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Une cuistot pas si en détresse que ça


Une cuistot pas si en détresse que ça

Les flocons immaculés virevoltaient en tous sens. Alors que le navire de plaisance se rapprochait de Boréa, Hayato sentait l'air se rafraîchir de plus en plus. Lui qui avait été habitué au climat plus doux de West Blue, s'émerveillait devant le spectacle. Jamais, de toute sa vie, n'avait-il vu autant de neige ! Le fin manteau blanc recouvrait la ville portuaire de Lavallière. Toutes les habitations semblaient ensevelies, mais les rues pavées avaient été dégagées à la force des bras. Les habitants vaquaient à leurs occupations, chaudement habillés, dans un climat des plus rudes. Les températures devaient être négatives mais, à peine descendu du navire, Hayato put apprécier l'accueil chaleureux qu'on réservait aux voyageurs. Un homme brun chaudement habillé s'approcha de lui, tout sourire, avant de l'interpeller gaiement :


- Bienvenue ! Je m'appelle Tom, je suis un des hérauts de l'Aurore. Vous ressemblez à un aventurier, mais vous avez perdu la tête si vous pensez survivre avec cette simple robe de chambre, monsieur !
- Enchanté, je m'appelle Suisou Hayato. Je vous remercie pour votre accueil, Tom, mais c'est un kimono. Cela dit, je dois avouer qu'il ne fait pas chaud, chez vous.
- Ah ça ! La première fois, ça surprend ! Mais rien qu'un bon manteau et un verre de vin chaud ne sauront résoudre. C'est votre première fois à Boréa, pas vrai ? Une raison particulière pour venir découvrir notre beau pays ?
- Je ne suis jamais venu, et je comptais faire un peu de tourisme, répondit Hayato. Mais je dois avouer que la vue est superbe, depuis l'océan. Je ne suis pas déçu.


Comme l'épéiste commençait à frissonner, Tom sourit et hocha la tête d'un air entendu :


- Si c'est la première fois, je vais vous accompagner car vous devez être mis au courant de vos droits et des lois en vigueur ici. Vous préférez séjourner dans une auberge ou dormir chez l'habitant ?
- Je ne savais même pas qu'il était possible d'être hébergé si facilement, s'étonna le bretteur.
- Va pour l'habitant alors. Justement ! Je connais un petit couple de vénérables citoyens qui auraient besoin d'aide pour quelques travaux ménagers. Cela ne vous dérange pas ?
- C'est le moins que je puisse faire, s'ils m'accueillent.
- Excellent ! Venez, vous en profiterez pour leur demander un manteau. Vous allez finir par mourir de froid, si vous restez planté là comme un radis !


Alors que son guide s'éloignait, Hayato lui emboîta le pas. Partout autour de lui la vie continuait, malgré le froid polaire et la neige qui s'accumulait. Les routes auraient dû être impraticables et le climat aurait dû en faire fuir plus d'un, mais les locaux semblaient s'en soucier comme d'une guigne. Ce devait être un peuple vaillant et robuste, pour survivre ici toute l'année ! D'une oreille attentive, le vagabond écouta le héraut de l'Aurore lui énoncer ses droits et devoirs. Le commerce était limité à la guilde des marchands, pour deux raisons. Les locaux recourraient au troc, et les étrangers avaient, par le passé, plusieurs fois tenté d'escroquer les habitants. Ici, la communauté primait sur l'individu, de sorte que les Boréalins mettaient tous le cœur à l'ouvrage, peu importait leur statut social. Enfin, en théorie.

- Vous êtes libre d'aller et venir comme vous le souhaitez, du moment que vous ne causez pas de problème. Par contre, si vous voulez vous rendre à Bourgeoys, la capitale, il vous faudra un laisser passer.
- En quoi la capitale est-elle si différente ? questionna Hayato.
- Et bien, déjà, la noblesse y habite. Vous verrez que le climat est plus... austère. Enfin, si vous faites partie du bas peuple, en tout cas. Là bas, ça fourmille de gens de la haute société et de leurs esclaves...
- Sans façon, alors. J'ai eu de très mauvaises expériences avec les esclavagistes, je ne tiens pas à recommencer.


À ces mots, l'épéiste se remémora son passage sur Rhétalia et, instinctivement, serra les dents. Il se demandait ce qu'était devenue Jeska, depuis le temps. Bien vite, il retourna à la situation présente lorsque son guide s'arrêta devant une petite bicoque. Elle avait une allure solide, avec des murs de pierres et un toit bardé de robustes tuiles enneigées. De la fumée sortait depuis une cheminée en pierre. Tom se racla la gorge, avant de bruyamment frapper à la porte en bois massif. Bien vite, un sacré remue ménage s'éleva derrière le vantail, avant qu'il ne s'ouvre violemment. Un petit couple de personnes âgées apparut dans l'encadrement et, d'une même voix, ils s'écrièrent à plein poumons :


- Non, merci ! Nous n'avons besoin de rien, nous n'achèterons rien, et vous pouvez vous brosser avec vos prospectus !


Sitôt leur tirade achevée. Ils refermèrent sèchement la porte. Tom soupira, avant de frapper derechef. Comme les deux ancêtres allaient se lancer dans le même sermon, son guide les arrêta d'une main gantée sur l'épaule. Il leur cria presque dessus :


- Simon, Bertha, c'est Tom ! Je vous amène un invité.
- Non. On ne veut ni des pommes, ni du thé ! Au rev...
- METTEZ VOS LUNETTES ! leur hurla-t-il dans l'oreille


Comme le couple obtempérait, ils clignèrent des yeux plusieurs fois, avant de changer du tout au tout. Leurs vieux faciès ridés s'étirèrent en deux grands sourires, laissant bien loin les mines acariâtres qu'ils leur avaient réservées jusqu'à présent. Simon se caressa la barbe qui lui arrivait à la poitrine, avant d'éclater de rire. Bertha arrangea son chignon de cheveux gris, puis épousseta prestement ses habits rouge et vert, avant de s'écrier :


- C'est Tom ! Et il nous amène un invité !
- Comme c'est aimable, mon Tom ! surenchérit Simon. Entrez, entrez, nous vous avions pris pour des vendeurs à la sauvette.
- Ça fait des années que la ville n'en compte plus, vous savez ? tenta Tom, en vain.
- J'ai pas de navets, Tom, s'excusa la vieille femme. En plus, c'est pas l'heure du souper.


Tom et Hayato s'essuyèrent les pieds pleins de neige sur le paillasson, puis entrèrent dans la demeure à l'image des propriétaires. Un mobilier rustique, solide, mais démodé. Des meubles en bois brut, des peintures et photos d'un autre temps, des tapis, des bibelots, des lampes pelle-mêle... Comme on pouvait s'y attendre, la décoration chargée rendait tout déplacement difficile. Leurs hôtes finirent par les faire asseoir sur un grand canapé en cuir, face à une table dotée d'un napperon. Ils disparurent dans la cuisine et revinrent avec du thé fumant et des petits gateaux. Le couple d'ancêtres prit place dans leurs fauteuils respectifs, puis soupirèrent de soulagement.


- Et donc, Tom ?
- Et bien, je vous amène un invité ? tenta ce dernier.
- Ah oui ! Ton thé est là. Et qui est ce jeune homme ? Tu t'appelles comment, mon petit ?


L'épéiste se pencha en avant et hurla à plein poumons :


- SUISOU HAYATO ! JE VOUS REMERCIE DE M'ACCUEILLIR CHEZ VOUS !
- Oh ! Simon ! Comme mon mari !
- Ça risque de ne pas être pratique... t'as pas un autre nom ? demanda Simon.
- HAYATO !
- Aaaah ! C'est joli ! Et donc, tu veux du thé aussi, Palato ?


Après plusieurs minutes de longues et poussives explications, le vieux couple sembla finir par comprendre. Ils remercièrent chaudement Tom qui, bien vite, en profita pour s'éclipser. Une fois seul avec ses hôtes, le vagabond effectua plusieurs tâches ménagères sous les yeux ravis des propriétaires. Couper le bois, raviver le feu, dépoussiérer la cuisine et ranger les courses qu'un jeune homme leur avait apporté... en quelques instants, Hayato mit un peu d'ordre dans cette maisonnée. Après des efforts indescriptibles, il finit par se faire comprendre et réussit à emprunter des bottes, un manteau et d'autres vêtements chauds. Il s'inclina et sortit se promener, non sans entendre derrière lui :


- On t'attend pour le souper, Palato ! Ah ! Et fais attention aux ours !


Le vagabond sourit face à cette mise en garde, avant de réfléchir un instant. S'ils étaient définitivement sourds au dernier degré, ces deux charmants octagénaires ne semblaient pas déments pour autant. Y avait-il vraiment des ours sur cette île ? Emmitoufflé dans son manteau, Hayato décida de se promener un instant, avant de chercher à se rendre vers la forêt avoisinante. Ses pieds bottés crissaient sur la neige, tandis qu'il traversait Lavallière. En chemin, il passa devant l'énorme QG de la marine locale, qui devait abriter plusieurs milliers de soldats. Devant l'entrée principale, une scène étonnante se déroulait. Une jeune femme aux cheveux flamboyants et habillée d'un tablier blanc, par dessus un uniforme, s'entretenait avec les marines. Pour être plus précis, les voix montaient tellement dans les octaves que le quartier entier devait entendre la discussion mouvementée, que les locaux le veuillent ou non. Apparemment, la prénommée « Fiona » avait hate de terminer ses travaux d'intérêt général. Elle devait quitter la base dans trois jours à peine, et comptait bien claquer la porte sans plus jamais revenir.

Loin de jouer les fouineurs, à la différence de toute une foule qui s'était rassemblée sur les lieux, l'épéiste passa son chemin. Sans se presser, il chemina en direction de la lisière de la ville. Peu à peu, les échos de la dispute se firent de plus en plus lointains, jusqu'à s'éteindre finalement. Enfin, le voyageur put profiter d'un calme apaisant, alors qu'il arrivait aux abords d'une forêt de pins. Dense et riche en fragrances musquées, la zone respirait la nature. Un silence profond l'accueillit, à peine brisé par les bruits des animaux sauvages et l'avancée d'Hayato. Il finit par trouver une petite clairière ravissante, et embrassa la scène du regard. L'herbe pointait à peine, sous une épaisse couche de neige, tandis que quelques rochers s'éparpillaient dans une harmonie simple et brute. Un cours d'eau glacée coulait au milieu de la place, laissant quelques animaux s'abreuver avec mille précautions. Un cerf leva la tête, pour détailler le nouvel intrus. Ses oreilles s'agitèrent un instant, lorsqu'Hayato lui sourit avant de s'incliner. Comme le cervidé se rendait compte que l'épéiste continuait son chemin jusqu'à une pierre, il baissa de nouveau le cou pour s'abreuver.


« Voilà qui fera merveilleusement l'affaire. », se dit l'artiste martial en pensée.


À l'aide de son bokken, il retira la majeure partie de la neige accumulée sur la pierre plate, avant de terminer le travail avec ses mains. Il s'assit ensuite sur le rocher en tailleur, avant de fermer les yeux de contentement. Il laissa son esprit s'apaiser, guidé par sa respiration ample et régulière. Les secondes s'étirèrent, tandis que l'épéiste méditait. Les animaux, tout d'abord interdits, finirent par s'approcher quelque peu du phénomène inconnu. Curieuse, une biche alla jusqu'à le renifler de plus près. Lorsque le vagabond ouvrit les yeux, il tomba sur de multiples animaux qui le regardaient, en un grossier arc de cercle devant lui. Il leur sourit calmement, avant de gratter la biche derrière ses oreilles, de gestes lents et doux.

Soudain, la véritable ménagerie devant lui trésaillit à l'unisson. Un instant plus tard, Hayato entendit un grognement rauque s'élever dans son dos. Alors que les animaux fuyaient, il se retourna pour se retrouver nez à nez avec un ours brun. Ce dernier semblait particulièrement revèche. Par réflexe, Hayato tenta de le calmer par gestes et à l'aide d'une voix sereine, mais rien n'y fit. L'ursidé lui fonça dessus sans plus de préambule ! D'un geste fluide, l'épéiste sauta au bas du rocher, dégaina et se tint prêt. Alors que l'énorme patte se levait, le guerrier esquiva sur l'extérieur et frappa dans le même mouvement. Le bokken s'abattit sur la tête dure et poilue dans un craquement audible dans toute la clairière. Dans un rale étouffé, l'ours s'écroula, sous le regard étonné d'Hayato. Il savait pouvoir assommer, ou effrayer la bête au point de la faire fuir... mais de là à pouvoir la vaincre en une seule attaque ? La réponse lui apparut rapidement :


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- OÏ ! Touche pas à mon ours, toi ! C'est pour le menu de ce soir !


Lorsqu'il se retourna, Hayato découvrit la jeune fille qu'il avait croisée devant le QG de la marine. Cette dernière continua de l'houspiller, tout en s'approchant les poings sur les hanches. Ses yeux bleus perçants lui jetaient un regard mi- courroucé, mi-intrigué. À mesure que la nouvelle venue s'approchait, il put distinger de multiples tatouages colorés sur son visage et son cou, ainsi que des cicatrices d'anciens combats. Il était prêt à parier que, sous le lourd manteau et les mouffles se cachait un corps musclé et sec. Sans s'arrêter en si bon chemin, Fiona reprit la parole d'un ton remonté :


- Sans déconner ! J'avais besoin de me défouler, mais cette vieille baudruche s'est carapatée avant que j'ai terminé... Encore heureux que t'aies visé la tête ! Imagine, si t'avais abimé les cotes ou, pire, percé un intestin... j'aurais été fine pour faire des saucisses, après !


Subissant l'assaut sans mot dire, l'épéiste clignait des yeux comme une chouette. La masse d'informations était bien trop importante et, surtout, bien trop saugrenue pour pouvoir y réagir. Mais qui était cette fille ?


KoalaVolant




Dernière édition par Suisou Hayato le Mer 13 Mar 2024 - 22:42, édité 1 fois
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Une cuistot pas si en détresse que ça

La scène saugrenue sembla suspendre le temps un instant, alors qu'Hayato regardait Fiona comme une poule devant un couteau. Si celle qui s'était présentée comme une cuisinière était rapidement montée dans les tours, elle semblait surtout attendre une réponse de la part de l'épéiste placide. Ce dernier se racla la gorge, avant de déclarer :


- Loin de moi l'idée de vous voler... votre ours. J'essayais juste de me défendre.
- Ah. Ouais, logique. Hum. Désolée.
- Je... ce n'est rien.


Elle était donc aussi rapide pour s'énerver que pour se calmer ? L'expression « soupe au lait » semblait prendre tout son sens, avec elle. En quelques instants, le quiproquo fut levé et la jeune femme éclata de rire. D'un geste fluide, elle chargea la carcasse énorme de l'ours sur son dos, comme si de rien n'était, avant de reprendre la parole :


- Bon, et qu'est ce que tu foutais ici si tu chassais pas ? Ah ! Moi c'est Fiona.
- Hayato. Je méditais dans la clairière.
- Tu... hein ? T'es un genre de moine ?
- Un adepte de la voie du Sabre, plutôt.
- Un sabreur sans sabre ? C'est pas commun, ça.


Effectivement, peu de personnes comprenaient pourquoi Hayato avait choisi de se parer d'un bokken et non d'une arme blanche. Avec un sourire, l'épéiste lui en confia la raison :


- Je ne porte pas encore de sabre, non. Avant d'en choisir un, je compte m’entraîner avec un handicap et utiliser une arme non létale, lors de mon voyage initiatique.
- T'es du genre à chercher la difficulté, quoi ? Badass !
- On peut dire ça comme ça, en effet, s'amusa le sabreur. Si vous me pardonnez la question, pourquoi vous disputiez vous avec les marines tout à l'heure ?
- Ah, t'as entendu ?
- La moitié de l'île doit être au courant, glissa Hayato.


Immédiatement, Fiona hurla de rire. Son hilarité calmée, elle lui expliqua que c'était une très longue histoire, mais que s'il était intéressé, elle lui raconterait. La jeune femme l'invita à la suivre, tandis qu'elle prenait le chemin de la garnison, son ours sur le dos. D'un regard narquois, elle refusa l'aide proposée par Hayato, avant de s'expliquer :


- Te vexes pas, monsieur le samurai, mais t'es pas cuistot. Si je te laisse faire, tu vas pas traiter la viande correctement, tu vas laisser traîner les parties qu'il faut pas dans des coins qu'il faut pas... Bref, j'aurais l'air fine si je peux pas préparer mon ragoût, mes saucisses, mon pâté de foie et tout ce que j'ai prévu d'autre...
- Vous avez l'air de vous y connaître !
- Bah ouais ! Toute ma famille est cuistot de génération en génération. On est un clan de cuisiniers voyageurs, à la base. Le clan Mhic Cillin, tu connais ?


Comme Hayato secouait la tête, en guise de dénégation, la jeune femme grogna, avant de reprendre son histoire. Elle avait été élevée sur la route, dans un restaurant ambulant à l'ambiance aussi mouvementée que délicieuse. Dès son plus jeune âge, elle avait baigné dans la cuisine. Ses parents avaient éveillé ses papilles gustatives dès ses cinq mois, éduquant son palais en lui faisant découvrir des aliments des quatre coins du globe. Finalement, ses parents choisirent de s'établir de manière sédentaire, dans une petite île de South Blue au climat tempéré. Le reste du clan continua sa route, tandis que Fiona et ses parents ouvraient leurs portes au public. Sensibilisée à la cause culinaire, la jeune fille mit rapidement la main à la pâte. Tant et si bien qu'elle finit par rejoindre l'entreprise familiale à temps plein. Elle aidait au potager, au verger, à l'élevage de chèvres pour la confection de fromages, ou à celle des cochons pour fumer la charcuterie... De commis elle fit ses armes jusqu'à devenir une cuisinière hors paire.


- Pendant plusieurs années, tout se passait comme sur des roulettes ! Mes parents m'apprenaient plein de recettes, je pouvais cultiver mes propres légumes, élever mes bêtes et les cuisiner ensuite... Bref, c'était le pied ! Forcément, la qualité des plats était au top ! Les clients étaient ravis et, pour sûr, on s'était fait une super réputation.
- Vous deviez être fière de vous, comprit Hayato.
- Un peu, ouais ! C'était surtout de voir l'éclat dans les yeux de mes parents, leur fierté, les étoiles dans leurs yeux quand j'inventais une nouvelle association de saveurs, ou une méthode de cuisson... Le pied, je te dis. Jusqu'à ce qu'il arrive, l'autre tache...


Des années plus tard, alors que la réputation du petit restaurant de South Blue atteignait des sommets, un sous officier de la marine en entendit parler. Il passa les portes du restaurant avec la ferme intention de se faire sa propre idée. Il fut conquis dès les premières bouchées, de sorte qu'il tenta de débaucher les parents de Fiona pour venir cuisiner pour la marine. Comme ils refusaient tous les deux, il prit la mouche et partit en claquant la porte. Alors que la petite famille s'attendait à ce qu'il ne revienne jamais, le sergent avait un tout autre plan en tête. Il revint deux semaines plus tard, une solution moins glorieuse en tête.


- Déjà à l'époque, j'avais mon petit caractère. J'aime pas quand un naze critique gratuitement. Encore moins quand c'est ma cuisine ! Si c'est une remarque pour que je m'améliore, ça me fait un peu chier, mais bon... j'accepte. Sauf que là, cet enfoiré s'était acharné ! Tout le repas, il avait renvoyé les plats en utilisant de fausses excuses, en me demandant de tout modifier, en mettant moins d'épice, plus de sel, moins cuit, moins gratiné, trop chaud, trop froid, pas assez assaisonné... bref, il commençait à me courir !
- J'ai peur de comprendre...
- À la fin du repas, il avait demandé à parler au chef et avait dit qu'il allait nous plomber, avec des pseudo relations dans un journal. J'ai vu rouge. Je l'ai marravé ! Sur le coup, ça m'a fait du bien, t'imagines même pas ! Sauf qu'un journaliste était attablé juste à coté...


L'épéiste ne pipa mot. La coïncidence lui semblait un peu grosse, surtout lorsque Fiona lui raconta la suite de son histoire. Le sergent l'avait faite chanter, ni plus ni moins, jouant sur les conséquences d'avoir levé la main sur un soldat de la marine. Il avait promis de passer l'éponge sur cet accès de violence, si elle venait cuisiner pour lui et sa garnison pendant une année. Ses parents lui ayant appris à assumer les conséquences de ses actes, la jeune femme avait accepté sur le champ. Comme Hayato l'avait déjà suspecté, la cuisinière lui confirma ce qu'il craignait :


- Ça fait sept ans, maintenant. Je dois cuisiner tous les jours pour eux, et j'ai du changer de Blues deux fois pour atterrir ici. À la limite, cuisiner me fait plaisir, sauf que toujours faire la même chose avec les mêmes produits, ça commence à me gaver. Mais le pire, c'est qu'à chaque fois que ma peine arrive sur la fin, j'ai un accident, ou une tuile me tombe dessus ! La dernière fois, quand je débarrassais les poubelles, j'ai fait tomber le sergent dans les escaliers. J'ai pris une année de plus, à cause de ça ! J'ai la poisse...
- La poisse ? releva Hayato, interdit.
- Bah, comment t'appelles ça, autrement ?
- Fiona, après sept ans vous n'avez toujours pas compris ? Ce sergent se joue de vous et vous piège. Il doit mettre en scène tous ces accidents, pour vous obliger à travailler pour lui.


La nouvelle faillit faire lâcher son ours à la rouquine. Tout d'abord médusée, elle resta bouche bée un instant, totalement mutique. Le vagabond n'en croyait pas ses yeux. Était-elle naïve au point de ne pas s'en apercevoir, ou bien avait-elle encore une foi aveugle en ce système ? Foi en la marine qui, loin d'être parfaite, faisait certes de son mieux pour aider les civils... mais qui, trop souvent, avait été éclaboussée de scandales de corruption, ou d'abus de pouvoir de ce genre. Cela dit, si Fiona était prisonnière depuis sept ans, sous le joug de ce sergent, peut être avait-elle été tenue loin de ce genre de rumeurs.


- La marine aide les civils ! s'énerva-t-elle de nouveau. Elle nous protège des pirates, des criminels et des révolutionnaires ! Jamais ils ne feraient un truc pareil.
- Vous sentez-vous protégée, depuis sept ans ?
- Je... Oui. Non... Peut être. Je sais pas.
- Il est tout de même étrange, étonnant pour le moins, que vous n'ayez des accidents que lorsque vous êtes sur le point de terminer votre peine. Vous ne trouvez-pas ?


Cette fois-ci, Fiona ralentit petit à petit, jusqu'à s'immobiliser. Elle pencha la tête sur le coté, en proie à un doute indescriptible. Alors que les flocons s'amoncelaient sur la dépouille de l'ours et sur la chevelure de feu, la jeune fille réfléchissait. Lentement, elle ressassa toutes ces années au service de la marine. Petit à petit, des anecdotes finirent par lui revenir. Des habitudes étranges, des taquineries insignifiantes ou des phrases anodines telles que « Nan mais, Fiona, tu vas pas nous quitter ! T'aimes trop bosser pour nous et puis, tu nous manquerais trop ! » ou bien « On va te garder avec nous pour toujours, ma belle ! Au pire, on sera obligé de te mettre un boulet au pied, haha ! » prirent un tour tout autre. Lentement, elle serra les dents et fulmina intérieurement.


- C'est pas possible... La marine... La Justice nous protège...
- Malheureusement, si la plupart des marines sont honnêtes et défendent le peuple, ce n'est pas le cas de tout le monde. Certains n'hésitent pas à utiliser leur pouvoir, leur rang, leurs relations, pour tromper autrui... Je pense que c'est ce qui vous est arrivée.


Fiona sembla lutter intérieurement. En proie à un doute des plus douloureux, la jeune femme passa par de nombreuses expressions, de longues minutes durant. Enfin, elle finit par ouvrir les yeux sur sa condition et laisser libre cours à sa rage :


- J'vais les buter... Tous ! Jusqu'au dernier ! Putain ! Sept ans qu'ils se payent ma tête ! C'est de l'esclavage, pur et dur !
- Doucement, Fiona.
- Et puis quoi, encore ?! J'devrais leur pardonner, aussi ? HEIN ?!
- Si vous vous énervez, vous allez encore tomber dans un piège et écoper d'une année de bagne supplémentaire.


Bien malgré elle, la jeune femme comprit qu'elle n'avait pas réellement le choix. Elle serra les poings à s'en blanchir les articulations, dans un silence de mort. Prudemment, le vagabond reprit :


- Si je peux me permettre, vous n'avez qu'une seule solution. Durant les prochains jours, vous devriez faire tout votre possible pour rester prudente, surveiller chacun de vos mouvements, ne jamais sortir de vos gonds et déjouer leurs pièges.
- C'est impossible... Ils sont plusieurs milliers ! Toute seule, j'ai aucune chance... j'vais... j'vais finir ma vie comme esclave aux cuisines pour une bande de salopards !
- Toute la base ne peut pas être dans le coup. Qui plus est... Qui a dit que vous seriez seule ?


Lorsque les deux jeunes gens réapparurent au niveau du quartier général, leur résolution était faite. Discrètement, Fiona amena son ours en cuisine et passa ses nerfs sur la carcasse, afin de cuisiner pour ses tortionnaires. De son côté, Hayato entra par la grande porte. Il se repéra aux divers panneaux, dans un dédale de couloirs aux tons blancs cassés. Enfin, il finit par toquer à la porte d'un bureau. Une secrétaire blonde leva ses yeux bleus, avant de replacer ses lunettes rondes sur son nez. Elle l'invita à entrer d'un geste, avant de lui demander ce qu'il désirait. Avec un sourire, le vagabond lança :


- Est ce bien dans ce bureau que je peux m'engager ? J'aimerais intégrer la marine dans cette base, s'il vous plaît.


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Une cuistot pas si en détresse que ça

Deux jours.

Deux jours qu'Hayato et Fiona tentaient, contre vents et marées, de juguler le caractère impétueux de la jeune femme. Au fur et à mesure que l'heure de la libération de la cuistot approchait, les intentions des marines devenaient de plus en plus limpides. Si les premières tentatives de provocations avaient été recherchées, peut être même vicieuses, la montre semblait les presser, peu à peu. La plupart des soldats de la base semblaient étrangers à la machination, cela dit. Seule une douzaine de personnes harcelaient Fiona, le plus discrètement possible. Car, ainsi engagé dans la marine, Hayato avait pu accéder à des informations qui lui seraient restées secrètes, dans d'autres circonstances.

À force d'observations et de discussions, entre deux corvées ou entraînements journaliers, l'épéiste avait pu se faire une idée bien plus précise de la situation. Tout en maniant la serpillière dans toute la base, le bretteur avait pu laisser traîner ses oreilles et capter les rumeurs. Toutes les forces locales appréciaient la cuisine de Fiona, ce qui les changeait drastiquement des bouillies fades et peu nutritives dont il devaient se contenter, avant son arrivée. En revanche, bien peu s'offusquaient de la voir partir : elle n'était pas une marine, ne souhaitait clairement pas s'engager et, si sa punition était terminée, elle devait être libérée. Le sergent Musket, celui qui avait trompé Fiona depuis le début, était directement sous les ordres d'un autre officier à la réputation entachée de corruption : le colonel Dasan Jali. Aussi, il était inutile d'espérer quoi que ce soit de la hiérarchie, ce qu'Hayato avait pourtant initialement prévu, en s'engageant.

Ce jour, Hayato nettoyait la cuisine, alors que Fiona hachait menu une quantité astronomique de légumes. La plupart des autres cuisiniers ou des commis étaient absents, ce qui forçait la rouquine à travailler pour dix. Plusieurs marines à la solde du sergent lui traînaient dans les pattes, plus que de raison. Ils cherchaient à la faire trébucher, en laissant des objets dans son sillage. Ils voulaient la déstabiliser pour qu'elle se coupe, en lui parlant sans cesse au mauvais moment. Lorsqu'Hayato vit l'un d'entre eux échanger les étiquettes des épices, il rectifia le tir dans leur dos. Comme toutes leurs tentatives manquaient d'imagination, la cuisinière relâcha sa garde un instant. Fiona venait de terminer les préparatifs et, alors que les milliers de soldats de la base attendaient dans le réfectoire, elle s'épongea le front. La jeune femme empoigna des marmites débordantes de pot-au-feu aux fumets délicieux. Hayato lui ouvrit les doubles portes de la cuisine, qui menaient directement sur le réfectoire. Ce fut à ce moment qu'il la vit : la flaque de graisse sur son trajet. De sa vision périphérique, il remarqua le sergent qui arrivait à vive allure dans leur direction.


- Fiona ! l'interpella l'épéiste. Attention à vos pieds, vous allez glisser !


Immédiatement, la cuistot stoppa sa marche. La tache de graisse devait être invisible, avec une marmite ainsi portée à bout de bras devant elle. Quand avaient-ils eu le temps de la placer ? Réalisant qu'il était responsable du nettoyage, Hayato s'inclina prestement :


- Toutes mes excuses ! Je suis responsable de la propreté de la cuisine, aujourd'hui ! Je ne l'avais pas vue !
- C'est... C'est rien, grogna Fiona, avec un regard mauvais en direction des marines dans son dos.


Même si elle comprenait la manœuvre d'Hayato, il lui était difficile de ne pas volontairement renverser le contenu brûlant qu'elle portait sur la tête d'ahuris du sergent. Ce dernier sembla fulminer un instant, puis partit s'asseoir à la table des officiers, sans un mot. En quelques coups de serpillière, le chemin fut dégagé et le reste de la journée se passa sans encombre. Enfin arrivé à la soirée, Hayato profita de son quartier libre pour retourner dans cette même salle. Il déboutonna son col, parmi les innombrables rangées de bancs et de tables en bois brut. Le tissu le grattait et lui enserrait le cou de manière particulièrement inconfortable. Lui qui avait porté, toute sa vie, des kimonos ou des yukatas, se voir ainsi attifé lui déplaisait fortement.


« Encore demain à tenir, et elle sera libre... », soupira Hayato en pensée.


Dire que certains marines devaient supporter ces corvées, ces entraînements insipides et la hiérarchie urticante toute leur vie... Il les plaignait presque ! Assis sur un banc, les coudes adossés à la table, le vagabond réfléchissait. Comme il ne leur restait qu'à peine vingt quatre heure pour faire plier la cuisinière, le guerrier s'attendait à les voir redoubler d'efforts et de roublardise. Tout à ses réflexions, Hayato entendit une double porte battante s'ouvrir dans un son caractéristique. Il tourna la tête pour voir apparaître la chevelure flamboyante de Fiona. Cette dernière soupira ostensiblement, avant de défaire son chignon d'un geste dépité.


- J'te jure... ça devient de plus en plus dur, là ! J'ai bien cru que j'allais leur jeter les pots-au-feu à la tronche, ce midi !
- Tu te débrouilles bien. Plus qu'un jour, Fiona.
- Plus qu'un jour, répéta-t-elle avec un sourire béat.


Les larmes semblèrent monter aux yeux de la jeune femme au tempérament de feu. Elle les sécha rapidement, avant d'éclater d'un petit rire nerveux. Enfin, elle soupira de nouveau, mais cette fois-ci de contentement.


- J'ai jamais tenu aussi longtemps. J'ai... j'ai l'impression que cette fois, ça va être la bonne ! Cette fois... je vais... je vais enfin réussir à partir !


Alors qu'il allait répondre, Hayato entendit de nouveau les doubles portes s'ouvrir. Il tourna la tête dans la direction du bruit et se raidit. Devant eux se tenait le sergent Musket, un air satisfait plaqué sur son visage. Il lissait sa moustache en pointe d'un air confiant, tout en gratifiant le duo sous ses yeux d'un sourire mauvais. Conscient de sa condition, Hayato se força à se lever et à saluer son supérieur hiérarchique. Ce dernier les apostropha de sa voix nasillarde :


- Alors ! On se repose après une dure journée ?
- Oui, sergent, répondit diligemment Hayato.
- Justement, engagé Suisou, je vous cherchais...


Instantanément, la température sembla baisser d'un cran. Le sourire de l'officier subalterne s'élargit, lorsqu'il apprécia l'air déconfit de la cuisinière. Il reprit en ricanant à moitié :


- On m'a vanté votre condition physique, et cela tombe bien ! J'ai une mission sur mesure pour vous. Vous devez prendre la WinterBlade jusqu'à Bocande. Là bas, vous trouverez une cargaison entière de légumes, de tubercules et autres denrées qui ne peuvent pousser que dans cette ville. Nous souhaitons que vous les chargiez dans le train et les rameniez, pour que nous puissions célébrer le départ de mademoiselle Mhic Cillin comme il se doit : avec un vrai festin !
- Très bien, sergent, répondit Hayato sans se démonter. J'aurais besoin de notre cuisinière pour...
- Malheureusement, l'interrompit le sergent en souriant un peu plus encore, mademoiselle doit rester pour tous les préparatifs. Vous comprendrez aisément ?
- Avec qui dois-je partir, dans ce cas, sergent ?


L'exploit semblait impossible, mais le marine corrompu parvint tout de même à sélargir son rictus un peu plus encore :


- C'est navrant, vraiment, mais du fait d'un manque de personnel disponible, vous allez devoir vous charger de cette mission... seul.
- Ramener de quoi faire manger cinq milles personnes tout seul ?! s'emporta Fiona. Mais ça va lui prendre des plombes !
- Comme je l'ai dit, c'est navrant, vraiment...
- Aucun problème.


L'intervention d'Hayato eut le mérite de faire vaciller l'hilarité de leur nemesis. Musket leva un sourcil interrogatif, devant l'assurance de la jeune recrue. Ce petit jeu ne semblait pas l'amuser et, calmement, l'épéiste salua son supérieur, avant de reprendre la parole :


- Puis-je vous être d'une autre utilité, sergent ?
- Je... Non. Vous partez aux aurores, rompez.


Sans un mot de plus, il lissa une dernière fois sa moustache avant de partir comme une furie. Lorsque le bruit caractéristique des portes battante s'éteint enfin, les deux compères se jetèrent un regard entendu. Ils n'avaient pas besoin de mot pour comprendre ce qui allait se passer, dans les vingt quatre prochaines heures. Fiona semblait sur le point d'exploser, aussi Hayato lui attrapa les épaules pour lui parler :


- Fiona...
- Je sais ! le coupa-t-elle. J'vais dire que je vais aller chasser le temps que tu reviennes. Comme ça, ils l'auront dans l'os ! Ils me suivront pas dans la forêt, sans témoin ça leur sert à rien !
- Sans témoin, ils peuvent s'amocher eux-mêmes et vous accuser ensuite.
- Fait chier ! J'vais jamais tenir, Hayato... Si proche du but ! Les salauds...
- Tout n'est pas perdu. Essayez de rester dans votre chambre, toute seule, en prétextant être malade jusqu'à ce que je revienne. Il faudrait que, demain matin, plusieurs marines soient témoins lorsque vous jouerez la comédie, puis que vous retourniez le plus vite possible vous isoler. Ce sera à ce moment où vous serez le plus vulnérable à un coup fourré. De mon coté, je m'assurerai de terminer ma tâche le plus vite possible et de revenir vous chercher.
- J'espère que t'as raison... on a pas le choix, de toute façon !


De son côté, Hayato avait beau faire preuve d'une certaine assurance, il savait la tâche ardue. Cependant, au vue des conditions, il n'avait guère le choix.


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Une cuistot pas si en détresse que ça

Hayato suait à grosses gouttes.

Sous les yeux éberlués du conducteur de la Winterblade, l'épéiste chargeait les denrées alimentaires sans s'arrêter. Robin regarda sa montre une nouvelle fois, impressionné. Aux premières lueurs de l'aube, il avait conduit le jeune marine jusqu'à Bocande. Comme la recrue était le seul passager dans tout le véhicule, ils avaient profité du voyage pour discuter dans l'habitacle du chauffeur. Le quinquagénaire bedonnant lissa sa barbe broussailleuse d'un air distrait, tandis que le soldat s'activait. Il l'avait tout d'abord pris pour un fou, lorsqu'Hayato lui avait affirmé avoir été envoyé seul pour accomplir le chargement. Ou alors avait il été mis au piloris pour une quelconque raison ? De temps en temps, le comportement de certains marines lui semblait un poil louche mais, comme Boréa jouissait de leur protection, Robin avait appris à se taire et à juste faire son boulot. Mais en trente ans de carrière, c'était bien la première fois qu'il voyait un truc comme ça !


- T'es sûr que tu veux pas t'arrêter un peu , gamin ? Ça fait déjà trois heures que tu t'esquintes le dos. Et pourquoi y'a personne avec toi, sans rire ?

- C'est un ordre du sergent. Je vous remercie... mais, j'ai besoin de terminer... rapidement. Mon amie a besoin de moi... au QG.


Le conducteur grommela dans sa barbe, mais ne tenta pas de l'interrompre. Le faciès rouge, le souffle court et en nage, Hayato s'activait en Tshirt par un froid de canard, tandis que le haut de son uniforme reposait dans la cabine. En trois heure, il avait chargé une bonne partie des aliments. C'était à peine croyable ! Il enchaînait les sacs de plusieurs dizaines de kilos comme s'ils étaient remplis de plumes ! Plusieurs fois, Robin se demanda en quoi était fait ce type. De son coté, il n'avait pas été autorisé à l'aider, selon un ordre direct du sergent Musket. Il fronça les sourcils à cette idée. Drôle de façon de punir un de ses soldats, quand même ! Surtout que celui-ci n'avait pas l'air d'un mauvais bougre ! Néanmoins, il aimait trop son train de vie paisible pour tenter quoi que ce soit et risquer de se faire pincer, puis réprimander.

Après quatre heures supplémentaires, l'épéiste termina de charger le dernier sac de pomme de terres, avec un râle de soulagement. Haletant, les muscles en feu, Hayato posa ses mains sur la porte du wagon, la tête basse. Son cœur battait la chamade, tout son corps protestait contre ces efforts ubuesques mais, il le savait, il ne pouvait pas s'arrêter pour le moment ! Il prit une grande inspiration et, cahin caha, s'avança vers la cabine. Rapidement, le conducteur vint l'aider à grimper dans le fauteuil avant. Enfin installé, le bretteur remit sa veste, de peur d'attraper froid, puis se laissa aller sur le dossier. Le souffle court, il entendit Robin démarrer la locomotive et mettre en branle la WinterBlade. Un instant, le duo d'homme resta silencieux. Ils laissèrent les bruits mécaniques du train les bercer un moment, puis Robin n'y tint plus :


- Bon sang, bonhomme... j'ai jamais vu un gars charger tout seul une cargaison aussi importante, aussi vite ! T'es sur d'être humain ?
- Haha... disons que... Je ne pouvais pas traîner. Fiona a besoin de moi.
- Hmmm hmmm... Fiona, hein ? le taquina le conducteur.
- C'est une amie, expliqua Hayato.
- Pour sûr, ouais... ironisa le quinquagénaire. Que dirais-tu qu'on pousse un peu sur la vapeur, et qu'on voit si on peut pas arriver un peu plus tôt ? Faudra que je fasse gaffe, vu comment on est chargés, mais y'a moyen de gratter une dizaine de minutes... vu que t'es pressé.
- Je vous remercie.
- Repose-toi, mon gars. Tu l'as bien mérité ! Je te réveillerai lorsqu'on arrivera.


Sans demander son reste, l'épéiste ferma les yeux et, en un instant, plongea dans le royaume des songes. Il fut tiré de son sommeil par une main ferme et poilue. D'une voix gaillarde, Robin le tira de son repos bien mérité :


- Oï, petit ! On est arrivés. Et je crois que ton sergent est pas super jouasse.
- Merci, Robin. Merci pour tout.


Alors qu'il descendait de la WinterBlade, Hayato tomba effectivement sur le sergent Musket qui fulminait. Alors que ses hommes ouvraient les portes des wagons chargés de victuailles, il jetait frénétiquement des regards en coin à sa jeune recrue. Sa fine moustache frétillait en tous sens, sous les grimaces de mécontentement du grand échalas. Il ne pouvait pas y croire ! Tout seul, ce gamin avait réussi à charger des provisions pour cinq mille hommes... en moins de huit heures ? Impossible ! Quelqu'un l'avait aidé ! Mais, devant autant de témoin, il ne pouvait rien faire. En effet, les marines de la base étaient sortis. Déjà, ils déchargeaient la nourriture vers la cuisine et la réserve, afin que la cuisinière leur prépare un ultime repas. Et Fiona qui s'était enfermée à double tour dans sa chambre, prétextant une maladie quelconque ! Si ça continuait...


- Recrue Suisou ! hurla presque l'officier subalterne. Allez me chercher la cuisinière, et que ça saute !
- Bien, sergent, répondit Hayato d'un ton neutre.


Sa petite sieste l'avait quelque peu requinqué, mais l'épéiste sentait bien que son corps était en deçà de ce qu'il pouvait développer normalement. De son côté, son estomac commençait à se réveiller à grands cris. D'un pas un peu plus traînant qu'à l'accoutumée, il entra dans la base de la marine et arpenta les couloirs, jusqu'à tomber sur la porte de la chambre de Fiona. Il tapa plusieurs fois au vantail, avant de s'annoncer :


- Fiona, c'est moi ! J'ai fais aussi vite que j'ai pu.


Instantanément, la porte se déverrouilla. Dans l'ouverture, la tête radieuse de la cuisinière accueillit le voyageur fourbu. Après lui avoir résumé la situation, le bretteur l'accompagna aux cuisines, tous les sens en alerte. Le duo savait que tout allait se jouer dans les prochaines heures. Sans aucun doute, les marines sous la coupe du sergent tenteraient de nouveau de faire tomber Fiona dans des pièges mesquins. En y repensant, un dernier piège bien particulier semblait inévitable, dans l'esprit d'Hayato. Néanmoins, chaque chose en son temps. Ils arrivèrent aux grandes cuisines, où tout les commis s'affairaient déjà. Quelques marines aux bottes du sergent Musket tentaient bien d'entrer, mais l'équipe des cuisines avait déjà commencé à se charger d'eux :


- Mais vous voyez pas qu'on est en plein rush ?! Faites place nette !
- Vous pensez que c'est facile, de cuisiner pour cinq milles personnes ? Si vous pouvez pas aider, tirez vous !


Comme les protestations montaient en puissance, les intrus serrèrent les dents et se retirèrent. Lorsqu'un commis tenta de virer Hayato à son tour, le regard de Fiona suffit à le faire avaler de travers. Après quelques jurons bien senti et des ordres criés d'une voix ferme, la jeune femme ramena le calme et la discipline parmi les rangées de fourneaux et de plaques de cuisson. Le bretteur s'assit sur une chaise, loin du passage, et somnola pour récupérer. Tous ses muscles lui cuisaient et sa tête lui tournait légèrement. Néanmoins, il resta un minimum sur ses gardes. Il aurait tout le temps de se reposer, une fois Fiona sortie de ce mauvais pas. En quelques minutes, des fumets appétissants emplirent la cuisine. Cette fois-ci, il semblerait que la marine avait mis les petits plats dans les grands ! Le gourmand de première eut tout le loisir d'admirer la technique et le talent de Fiona. Non contente d'être une cuisinière experte, elle semblait également être passée maître dans l'art de diriger une brigade. Cette pensée fit sourire le vagabond. Elle prépara une multitudes de déclinaisons de plat à base de pommes de terre, de tubercules et de légumes de l'hiver. Lorsqu'enfin le moment du souper arriva, Hayato se leva. Alors que Fiona allait, comme à son habitude, amener elle-même ses plats dans le réfectoire, l'épéiste l'en empêcha.


- J'aime amener ce que je prépare, Hayato. Tu le sais.
- Autant ne pas tenter le diable, Fiona. Venez, nous allons plutôt sortir par la petite porte et attendre minuit à l'extérieur de la base, pendant qu'ils mangent. Cela vaut mieux, je pense.
- À quoi tu penses ? releva la jeune femme.
- Il risque de reproduire la même chose qu'au restaurant de tes parents.


La nouvelle la stoppa net. Comme il le pensait, la rouquine n'y avait pas du tout pensé. Malgré ces sept dernières années, elle faisait décidément encore un peu trop confiance à la marine. Sans doute les reliquats d'un conditionnement mené depuis l'enfance, banalisé et répandu à travers le monde entier. Elle serra les poings, mais finit par hocher de la tête. En quelques ordres, elle laissa le soin à ses commis d'apporter leur souper aux marines. Fiona avala sur le pouce de quoi se sustenter, puis sortit dans la cour, avant son coéquipier. Hayato, de son côté, engouffra plusieurs portions au sein même de la cuisine. Il mangea en quatrième vitesse, pour faire taire son estomac qui criait au scandale : ne pas être nourri après tant d'effort ? Impardonnable ! Ses yeux s'écarquillèrent soudain, lorsque toutes les épices lui brûlèrent la langue bien plus sûrement que la chaleur du plat. En extrême urgence, il avala une bouteille entière de lait, avant de se rincer le gosier avec autant d'eau. Lorsque le feu sembla enfin s'éteindre dans sa bouche, l'épéiste toussa un instant, avant de sortir à son tour. Le vagabond se dépêcha de sortir du quartier général. À peine avait il mis la tête dehors qu'il déglutit difficilement. Devant lui, se tenait le sergent Musket et trois de ses hommes. Rougui semblait déjà fulminer, les poings serrés.


- Qu'est ce que t'as dit ? grinça-t-elle d'une voix caverneuse.


Immédiatement, le cerveau fatigué d'Hayato s'activa à toute allure. Le sourire mauvais du marine ne lui disait, évidemment, rien qui vaille, pas plus que le simple fait de le retrouver à la sortie des cuisines, et non dans le réfectoire ! De toute évidence, les marines avaient compris qu'ils souhaitaient gagner du temps jusqu'à la dernière minute et ne l'entendaient pas de cette oreille. Les nerfs de Fiona avaient été mis à rude épreuve et, il le savait, il n'en faudrait pas plus pour qu'elle ne retombe dans ses travers... et ce malgré toutes les mises en garde d'Hayato. Prêcher la patience arrivait à ses limites. L'esquive n'était plus une option... Dans ces conditions, le bretteur allait devoir employer les grands moyens :


- FIONA ! hurla-t-il. Qu'est ce que c'était que ce que tu m'as servi ?! C'était immangeable !


Immédiatement, la jeune femme se raidit. Elle tourna un visage déformé par la colère en direction d'Hayato, avant de répliquer d'un ton désarticulé :


- Kessetadit ?! Tu veux mourir, Hayato ?!
- Ça fera jamais que deux fois ! T'as déjà essayé de me tuer avec ta cuisine !


Alors que ses yeux s'enflammaient, sous le joug de son ire incandescente, la cuisinière oublia totalement l'officier qui tentait de l'enrager. Ni une ni deux, elle fonça en beuglant vers l'épéiste. Ce dernier prit ses jambes à son cou et partit en trombe de la base. Devant la moitié de Lavallière, Fiona poursuivit Hayato telle une furie. Elle le sommait de s'arrêter, d'assumer ce qu'il venait de dire et l'insultait copieusement. Malgré ses muscles endoloris au plus haut point, le vagabond puisa dans ses réserves et tint la cadence le plus longtemps possible. D'un bref coup d’œil en arrière, il comprit qu'il allait finir par se faire rattraper. Pourtant, un sentiment de soulagement l'envahissait peu à peu : les marines, eux, étaient depuis longtemps restés sur la touche. Leurs silhouettes disparaissaient déjà, au loin, tandis que celle de la cuisinière, bien plus menaçante, se rapprochait dangereusement. Après une folle course-poursuite, Hayato finit par retrouver le chemin de la forêt, jusqu'à arriver à la clairière où ils s'étaient rencontrés, trois jours auparavant. Cette fois-ci, les animaux s'enfuirent immédiatement sans demander leur reste.

Une fois certain qu'ils ne pourraient pas être vus, Hayato se retourna. Il reçut un coup de poing en plein thorax qui le fit reculer. Loin d'être défoulée, la rouquine enchaîna les attaques plus féroces les unes que les autres. De son côté, le bretteur se contentait d'esquiver celles qui visaient son visage, ou les coups un peu trop dangereux. Il dévia un crochet sensé lui briser une côte, mais laissa Fiona le frapper au ventre. Peu à peu, la furie sembla redescendre en pression. Lentement, son regard reprit une teinte moins virulente, pour faire place à une lueur interrogative.


- Oï... pourquoi t'essaye même pas de te défendre ?! T'as honte de ce que t'as dit ? C'est un peu tard !
- Ce n'est l'affaire que de quelques instants à présent, je pense... répondit Hayato avec un sourire. Je vous présente mes excuses, Fiona. J'ai été obligé d'improviser... pour vous attirer loin d'eux.
- D'improviser ? Oi oi ! Tu crois que je vais gober ça ! Excuse toi mieux ! T'as insulté toute l'âme que j'avais mise dans mon plat là ! J'vais te faire ravaler...


Soudain, un doux tintement s'éleva au loin. À cette distance, il était difficile de l'identifier si on ne l'avait pas entendu de plus près auparavant. Or, tant Fiona qu'Hayato reconnurent instantanément ce son. Il se répéta, douze fois au total. Alors seulement, la jeune femme comprit. Sa mâchoire tomba, ses yeux s'humidifièrent et, un instant, elle vacilla. Une main sur la bouche, elle tomba à genoux, avant de pleurer à chaudes larmes. De son coté, le vagabond s'assit sur une pierre, avant de soupirer d'aise. La cuisinière avait la main lourde sur les épices mais, surtout, elle frappait comme un sourd ! Qu'une si frêle carrure puisse receler tant de puissance l'impressionnait. Alors qu'un cri de joie retentissait dans toute la clairière, les rares oiseaux encore un peu curieux s'envolèrent en toute hâte. Alors que le guerrier encaissait le contre coup de la rage de Fiona, cette dernière relâchait sept ans de pression et de frustration en un cri tonitruant.

Les douze coups de minuit avaient sonnés.

Fiona était libre.


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Une cuistot pas si en détresse que ça

- C'est hors de question ! s'époumona la jeune femme.
- Fiona, reprit calmemet Hayato, il n'y a pas d'autre solution. Je suis officiellement engagé dans la marine. Je dois rompre mon contrat, d'une manière ou d'une autre, ou ils me poursuivront comme un déserteur. Pour l'instant, je ne peux pas me le permettre.
- Alors, je viens avec toi ! On a qu'à... comment ça « pour l'instant » ?


Étonnée, la cuisinière arqua un sourcil interrogatif. Depuis le début, elle prenait l'épéiste pour un bon samaritain qui l'avait aidée par pure empathie. Aussi, cette dernière phrase l'avait surprise au plus haut point. Toujours assis sur sa pierre, l'intéressé sourit avant de reprendre :


- Disons que, dans quelque temps, je ne serai qu'un simple vagabond. Mais mon voyage initiatique touche bientôt à sa fin, je le sens. Une fois ce pan de ma vie derrière moi, je pourrais me consacrer à mes véritables projets.
- C'est vrai que j't'ai même pas demandé de me parler de toi... j'suis désolée, Hayato.
- Ce n'est rien, Fiona. Après tout, nous étions particulièrement occupé, ces derniers jours.


Avec un petit rire, la cuisinière s'essuya un peu de morve au nez, reliquat du soulagement qui l'avait envahie, quelques minutes auparavant. Elle reprit d'une voix guillerette :


- Et donc, c'est quoi tes projets ? Et tu viens d'où ?
- Je suis originaire de Las Camp, sur West Blue.
- Wouah ! T'as vécu dans ce trou à rats ? La vache... on dirait pas, pourtant ! Tu fais pas... enfin, tu ressembles plus à un ronin qu'à un mafieux, quoi !
- Les apparences peuvent être trompeuses, Fiona. Ma famille pouvait être caractérisée de « mafieuse ».Cela dit, nous étions bien loin du cliché des criminels violents et cruels. Nous suivions un code d'honneur proche du Bushido, d'où votre confusion.
- Une famille de Las Camp décimée, qui respectait pas forcément la loi, mais qui foutait pas le bazar et qui avait un code d'honneur ? Ça existe ça ?
- Plus maintenant, j'en ai peur, soupira Hayato. Mon clan a été détruit par une guerre intestine, j'en suis le seul survivant. Mon but est donc de recréer une famille à l'image de celle de mon père.
- Ah ouais...


Un instant, Fiona ne sut trop quoi dire. Elle sembla trépigner à même le sol, furetant en tous sens. Elle croisa les bras et rentra dans une furieuse réflexion, une moue concentrée plaquée sur tous ses traits. L'épéiste la tira de ses pensées d'une voix douce :


- Et vous Fiona, que comptez vous faire, maintenant que vous êtes libre ? Allez vous retrouver vos parents ?
- J'irai les voir, pour leur dire que je vais bien, ça c'est sûr ! Mais j'me vois pas retourner au restaurant. Ces sept dernières années, c'était un peu l'enfer... mais malgré tout, j'ai bien aimé apprendre sur le terrain, retrouver le coté nomade, découvrir de nouveaux pays et apprendre de nouvelles façons de cuisiner. J'aimerais bien continuer... alors...


Elle jeta un coup d’œil étrange à Hayato, avant de grommeler dans sa barbe. Au même moment, les deux amis reprirent la parole :


- J'peux venir avec toi ?
- Que diriez vous de me rejoindre ?


Après un silence gênant, les deux compères éclatèrent de rire. Le corps endolori de l'épéiste lui rappela bien vite de calmer son hilarité, tandis que Fiona essuyait les larmes de rire qui coulaient de ses yeux. Lorsque le calme revint dans la petite clairière, les deux nouveaux amis soupirèrent d'aise, avant de reprendre leur discussion plus sereinement :


- Et donc, comment tu comptes faire, avec les marines ?
- Je vais tout simplement démissionner, j'en ai le droit après tout.
- J'suis pas sûr qu'il te laissera faire...
- Il peut toujours tenter une mesquinerie quelconque, mais il n'a rien contre moi.
- Je devrais t'accompagner, non ? Ça serait plus simple pour repartir après ?
- Même si je suis ravi de vous voir rejoindre ma famille, Fiona, j'ai encore besoin d'un peu de temps pour voyager seul. Je cherche non seulement d'autres membres, mais également un fief où nous installer. Cela vous laissera le temps de parcourir le monde et de profiter de votre liberté !
- Mouais... et ça va durer combien de temps ?


Après un instant de réflexion, la main sur le menton, Hayato finit par répondre :


- Probablement une année, le temps que je fasse le tour de toutes les îles de North Blue.
- AH ! T'es du genre à prendre ton temps...
- « Si tu es pressé, fais un détour », disait mon père.
- Je... hein ?


Hayato partit d'un petit rire de nez avant de se lever. Il salua Fiona et lui conseilla une nouvelle fois de se cacher durant les prochains jours. Après lui avoir promis de revenir la voir, une fois exclus de la marine, il reprit le chemin de la base d'un pas tranquille. Le cœur léger et l'esprit apaisé, l'épéiste traversa en sens inverse Lavallière, jusqu'à passer de nouveau la lourde double porte du quartier général de Boréa. Dès l'instant où il fut sous le toit des marines, la fausse recrue fut alpaguée par des hommes du sergent Musket et amené jusqu'à lui. Hayato et deux sbires pénétrèrent dans une petite pièce rectangulaire simplement meublée, avec le strict nécessaire pour remplir ses fonctions. Il nota une bibliothèque, un fauteuil confortable derrière un bureau et, de l'autre coté, deux chaises plus rudimentaires. Dès que la porte fut refermée, l'officier frappa du poing sur son bureau et attaqua d'emblée :


- Engagé Suisou ! Je vous ordonne de me dire où se trouve Fiona !
- Et bien, j'ai réussi à lui échapper dans la forêt, donc...
- FOUTAISES ! Vous me prenez pour un bleu ? Je sais que vous l'avez aidée dès votre entrée dans la marine ! Je mettrais même ma main à couper que vous ne brandissez pas réellement nos nobles valeurs, et que vous vous êtes engagé uniquement dans le but de la faire s'échapper !
- Je ne savais pas qu'elle était retenue captive, sergent ? ironisa le bretteur.


Les deux brutes se crispèrent, tandis que le sergent s'empourprait. Il pointa un doigt accusateur vers Hayato, avant de lui hurler dessus :


- Je vais vous faire passer en cour martiale, petit merdeux !
- Inutile sergent. Ce que j'ai vu dans cette base m'a ouvert les yeux sur la marine. Je...
- Parce que tu crois que j'y ai pas pensé ? Hein ? Que tu voudrais démissionner ? Qu'est ce que tu crois ? Que la marine est une bande de pieds tendre ?


Comme l'épéiste restait interdit, Musket sourit d'un air goguenard, avant de sortir une liasse de papiers. Il les jeta négligemment sur la recrue, avant de l'inviter à les lire d'un geste. Il s'agissait du contrat signé par Hayato, quelques jours plutôt, afin de s'engager. Pour l'avoir diligemment parcouru, il en connaissait le contenu, ce qu'il ne manqua pas de révéler à l'officier. Pourtant, le sourire de ce dernier s'élargit encore :


- Encore une fois, tu nous prends pour une bande de pieds tendre, recrue ? Relis bien, je suis sûr que t'as loupé quelques passages... Notamment celui sur la période d'essai.


Pris d'un mauvais pressentiment, Hayato ouvrit le document et s'empressa de retrouver le fameux paragraphe. Il hoqueta alors de surprise, avant de s'offusquer :


- Ce n'est pas ce que j'ai signé ! Un an de période d'essai ? Elle devait juste durer deux semaines !
- Quel dommage... si sûr de lui, mais incapable de lire correctement un document. Pourtant, c'est bien paraphé avec tes initiales et signé à la fin, non ?


Devant l'air méprisable affiché par les trois marines, Hayato sut qu'il était inutile de tenter de négocier ou de jouer selon les règles. Il aurait pu s'enfuir dès maintenant, après leur avoir brisé le crane. Pourtant, il avait besoin de rester dans l'anonymat, de ne pas créer de vague, jusqu'à la fin de son voyage initiatique... Attirer l'attention, avant d'avoir pu rassembler sa nouvelle famille et de les mettre en sécurité, lui serait défavorable au plus haut point. Il allait devoir jouer au plus fin avec eux. Le futur de son clan en dépendait. Comme Hayato ne pipait mot, le sergent prit son silence pour de la résignation et tenta de pousser son avantage :


- ALORS ! Où est ce qu'elle est ?
- Je suis parfaitement désolé pour ma réponse précédente, sergent.
- Ouais ouais, crache le morceau !
- Ce que je voulais dire, en réalité, c'est que je ne me souviens même pas à quoi elle ressemble, sergent. C'est navrant, vraiment...
- Espèce de petit merdeux... J'vais t'en faire baver, jusqu'à ce que tu regrètes d'être en vie ! Tu vas lacher le morceau, que tu le veuilles ou non.
- Je doute que vous en soyez capable, sergent.


L'homme vit rouge. Il ordonna à ses hommes de sortir et de faire le guet devant la porte. Une fois seul à seul, il ouvrit un tiroir pour sortir une cravache. Lorsqu'il leva les yeux, Hayato était à la porte, en train de la verrouiller. Tout d'abord interdit, une lueur interrogative passa dans les yeux du sergent, juste avant que l'épéiste ne fonde sur lui. En quelques instants, il lui arracha sa cravache des mains. Alors, sous les yeux écarquillées du marine, Hayato commença à hurler, à appeler à l'aide, tout en se frappanat avec la cravache partout sur le corps. Musket, fou de rage, fonça sur la recrue et tenta de lui arracher l'ustensile des mains en criant à son tour. Il fut décontenancé devant la force surprenante du jeune homme qui, sans aucun effort, résista à ses vaines tentatives.

Hayato se jeta contre la bibliothèque, hurla de plus belle en appelant à l'aide. Le vacarme attira immanquablement l'attention de toute la base. L'instant suivant, les hommes de Musket tentèrent d'entrer, mais trouvèrent porte close. Une agitation inhabituelle secoua le couloir et, bientôt, des bruits sourds prouvèrent à Hayato que les marines tentaient de défoncer la porte. Il s'accrocha alors d'une main à Musket, tout en continuant à se frapper avec la cravache et à appeler à l'aide. Lorsque, enfin, la porte céda, il força Musket à reprendre sa cravache avant que les témoins ne rentrer. Les soldats réussirent à pénétrer dans la pièce, et une bonne partie de la caserne put découvrir une scène révoltante. Hayato s'aggripait aux mains du sergent, à genoux. Il présentait de multiples ecchymoses et plaies sanguignolantes sur tout le corps. Lorsqu'un officier supérieur à Musket pénétra dans les lieux, le vagabond lâcha d'une voix plaintive :


- J'vous en prie sergent, j'ai fait de mon mieux... arrêtez de me frapper...
- SERGENT MUSKET ! tonna le lieutenant qui venait d'entrer. QU'EST CE QUE TOUT CECI SIGNIFIE !
- C'EST LUI ! tenta vainement l'intéressé, avant de se faire interrompre.
- CETTE FOIS CI, C'EN EST TROP ! hurla presque le lieutenant. Je vous ai toujours laissé le bénéfice du doute, mais vous êtes pris en flagrant délit ! Mettez au fer le sergent Musket ! Accompagnez la jeune recrue à l'infirmerie !
- OUI, LIEUTENANT !


Durant les quelques heures qui suivirent, Hayato réussit à faire plonger le sergent Musket et ses sbires. Bien au fait de leurs petites manigances, il relata tout ce qu'il savait à propos de Fiona et des techniques abusives de l'officier pour la forcer à travailler pour la marine. Il glissa qu'ils l'avaient fait chanter et, qu'une fois que sa conscience l'avait forcé à se rebeller, avait été rossé. Il fit d'ailleurs passer ses multiples ecchymoses pour l'oeuvre du sergent, alors qu'il les devait en réalité à la cuisinière ou à lui-même. Après avoir été soigné, il fut amené dans le bureau du lieutenant qui l'avait « sauvé ». Ce dernier, un quadragénaire à la peau mate et à la barbe poivre et sel, passa une main tannée dans ses cheveux mi long. Il poussa un soupir de dépis, avant de déclarer de sa voix rauque de fumeur :


- Engagé Suisou, je suis devant un dilemme. Nous vous devons une fière chandelle, pour nous avoir aidé à percer à jour ces fieffés gredins. Pourtant... je ne peux pas laisser filtrer cette information à l'extérieur, vous vous en doutez.
- Je pense que je comprends, lieutenant.
- Vous m'en voyez ravi. Avoir réussi à encaisser les assauts de ce forcené et déjoué un tel réseau de corruption, durant votre période d'essai qui plus est... Vous êtes promis à une belle carrière, mon petit.


Ici, Hayato prit un air affecté. Cet homme semblait sincère, droit et honnête. Il s'agissait, ni plus ni moins, d'un véritable marine, mû par une vocation. Il désirait aider son prochain, semblait soucieux du devenir des civils autant que de celui de ses hommes. Aussi, le futur criminel se sentit presque gêné de devoir lui répondre ainsi :


- Lieutenant, même si je comprends, et que je ne dirai rien... je ne peux pas rester dans la marine, après ça.
- Il s'agit d'un épiphénomène, mon gars. La plupart des officiers...
- Je sais, le coupa Hayato. La plupart sont comme vous, je m'en rends bien compte. Mais je ne pourrais pas rester, malgré tout... J'aimerais vous demander l'autorisation de démissionner de la marine, lieutenant.
- C'est une grande perte, mon gars. Qu'est ce que tu vas faire, si tu nous quittes ?


Avec un sourire, le vagabond répliqua :


- Retrouver ma famille.
- Ouais. Ça se tient. Merci pour ce que tu as fait, recrue. Et prends soin de toi.
- Vous aussi, lieutenant.


Après une virile poignée de main, ainsi qu'une signature sur un formulaire de démission, Hayato fut raccompagné aux portes de la base. De nouveau paré de son kimono, sous les vêtements chauds prêtés par Simon et Bertha, il respira l'air frais de la liberté. Après quelques instants au calme, l'épéiste retourna dans la forêt, là où il avait laissée Fiona. Cette dernière faisait cuire une brochette de champignons sur un feu de camp improvisé. Elle lui lança un regard étonné, avant d'éclater de rire lorsque le guerrier lui relata les événéments.


- Bien fait ! Décidément, j'ai eu de la chance de te croiser, Hayato !
- Et moi de même, Fiona.
- Si t'as faim, j'en ai préparé pas mal ! Vu la tronche que t'as, un petit remontant te fera pas de mal.
- Avec plaisir !


Pendant leur frugal repas champètre, les deux nouveaux amis firent plus ample connaissance. Après plusieurs heures d'échanges, d'anecdotes et de rires, Hayato et Fiona retournèrent en ville. Hayato alla frapper à la porte du couple de petits vieux qui les hébergèrent avec plaisir. Les jours suivants, Hayato récupéra de ses blessures et de son surmenage, tout en découvrant Boréa. Lorsqu'enfin il fut remis, ils se séparèrent. La cuisinière laissa son numéro personnel au vagabond, afin qu'il puisse la contacter. Ils quittèrent Borea dans des navettes différentes, mais mûs par le même espoir : se retrouver au plus vite et débuter leurs aventures avec le reste de leur future famille.


KoalaVolant


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