Cela faisait maintenant plusieurs mois que je résidais dans cette nouvelle cellule. Ce n’était toujours pas le grand luxe, un simple matelas, un miroir et des murs qui semblaient légèrement mieux insonorisés, voilà le confort auquel j’avais désormais le droit. A en juger par la longueur du couloir où ma cellule se trouvait, il ne devait pas y avoir plus d’une quinzaine de pièces dans cette partie de l’étage, nombre coïncidant plus ou moins avec le total de survivants aux épreuves auxquelles j’avais pu participer il y a quelque temps déjà. Depuis, il y avait eu quelques changements dans mon quotidien, à commencer par un sommeil que je retrouvais progressivement. De plus, nous mangions davantage à notre faim et une espèce de zone d’entraînement était mise à notre disposition entre certaines tranches horaires. Là-bas, il était possible de s’entraîner physiquement avec tout type de machines, dont l’utilisation ne me paraissait pas forcément intuitive. A défaut de tout comprendre, je me contentais la plupart du temps d’utiliser des poids, repoussant des limites que je n’aurai jamais imaginées il y a quelques mois de cela.
Certes, mon nouveau physique robotique aidait sans aucun doute, mais mon mental semblait s’être également conditionné pour me faire survivre par tous les moyens. Désormais, c’était tuer ou être tuée. Nous n’étions pas dupes entre survivants, ces mois de repos qui nous avaient été accordés, n’étaient uniquement dû qu’à un manque de cobayes pour poursuivre leurs expérimentations. Il n’y avait aucun doute que dès lors qu’une nouvelle vague de gagnant arriverait, notre “paisible” quotidien prendrait fin. Chaque prisonnier vivait l’expérience à sa manière, certains cherchant à se sociabiliser et à s’unir, d’autres en tentant de s’attirer la bonne grâce des gardes et scientifiques. Pour ma part, je préférais ne pas trop me mêler aux autres. Je souhaitais simplement sortir d’ici et reprendre mes activités d’artiste aussi vite que possible. Il m’arrivait parfois d’étaler de manière plus ou moins harmonieuse la nourriture qui passait par une trappe, me rappelant de cette époque où je pouvais profiter librement du plaisir de parcourir une toile avec la tête d’un pinceau. Il allait sans dire que mes conditions de détention s’étaient bien améliorées en comparant au calvaire que j’avais pu subir à mon arrivée. Si je me mettais à imiter certains détenus, j'aurais pu même avoir quelques passe-droits, me permettant de circuler plus ou moins librement dans le complexe, certaines zones et étages restant totalement interdits d’accès. Mais j’avais suffisamment joué les lèches-bottes dans l’aristocratie de Tricastin pour m’y abaisser à nouveau désormais. A partir de maintenant, je serai moi-même, quoi qu’il m’en coûte.
Ce matin, je me dirigeai comme à mon habitude vers la salle d’entraînement, croisant plusieurs cobayes sur la route. Cependant quelque chose clochait, comme si tout le personnel s’affairait à quelque chose. Les pas dans les couloirs étaient désormais des enjambées et les gens se bousculaient parfois sans prendre même le temps de se retourner. Certes, ce lieu n’avait jamais eu grand chose d’accueillant ou de distingué, mais c’était la première fois qu’une telle ambiance régnait. Soudain, les haut-parleurs se mirent à grésiller.
“- Tous les détenus du second étage sont priés de se rendre dans leur cellule, une nouvelle vague d'opérations sera effectuée sous peu.”
En voilà une voix qui m’avait manqué. On dirait que ma séance de sport coupait à court, je me dirigeai à nouveau vers la pièce fade dont je venais à peine de sortir. La porte claqua derrière moi et les minutes se faisaient longues, sous couvert des cris au loin de mes voisins de cellule qui passaient sur le billard. Puis mon tour arriva, annoncé par les verrous se désenclenchant. J’avais beau ne pas avoir envie d’avancer, les gardes m’escortant faisaient crépiter leurs armes électriques dans mon dos, moyen de pression plutôt efficace à en juger l’accélération soudaine de ma marche. Depuis mon arrivée et mes premières prothèses, je n’étais pas repassée dans cette salle qui ne m’avait nullement manqué. Le sang encore à moitié liquide tapissait les bâches au sol, alors qu’on me mit un bout de bois épais entre les dents et que les multiples scies s’échauffaient. J’aurai aimé assister plus longtemps à cette scène, au moins pour en comprendre les tenants et aboutissants, mais ce furent mes derniers souvenirs, la douleur que je ressentis à l’épaule me plongeant dans un coma de courte durée. A mon réveil dans ma cellule, mes bras me semblaient engourdis et en les regardant davantage, de fines crevasses pouvaient y être décelées, bien que j’en ignorais encore leur utilité.
“- Les opérations sont désormais terminées, veuillez vous préparer à entrer dans le rang et à suivre les gardiens attitrés” reprenaient les haut-parleurs.
Je m’exécutai alors, attendant dans une angoisse non dissimulée, et visiblement partagée par mes voisins.
Ce sont les résultats qui comptent !
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