Petite barque. Grand océan. Vagues qui gondolaient doucement, faisant un doux bruit de fond de clapotement contre la coque de bois. Et par intermédiaire, entraînait une femme mûre à roupiller. Cette dernière, renommée sur sa Blue pour sa colère mais également pour ses bonnes actions, considérée comme quelqu'un de sympa, tardait à se réveiller, malgré les petits appels d'une voix d'enfant. Se tournant sur le côté opposé, elle grogna, sa pipe bougeant au même rythme que ses lèvres. Finalement, ses sourcils délaissèrent leur froncement, et Old Crow s'apaisa.
Maman avait un drôle de sommeil, disait toujours sa fille d'homme poisson, Rosianne, sirène elle-même. On pouvait crier dans ses oreilles, lui mordre les joues, lui brûler le bout des doigts, lui chatouiller les orteils, ou tout simplement faire rugir des canons à deux pouces de son faciès, elle roupillait comme une déesse. Pourtant, au moindre petit bruit, simple craquement, fourmillement à dix pas d'elle (ou encore à au débouchement de son énorme gourde de saké), la brute se réveillait en sursaut et vous étalait en trois secondes. Rosianne était une habituée à la pratique de cet art sans fondements. Des coups, elle en prenait à longueur de journée... Et particulièrement au réveil de Maman, qui était toujours bourrue et dé-soûlée. Mais n'allez pas croire que c'était ce qu'il fallait à la petite pour regretter d'avoir comme seul parent cette épaisse femme au caractère explosif : Rosianne préférait de loin Sarah à toute les femmes de la terre !
Cependant, elle prenait maintenant ses mesures. De plus que dans l'eau, Rosianne avait un avantage effrayant. La petite, pour les non-informées, avait héritée de l'affinité de son père non désiré pour son adresse aquatique mais également de la force de sa mère. Et de son rire.
Ces deux caractéristiques ne furent pourtant pas assez intéressantes, cette journée là, pour que la sirène échappe au courroux de sa mère. Plus rapide que sa fille, Crow, dès qu'une oeil fut ouvert, empoigna par le bras la sirène et la projeta à plusieurs mètres au dessus d'elle, l'envoyant valdinguer contre les flots, plus loin. Puis, sautant sur ses deux pieds, tanguant dangereusement dans sa barque, brassant l'air de ses bras, elle empoigna une rame, puis deux, et les fit déchirer les vagues, assommant pour de bon sa fille. La petite sombra bien vite, les yeux blancs, dans un amas d'oxygène en bulles crevant à la surface. Old Crow plaça ses poings sur ses hanches, le regard fier, au delà de l'horizon.
Une tête jaune pâlotte immergea, doucement, ne montrant que les yeux noisettes-mordorés. Des bulles entourèrent ce bout de minois. Puis, un rire tonitruant, venant de la petite, alors que sa bosse se formait maintenant sur son front, explosa, bien vite suivit par celui de sa mère. Et ensemble, Crow empoignant une nouvelle fois le bras de sa fille pour la hisser sur son bateau de fortune, elles se marrèrent bien.
Redevenant sérieuses, les deux filles se regardèrent un instant. D'un grognement, allumant sa pipe, la tête de sa fille contre son ventre, jouant dans ses cheveux, la mère demanda ce que voulait Rosianne.
Le petite leva immédiatement le regard, un grand sourire illuminant son visage.
Se tenant sa tête de ses petites mains, une langue sortie, les yeux en X, elle se maudit de ne pas y avoir pensée plus tôt. Rosianne, de sa mère, avait également héritée de sa bêtise sans nom !
Crow sourit. Voilà qui semblait mieux. Ni une ni deux, Rosianne sauta à l'eau, sa grosse queue de sirène fendant les vagues, tirant sur la corde rattachée au bout de la barque, menant sa mère au lieu propice à la pêche. Une fois sur place, la fille plongea, la barque se stoppant lentement. Crow se leva, scrutant les abysses, avant de boire une gorgée de saké — une gorgée pour elle, dix pour vous — et de sauter à son tour. Avec grâce, la belle fendit l'obscurité, d'une brasse parfaite, les joues tendues d'oxygène. Elle avait à sa taille un grand filet qui ondulait derrière elle, les dix poids flottant plus que calant. Crow était experte au maniement du filet, et aidée par le chant de sirène de sa fille qui attirait ses congénères dans ses mailles, les Crow faisaient à coup sûr un tabac ! Et bien qu'habituellement, Sarah ne prenait pas part aux manoeuvres sous-marines, elle avait envie de se dégourdir un peu.
À bonne profondeur, la plongeuse armateur se surprit à toucher fond, alors qu'elle devrait nécessairement flotter entre ciel et terre. Se penchant aussi rapidement que lui permettait son corps submergé, soit très lentement, elle toucha la mousse qui peuplait le sol sous ses drôles de godasse. Étrangement déconcertée, la belle en oublia sa tâche primaire...
Un mouvement sur sa gauche ! Crow se retourna prestement, les sourcils froncés, l'eau salée lui arrachant un grognement alors qu'elle pénétrait ses narines. Un mouvement à l'arrière. Retournement nouveau et soudain. Un gros poisson lui fonça dans les côtés, la poussa de son perchoir inhabituel et la cale avec lui. C'est à peine si la belle eut le temps d'attraper son filet à sa ceinture, qu'elle passa au dessus de la peau huileuse de l'esturgeon, pour le saucissonner bien comme il le faut. L'oeil rong et globuleux de l'ovipare s'énerva, et la pièce maîtresse du dîner de ce soir s'échappa, passant entre les bras puissants de maman. Che. À sa suite, bien que fort lente, Crow tenta de le rattrapper, du moins, du bout des doigts... Rien à faire, elle manquait d'air.
Immergeante solution conseillée.
C'était la grande goulée, puis la brasse gracieuse pour rejoindre la barque qu'exécuta Old Crow, d'un air maussade. Elle avait ratée sa proie, et donnait ainsi le privilège à Rosianne de revenir souriante, avec, aux bouts de ses bras l'énorme poisson aperçu. De quoi pour passer une mauvaise soirée... C'est maman la meilleur, pas fille.
Et comme de fait, la petite sirène éclata d'un rire tonitruant à son retour...
Mais la partie n'était pourtant pas finie. Alors que le soleil plongeait dans la grande bleue, Crow demanda un second défi à sa fille. Le ventre rassasié. Mais cette fois, pas question de plonger, ça se ferait à l'ancienne, avec deux cannes et du fil. Un hameçon chacune, quelques intestins d'esturgeon, et voilà la ligne à l'eau. La queue d'écailles de Rosianne battait l'eau doucement, ne créant bientôt plus que les dernières vaguelettes. Calme plat. Toutes deux adossées à l'autre, Crow mâchouillait son bout de pipe, le goulot de sa gourde proche des lèvres. Une douce odeur de tabac flottait en l'air, entourant tel un drap invisible les épaules des deux femmes. Rosianne avait les yeux lourds de fatigue. Quant à Sarah, elle baillait à tour de bras, manquant à chaque coup de perdre sa pipe dans les abîmes de la Blue. La barque tournoyait sur son axe, sans rames, et la nuit tomba finalement.
Le bout de la canne de Maman se courba subitement, avant de se détendre. Trois quatre coups agirent ainsi. Ça mordait ! Fière d'être la première, sans mal, la belle se leva avant d'agiter ses bras pour faire sortir son hameçon et son lot de l'eau — faute de moulinet. Cela était plus compliqué que prévu. La canne, sous la masse, courbait affreusement et menaçait de se rompre, calant sûrement avec son trésor inconnu. Connaissant quelques trucs de vieux pêcheurs, la brute rajusta ses mains sur sa canne, pour finalement empoigner le fil lui-même, l'entourer une bonne dizaine de tour autour de sa paume et tirer fort bien ! L'animal qui agissait contre sa hargne sans limite ne put qu'abandonner et ce fut une ombre énorme qui tomba sur la barque, sentant le sel et l'algue à plein nez. Braf! Tanguant, les Crow eurent d'abord le réflexe de pencher échine, et Rosianne sauta à l'eau — ou du moins, s'y glissa du mieux que le permettait sa simple queue. L'agitation retombée, Old Crow admira d'avantage sa prise...
Elle grognait.
Elle ronflait même.
C'était un homme-poisson !
Le pauvre requin-marteau humanoïdem, âgé d'une bonne soixantaine d'années, se promenait bien peinard dans les fonds abyssaux lorsque la fraîche odeur d'esturgeon lui monta au cerveau. S'y précipitant, le requin à l'odorat le plus développé se fit avoir comme un bleu par l'attrape-nigaud de Crow. Maintenant, sa joue pissait le sang.
Il fixa un instant Old Crow et sa fille, ne comprenant pas pourquoi deux honnêtes civiles, comme semblait-il le croire, venait pêcher dans un coin aussi désolé que ce milieu de Blue du Sud. Rien d'exceptionnel, vraiment. C'était à peine si, dans les vingt années que l'homme-requin-marteau avait passé seulement un navire marchand. Nada. Niet. Ce fut lorsque la petite lui montra ses dents pointues et que sa queue frappa l'eau qu'il comprit qu'elle devait sûrement être une de ses guides/esclaves à la solde des hommes... D'autant plus que la femme qui l'accompagnait ne semblait pas des plus agréables. Pauvre petite, le vieux Néo va te sauver !
Pas de chance, vieux Néo, d'être tombé sur une femme au sens d'orientation plus pourrie qu'une dent gâtée de vieil homme mal nourri. De plus que Crow n'aimait pas trop les hommes-poissons, dut au petit « accident » avec Mister Thunder F., alors, si en plus, il lui indiquait des directions labyrinthiques, c'est que ça allait chauffer dans ce bout de mer déserte !
Voyant bien que son stratagème ne semblait guère fonctionner, le pauvre Néo se cala d'avantage.
Houla que ça n'allait point être facile.
Néo avait cependant l'astuce imparable transmise de génération en génération. Un truc que son grand-père avait transmis à son père lorsque ce dernier, en bon petit homme-requin avait dut bouffer son frangin dans le ventre de leur mère, transmis au travers de la peau tendue d'une mère en sueur. Transmis ensuite à Néo de la même façon, qui le transmis également à son fils. L'astuce dont rêvait les plus grandes armées de ce monde, et qui déchirerait en deux l'amitié éternel entre le gouvernement mondial et la marine si l'un des deux ne pourrait pas l'apprendre.
Et ce truc, il allait le partager aujourd'hui aux yeux ébahis de simple mortel qu'étaient ceux de Crow. Il allait user de son arme secrète pour récupérer la sirène, pour la protéger !
Rapidement, il leva un doigts, un sourire malsain sur son visage.
La tentation était trop forte ! Crow tourna la tête, se demandant bien ce qu'une vache venait foutre dans ce coin perdu aqueux ! Mais bordel, où était donc ce damier ambulant ?
Et hop ! Néo embarqua Rosianne sur son épaule et plonga, sans demander son reste, sous les cris de surprise aiguë de la sirène.
Voilà donc où il venait en venir... Crow se retourna lentement, doucement, presque démesurément calme pour ceux qui la connaissaient — si ils ne sont pas morts, ils ne sont pas forts, dirait un de ses admirateurs secrets, huhuhu. Poings serrés, Maman esquissa un drôle de rictus, un long ricanement s'échappant d'entre ses lèvres. Gras. Une veine pompait affreusement sur sa tempe, et la brute se fit violence, se plantant les ongles dans sa paume, pour ne pas couler sa barque. Elle n'était pas si folle, la vieille. Pas de barque et c'est adios le rôle de cocher maritime, cognant son animal de fille par ci par là.
Rapidement, sûre d'elle, la belle se dévêtit. Elle laisse des getas, et plonge, une gorgée de saké macérant doucement contre sa langue et son palais.
La barque, depuis le début de la pêche, n'avait presque pas oscillé sous l'influence des douces vagues, et ce fut ainsi que Crow retomba sur l'espèce de fond où elle mit pied plus tôt, le plus étrangement du monde possible. Sa vue, bien irritée par l'eau salée, lui renvoyait une image floue des fonds obscurs, et elle sentait que chaque seconde qui s'écoulait entamait toujours un peu plus sa réserve d'oxygène. Elle suivit le fond trop, elle suivit sa courbe — ça semblait être une sorte de boule, du moins — et s'enfonça encore un peu plus. Elle ne put s'empêcher de relâcher un grappe de bulles, grinçant des dents. Elle en vint même à regretter de n'être pas une sirène elle-même, Thunder F. n'aurait alors été qu'un vulgaire homme... Alors qu'elle sondait toujours plus creux, toujours plus dangereusement, et que ses bras s'alourdissaient à chaque mètre gravit, elle toucha enfin vrai fond. Nue, et complètement aveugle, elle lâcha de nouvelles bulles. Maintenant, même si elle tentait de remonter à la surface, elle manquerait d'air, de toute évidence.
Ses pieds s'accrochaient aux roches pointues qui parsemaient le sol, alors que le corps de Sarah se tortillait de douleurs passives. Le sel maritime la faisait répéter son panel incroyable d'insultes à tout va. Puis, elle frappa un mur. Non pas comme dans l'expression frapper un mur... Elle frappa réellement un mur ! Ses doigts eurent les premier le contact, s'écrasant mollement contre lui, puis ses coudes et enfin son nez. Elle s'assomma. Puis elle coula.
Maman avait un drôle de sommeil, disait toujours sa fille d'homme poisson, Rosianne, sirène elle-même. On pouvait crier dans ses oreilles, lui mordre les joues, lui brûler le bout des doigts, lui chatouiller les orteils, ou tout simplement faire rugir des canons à deux pouces de son faciès, elle roupillait comme une déesse. Pourtant, au moindre petit bruit, simple craquement, fourmillement à dix pas d'elle (ou encore à au débouchement de son énorme gourde de saké), la brute se réveillait en sursaut et vous étalait en trois secondes. Rosianne était une habituée à la pratique de cet art sans fondements. Des coups, elle en prenait à longueur de journée... Et particulièrement au réveil de Maman, qui était toujours bourrue et dé-soûlée. Mais n'allez pas croire que c'était ce qu'il fallait à la petite pour regretter d'avoir comme seul parent cette épaisse femme au caractère explosif : Rosianne préférait de loin Sarah à toute les femmes de la terre !
Cependant, elle prenait maintenant ses mesures. De plus que dans l'eau, Rosianne avait un avantage effrayant. La petite, pour les non-informées, avait héritée de l'affinité de son père non désiré pour son adresse aquatique mais également de la force de sa mère. Et de son rire.
« Baka! »
Ces deux caractéristiques ne furent pourtant pas assez intéressantes, cette journée là, pour que la sirène échappe au courroux de sa mère. Plus rapide que sa fille, Crow, dès qu'une oeil fut ouvert, empoigna par le bras la sirène et la projeta à plusieurs mètres au dessus d'elle, l'envoyant valdinguer contre les flots, plus loin. Puis, sautant sur ses deux pieds, tanguant dangereusement dans sa barque, brassant l'air de ses bras, elle empoigna une rame, puis deux, et les fit déchirer les vagues, assommant pour de bon sa fille. La petite sombra bien vite, les yeux blancs, dans un amas d'oxygène en bulles crevant à la surface. Old Crow plaça ses poings sur ses hanches, le regard fier, au delà de l'horizon.
Une tête jaune pâlotte immergea, doucement, ne montrant que les yeux noisettes-mordorés. Des bulles entourèrent ce bout de minois. Puis, un rire tonitruant, venant de la petite, alors que sa bosse se formait maintenant sur son front, explosa, bien vite suivit par celui de sa mère. Et ensemble, Crow empoignant une nouvelle fois le bras de sa fille pour la hisser sur son bateau de fortune, elles se marrèrent bien.
Redevenant sérieuses, les deux filles se regardèrent un instant. D'un grognement, allumant sa pipe, la tête de sa fille contre son ventre, jouant dans ses cheveux, la mère demanda ce que voulait Rosianne.
Le petite leva immédiatement le regard, un grand sourire illuminant son visage.
« J'ai trouvé un banc énorme d'poissons, M'man ! On va pouvoir bien manger c'soir !
— Quelle race ?
— Du saumon !
— Baka! J't'ai déjà dit que j'chiais pas l'saumon !
— Ayeuh ! »
— Quelle race ?
— Du saumon !
— Baka! J't'ai déjà dit que j'chiais pas l'saumon !
— Ayeuh ! »
Se tenant sa tête de ses petites mains, une langue sortie, les yeux en X, elle se maudit de ne pas y avoir pensée plus tôt. Rosianne, de sa mère, avait également héritée de sa bêtise sans nom !
« Y'avais aussi des esturgeons, c'vrai, j'avais oublié... »
Crow sourit. Voilà qui semblait mieux. Ni une ni deux, Rosianne sauta à l'eau, sa grosse queue de sirène fendant les vagues, tirant sur la corde rattachée au bout de la barque, menant sa mère au lieu propice à la pêche. Une fois sur place, la fille plongea, la barque se stoppant lentement. Crow se leva, scrutant les abysses, avant de boire une gorgée de saké — une gorgée pour elle, dix pour vous — et de sauter à son tour. Avec grâce, la belle fendit l'obscurité, d'une brasse parfaite, les joues tendues d'oxygène. Elle avait à sa taille un grand filet qui ondulait derrière elle, les dix poids flottant plus que calant. Crow était experte au maniement du filet, et aidée par le chant de sirène de sa fille qui attirait ses congénères dans ses mailles, les Crow faisaient à coup sûr un tabac ! Et bien qu'habituellement, Sarah ne prenait pas part aux manoeuvres sous-marines, elle avait envie de se dégourdir un peu.
À bonne profondeur, la plongeuse armateur se surprit à toucher fond, alors qu'elle devrait nécessairement flotter entre ciel et terre. Se penchant aussi rapidement que lui permettait son corps submergé, soit très lentement, elle toucha la mousse qui peuplait le sol sous ses drôles de godasse. Étrangement déconcertée, la belle en oublia sa tâche primaire...
Un mouvement sur sa gauche ! Crow se retourna prestement, les sourcils froncés, l'eau salée lui arrachant un grognement alors qu'elle pénétrait ses narines. Un mouvement à l'arrière. Retournement nouveau et soudain. Un gros poisson lui fonça dans les côtés, la poussa de son perchoir inhabituel et la cale avec lui. C'est à peine si la belle eut le temps d'attraper son filet à sa ceinture, qu'elle passa au dessus de la peau huileuse de l'esturgeon, pour le saucissonner bien comme il le faut. L'oeil rong et globuleux de l'ovipare s'énerva, et la pièce maîtresse du dîner de ce soir s'échappa, passant entre les bras puissants de maman. Che. À sa suite, bien que fort lente, Crow tenta de le rattrapper, du moins, du bout des doigts... Rien à faire, elle manquait d'air.
Immergeante solution conseillée.
C'était la grande goulée, puis la brasse gracieuse pour rejoindre la barque qu'exécuta Old Crow, d'un air maussade. Elle avait ratée sa proie, et donnait ainsi le privilège à Rosianne de revenir souriante, avec, aux bouts de ses bras l'énorme poisson aperçu. De quoi pour passer une mauvaise soirée... C'est maman la meilleur, pas fille.
Et comme de fait, la petite sirène éclata d'un rire tonitruant à son retour...
Mais la partie n'était pourtant pas finie. Alors que le soleil plongeait dans la grande bleue, Crow demanda un second défi à sa fille. Le ventre rassasié. Mais cette fois, pas question de plonger, ça se ferait à l'ancienne, avec deux cannes et du fil. Un hameçon chacune, quelques intestins d'esturgeon, et voilà la ligne à l'eau. La queue d'écailles de Rosianne battait l'eau doucement, ne créant bientôt plus que les dernières vaguelettes. Calme plat. Toutes deux adossées à l'autre, Crow mâchouillait son bout de pipe, le goulot de sa gourde proche des lèvres. Une douce odeur de tabac flottait en l'air, entourant tel un drap invisible les épaules des deux femmes. Rosianne avait les yeux lourds de fatigue. Quant à Sarah, elle baillait à tour de bras, manquant à chaque coup de perdre sa pipe dans les abîmes de la Blue. La barque tournoyait sur son axe, sans rames, et la nuit tomba finalement.
Le bout de la canne de Maman se courba subitement, avant de se détendre. Trois quatre coups agirent ainsi. Ça mordait ! Fière d'être la première, sans mal, la belle se leva avant d'agiter ses bras pour faire sortir son hameçon et son lot de l'eau — faute de moulinet. Cela était plus compliqué que prévu. La canne, sous la masse, courbait affreusement et menaçait de se rompre, calant sûrement avec son trésor inconnu. Connaissant quelques trucs de vieux pêcheurs, la brute rajusta ses mains sur sa canne, pour finalement empoigner le fil lui-même, l'entourer une bonne dizaine de tour autour de sa paume et tirer fort bien ! L'animal qui agissait contre sa hargne sans limite ne put qu'abandonner et ce fut une ombre énorme qui tomba sur la barque, sentant le sel et l'algue à plein nez. Braf! Tanguant, les Crow eurent d'abord le réflexe de pencher échine, et Rosianne sauta à l'eau — ou du moins, s'y glissa du mieux que le permettait sa simple queue. L'agitation retombée, Old Crow admira d'avantage sa prise...
Elle grognait.
Elle ronflait même.
C'était un homme-poisson !
Le pauvre requin-marteau humanoïdem, âgé d'une bonne soixantaine d'années, se promenait bien peinard dans les fonds abyssaux lorsque la fraîche odeur d'esturgeon lui monta au cerveau. S'y précipitant, le requin à l'odorat le plus développé se fit avoir comme un bleu par l'attrape-nigaud de Crow. Maintenant, sa joue pissait le sang.
Il fixa un instant Old Crow et sa fille, ne comprenant pas pourquoi deux honnêtes civiles, comme semblait-il le croire, venait pêcher dans un coin aussi désolé que ce milieu de Blue du Sud. Rien d'exceptionnel, vraiment. C'était à peine si, dans les vingt années que l'homme-requin-marteau avait passé seulement un navire marchand. Nada. Niet. Ce fut lorsque la petite lui montra ses dents pointues et que sa queue frappa l'eau qu'il comprit qu'elle devait sûrement être une de ses guides/esclaves à la solde des hommes... D'autant plus que la femme qui l'accompagnait ne semblait pas des plus agréables. Pauvre petite, le vieux Néo va te sauver !
« Dîtes-moi donc, mam'selle, que faîtes-vous donc là ? Si c'est pour la pêche, c'est sûrement pas la plus belle place, hein. Un peu plus au nord, un peu plus vers l'ouest, de nuit, la route est belle. Allez-y, allez-y ! Vous verrez comme c'est magnifique.
— C'où l'nord ?
— Vous... Et bien, le nord, c'est au nord quoi. »
— C'où l'nord ?
— Vous... Et bien, le nord, c'est au nord quoi. »
Pas de chance, vieux Néo, d'être tombé sur une femme au sens d'orientation plus pourrie qu'une dent gâtée de vieil homme mal nourri. De plus que Crow n'aimait pas trop les hommes-poissons, dut au petit « accident » avec Mister Thunder F., alors, si en plus, il lui indiquait des directions labyrinthiques, c'est que ça allait chauffer dans ce bout de mer déserte !
Voyant bien que son stratagème ne semblait guère fonctionner, le pauvre Néo se cala d'avantage.
« Et si je vous servais d'guide, hein, ma p'tite dame ? Et si j'vous montrais comment naviguer ? Vous seriez pas bien contente, hein ?
— Nan. »
— Nan. »
Houla que ça n'allait point être facile.
Néo avait cependant l'astuce imparable transmise de génération en génération. Un truc que son grand-père avait transmis à son père lorsque ce dernier, en bon petit homme-requin avait dut bouffer son frangin dans le ventre de leur mère, transmis au travers de la peau tendue d'une mère en sueur. Transmis ensuite à Néo de la même façon, qui le transmis également à son fils. L'astuce dont rêvait les plus grandes armées de ce monde, et qui déchirerait en deux l'amitié éternel entre le gouvernement mondial et la marine si l'un des deux ne pourrait pas l'apprendre.
Et ce truc, il allait le partager aujourd'hui aux yeux ébahis de simple mortel qu'étaient ceux de Crow. Il allait user de son arme secrète pour récupérer la sirène, pour la protéger !
Rapidement, il leva un doigts, un sourire malsain sur son visage.
« Oh ! une vache. »
La tentation était trop forte ! Crow tourna la tête, se demandant bien ce qu'une vache venait foutre dans ce coin perdu aqueux ! Mais bordel, où était donc ce damier ambulant ?
Et hop ! Néo embarqua Rosianne sur son épaule et plonga, sans demander son reste, sous les cris de surprise aiguë de la sirène.
Voilà donc où il venait en venir... Crow se retourna lentement, doucement, presque démesurément calme pour ceux qui la connaissaient — si ils ne sont pas morts, ils ne sont pas forts, dirait un de ses admirateurs secrets, huhuhu. Poings serrés, Maman esquissa un drôle de rictus, un long ricanement s'échappant d'entre ses lèvres. Gras. Une veine pompait affreusement sur sa tempe, et la brute se fit violence, se plantant les ongles dans sa paume, pour ne pas couler sa barque. Elle n'était pas si folle, la vieille. Pas de barque et c'est adios le rôle de cocher maritime, cognant son animal de fille par ci par là.
Rapidement, sûre d'elle, la belle se dévêtit. Elle laisse des getas, et plonge, une gorgée de saké macérant doucement contre sa langue et son palais.
La barque, depuis le début de la pêche, n'avait presque pas oscillé sous l'influence des douces vagues, et ce fut ainsi que Crow retomba sur l'espèce de fond où elle mit pied plus tôt, le plus étrangement du monde possible. Sa vue, bien irritée par l'eau salée, lui renvoyait une image floue des fonds obscurs, et elle sentait que chaque seconde qui s'écoulait entamait toujours un peu plus sa réserve d'oxygène. Elle suivit le fond trop, elle suivit sa courbe — ça semblait être une sorte de boule, du moins — et s'enfonça encore un peu plus. Elle ne put s'empêcher de relâcher un grappe de bulles, grinçant des dents. Elle en vint même à regretter de n'être pas une sirène elle-même, Thunder F. n'aurait alors été qu'un vulgaire homme... Alors qu'elle sondait toujours plus creux, toujours plus dangereusement, et que ses bras s'alourdissaient à chaque mètre gravit, elle toucha enfin vrai fond. Nue, et complètement aveugle, elle lâcha de nouvelles bulles. Maintenant, même si elle tentait de remonter à la surface, elle manquerait d'air, de toute évidence.
Ses pieds s'accrochaient aux roches pointues qui parsemaient le sol, alors que le corps de Sarah se tortillait de douleurs passives. Le sel maritime la faisait répéter son panel incroyable d'insultes à tout va. Puis, elle frappa un mur. Non pas comme dans l'expression frapper un mur... Elle frappa réellement un mur ! Ses doigts eurent les premier le contact, s'écrasant mollement contre lui, puis ses coudes et enfin son nez. Elle s'assomma. Puis elle coula.