Royaume soumis, ployant sous le givre et le regard du Gouvernement. Immensité glaciale à la fois stérile et abondante de ressources. Un secteur de choix à posséder sous sa coupe et que le Gouvernement se refusait à perdre. A chaque mouvement politique, à chaque micro-changement, l'on t'envoyait t'assurer que les accords étaient toujours respectés. On t'envoyait ? Pas vraiment. Comme à ton habitude, tu faisais du zèle, t'assurant que rien n'échappe à l'empire géopolitique que tu avais aidé à bâtir ces dix dernières années.
Tu étais déjà venue à Boréa. Tu connaissais sans doute chaque dirigeant de chaque royaume peuplant les mers, et aucun, même les plus irrévérencieux, n'osaient défier ouvertement le Gouvernement Mondial une fois intégré dans celui-ci. Car de royal, ils n'en avaient que les titres. Et il y avait bien des manières de t'imposer sans faire parler une seule fois la violence.
Ce n'était cependant pas l'objet du jour. Boréa avait presque toujours respecté ses obligations, et la garnison sur place ne faisait qu’accroître ses effectifs avec les années. Même balayée par les épreuves, elle était toujours alimentée par des soldats souvent malchanceux, afin d'assurer que rien qui se passait ici ne puisse échapper aux yeux du Gouvernement Mondial.
Et plus que les autres, tu n'étais pas dupe. Certaines choses se tapissaient dans l'ombre et se refusaient à voir le jour. Un mariage, aussi impromptu n'était pas anodin. Encore moins lorsqu'on connaissait l'historique de la nouvelle Reine sur le trône. Une Supernova, qui s'était à son tour soumise à l'autorité mondiale en rejoignant le rang des Corsaires.
Ainsi, pour conserver une couronne sur sa tête, elle s'était lestée d'un collier autour du cou. Une chose qui allait parfaitement aux deux parties engagés. Encore fallait-il que tu y apposes ton sceau d'approbation. Une seule irrégularité, un seul doute, et c'était suffisant pour faire vriller en éclat un accord pourtant basé sur la soumission volontaire de la nouvelle Reine.
Patiente, tu avais été escortée jusqu'au grand Halle du palais. La cravate bien nouée, seule une écharpe venait à trahir ton uniforme immaculé. Le froid ne t'était pas dérangeant, bien moins que l'idée de rompre ton emploi du temps pourtant bien pensé. Ce genre de voyage demandait une organisation dantesque, et tu avais à cœur d'en optimiser le temps dédié. Ne serait-ce que pour pouvoir pleinement profiter de tes jours de repos octroyés en retour de tes loyaux services.
Il n'y avait aucune bonne raison pour justifier la perte d'une minute. Et de ce fait, tu regardais ta montre à gousset pour t'assurer du bon déroulé. Tu t'étais présentée pile à l'heure. Évidemment, tu avais imposé tes exigences en annonçant ta venue ici. Tu voulais voir la Reine, la Corsaire, en premier lieu, et tu irais sans doute t'entretenir avec le Roi par la suite. Aucun conseiller ne saurait satisfaire ta démarche autrement. Il te fallait assurer de tes propres yeux que les dirigeants de ces terres étaient encore parfaitement alignés avec l’idée d'une hégémonie gouvernementale.
La visite inopinée de la directrice du CP1 n'était pas spécialement au goût de la jeune reine. Son dernier contact avec un agent du Cipher Pol sur Lynbrook s'était particulièrement mal passé. Assez rare pour être signalé, Méria avait été contrainte de fuir. Depuis, elle avait pris de l'expérience et gagné en puissance, mais cela ne retirait pas qu'elle avait une certaine rancœur tenace contre les ressortissants de l'agence gouvernementale. Ceci dit, cela ne l'avait pas empêché de participer à une mission conjointe en compagnie de l'agente Viper pour détruire une boutique ayant appartenu à Zen sur Saint-Uréa. Ce qui l'étonnait, c'était la raison de la présence de son invité. Si Greed était désormais corsaire, c'était selon la volonté indirecte de la Vierge d'Acier, alors pourquoi lui envoyer à présent une experte en propagande ? Ce qu'elle oubliait, ne connaissant pas encore bien le fonctionnement interne du GM, c'était que ce pôle était également chargé de l'adhésion des royaumes affiliés, autrement dit, les membres du conseil des nations. La présence de Lucie de Vimille à Boréa n'était donc pas vraiment étonnante.
Acceptant de jouer le jeu, la Peste alla se préparer. Enfilant une tenue d'apparat aux couleurs boréaliennes, elle conclut le tout en apposant son diadème étincelant sur son crâne. On ne pouvait pas lui retirer cela, quand elle faisait l'effort de se mettre dans le rôle, elle était crédible. C'était comme si elle était reine depuis des années déjà. La réalité était cependant que son immense estime d'elle-même convenait bien avec le titre et le pouvoir qui l'accompagnait. Afin de montrer qu'elle était chez elle malgré tout, Méria fit convier la directrice dans un petit salon aux teintes rouge et or. Arrivant évidemment après elle, elle fut précédée par plusieurs membres de la garde royale. Donnant congé à ses protecteurs, dont elle n'avait de toute façon pas besoin, elle s'approcha de la jeune femme blonde. Le moins que l'on puisse dire d'elle, c'était qu'elle collait bien avec l'image qu'on pouvait en avoir. Placide, sérieuse et propre sur elle, une digne représentante du Cipher Pol dont elle était l'un des membres les plus importants. En d'autres circonstances, la corsaire aurait été ravi de la combattre jusqu'à la mort, pour le simple plaisir de voir ce qu'elle avait dans le ventre. Cette idée la fit sourire intérieurement, mais elle préféra ne plus y penser.
« Épargnons nous les stupides et inutiles convenances d'usage. Vous ne m'aimez pas et c'est réciproque, mais qu'importe, nous n'en avons pas besoin pour travailler ensemble. »
Tournant le dos à son interlocutrice, la souveraine alla s’asseoir dans une confortable fauteuil. Invitant la directrice à faire de même, elle fit sonner une petite clochette et deux serviteurs pénétrèrent la pièce en portant avec eux de quoi boire et manger. Posant sur la table une grande planche pleine à craquer de charcuterie et fromages locaux, ils versèrent également un verre de vin aux deux femmes avant de prendre congé.
« Boréa et ses magnifique spécialités. Quel plaisir. Enfin, je m'égare... Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous, directrice Vimille ? »
Dans l'attente d'une réponse, Méria ne se fit pas prier pour attaquer le repas. Gourmande et alcoolique notoire, il y avait peu de chances qu'elle fasse dans la modération. Quand bien même avait-elle une couronne sur la tête, elle restait au fond une simple pirate roturière et parvenue.
Never-Utopia
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