Une cuistot pas si en détresse que ça
Les flocons immaculés virevoltaient en tous sens. Alors que le navire de plaisance se rapprochait de Boréa, Hayato sentait l'air se rafraîchir de plus en plus. Lui qui avait été habitué au climat plus doux de West Blue, s'émerveillait devant le spectacle. Jamais, de toute sa vie, n'avait-il vu autant de neige ! Le fin manteau blanc recouvrait la ville portuaire de Lavallière. Toutes les habitations semblaient ensevelies, mais les rues pavées avaient été dégagées à la force des bras. Les habitants vaquaient à leurs occupations, chaudement habillés, dans un climat des plus rudes. Les températures devaient être négatives mais, à peine descendu du navire, Hayato put apprécier l'accueil chaleureux qu'on réservait aux voyageurs. Un homme brun chaudement habillé s'approcha de lui, tout sourire, avant de l'interpeller gaiement :
- Bienvenue ! Je m'appelle Tom, je suis un des hérauts de l'Aurore. Vous ressemblez à un aventurier, mais vous avez perdu la tête si vous pensez survivre avec cette simple robe de chambre, monsieur !
- Enchanté, je m'appelle Suisou Hayato. Je vous remercie pour votre accueil, Tom, mais c'est un kimono. Cela dit, je dois avouer qu'il ne fait pas chaud, chez vous.
- Ah ça ! La première fois, ça surprend ! Mais rien qu'un bon manteau et un verre de vin chaud ne sauront résoudre. C'est votre première fois à Boréa, pas vrai ? Une raison particulière pour venir découvrir notre beau pays ?
- Je ne suis jamais venu, et je comptais faire un peu de tourisme, répondit Hayato. Mais je dois avouer que la vue est superbe, depuis l'océan. Je ne suis pas déçu.
Comme l'épéiste commençait à frissonner, Tom sourit et hocha la tête d'un air entendu :
- Si c'est la première fois, je vais vous accompagner car vous devez être mis au courant de vos droits et des lois en vigueur ici. Vous préférez séjourner dans une auberge ou dormir chez l'habitant ?
- Je ne savais même pas qu'il était possible d'être hébergé si facilement, s'étonna le bretteur.
- Va pour l'habitant alors. Justement ! Je connais un petit couple de vénérables citoyens qui auraient besoin d'aide pour quelques travaux ménagers. Cela ne vous dérange pas ?
- C'est le moins que je puisse faire, s'ils m'accueillent.
- Excellent ! Venez, vous en profiterez pour leur demander un manteau. Vous allez finir par mourir de froid, si vous restez planté là comme un radis !
Alors que son guide s'éloignait, Hayato lui emboîta le pas. Partout autour de lui la vie continuait, malgré le froid polaire et la neige qui s'accumulait. Les routes auraient dû être impraticables et le climat aurait dû en faire fuir plus d'un, mais les locaux semblaient s'en soucier comme d'une guigne. Ce devait être un peuple vaillant et robuste, pour survivre ici toute l'année ! D'une oreille attentive, le vagabond écouta le héraut de l'Aurore lui énoncer ses droits et devoirs. Le commerce était limité à la guilde des marchands, pour deux raisons. Les locaux recourraient au troc, et les étrangers avaient, par le passé, plusieurs fois tenté d'escroquer les habitants. Ici, la communauté primait sur l'individu, de sorte que les Boréalins mettaient tous le cœur à l'ouvrage, peu importait leur statut social. Enfin, en théorie.
- Vous êtes libre d'aller et venir comme vous le souhaitez, du moment que vous ne causez pas de problème. Par contre, si vous voulez vous rendre à Bourgeoys, la capitale, il vous faudra un laisser passer.
- En quoi la capitale est-elle si différente ? questionna Hayato.
- Et bien, déjà, la noblesse y habite. Vous verrez que le climat est plus... austère. Enfin, si vous faites partie du bas peuple, en tout cas. Là bas, ça fourmille de gens de la haute société et de leurs esclaves...
- Sans façon, alors. J'ai eu de très mauvaises expériences avec les esclavagistes, je ne tiens pas à recommencer.
À ces mots, l'épéiste se remémora son passage sur Rhétalia et, instinctivement, serra les dents. Il se demandait ce qu'était devenue Jeska, depuis le temps. Bien vite, il retourna à la situation présente lorsque son guide s'arrêta devant une petite bicoque. Elle avait une allure solide, avec des murs de pierres et un toit bardé de robustes tuiles enneigées. De la fumée sortait depuis une cheminée en pierre. Tom se racla la gorge, avant de bruyamment frapper à la porte en bois massif. Bien vite, un sacré remue ménage s'éleva derrière le vantail, avant qu'il ne s'ouvre violemment. Un petit couple de personnes âgées apparut dans l'encadrement et, d'une même voix, ils s'écrièrent à plein poumons :
- Non, merci ! Nous n'avons besoin de rien, nous n'achèterons rien, et vous pouvez vous brosser avec vos prospectus !
Sitôt leur tirade achevée. Ils refermèrent sèchement la porte. Tom soupira, avant de frapper derechef. Comme les deux ancêtres allaient se lancer dans le même sermon, son guide les arrêta d'une main gantée sur l'épaule. Il leur cria presque dessus :
- Simon, Bertha, c'est Tom ! Je vous amène un invité.
- Non. On ne veut ni des pommes, ni du thé ! Au rev...
- METTEZ VOS LUNETTES ! leur hurla-t-il dans l'oreille
Comme le couple obtempérait, ils clignèrent des yeux plusieurs fois, avant de changer du tout au tout. Leurs vieux faciès ridés s'étirèrent en deux grands sourires, laissant bien loin les mines acariâtres qu'ils leur avaient réservées jusqu'à présent. Simon se caressa la barbe qui lui arrivait à la poitrine, avant d'éclater de rire. Bertha arrangea son chignon de cheveux gris, puis épousseta prestement ses habits rouge et vert, avant de s'écrier :
- C'est Tom ! Et il nous amène un invité !
- Comme c'est aimable, mon Tom ! surenchérit Simon. Entrez, entrez, nous vous avions pris pour des vendeurs à la sauvette.
- Ça fait des années que la ville n'en compte plus, vous savez ? tenta Tom, en vain.
- J'ai pas de navets, Tom, s'excusa la vieille femme. En plus, c'est pas l'heure du souper.
Tom et Hayato s'essuyèrent les pieds pleins de neige sur le paillasson, puis entrèrent dans la demeure à l'image des propriétaires. Un mobilier rustique, solide, mais démodé. Des meubles en bois brut, des peintures et photos d'un autre temps, des tapis, des bibelots, des lampes pelle-mêle... Comme on pouvait s'y attendre, la décoration chargée rendait tout déplacement difficile. Leurs hôtes finirent par les faire asseoir sur un grand canapé en cuir, face à une table dotée d'un napperon. Ils disparurent dans la cuisine et revinrent avec du thé fumant et des petits gateaux. Le couple d'ancêtres prit place dans leurs fauteuils respectifs, puis soupirèrent de soulagement.
- Et donc, Tom ?
- Et bien, je vous amène un invité ? tenta ce dernier.
- Ah oui ! Ton thé est là. Et qui est ce jeune homme ? Tu t'appelles comment, mon petit ?
L'épéiste se pencha en avant et hurla à plein poumons :
- SUISOU HAYATO ! JE VOUS REMERCIE DE M'ACCUEILLIR CHEZ VOUS !
- Oh ! Simon ! Comme mon mari !
- Ça risque de ne pas être pratique... t'as pas un autre nom ? demanda Simon.
- HAYATO !
- Aaaah ! C'est joli ! Et donc, tu veux du thé aussi, Palato ?
Après plusieurs minutes de longues et poussives explications, le vieux couple sembla finir par comprendre. Ils remercièrent chaudement Tom qui, bien vite, en profita pour s'éclipser. Une fois seul avec ses hôtes, le vagabond effectua plusieurs tâches ménagères sous les yeux ravis des propriétaires. Couper le bois, raviver le feu, dépoussiérer la cuisine et ranger les courses qu'un jeune homme leur avait apporté... en quelques instants, Hayato mit un peu d'ordre dans cette maisonnée. Après des efforts indescriptibles, il finit par se faire comprendre et réussit à emprunter des bottes, un manteau et d'autres vêtements chauds. Il s'inclina et sortit se promener, non sans entendre derrière lui :
- On t'attend pour le souper, Palato ! Ah ! Et fais attention aux ours !
Le vagabond sourit face à cette mise en garde, avant de réfléchir un instant. S'ils étaient définitivement sourds au dernier degré, ces deux charmants octagénaires ne semblaient pas déments pour autant. Y avait-il vraiment des ours sur cette île ? Emmitoufflé dans son manteau, Hayato décida de se promener un instant, avant de chercher à se rendre vers la forêt avoisinante. Ses pieds bottés crissaient sur la neige, tandis qu'il traversait Lavallière. En chemin, il passa devant l'énorme QG de la marine locale, qui devait abriter plusieurs milliers de soldats. Devant l'entrée principale, une scène étonnante se déroulait. Une jeune femme aux cheveux flamboyants et habillée d'un tablier blanc, par dessus un uniforme, s'entretenait avec les marines. Pour être plus précis, les voix montaient tellement dans les octaves que le quartier entier devait entendre la discussion mouvementée, que les locaux le veuillent ou non. Apparemment, la prénommée « Fiona » avait hate de terminer ses travaux d'intérêt général. Elle devait quitter la base dans trois jours à peine, et comptait bien claquer la porte sans plus jamais revenir.
Loin de jouer les fouineurs, à la différence de toute une foule qui s'était rassemblée sur les lieux, l'épéiste passa son chemin. Sans se presser, il chemina en direction de la lisière de la ville. Peu à peu, les échos de la dispute se firent de plus en plus lointains, jusqu'à s'éteindre finalement. Enfin, le voyageur put profiter d'un calme apaisant, alors qu'il arrivait aux abords d'une forêt de pins. Dense et riche en fragrances musquées, la zone respirait la nature. Un silence profond l'accueillit, à peine brisé par les bruits des animaux sauvages et l'avancée d'Hayato. Il finit par trouver une petite clairière ravissante, et embrassa la scène du regard. L'herbe pointait à peine, sous une épaisse couche de neige, tandis que quelques rochers s'éparpillaient dans une harmonie simple et brute. Un cours d'eau glacée coulait au milieu de la place, laissant quelques animaux s'abreuver avec mille précautions. Un cerf leva la tête, pour détailler le nouvel intrus. Ses oreilles s'agitèrent un instant, lorsqu'Hayato lui sourit avant de s'incliner. Comme le cervidé se rendait compte que l'épéiste continuait son chemin jusqu'à une pierre, il baissa de nouveau le cou pour s'abreuver.
« Voilà qui fera merveilleusement l'affaire. », se dit l'artiste martial en pensée.
À l'aide de son bokken, il retira la majeure partie de la neige accumulée sur la pierre plate, avant de terminer le travail avec ses mains. Il s'assit ensuite sur le rocher en tailleur, avant de fermer les yeux de contentement. Il laissa son esprit s'apaiser, guidé par sa respiration ample et régulière. Les secondes s'étirèrent, tandis que l'épéiste méditait. Les animaux, tout d'abord interdits, finirent par s'approcher quelque peu du phénomène inconnu. Curieuse, une biche alla jusqu'à le renifler de plus près. Lorsque le vagabond ouvrit les yeux, il tomba sur de multiples animaux qui le regardaient, en un grossier arc de cercle devant lui. Il leur sourit calmement, avant de gratter la biche derrière ses oreilles, de gestes lents et doux.
Soudain, la véritable ménagerie devant lui trésaillit à l'unisson. Un instant plus tard, Hayato entendit un grognement rauque s'élever dans son dos. Alors que les animaux fuyaient, il se retourna pour se retrouver nez à nez avec un ours brun. Ce dernier semblait particulièrement revèche. Par réflexe, Hayato tenta de le calmer par gestes et à l'aide d'une voix sereine, mais rien n'y fit. L'ursidé lui fonça dessus sans plus de préambule ! D'un geste fluide, l'épéiste sauta au bas du rocher, dégaina et se tint prêt. Alors que l'énorme patte se levait, le guerrier esquiva sur l'extérieur et frappa dans le même mouvement. Le bokken s'abattit sur la tête dure et poilue dans un craquement audible dans toute la clairière. Dans un rale étouffé, l'ours s'écroula, sous le regard étonné d'Hayato. Il savait pouvoir assommer, ou effrayer la bête au point de la faire fuir... mais de là à pouvoir la vaincre en une seule attaque ? La réponse lui apparut rapidement :
- OÏ ! Touche pas à mon ours, toi ! C'est pour le menu de ce soir !
Lorsqu'il se retourna, Hayato découvrit la jeune fille qu'il avait croisée devant le QG de la marine. Cette dernière continua de l'houspiller, tout en s'approchant les poings sur les hanches. Ses yeux bleus perçants lui jetaient un regard mi- courroucé, mi-intrigué. À mesure que la nouvelle venue s'approchait, il put distinger de multiples tatouages colorés sur son visage et son cou, ainsi que des cicatrices d'anciens combats. Il était prêt à parier que, sous le lourd manteau et les mouffles se cachait un corps musclé et sec. Sans s'arrêter en si bon chemin, Fiona reprit la parole d'un ton remonté :
- Sans déconner ! J'avais besoin de me défouler, mais cette vieille baudruche s'est carapatée avant que j'ai terminé... Encore heureux que t'aies visé la tête ! Imagine, si t'avais abimé les cotes ou, pire, percé un intestin... j'aurais été fine pour faire des saucisses, après !
Subissant l'assaut sans mot dire, l'épéiste clignait des yeux comme une chouette. La masse d'informations était bien trop importante et, surtout, bien trop saugrenue pour pouvoir y réagir. Mais qui était cette fille ?
Dernière édition par Suisou Hayato le Mer 13 Mar 2024 - 22:42, édité 1 fois