Pour la seconde fois en peu de temps, Méria se trouvait aux abords du lac Thérèse. C'était là qu'elle avait fait son premier coup sur Boréa. L’événement lui semblait si proche et déjà pourtant si loin à la fois. C'était une drôle d'impression. Vêtue comme les locaux, avec un long manteau rouge à capuche parsemée de fourrure, la pirate déambulait dans la neige à pas lents. Une fois par an, à la saison actuelle, quand le soleil se couchait tôt, les habitants de l'île organisaient un festival réputé pour ses lumières et ses feux d'artifice. C'était un événement à ne pas manquer. Avançant avec des raquettes aux pieds, même si elle n'en avait guère besoin, la Peste se mêlait à la foule à visage découvert. Partout, il y avait de petits stands et des tentes pour se réchauffer et s'abriter de la neige. On y mangeait, buvait et dansait. Il fallait bien reconnaître que l'ambiance était particulièrement agréable.
Comme de coutume, le roi de Boréa, Maximilian Nordin, avait sa propre tente. Immense en comparaison avec les autres, elle était bien gardée. Fort heureusement pour le souverain, il était apprécié de ses sujets et ne craignait, à priori, pas grand chose. Une choppe de bièrraubeurre à la main, la pirate vit finalement le souverain de l'île quitter ses quartiers. Le suivant de loin, elle arriva, tout comme lui, près du lac. Même avec le froid mordant qui régnait, les eaux ne gelaient pas. Pour cette raison, l'on pouvait y naviguer en toutes saisons. Il était de coutume, avant que ne vienne les festivités du soir, qu'une immense course de kayak ait lieu. Connu pour faire lui-même le plus de choses possibles, Maximilian avait une fois encore insisté pour participer lui aussi. Avec un sourire narquois, Méria ne put s'empêcher de rire de la situation. Parmi cette foule, elle seule savait que le monarque n'était pas la personne qu'il prétendait être. Sous les traits du fier roi de Boréa se trouvait en réalité sa seconde, Jeyne Hill, fière pirate ayant mangé le travesti fruit. Cela faisait un mois à présent qu'elle avait remplacé le monarque sans que personne ne s'en aperçoive. Aujourd'hui, il était grand pour Méria de réclamer ce qui lui était dû.
N'ayant pas la moindre envie de risquer une chute dans l'eau, ce qui l'obligerait à utiliser ses pouvoirs pour s'en sortir, la flibustière décida de rester aux bords du lac. Impassible, elle observa la course sans que cela ne l'intéresse véritablement. Le niveau étant assez élevé, Jeyne ne termina pas première. Ce n'était cependant pas car elle n'en était pas capable, mais parce que le roi était connu pour ne jamais y arriver. Ce n'était qu'un détail, mais c'était un moyen de se fondre dans le personnage. Arrivant tout de même bon cinquième, il eut droit aux félicitations des badauds. S'approchant lentement du roi, la Louve parvint à passer au travers de la foule. Jouant des coudes, elle parvint à finir à quelques mètres seulement du monarque. Bloquée par plusieurs gardes, elle attendit que Jeyne soit suffisamment proche et fit exprès de trébucher pour tomber dans la neige. Galant, le roi s'arrêta, posa un genou à terre et aida la jeune femme rousse à se relever. De manière ostensible et théâtrale, la pirate relava lentement la tête en faisant voler quelques mèches de cheveux. Les regards des deux complices se croisèrent et ils marquèrent un temps d'arrêt de quelques secondes. Pour tous, cela ressemblait à s'y méprendre à un coup de foudre horriblement mièvre dont les romans à l'eau de rose avaient le chic. Ceci étant, comme on disait souvent, plus c'était gros, mieux ça passait.
« Mademoiselle, vous n'avez rien.
- Non. Merci, votre majesté.
- Maximilian, appelez moi Maximilian.
- Je ne sais pas si j'en aurai l'audace, votre majesté. »
En un rien de temps, le contact était établi. Sous le charme de l'étrangère, le roi lui proposa de l'accompagner. Rougissant légèrement par moments quand il la regardait, il quitta lentement la foule en sa compagnie pour prendre la direction de sa tente. Seuls dans les quartiers privés du roi, les deux pirates finirent finalement tomber le masque.
« Votre majestééééé.
- Oh ça va.
- Ose me dire que je ne suis pas convaincante dans le rôle de la midinette enamourée.
- Hum, si on veut. Disons que ça ne colle pas bien avec ta réputation.
- Et c'est justement ça qui rendra ce grossier mensonge encore plus crédible.
- Le pire, c'est que tu as sûrement raison.
- Toujours ! Bon alors, tes nouvelles fonctions te plaisent ?
- À un point que tu ne saurais même pas imaginer. Je suis arrivée bien plus loin que mon père ne le pourra jamais.
- Y'a pas de doutes.
- La sœur de Maximilian m'a posé quelques soucis, mais j'ai réussi à m'en sortir. Une vraie petite fouineuse, je pense qu'il faudra nous en débarrasser dans un futur plus ou moins proche.
- Quel grand frère indigne tu fais.
- Pfff, arrête tes conneries.
- Bien sûr votre Majesté.
- Bon, plus sérieusement. On continue comme prévu. On mange ensemble, on passe la soirée tous les deux à se murmurer des choses.
- Ouais, vendons leur l'histoire. C'est tellement niais que ça va forcément prendre.
- Espérons. »
Se replongeant dans leur rôle, les deux femmes dînèrent à deux. Une fois le moment venu, le roi et son invitée assistèrent au spectacle du soir. Si Méria ne vit pas grand intérêt aux attractions lumineuse, elle fut cependant bien plus captivés par le somptueux feu d'artifice. Assez étonnamment, elle n'en avait presque jamais vu de sa vie. Une fois la nuit déjà bien entamée, les deux tourtereaux furent contraints de se quitter. Mais coup de théâtre, au petit matin, ils se retrouvèrent pour passer encore plus de temps ensemble. De loin, les gens purent les voir en train de se balader aux abords du lac Thérèse, sous bonne garde. Prenant de court ses proches, le roi proposa finalement à la jeune femme de de l'accompagner à Bourgeoys. Sur le chemin, plusieurs conseillers, qui avaient appris l'identité de la pirate, tentèrent de le mettre en garde, mais en vain. N'écoutant que son cœur, Maximilian restait sourd.
ciitroon
Liberté, Liberté Chérie !