps. Il en avait déjà également vus à Alabasta, mais pas suffisamment pour les trouver banals.

- Oh mon Dieu ! AU FEU !!

Reda sursauta et se retourna pour diriger son regard sur la femme qui s'était mise à crier derrière lui. Ce qu'il vit alors le liquéfia sur place : une des poutres de son stand était en train de s'enflammer. Les quelques clientes qui étaient restées à proximité s'éloignèrent en poussant des cris de souris tandis que l'ensemble des commerçants qui entouraient son emplacement accoururent pour lui prêter main forte.
Le marchand eut le réflexe de sauver sa marchandise en attrapant l'ensemble des étoffes sur le présentoir pour les pousser sur le bord opposé au foyer ardent. Quelques unes tombèrent au sol et une des croix sur lesquelles reposaient des tenues complètes s'écroula devant lui. Il se prit les pieds dedans et se retrouva le visage dans la poussière. Sa main droite écopa d'une belle écharde au passage et son sang teinta son kimono. Reda se releva en grognant un juron et s'empressa d'aller éteindre le feu avec les autres. Heureusement, son voisin direct avait eut le réflexe de balancer du sable sur la structure et d'étouffer les flammes avec sa propre cape.
Il leur fallut presque une demi-heure pour avoir l'assurance que le feu ne reprendrait pas. Reda se tint un moment devant sa boutique, les bras ballants. Son front perlait de sueur et son nez le démangeait. Une aimable voisine lui offrit alors un peu d'eau et lui enleva l'écharde qu'il avait dans la main. Au moins la solidarité était-elle de mise entre commerçants. 

- Ne vous inquiétez pas, vous n'avez rien perdu, fit la vieille dame. Enfin...si, ces petits bibelots. Mais vos étoffes n'ont pas brûlées.

Maintenant qu'elle le disait, Reda se rendit compte que quelques une de ses décorations de verre avaient effectivement été brisées dans la panique, sans compter que la poutre qui avait été rongée par le feu tenait à peine.
Reda remercia chaleureusement les gens qui l'avaient aidé et leur souhaita une bonne soirée. Il rangea ses étoffes dans un de ses sacs et décrocha les décorations encore potables. Puis, quand tout fut empaqueté, il fit le tour de sa boutique pour observer un peu l'ensemble. D'où était donc parti le feu ? Comment était-ce possible ? Il réfléchit. Les rayons du soleil avaient peut-être brûlé le bois en passant au travers de ses babioles en verre...Quel idiot ! C'était bien joli de vouloir décorer la boutique si c'était pour la faire flamber !

Récupérant ses affaires, Reda entreprit de rentrer à l'auberge. Il sua à grosses gouttes, chargé comme une mule, et atteignit le Voldétourneaux alors que l'obscurité s'installait déjà dans les ruelles de la cité. Il fit un rapide signe au patron des lieux et monta dans sa chambre.
Une fois débarrassé de son barda, le jeune homme poussa un soupir de soulagement. Son dos lui cuisait. Las, il ôta son kimono sali par les événement et prit un bain. L'eau était froide mais cela lui fit le plus grand bien. Il lava avec un savon dur sa main blessée en grimaçant puis se reposa un peu dans la baignoire. Quelle journée ! Il se sentait abattu.
Une fois propre et vêtu d'un nouveau kimono, le marchand banda sa main et descendit dans la salle principale pour s'enquérir d'un dîner. Il avait terriblement faim ! Toutes ces émotions avaient creusé son estomac et noirci son humeur. Il fallait qu'il mange pour retrouver un tant soit peu son sourire.

Alors qu'il descendait les marches, Reda observa les badauds déjà installés à table. Certains buvaient uniquement, d'autres mangeaient déjà. La plupart d'entre eux semblaient joyeusement se raconter leur journée. Un quatuor jouait aux cartes dans un coin et un couple se bécotait gentiment dans un autre. L'ambiance était plutôt détendue, ce qui rassura le marchand. Il arrivait que le Voldétourneaux soit agité en soirée, ce qui lui déplaisait fortement. Ce soir, il avait besoin de calme.

- Un verre de liqueur s'il vous plaît. Je prendrais aussi un de vos bouillons de choux et du boeuf, comme l'autre fois, fit-il à une des serveuses qu'il avait l'habitude d'interpeller. N'oubliez pas le bout de pain.

- Bien sûr, Monsieur Jallab ! Mandarine ou datte ?

- Datte.

Enfin assis, Reda reçut rapidement sa liqueur préférée et commença à la siroter tranquillement. Il se détendit et exerça son oreille pour écouter ses voisins. Un homme racontait que son cheval avait une patte cassée à cause d'un "satané rocher au milieu du chemin". Inintéressant. Un autre disait que les taxes sur l'eau de vie avaient encore augmenté et que cela allait impacter le prix des consommables. Fâcheux. Une jeune femme gloussait plus loin, amusée par le discours de son amant au sujet des cactus qui fleurissaient en ce moment. Presque écœurant.
Finalement, Reda se laissa retomber contre le dossier de sa chaise et maugréa qu'il avait hâte de se coucher. Il perçut alors dans l'ombre un groupe composé de deux demoiselles et d'un trio d'hommes à l'air important. Les jeunes femmes lui jetaient des regards en biais, visiblement intéressées par ses vêtements, et sans doute ses bijoux. Le marchand leur sourit. Il vit que les gaillards s'échangeaient des regards louches et discutaient en prenant garde de ne pas élever la voix. Eux, ils avaient des choses à cacher...
Apparemment, ce n'était pas le cas pour tout le monde puisqu'un client brailla soudain, ce qui attira l'attention de tous dans cette partie de la salle. C'était une voix familière. Reda se redressa et tendit le cou pour apercevoir celui auquel elle appartenait. Il reconnut alors aisément le petit homme qui l'avait insulté tantôt en critiquant sa marchandise. Le marchand fronça les sourcils. 

*Décidément, il y a des jours comme ça...*

Mais quand ses yeux tombèrent sur la cyborg, son humeur s'apaisa aussitôt. Elle était là elle aussi ?! Peut-être qu'il allait pouvoir l'aborder finalement ! D'après l'exclamation de son compagnon, elle s'appelait Hayase...

- Votre repas, Monsieur, fit la serveuse en déposant devant Reda une belle assiette bien garnie. Et le pain !

- Oui, oui, merci...répondit-il sans même la regarder.

Attaquant machinalement son dîner, le Marchand tendit l'oreille et tâcha d'écouter le duo. Il comprit rapidement que le petit homme était complètement ivre et qu'il râlait au sujet des esclaves vus dans l'après-midi. Reda tendit davantage l'oreille. La belle Hayase semblait abattue par l'attitude de son ami qui commençait à attirer tous les regards sur eux. 
Que faire ? Comment l'aborder sans s'engager dans une conversation avec cet ivrogne antipathique ? Fallait-il attendre ou tenter sa chance dès à présent ? Le cerveau de Reda tournait un peu au ralenti à cause de la fatigue mais il concevait aisément qu'il ne pouvait pas simplement se lever et aller les voir pour leur dire "tiens, je vous reconnais !" ou carrément leur dire qu'il avait entendu leur conversation. Enfin, tout le monde autour d'eux avait entendu le nimbus râler...Et puis, il n'y avait guère de façon plus correcte de les aborder...

Reda finit sa soupe en deux-trois cuillères, saisit son verre de liqueur de dattes et quitta sa table d'un bond. Bien décidé à obtenir quelques informations au sujet de la cyborg et des esclaves, il s'en fut les rencontrer.

- Bonsoir ! fit-il en leur adressant un large sourire. Je vous reconnais, je vous ai vu tout à l'heure au marché ! Il leva son verre en signe de salut. Reda Jallab, humble marchand d'étoffes, pour vous servir, ajouta-t-il en esquissant une petite courbette.

Il jeta un regard complice à la fameuse Hayase et désigna son compagnon d'un léger coup de tête.

- Votre ami a l'air d'avoir un peu trop bu...M'est avis qu'il devrait baisser d'un ton s'il ne veut pas attirer des curieux moins bien attentionnés que moi...

Sans se soucier de l'alcoolique, Reda s'appuya contre leur table et leur indiqua du regard le groupe qu'il avait repéré juste avant eux. Les hommes dévisageaient le petit homme comme s'ils avaient pu le dépecer sur place d'un regard. Ils étaient sans doute du côté des esclavagistes et entendre un gugus comme lui crier au scandale concernant leurs pratiques n'était pas de leur goût.

- Puis-je m'asseoir avec vous ? Je dois bien avouer que je suis...intrigué par vos...charmantes particularités...

KoalaVolant


Dernière édition par Reda Jallab le Dim 10 Mar 2024 - 18:50, édité 1 fois
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Tempête de sable
Dans ce triste monde qui est le nôtre, il y a des gens qui n'ont décidément pas encore appris à tourner deux fois la langue dans leur bouche avant de parler. Pourtant un principe assez simple qu'on essaie d'éduquer aux enfants dés leur plus jeune âge. Pouvant ainsi éviter de sortir des inepties et de s'attirer les foudres de quelqu'un. Et en l'occurrence les miennes.

Car en plus de venir nous déranger sans la moindre gêne, le bellâtre à la peau brune qui faisait piailler de grosses dindes plus tôt dans la journée, venait de sauter à pieds joints dans un sujet qui m'était hautement sensible. Gardant encore de terribles séquelles de mon passage sur Bulgemore, je le fixais d'un air se voulant impassible. Seulement, à cause de la colère qui naissait en moi, mon corps me trahit. Les mains alors jointes sur la table, elles commencèrent à se serrer, faisant grincer le métal dont elles sont faites.

Plus je le regardais, plus l'envie irrépressible de lui encastrer la tête dans le bois de notre table se faisait ressentir. Faisant planer une ambiance devenant extrêmement tendue. Voyant cela, nos voisins de table pourtant fortement alcoolisés pour certains, comprirent rapidement que quelque chose se tramait. Soudainement, par peur de se voir devenir la cible de mon courroux, tous ceux se trouvant dans la taverne décidèrent de garder le plus grand silence, attendant bien tranquillement de voir ce qui allait se passer par la suite.

- " Charmantes... " Me décidais-je enfin à souffler entre mes dents, de façon assez inaudible a tel point que même avec ce silence, seuls les quelques tables se trouvant autour de la nôtre purent l'entendre. " Vous trouvez mes... " Commençais-je à dire avant de prendre une grande inspiration par le nez afin d'essayer de trouver un peu de mon calme tandis que mon cœur s'emballait dans ma poitrine. " ... Prothèses, charmantes... "

Crachant ces quelques mots sans chercher ne serait-ce à dissimuler davantage mon mépris pour cet homme, ceux parvenant à capter notre conversation eurent tous à l'unissons un frisson d'effroi. Même Kant qui jusque-là gardé son plus grand calme, continuant de siroter bruyamment sa chope de bière comme si de rien était, cessa tout mouvement. Le verre au bord des lèvres, il nous fixa à tour de rôle, patientant de voir ma prochaine réaction.

Soudain, un léger ricanement retenti dans la pièce. Une main devant les yeux, j'avais basculé la tête en arrière avant de me mettre à rire nerveusement. Un rire qui augmenta en intensité au fur et à mesure que les secondes passèrent, démontrant que mes nerfs mis à rude épreuve commencèrent à lâcher.

- " Charmantes... " Répétais-je une nouvelle fois entre deux rire tout voyant défiler devant mes yeux toutes les atrocités que j'avais vécu le jour où on avait mutilé mon corps pour les remplacer par tout cet acier.

Brusquement, aussi soudainement que mon rire se fit entendre, ce dernier s'évanoui, laissant de nouveau retentir un court silence qui fut rompu par le fracas du verre qui se brisait parterre. Abattant avec toute ma rage mon poing sur la table, je venais de la fendre en deux sous les regards apeurés des soûlards de la taverne qui sursautèrent.

- " De quel droit oses-tu tenir des propos pareils ?! " Lui demandais-je avec haine et un regard assassin tout en me relevant de ma chaise que j'envoyais à son tour se briser contre un mur d'un geste de la main. " Tu ne sais rien de moi !! RIEN !!!! " M'écriais-je tandis que les larmes commencèrent à perler aux coins de mes yeux. " Tu ne sais pas à quel point j'ai souffert pour avoir ce corps que je ne voulais même pas !! "

Devant tant de violence, les habitués des lieux se dispersèrent la peur au ventre. Certains pour se mettre à l'abri afin de ne pas prendre de mauvais coups, tandis que d'autres aidèrent les pauvres malheureux qui avaient eu la malchance de se trouver proche de l'emplacement où la chaise s'était vu réduite à l'état de morceaux de bois. Des complaintes de douleur se firent même entendre en venant du coin de la taverne. L'un d'entre eux, moins chanceux que les autres, avait reçu un éclat de bois de la taille d'une lame de couteau dans la cuisse. Saignant abondamment, ceux qui s'étaient précipité à son secours essayaient tant bien que mal d'arrêter l'hémorragie en espérant que cela n'avait pas touché une artère.

- " Monstre... " Se fit entendre la voix d'une femme semblant être la petite amie du blessé et qui me regardait depuis ses côtés avec le même mépris dont j'avais fait preuve envers le vendeur de tissu.

- " Va-t'en sale cyborg ! " Ponctua une autre personne de derrière un pilier du bar et dont la voix trahissait sa peur.

En entendant ces propos à mon encontre, je me mis à tourner le dos au vendeur pour faire face à tout ces détracteurs qui m'avaient prise pour cible. Cependant, alors que je m'apprêtais à m'en prendre à eux verbalement, leur sommant de la fermer s'ils ne souhaitaient pas voir l'auberge partir en fumée avec eux encore dedans, je me ravisais. Car me faisant face, je découvris, non pas des gens hostiles envers ma personne, mais des personnes qui me craignaient. De pauvres gens qui tremblaient de peur à l'idée que je puisse encore blesser l'un d'entre eux.

En le réalisant les traits de mon visage alors encore déformé par la rage s'adoucirent. À la place, je ressentis un véritable déchirement à la vue de tous ses yeux effrayé posaient sur moi. La douleur que je ressentais à cet instant était semblable à une main qui cherchait à m'arracher le cœur. Une affliction si atroce que je ne pus le supporter plus longtemps. Sans vraiment savoir où mes pas me dirigeraient, je passais à la hâte devant ses pauvres innocents qui se recroquevillèrent de peur avant de me voir pousser la lourde porte de la taverne.

Courant à toute rompt, je m'enfonçais dans la noirceur de la nuit, cherchant à mettre le plus de distance entre moi et cet endroit. De grosses larmes coulant sur mes joues, je filais à travers la pénombre depuis maintenant une bonne dizaine de minutes sans même savoir où aller. Ce dont j'étais sûre par contre, c'est que j'étais toujours sous le choc des horreurs que m'avaient balancées les clients de l'établissement. Ne cessant de les ressasser en boucle dans ma tête en plus de ce que j'avais eu le malheur de faire. Car même s'il m'était déjà arrivé de m'emporter de la sorte, jamais cela n'avait été au dépens d'un innocent.

Dans le fond, peut-être qu'ils avaient tous raison de me voir ainsi. Je n'étais peut-être plus rien d'autre qu'un monstre fait de fils et de rouages. Une créature cybernétique qui n'avait plus de cœur. Après tout, tout comme mon corps, mon cœur avait également était modifié par les soins du Docteur Moonro. En faisant cela, ce dernier avait peut-être changé celle que j'étais avant. Faisant de moi un monstre sanguinaire qui risquait de s'en prendre à n'importe qui et à n'importe quel moment. À cette idée, mon corps réagit de concert, laissant mes pas ralentir avant de s'arrêter.

Au beau milieu du désert où régnait le plus grand silence, je regardais les étoiles en repensant à mon île natale. A mon enfance avec mon frère Kuro et mes aventures avec Capulina. De doux et merveilleux moments qui me paraissaient pourtant si loin malgré mes seulement vingt ans d'existence. Mais surtout, je repensais à mon père qui chaque soir en rentrant me racontait sa journée tout en m'offrant la plus belle mandarine qu'il avait pu trouver durant son travail à la Belmer Corp. Ainsi qu'à ma mère dont l'amour ne trouvait aucune limite pour ses deux enfants qu'elle chérissait plus que tout au monde. À cet instant, elle me manquait tellement.

- " Maman... J'aimerais tellement que tu sois près de moi en ce moment. " Lâchais-je avant de partir en sanglot, me laissant submerger par mon chagrin et tomber dans le sable, les jambes recroquevillées de chaque côté de mon corps.


Dernière édition par Hayase Yorha le Dim 17 Mar 2024 - 1:16, édité 1 fois
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     Tandis qu’Hayase heurtait la porte de la taverne pour s’enfoncer dans la nuit, Kant se plia en deux, régurgita l’excès d’Arak qu’il avait englouti, avant de glisser dans sa propre gerbe et de s’effondrer, la tête contre le plancher. Pourtant, personne ne sembla s’alarmer de ce spectacle pitoyable… Tous les regards étaient rivés sur la furie d’Hayase quittant l’établissement. En se redressant, Kant essuya sa main pleine de vomi sur l’élégante tenue du marchand, puis disparut à son tour dans la nuit, ignorant les cris outranciers qui lui étaient adressés.

Une fois dehors, il aperçut au loin la silhouette de sa nakama, illuminée par quelques reflets lunaires. Compte plus sur moi pour t’quitter des z’iyeux, se dit-il par lui-même. Un épais pelage brun clair recouvrit ses traits, tandis que dans son dos jaillissait une queue et qu’à ses doigts poussaient des griffes acérées. Titubant, il s’élança contre la bâtisse qui lui faisait face, l’escalada d’une traite, et se mit à bondir de toit en toit. Dans son élan, il se métamorphosait parfois en petite pièce, roulant sur la rondelle, ou en petit ballon, rebondissant çà et là ; sans jamais cesser de suivre la piste d’Hayase qui s’enfonçait toujours plus loin dans la ville. L’Arak l’avait certes tabassé, mais sa détermination ne fléchissait pas. Pas une seconde il ne la perdue de vue, progressant mètre après mètre sur les hauteurs de la ville, jusqu’à se percher tout en haut d’un mât.

Après quelques secondes nécessaires pour trouver son point d’équilibre, Kant demeura finalement figé au sommet du mât. Sa forme hybride lui permettait non seulement d’apercevoir la silhouette d’Hayase qui enfin s’immobilisa, mais aussi d’entendre les inflexions de sa voix… En dépit de tout ce qu’elle avait laissé transparaître depuis qu’ils avaient quitté l’enfer de Bulgemore, elle était encore cruellement traumatisée par les événements. Face à cette détresse, Kant se sentit profondément impuissant. Un instant, il envisagea de la rejoindre. Finalement, il prit la décision de ne pas s’immiscer entre elle et sa peine, puis demeura là, silencieux.

    Une longue demi-heure plus tard, toujours aussi ivre, mais avançant d'un pas décidé, Kant fit à nouveau son entrée dans l'Auberge du Voldétourneaux. Il s'arrêta un instant devant le comptoir et fouilla dans ses poches pour en sortir une petite liasse de Berries.

« Ça, c’est pour la table et la chaise, m’Dame, dit-il en déposant l’argent ostensiblement sur le bar.

- Me.. Merci, répondit la tenancière.

- Et ça, c’est pour l’trou dans le mur, renchérit Kant en lui donnant une nouvelle liasse.

- Le trou ? Quel trou ? »

Laissant l’interrogation sans réponse, le révolutionnaire traversa la salle commune et se planta devant l’homme apeuré qui avait ordonné à Hayase de quitter l’auberge. Brutalement, il l’agrippa à la gorge avec une telle férocité qu’il le souleva du sol.

« "Sale cyborg" hein, c’est bien ça qu'j’ai entendu ? Répète, pour voir ? » dit Kant au pauvre homme qui se débattait dans les airs, suffoquant.

De nouveau, l’assemblée fut tétanisée. D’un geste brusque, Kant balança le pauvre homme contre la cloison de bois, l’y encastrant à moitié. Voilà pour le trou.

« C’EST MA CAMARADE QUE VOUS AVEZ VEXÉE, hurla Kant en toisant l’ensemble des clients. J’espère pour vous qu’elle reviendra ! Et si elle revient, z’avez intérêt à lui réserver l’accueil qu’elle mérite ! »

Oh, il aurait pu en faire plus, se métamorphoser en Bake Tanuki, distribuer quelques gifles ou bien mettre feu à l’établissement, par exemple. Mais il n’en fit rien. Jouer les gros bras l’amusait assez, mais ce que préférait Kan par-dessus tout, c’était se parer des vertus d’un chevalier galant. Quand il constata que personne n'avait le courage de le contredire ou de protester, Kant se rassit à une nouvelle table et commanda de nouvelles bouteilles d'Arak, comme si de rien n'était.

Laissant son regard dériver à travers la pièce, Kant s’aperçut que personne n’osait plus poser les yeux sur lui. Personne, excepté le mystérieux marchand à l’origine de toute cette agitation.

« P’OUAHAHAHA ! s’esclaffa-t-il. Ohlalala, l’gros naze ! Viens, viens t’asseoir ! »

L’invitation n’était guère rassurante, mais elle était sincère. Après la triste performance que le bel homme venait de donner auprès d’Hayase, il ne représentait plus une menace aux yeux de Kant. Pire encore, le révolutionnaire le prit en pitié.

« C’pas correct… dit Kant après s’être rapidement présenté. C’pas correct, que de faire des commentaires sur le physique des dames… On t’la jamais appris ça, vendeur de tapis ? »

Sans trop s'étendre sur les détails, Kant évoqua les difficultés auxquelles Hayase avait été confrontée quelque temps auparavant, expliquant au jeune marchand qu'il venait de mettre les pieds dans le plat. Il était cependant bien trop saoul pour entretenir une réelle discussion, et après avoir vidé les deux bouteilles d’Arak, il entreprit une difficile ascension jusqu’à sa chambre à l’étage. Avant de quitter la salle commune, il adressa toutefois un conseil au vendeur de tapis.

« S’tu veux te faire pardonner… On quitte l’auberge d’main midi et… Hayase adore les mandarines. »
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Dattes et madarines



Le monde semblait s'être figé autour de la scène lunaire à laquelle tous venaient d'assister. Reda lui même était resté paralysé face à la violence de la cyborg. Tandis que les portes de l'auberge claquaient derrière la jeune femme, son cœur battait encore à tout rompre : il avait eu la peur de sa vie ! Le marchand tentait de mettre de l'ordre dans ses idées mais le choc l'avait rendu aussi immobile que muet. Son esprit, lui, s'agitait en tout sens. Comment était-ce possible ? Une simple phrase d'accroche, qui s'était voulue agréable, avait suffi à déclencher l'ire de la belle et à chambouler l'ambiance de l'auberge...

Le compagnon de la cyborg se leva soudain. Reda se tendit et lui jeta un regard inquiet. Il fut soulagé de voir le petit bonhomme quitter la pièce à son tour : il était sans aucun doute parti rattraper son amie. Le marchand ouvrit la bouche pour lui parler mais se ravisa. Il valait mieux les laisser entre eux. De toute façon, il n'avait plus aucune envie de dialoguer. Entre le gaillard qui l'avait déjà insulté sur le marché et la cyborg qui était capable de lui casser le cou pour un sourire, il ne voyait plus l'intérêt de les approcher.

Une fois le duo parti, les clients peinèrent à reprendre le cours de leurs discussions. Les voix s'élevaient toujours contre la jeune femme, la maudissant, l'insultant de tous les noms d'oiseaux possibles. Certains murmuraient entre eux que « les monstres de genre-là » devaient cesser de se mêler à eux, les « vrais humains ». Reda serra les dents et jeta un regard aux blessés qui avaient été rassemblés dans un coin : le personnel tâchait de leur donner les premiers soins. Autour d'eux, des morceaux de bois étaient éparpillés en tous sens.
Quelle violence ! Et quelle force ! Décidément, le marchand n'en revenait pas : cette femme venait tout de même de casser en deux la table d'un seul coup de poing et d'éclater une chaise en mille morceaux simplement en la lançant ! Ses capacités, liées à ses prothèses, étaient tout bonnement incroyables. N'importe quel être humain normalement constitué aurait été incapable de briser ainsi le mobilier à mains nues. C'était réellement effrayant...Mais...fallait-il la haïr pour ce qu'elle était ? C'était tentant...

Il fallut une bonne poignée de minutes supplémentaires à Reda pour qu'il ne sorte de sa torpeur. Il déglutit enfin et se dirigea lentement vers le comptoir. Le barman l'accueillit avec un sourire légèrement condescendant. Les sourcils froncés, il s'adressa à lui du ton que prend habituellement un adulte envers un enfant :

- Hé bah, qu'est-ce qui vous a pris d'aller vous frotter à cette dégénérée ? Franchement ! Vous avez vu la pagaille que ça m'a fichu !? Bravo...

Reda s'installa sur un haut tabouret et vida d'une traite ce qu'il restait de son verre avant de le poser devant l'homme.

- Un autre s'il vous plaît...demanda-t-il en grognant. Voyant que le tenancier hésitait, le marchand lui mis quelques berries sous le nez. Je payerai pour les dégâts aussi...

- Mouais...fit le tenancier en plongeant la tête dans sa réserve de liqueurs pour récupérer la bouteille de dattes. Je devrai mettre un panneau anti-robots devant la boutique...Ma femme avait raison...Pfffff...Il soupira bruyamment et resservit le marchand.

Reda leva un sourcil et saisit doucement son deuxième verre. Il le but d'un coup, sans s'arrêter avant la dernière goutte. Le barman le regarda faire en affichant un air inquiet, mais il finit par hausser les épaules avant de le servir une troisième fois. Après tout, ce petit gars avait dû avoir peur. C'est bien connu : l'alcool désinhibe et permet d'oublier un temps les tracas. Et puis, c'était son rôle de satisfaire le client. En tout cas, celui-là payait son loyer et ne semblait pas manquer de ressources : autant en profiter !

- Dites-moi...fit soudain le marchand, pourquoi tout le monde ici déteste les cyborgs ? Je veux dire...celle-ci a l'air d'être particulièrement soupe-au-lait mais...ils ne sont sans doute pas tous comme ça, si ?

Il avait presque honte d'avouer son ignorance, mais sa curiosité et l'envie de comprendre ce qu'il venait de se passer le poussaient à poser des questions.

- Boarf, ils ne sont presque plus humains ! Cracha le tenancier. Franchement...Vous avez bien vu sa réaction ! Elle est dérangée ! En plus, elle est forte comme un bœuf ! Vous ne trouvez pas ça effrayant de savoir que ce genre de...chose traîne dans la rue ? Il baissa d'un ton et se pencha un peu au-dessus du comptoir pour continuer plus discrètement. Et puis, c'est souvent des armes créées par le gouvernement pour exécuter ses sales besognes...Vous ne connaissez pas les Pacifistas ? C'est des cyborgs eux aussi...

Reda avait déjà aperçu un Pacifista, mais il n'avait pas encore 10 ans et s'en souvenait à peine. Le cyborg s'était rendu directement au palais d'Alubarna, sans s'attarder dans les rues de la capitale.

- Mm...fit-il en balayant la question d'un geste de la main. J'aurais au moins tenté...ajouta-t-il pour lui-même.

Le marchand se remit à siroter son verre. Le regard dans le vide, l'air contrarié, il réfléchissait. Constatant que le jeune homme avait besoin de solitude, le tenancier s'en fut servir ses autres clients.
Reda commençait à se demander ce qui l'avait pris d'aborder ainsi la cyborg. Il avait tellement l'habitude d'entretenir d'excellentes relations avec ses clients, notamment les femmes, qu'il n'avait pas réellement songé à l'impact de ses mots. A ses yeux, les prothèses de la jeune femme étaient fascinantes. Mais, à y bien réfléchir, c'était sans doute la trace d'une terrible mutilation ou d'un handicap de naissance : pas étonnant qu'elle ait réagi avec colère ! Enfin, elle avait tout de même exagéré à tout casser autour d'elle, au point de faire des blessés sans aucun rapport avec leur affaire...A la limite, elle l'aurait frappé lui, cela aurait été plus logique. Bon, il s'estimait heureux de ne pas avoir été sa cible directe : aux vues de sa puissance, elle l'aurait tué...

Le temps passa et Reda en était à son cinquième verre de liqueur. A vrai dire, la tenancière, qui était revenue de l'arrière-boutique, avait décidé de lui laisser la bouteille à portée de mains et le marchand se servait tout seul, ce qui ne l'aidait pas à être raisonnable. Plongé dans ses sombres pensées, il ressassait les mots que lui avait criés la cyborg : « Tu ne sais pas à quel point j'ai souffert pour avoir ce corps que je ne voulais même pas !! » Qu'avait-elle donc vécu ? Avait-elle eu un accident terrible ? Il se demandait ce que cela lui ferait s'il se réveillait dans un hôpital avec des bras en moins...Il frissonna. Quelle horreur ! Évidemment que l'aborder de cette façon avait été stupide ! Et en même temps...il était normal d'être curieux, non ?

Alors qu'il débattait avec lui-même, Reda n'entendit pas la porte de l'auberge s'ouvrir dans son dos. Il ne réalisa pas non plus que le patron avait arrêté d'essuyer son verre en voyant le gaillard qui venait d'entrer. Ce n'est que lorsqu'une liasse de billets atterrit sur le comptoir non loin de lui que le marchand releva la tête. Aussi surpris que la tenancière, il regarda le petit bonhomme s'éloigner pour aller chopper par le col un des gars qui avaient insulté la cyborg. Vengeur, il n'avait pas hésité à le soulever et à le balancer contre un mur avant de hurler à l'assemblée qu'elle avait intérêt à adopter un autre comportement avec son amie. Quelque part, Reda se senti humilié : cela s'adressait à lui aussi puisqu'il avait été le malheureux déclencheur de ce merdier.
Malgré tout, il ne réussit par à quitter le gaillard des yeux tandis que les autres se détournaient afin d'éviter d'être sa prochaine cible. Quand leurs yeux se croisèrent, le marchand resta de glace. L'autre éclata de rire alors de rire. Déstabilisé, Reda hésita face à son invitation : cherchait-il encore la guerre ou lui proposait-il réellement de faire la paix ? Son sourire le rassura un peu et, pris d'une certaine témérité, il se leva, saisit sa bouteille et son verre, et rejoignit le bonhomme à sa table.
Une fois assis, il le laissa se présenter et en fit de même, assez chichement cependant. Puis, il poussa la bouteille de liqueur vers lui en signe d'amitié. Lorsque Kant se mit à lui parler de son amie la cyborg, il l'écouta très attentivement, sans ciller, et ce malgré la fatigue qui l'assaillait depuis un bon moment.

- J'pouvais pas savoir...fit-il finalement en baissant la tête d'un air penaud. C'est vrai que maintenant que vous avez éclairé ma lanterne, ça m'paraît évident que j'ai gaffé. Je suis désolé : mon but n'était vraiment pas de l'insulter. Il jeta un regard aux badauds qui les dévisageaient d'un air mauvais. J'suis pas comme eux...J'étais simplement curieux. Elle est...fascinante. Violente, mais fascinante. J'avais jamais vu de cyborg auparavant...

Son langage était un peu bancal, comme son équilibre, mais la sincérité y était d'autant plus facile à lire.

- J'ai eu une sale journée j'crois...J'suis fatigué. Ma boutique a pris feu, y'a des esclaves partout, les gens sont intolérants...J'aime pas cette ville. Nanohana me manque déjà.

La discussion tourna court, puisque l'heure tardait et que les deux hommes étaient ivres. Kant s'en fut bientôt à l'étage pour regagner sa chambre. Avant de disparaître, il fila un tuyau à Reda : Hayase, la cyborg, aimait la mandarine.

- Ok, marmonna le marchand en lui faisant un signe de la main.

Le lendemain matin, Reda eut quelques difficultés à se lever. Un mal de crâne peu habituel lui transperçait les tempes et il mit du temps à faire ses ablutions pour paraître plus frais. Quand il descendit au rez-de-chaussée pour prendre son petit déjeuner, il y avait déjà quelques clients partis travailler. Il s'installa à sa table préférée et mangea ses œufs. Il commanda une bouteille de liqueur à la mandarine pour l'offrir à la cyborg. Il ignorait si elle était bien rentrée dans la nuit ou si elle l'avait passée dehors mais, au moins, il pourrait donner cette bouteille à son compagnon pour qu'il la lui transmette en guise d'excuses.

Alors qu'il terminait son repas, le Marchand aperçut soudain la cyborg. Prenant son courage à deux mains, il saisit la bouteille qui lui était destinée et alla à sa rencontre. Il la lui tendit doucement et s'excusa :

-  Je suis vraiment navré pour hier soir. Je ne pensais pas vous blesser. Accepteriez-vous ce petit présent en guise de paix ? J'ai été très maladroit...Peut-être le suis-je encore...C'est votre ami, Kant, qui m'a dit que vous aimiez la mandarine...

Il lui sourit, l'air gêné. Puis, il s'assura qu'elle tenait bien la bouteille avant de lui indiquer sa table pour l'inviter à l'accompagner.

- Personnellement, je préfère la liqueur de dattes. Sans doute l'habitude. Enfin, je n'en bois pas le matin...Hayase, c'est bien ça ? Appelez-moi Reda. Je vous paye un petit-déjeuner ? Demanda-t-il avec amabilité. Promis, je ne poserai pas de questions indiscrètes cette fois ! ajouta-t-il en levant les mains comme pour prouver d'avance son innocence. Kant pourra nous rejoindre si l'envie lui en dit...Nous avons un peu discuté hier.

KoalaVolant
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Tempête de sable
Dans la solitude la plus grande, au milieu du froid glaciale d'un désert à perte de vue où seul le silence qui y régnait se voyait parfois brisé par les hurlements des coyotes. C'est dans cette triste atmosphère que la jeune cyborg passa le restant de la nuit à errer sans but. Trainant sa carcasse de métal à travers le sable blanc, la " traîtresse " comme on la surnommé aujourd'hui n'avait cessée de ressasser ce qui s'était passé dans cette taverne. Mais en particulier à la raison qui lui avait fait déverser toute sa haine contre ce pauvre marchand ainsi que les victimes que sa rage meurtrière avait causé.

La petite brune s'en voulait d'avoir agi de la sorte. Surtout que ces derniers n'étaient en rien coupable de la souffrance qu'elle ressentait. Ils n'étaient pas fautifs de la torture physique et psychologique qu'elle avait endurée dans ce lugubre laboratoire de Bulgemore. Ils n'étaient pas non plus responsables du fait qui lui était dorénavant impossible de trouver le moindre repos, ne pouvant trouver le sommeil.

Car dès que la malheureuse se risquait à clore ses doux yeux, de terribles cauchemars venaient la tourmenter. Lui rappelant les bien tristes souvenirs de son corps se faisant briser et démembrer tandis qu'on la maintenait éveillée pour la forcer à regarder. Des songes qui l'avaient marqué au fer rouge et qui la hanteraient malheureusement à jamais.

Cependant, malgré la douleur qui lui enserrait le cœur, la jeune femme savait pertinemment qu'elle n'aurait jamais dû faire payer son lourd passé à ces gens innocents. Ces personnes à qui elle n'en voulait même pas d'avoir tenu des propos aussi atroces à son encontre. Des paroles auxquelles l'ancienne agente du Cipher Pol ne trouva rien à y redire. Car en effet, elle n'était rien d'autre qu'un montre. Une créature de métal qui lui fallait maintenant accepter d'être. Même si cela lui faisait tant de peine.

C'est pour cette raison, que quand Hayase revint sur les lieux de son méfait, elle accepta sans rechigner l'invitation du dénommé Reda qui venait de lui faire une offrande en excuse de ce qui s'était passé la vieille. La bouteille bien en main, la cyborg le suivit jusqu'à sa table sans rien dire. Toujours gênée par le fait d'avoir voulu le faire taire à jamais, elle s'assit les jambes croisées l'une sur l'autre sur la chaise lui faisant face.

À dire vrai, la petite brune n'était pas la seule à être tendue. L'ambiance qui planait dans l'auberge était devenue extrêmement lourde. Il faut dire que les clients et les employés s'y trouvant ne l'avaient pas quitté des yeux un seul instant tandis qu'ils retenaient leur souffle depuis que cette dernière avait franchi le pas de l'établissement. Un fait que nul ne pouvait leur reprocher quand on voyait dans quel état elle les avait laissé avant de s'enfuir. Mais cela ne semblait pas être le cas du jeune marchand à la peau dorée qui la fixait avec un calme apparent.

- " Vous... " Tenta de s'exprimer la demoiselle qui poussa un long soupir pour se donner du courage tout en fermant les yeux avant de reporter son attention sur lui au moment de poser la bouteille sur la table. " C'est à moi de m'excuser pour mon attitude. "

À ces simples mots qui glissèrent d'entre ses lèvres pulpeuses, les habitués de la taverne se détendirent soudainement en voyant que ce " monstre de métal " n'était pas revenu chercher querelle. Alors qu'ils reprenaient tranquillement leur discussion, Hayase n'en fut pas apaisée pour autant. Fuyant le regard du marchand, celle-ci faisait nerveusement tourner la bouteille de jus de mandarine entre ses mains tout en cherchant ses mots pour le remercier de son cadeau qui lui allait droit au cœur. Mais surtout pour lui faire preuve de sa gratitude de ne pas lui tenir rigueur de son emportement.

- " Qu'est-ce... que je vous sers ? " L'interrompit dans sa réflexion l'une des serveuses, qui malgré son sourire commercial fut trahie par les tremblements de sa voix démontrant la peur qu'elle ressentait à l'égard de la cyborg.

Un fait qui n'échappa nullement à la révolutionnaire qui poussa un discret soupir de tristesse avant de poser ses deux billes rouges sur la jolie rousse, forçant un sourire chaleureux dont elle avait le secret grâce à son entraînement d'agente.

- " Un verre serait parfait. " Lui répondit la jeune femme de sa douce voix mélodieuse qui contrastait avec son image de machine démoniaque que l'employée s'en était faite.

- " Vous ne voulez rien d'autre ? " S'étonna la rouquine d'une voix qui ne tremblait dorénavant plus et dont le visage était devenu plus rayonnant. " Je peux demander à vous faire préparer un bon petit-déjeuner si vous le souhaitez. Nous avons des œufs... " Déclara cette dernière en montrant d'un signe de tête l'assiette qui se trouvait devant le marchand. " Nous pouvons aussi vous préparer du bacon ou bien si vous préférez du laitage ou des frui... "

- " Juste un verre, ça ira. " La coupa avec douceur Hayase en secouant doucement la tête tout en continuant d'aborder son sourire avant de regarder du coin de l'œil l'homme à sa table. " Malheureusement pour moi, je ne ressens plus le besoin de manger à cause de ce corps. " Annonça-t-elle en signe de bonne foi à ce dernier pour lui montrer qu'elle ne lui en voulait pas d'avoir été si curieux à la vue de ses prothèses avant de reposer ses magnifiques yeux sur la demoiselle. " Mais merci pour votre sollicitude ma jolie. "

Surprise par les dernières paroles d'Hayase qui se sentait déjà plus à l'aise, la serveuse battit plusieurs fois des cils avant de se reprendre. Prenant ensuite congé le temps d'aller lui chercher un verre, la salariée de l'établissement revint rapidement vers la cyborg qui au moment de s'en saisir lui frôla la peau de ses doigts tout en la remerciant avec un petit clin d'œil. Face à ce geste de séduction, la rouquine entrouvrit légèrement les lèvres tandis que ses joues devenaient écarlate.

- " Je... je vous en prie.. " Balbutia cette dernière qui ne savait plus où se mettre tout en recoiffant une mèche derrière son oreille. " N'hésitez pas s'il vous faut autre chose... "

- " Votre nom suffira. " Souffla la cyborg d'une voix sensuelle tout en lui attrapant délicatement le poignet au moment où la serveuse était sur le point de repartir

- " My.. Myrtille... " Répondit-elle la respiration légèrement haletante en sentant son cœur s'emballer sans en comprendre la raison.

Se décidant à la lâcher, Hayase la remercia de nouveau avant que cette dernière n'en reparte à ses obligations. Sur le chemin d'une autre table, la jolie rousse tourna la tête dans la direction de la brunette qui ne la quittait pas des yeux. Leur regard se croisant, la serveuse se plongea dans ses deux magnifiques rubis qui l'envoûtaient étrangement. Quand soudain, ne faisant pas attention où elle allait, elle percuta de plein fouet une de ses collègues qui fit renverser un plateau contenant plusieurs verres qui se brisèrent au contact du sol.

- " Très craquante... " Laissa s'échapper Hayase dans un petit ricanement avant de voir une personne qui lui était bien connue rentrer dans son champ de vision. " Ah, bah, ce n'est pas trop tôt espèce de grosse marmotte ! "

Descendant les marches de l'escalier avec difficulté, le meilleur ami de la cyborg dont la mauvaise mine reflétait les ravages de l'alcool fit enfin son apparition.


Dernière édition par Hayase Yorha le Dim 17 Mar 2024 - 1:16, édité 1 fois
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    Tandis qu’il descendait laborieusement l’étroit escalier qui menait à la salle commune, Kant aperçut Hayase attablée avec Reda, autour d’un copieux petit-déjeuner. C’est la paix qui gagne une bataille, se dit-il.

    La nuit précédente, tandis qu’il s’échinait à fomenter des plans de plus en plus abracadabrantesques pour mener à bien la mission dont il se croyait investi, le révolutionnaire sentit soudainement la présence de sa nakama. Il la sentit si près, qu’il crut d’abord qu’elle pénétrait dans la pièce à l’instant, mais il n’en était rien. Ce n’est qu’une poignée de secondes plus tard qu’il entendit Hayase entrer dans sa chambre, au cri des gonds rouillés qui en maintenaient la porte. La savoir à côté suffit à rassurer Kant.

    Dans la salle commune, nul ne semblait plus s’inquiéter des événements de la veille. En voyant Kant débarquer, la tenancière qui était occupée à servir ses plats lui adressa un sourire radieux, signifiant certainement qu’elle était satisfaite du dédommagement. Il répondit poliment en opinant du chef et prit place à table aux côtés d’Hayase.

« Radieuse, lumineuse, et … Kant marqua une pause théâtrale, cherchant l'adjectif parfait pour décrire sa nakama, puis conclut avec un brin de malice : Exquise ! J’suis bien content de te voir.

Kant décocha un regard cinglant à Reda, puis s’adoucit progressivement, jusqu’à lui sourire.

- Vendeur de tapis ! T’es comme la misère toi, t’es partout ! »

Après quelques disputes à propos de l’ordre dans lequel consommer le Arak ou le petit-déjeuner, la fine équipe réunie se fendit d’une discussion agréable à propos de l’île, de sa singularité, de ses paysages et de ses nombreux autres charmes. Hayase fit de maints efforts pour empêcher Kant de s’indigner à haute voix à propos du sujet qui lui brûlait les lèvres : l’esclavage. Et cela était tout à fait intelligible : bien que tout trois aient été indignés par les pratiques esclavagistes dont ils furent témoins la veille, il n’était guère opportun de crier sur tous les toits son opposition au pouvoir si solidement ancré. Kant fit un effort et baissa la voix, s’assurant que seuls ses comparses puissent l’entendre.

« Cette nuit, y’a une illumination m’a traversé l’esprit : nous n’avons pas amarré l’Irrévérence sur ce cailloux sablonneux pour faire du tourisme ! Oh non ! Haya, nous allons casser du maillon ! »

Silencieuse, Hayase interrogea Kant du regard.

« Du maillon ! Les maillons des chaînes, quoi. Les chaînes d’esclaves… Tu vois … ?

Un silence pesant tomba sur la table. Le jeune révolutionnaire ne se débina pas pour autant.

- C’est pour le côté épique ! Casser du mai…

- Suffit, abrège, l’interrompit sèchement Hayase.

- D’accord … »

Kant se lança alors dans un monologue passionné, détaillant un plan aussi audacieux qu'hasardeux, impliquant des déguisements, des communications secrètes et une coordination digne d'une pièce de théâtre.

« C’est encore mieux ficelé qu’un plan du Cipher Pol, hein ? »

- Peut-être, répondit Hayase, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous attarder ici…

- Comment ?! Et pourquoi ça ? »

D’un geste, Hayase tendit à Kant le journal quotidien qu’elle venait de parcourir. La une était sans équivoque : Sainte-Adela venait de prendre la mer en direction de Jaya, et l’île, bastion de la révolution, risquait de sombrer sous l’assaut des capitaines corsaires.

La résignation se lue sur le visage de Kant. Quelques temps aupparavant, il s’était rendu sur Jaya pour participer à sa fortification et s’était noué d’amitié avec ses habitants. Depuis longtemps, il avait pris la décision de ne pas manquer à l’appel et de s’opposer à l’attaque de Sainte-Adela lorsque cette dernière oserait mettre ses plans farfelus à exécution.

« Bon, et bien... dit Kant en fouillant dans son sac. On sait ce qu’il nous reste à faire, alors. »

Il déposa soigneusement sur la table l’Eternal pose dont l’aiguille pointait, imperturbable, vers l’île de Jaya.

« Nous partirons dès ce soir, dit Kant en terminant son verre. Il nous faut un peu de préparation… Puis il déposa un regard attristé sur Reda. J’aurais préféré que notre passage sur ton îlot ait été plus bénéfique… mais le devoir nous appelle ailleurs. Prends bien soin de toi, marchand de tapis ! »

Ce n’est pas sans regret que l’Irrévérence leva l’ancre ce soir-là, mais malgré toute leurs réserves à l’égard de l’Armée Révolutionnaire, l’Adventice ne pouvait se résoudre à la laisser défendre Jaya seule.
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